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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 14 Mars 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcription
00:00 *Musique*
00:03 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Il s'agit d'un objectif affiché d'Emmanuel Macron depuis son discours de Belfort le 10 février 2022,
00:11 faire de la France le premier grand pays du monde à sortir de la dépendance aux énergies fossiles.
00:16 Pour cela, le chef de l'État table sur un plan de relance de la filière nucléaire
00:21 discuté depuis hier à l'Assemblée Nationale après avoir adopté en première lecture par le Sénat fin janvier.
00:29 Les six nouveaux réacteurs EPR de deuxième génération ont déjà été commandés à EDF.
00:34 Les objectifs de réduction de la part du nucléaire dans notre production d'électricité ont été évidemment en partie supprimés.
00:41 Des décisions qui font débat, des décisions également qui posent la question de la sûreté nucléaire
00:47 car elle est aujourd'hui au cœur du débat et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de vous inviter.
00:53 Thierry Charles, bonjour.
00:55 Bonjour.
00:56 Vous avez été directeur général adjoint de l'IRSN, l'Institut de Radio-Protection et de Sûreté Nucléaire de 2012 à 2020.
01:05 C'est un institut qui serait amené à disparaître avec le projet de loi du gouvernement.
01:10 Vous allez nous expliquer ce que cela pourrait impliquer, le rôle que votre institut avait.
01:16 Et puis nous sommes en duplex avec Emmanuelle Wargon. Bonjour.
01:20 Bonjour Guillaume Erner.
01:21 Emmanuelle Wargon, vous êtes présidente de la Commission de la Régulation de l'énergie,
01:25 ancienne ministre de la Transition énergétique et vous défendez ce retour à l'utilisation du nucléaire en France.
01:31 Peut-être un mot d'ailleurs pour nous expliquer ce qu'est cette Commission de la Régulation de l'énergie, Emmanuelle Wargon.
01:37 Oui bien sûr. C'est une autorité administrative indépendante comme la CNIL par exemple
01:43 ou l'autorité en matière de télécom et de communication.
01:47 C'est finalement le gendarme de l'énergie, c'est-à-dire le régulateur économique.
01:51 Notre rôle c'est de faire en sorte que les consommateurs français, les ménages ou les industriels
01:56 aient accès à une énergie la moins chère possible
01:59 qui leur permet d'avoir cette énergie abordable pour les ménages et pour la compétitivité.
02:04 Et pour ça on vérifie que les marchés fonctionnent correctement.
02:07 Et aujourd'hui donc le choix serait le nucléaire.
02:10 Alors je le dis avec d'autant plus d'intérêt que vous êtes actuellement en Allemagne, Emmanuelle Wargon.
02:17 L'Allemagne qui a fait, je crois, un autre choix.
02:21 Alors c'est vrai qu'aujourd'hui en France on se rend compte que pour atteindre nos objectifs de décarbonation
02:27 on va avoir besoin de beaucoup plus d'électricité.
02:30 Beaucoup plus d'électricité tout court décarbonée, donc beaucoup plus d'électricité renouvelable
02:35 et beaucoup plus d'électricité nucléaire.
02:38 En gros on consomme aujourd'hui cette année 460 TWh d'électricité.
02:44 Et dans les scénarii tels les derniers qui ont été faits notamment par RTE, le gestionnaire du réseau,
02:51 à 2050 selon les hypothèses on pourrait atteindre jusqu'à 650 voire même 700 TWh
02:59 dans une hypothèse de réindustrialisation française.
03:02 Mais réindustrialisation pas avec de l'énergie fossile mais avec de l'énergie décarbonée.
03:08 Et donc la France fait le choix de s'appuyer à la fois sur le nucléaire et sur les renouvelables.
03:13 L'Allemagne elle est dans une logique différente avec le remplacement de l'énergie fossile
03:20 essentiellement par du renouvelable et le choix de s'appuyer sur de l'hydrogène importé
03:25 qui lui-même serait fabriqué avec de l'énergie verte quelque part.
03:29 Donc on voit bien qu'on n'a pas tout à fait le même modèle.
03:31 Après le couple franco-allemand c'est quand même un pilier de nos institutions
03:35 et j'espère que ces deux points de vue se rencontreront.
03:39 En tout cas des choix très divergents.
03:41 Alors donc ce choix du nucléaire on en comprend bien la rationalité.
03:47 On peut bien entendu le discuter voire même le critiquer
03:52 mais en tout cas on comprend quel est le sens de cette politique.
03:56 A l'intérieur de ce choix qui fait débat il y en a un autre qui fait débat Thierry Charles.
04:02 C'est l'idée qu'il faudrait fondre deux organismes
04:07 et donc supprimer l'organisme dont vous êtes l'ancien directeur adjoint,
04:11 l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
04:14 Là aussi j'aimerais que vous nous disiez en deux mots ce qu'était cet institut
04:18 et pourquoi celui-ci pourrait être conduit à disparaître.
04:21 Ce qu'il est toujours en fait, c'est l'expert public des risques nucléaires et radiologiques.
04:26 Donc son rôle en fait c'est d'examiner l'ensemble des dispositions qui sont prises par les exploitants
04:30 notamment pour protéger à la fois les travailleurs, dans le médical les patients
04:34 et puis plus largement le public et l'environnement des risques liés à l'emploi des matières radioactives.
04:39 Donc en fait entre autres l'IRSN effectue l'expertise technique des dossiers de sûreté des exploitants
04:46 dans lesquels les exploitants justifient les mesures qu'ils vont prendre
04:49 en vue de donner un avis à l'autorité, l'autorité administrative indépendante qui est l'ASN,
04:54 l'autorité de sûreté nucléaire pour qu'elle prenne des décisions de fonctionnement ou de modification des installations.
04:59 Et l'idée donc de supprimer cet organisme, de le fondre plus précisément, d'où vient-elle ?
05:06 Pourquoi donc a-t-on fait ce choix Thierry Charles ?
05:09 C'est une très bonne question, c'est une très bonne question parce que dans l'état actuel
05:12 cette décision je la qualifie d'opaque, de brutale et de précipitée.
05:18 Pourquoi ? Pourquoi est-elle opaque ?
05:20 Ça rejoint votre question, en fait les explications données sur la suppression de l'IRSN,
05:24 l'IRSN est un organisme qui est reconnu, dont le rôle au niveau international est également reconnu,
05:30 et qui n'a pas failli du tout dans ses missions.
05:32 Et de ce point de vue, le conseil de politique nucléaire a pris la décision finalement de le supprimer,
05:38 alors qu'il n'y a pas eu d'études préalables du fonctionnement du système de contrôle
05:43 pour en voir les points d'amélioration, les points de bon fonctionnement, ni d'études d'impact.
05:48 Et il y a eu un simple rapport qui a été fait par un prestataire pour le compte du secrétaire général de la Défense Nationale,
05:57 et ce rapport n'est pas public.
05:59 Donc en fait il n'y a pas d'élément qui explique pourquoi.
06:02 Les seuls éléments ce sont les éléments donnés par un communiqué de presse de la ministre de la Transition énergétique
06:07 qui a indiqué qu'il fallait fluidifier les procédures.
06:10 Donc la fluidification passée par la suppression de l'IRSN.
06:14 Donc premier point en fait, opacité parce que pas d'explication publique.
06:18 Deuxième point, brutalité, puisqu'en fait l'IRSN a été supprimée par le biais d'un communiqué
06:24 qui est sorti le 8 mars qui a indiqué que l'IRSN allait être supprimée.
06:29 Et troisièmement, précipité, parce que pour supprimer l'IRSN il faut une loi.
06:33 Et en fait cette suppression a été accrochée à la loi sur l'accélération des procédures nucléaires,
06:38 alors que cette loi avait déjà passé le Sénat.
06:40 Donc on voit bien qu'en fait on a une décision prise à la va vite, sans transparence,
06:45 qui ne peut conduire qu'à deux choses, défiance, déstabilisation du système.
06:49 Bon mais alors Thierry Charges, il ne s'agit pas évidemment de ne plus soucier de la sûreté nucléaire,
06:53 mais plutôt une fusion, je ne sais pas, peut-être que le fait d'avoir deux organismes
06:58 était quelque chose qui nuisait à l'efficacité, il va falloir qu'on aille vite pour pouvoir mettre en place cette filière.
07:05 Il se pourrait que cette bipartition ait été un frein justement à cette rapidité.
07:11 Eh bien en pratique, il faut écouter ce qu'a dit le président de la SN lors de son audition
07:16 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques le 16 février.
07:20 Il a lui-même dit que les relations entre la SN et l'IRSN étaient très fluides,
07:24 qu'il y avait beaucoup de relations à tous les niveaux,
07:26 et qu'en fait il n'avait pas de difficulté à absorber les avis de l'IRSN.
07:31 Donc cela revient à dire finalement, pour quelles raisons tient-on à tout prix à faire cette injection de l'IRSN dans la SN ?
07:43 En fait, la principale difficulté c'est que dans le système français,
07:46 on avait actuellement une claire séparation entre l'expertise et la décision.
07:50 Et ça c'est fondamental dans la construction d'une bonne décision.
07:53 Puisque en matière d'expertise, l'IRSN s'appuie uniquement sur des faits scientifiques et techniques pour donner un avis,
07:59 après l'autorité, elle prend une décision en embarquant l'ensemble des problématiques.
08:03 Emmanuelle Wargon, vous qui êtes en duplex avec nous, avez-vous un commentaire à faire sur cette décision ?
08:10 Je rappelle que vous êtes présidente de la commission de la régulation de l'énergie,
08:13 ce n'est pas vous qui avez pris cette décision de fondre les deux organismes.
08:18 Un éclairage sur cette décision malgré tout ?
08:22 En fait, on voit bien l'ampleur de la tâche que nous allons avoir pour relancer et consolider le nucléaire français.
08:31 On a à la fois le maintien ou la prolongation des tranches existantes jusqu'à 40 ans,
08:38 puis potentiellement 50 ans, puis potentiellement même dans certains cas 60 ans,
08:42 et le développement du nouveau nucléaire.
08:44 Et beaucoup de défis autour du nucléaire, mais c'est vrai aussi des renouvelables.
08:49 Pour le nucléaire, ce qui est important, c'est la confiance de tous dans la sûreté,
08:55 dans le fait que les décisions de sûreté prises par la SN sont des décisions prises de façon éclairée en toute indépendance.
09:03 La SN est une autorité de sûreté nucléaire parfaitement reconnue.
09:07 Après, moi, je ne me prononcerai pas sur la question de savoir comment doit s'articuler l'expertise et la décision elle-même.
09:13 Il y a des autorités indépendantes dans lesquelles l'expertise est à l'intérieur de l'autorité.
09:18 La Creux n'est pas une autorité de sûreté, c'est une autorité de régulation économique,
09:22 mais l'expertise est interne, et ensuite un collège prend des décisions sur la base de l'expertise des services.
09:27 Donc je pense que les deux modèles sont possibles et se défendent.
09:31 Mais le plus important, c'est la confiance de tous dans la sûreté.
09:37 On le voit d'ailleurs, EDF a découvert il y a quelques mois, en 2021,
09:43 la question de la corrosion sous contrainte, donc des fissures dans certains réacteurs.
09:48 Le fait que des décisions de sûreté aient été prises avec des programmes de travaux,
09:52 c'est à la fois un frein à la production à très court terme, mais c'est la garantie qu'on prend ces choses-là au sérieux,
09:58 et que donc on peut avoir confiance dans le système nucléaire français, et c'est indispensable.
10:03 C'est vrai Thierry Charles que l'on a toujours été, a priori justement, je vous pose la question,
10:08 averti des questions de sûreté liées au nucléaire.
10:12 On a eu vent de ces fissures.
10:15 Tout le monde est aujourd'hui au fait de la question des soudures sur les EPR,
10:20 puisque ce sont des soudures évidemment spécifiques.
10:23 Bref, on a l'impression que ça fonctionne, mais puisque justement, vous étiez à l'IRSN auparavant,
10:29 est-ce que vous aviez un rythme soutenu à faire à des problèmes de sûreté dans le nucléaire français ?
10:39 Je voudrais revenir sur un point sur le problème de confiance.
10:42 Vous répondrez à ma question.
10:44 Je répondrai bien sûr, mais c'est important cette notion de confiance,
10:47 que la confiance ça ne se décrète pas, ça s'obtient dans la durée.
10:50 Et en fait, le système de contrôle que l'on connaît actuel, avec une séparation claire entre l'expert et le décideur,
10:56 il provient de quoi ? Il provient des suites de Tchernobyl.
11:00 Tchernobyl a été infiniment une fracture importante en matière de confiance,
11:03 et le gouvernement français et le parlement ont mis de longues années finalement
11:07 à développer le système que l'on connaît actuellement.
11:10 L'IRSN a été créé en 2001, l'ASN en tant qu'autorité indépendante en 2006,
11:15 et ça a fait l'objet de différents rapports parlementaires, notamment le rapport Biro,
11:19 dont le nom s'appelait "La longue marche vers la transparence".
11:22 Donc ce système s'est construit pas à pas, sous le contrôle du parlement.
11:27 Et brutalement, en l'espace de même pas 15 jours, on le supprime.
11:32 Comment voulez-vous que cette confiance se maintienne ?
11:35 Tout à l'heure je parlais de défiance. Défiance globale, ça conduit à quoi ?
11:38 À une perte de confiance sociale. Et comme l'a dit Mme Wargon,
11:41 c'est pas maintenant qu'on relance un programme nucléaire qu'il faut réduire la confiance globale.
11:46 Qu'il y ait des évolutions du système, c'est normal.
11:49 Que le gouvernement, à l'occasion d'un renforcement, se pose la question du fonctionnement du système,
11:54 c'est normal, mais pas si brutalement.
11:55 - On a bien compris votre attachement à la confiance, et j'imagine que c'est un attachement partagé.
12:02 Auparavant, aviez-vous affaire à de nombreuses difficultés liées à la sûreté nucléaire française, Thierry Charles ?
12:09 - Oui, il y a parfois, effectivement... On en a parlé tout récemment,
12:13 vous avez vu les problèmes sur l'EPR en construction.
12:16 Donc il y a eu de nombreux problèmes lors de la fabrication de ce réacteur, finalement,
12:21 qui ont fait l'objet d'examens par l'IRSN et après de décisions importantes par la SN.
12:26 J'en prendrai qu'une, c'est sur les circuits secondaires,
12:29 où donc il avait été observé des soudures mal faites,
12:33 et ça a conduit finalement la SN à faire refaire les circuits.
12:36 - Bon, alors ça, on en a largement parlé, mais plus généralement,
12:40 parce que l'idée de supprimer l'IRSN et de le fonder dans un organisme,
12:43 cela pourrait, par exemple, susciter des doutes en se disant que le bras armé,
12:47 qui était donc l'autre organisme, ne sera plus distinct de l'organisme d'expertise,
12:55 et donc il pourrait chercher parfois à étouffer un certain nombre de problèmes liés à la sûreté nucléaire.
13:02 Dans le passé, Thierry Charles, avez-vous l'impression qu'on a cherché à étouffer
13:06 certains problèmes liés à la sûreté nucléaire française ?
13:09 - Ça, je ne pense pas, au contraire.
13:11 Je pense qu'au contraire, la démarche s'est voulue transparente à chaque fois qu'il y avait une difficulté.
13:16 Bon, je vais vous donner un exemple qui n'est pas français.
13:19 C'est à l'occasion de l'accident de Fukushima au Japon.
13:22 Vous avez pu noter que le système français, à la fois l'IRSN et la SN,
13:26 ont mis sur la table l'ensemble des enseignements,
13:28 et par la suite en ont tiré des enseignements importants pour la sûreté des installations françaises.
13:33 Et notamment, c'est l'IRSN qui a fait la promotion d'un nouveau complément de disposition pour la sûreté,
13:41 avec des moyens complémentaires de sûreté pour, justement,
13:44 avoir un meilleur comportement en cas d'agression externe,
13:48 comme par exemple le séisme ou les inondations.
13:50 Donc on a fait un saut de sûreté à ce moment-là, sur la base, finalement, de la connaissance de ce qui s'est passé,
13:55 de l'analyse de l'IRSN, et puis après, finalement, la SN a imposé ce genre de disposition à l'exploitant.
14:01 - Emmanuel Wargon, c'est quand même là aussi étonnant.
14:04 Vous qui présidez la Commission de la Régulation de l'énergie,
14:07 on voit qu'il va y avoir six EPR qui vont devoir être lancées pour atteindre les objectifs.
14:13 On a aujourd'hui de grandes difficultés à en faire fonctionner un.
14:17 Est-ce que l'on n'est pas en face d'objectifs qui sont strictement irréalistes ?
14:24 - Non, je ne crois pas.
14:25 Je crois qu'on est en capacité de continuer à développer à la fois le nucléaire et le renouvelable.
14:31 D'abord parce qu'on n'a pas le choix, on a des besoins qui sont importants,
14:34 et les chiffres que je vous donnais tout à l'heure intègrent la sobriété.
14:38 C'est-à-dire qu'ils intègrent le fait qu'en parallèle de l'augmentation de la consommation nette,
14:44 il faudra aussi baisser la consommation de base, la consommation industrielle,
14:49 la consommation chez les ménages dans le tertiaire.
14:52 Et d'ailleurs on l'a plutôt bien fait cet hiver sous la contrainte,
14:55 puisqu'on est à peu près à -10%, donc c'est assez encourageant.
14:58 Donc on en a besoin.
15:00 Ensuite, je crois qu'EDF est en train de tirer tous les enseignements industriels
15:06 de la question de l'EPR de Flamanville,
15:08 entre-temps à développer des EPR ailleurs,
15:11 et que la nouvelle génération, qui sera probablement un peu différente,
15:15 plus standardisée, est atteignable, évidemment dans des délais qui restent relativement longs.
15:21 Et c'est aussi pour ça que cette loi est actuellement en discussion à l'Assemblée nationale et au Sénat.
15:26 Et au Sénat, pardon, c'est d'abord une loi d'accélération des procédures
15:30 pour permettre de commencer les travaux, par exemple sur tout ce qui est aménagement des sites,
15:35 et donc pas la partie à sécurité elle-même, le plus vite possible.
15:40 Sur les renouvelables, on a du mal à avancer.
15:43 On en installe, mais on n'en installe pas tout à fait à la bonne vitesse.
15:47 Et donc on voit bien qu'on a besoin des deux piliers.
15:50 Justement, là aussi, puisqu'il s'agit donc d'accélérer,
15:53 le terme est faible d'ailleurs, Thierry Charles, la production d'EPR,
15:59 autrement dit, aujourd'hui, une technologie qu'on semble mal maîtriser,
16:04 puisque on est à la recherche de soudeurs,
16:06 je ne sais pas où est-ce qu'on en est d'ailleurs dans le recrutement des soudeurs,
16:09 pour les cuves d'EPR.
16:11 Est-ce que finalement, votre peur, ce n'est pas qu'on se mette à fabriquer des EPR
16:16 en transigeant avec la sûreté ?
16:21 Non, je ne pense pas qu'on puisse dire ça.
16:22 Je connais le système français, et de ce point de vue-là, il est efficace
16:27 et il sait mettre les moyens où il y en a besoin.
16:30 Donc, le point important, c'est que le premier EPR a eu des difficultés.
16:34 Ça a fait l'objet notamment d'une étude, d'un rapport,
16:37 par une grande figure de l'industrie française,
16:41 c'était le rapport Jean-Martin Foltz, finalement,
16:43 qui a bien mis en exergue le pourquoi des difficultés du premier EPR.
16:46 En fait, le projet, globalement, a été mal managé.
16:49 Et donc, de ce point de vue-là, comme l'a dit Mme Wargon,
16:51 EDF en a tiré les enseignements, et de ce point de vue-là,
16:54 des mesures ont été prises pour pouvoir mieux gérer les nouveaux EPR.
16:56 Alors, EDF se défendait en substance en disant "c'est un prototype".
17:01 Ça n'est plus un prototype aujourd'hui, ou alors le prototype est au point, Thierry Charles ?
17:05 - Eh bien, en pratique, je crois que, au moment où s'est lancée la construction du premier EPR,
17:09 l'ensemble des plans de l'installation n'étaient pas terminés, en fait.
17:12 C'est ça, la grosse difficulté.
17:13 On voit que, par la suite, le premier EPR s'est construit.
17:16 Ils en ont construit deux en Chine, qui, maintenant, ont démarré.
17:18 Donc, de ce point de vue-là, on voit bien que...
17:20 - On dit que les Chinois, pardonnez-moi, je vous ai coupé,
17:21 on dit que les Chinois sont peut-être moins sourcieux que nous sur la sûreté des EPR.
17:28 - Eh bien, ils ont leur système adapté à leur contexte, donc de ce point de vue-là...
17:31 - Oh là là, vous le dites de manière diplomatique !
17:33 - Non, non, mais on ne peut que dire ça.
17:35 Vous savez que tout système, il faut le regarder à l'aune de son contexte.
17:38 Donc, vous êtes en Chine, la Chine a un programme nucléaire qui se développe.
17:42 En pratique, ils sont un petit peu comme lorsque la France a développé le programme nucléaire dans les années 70-80.
17:47 Donc, en pratique, ils sont dans une action de mise en place de leur système,
17:51 ils mettent mise en place leurs autorités qui vont avec, et le système avance.
17:54 Donc, ils n'ont pas tout à fait les mêmes règles que les Français, c'est exact, de ce point de vue-là.
17:59 Par contre, eux aussi, ils veulent faire en sorte d'éviter l'accident,
18:01 parce que tout le monde sait ce que c'est qu'un accident, de ce point de vue-là.
18:04 Donc, pour revenir à la France, l'enjeu maintenant, c'est effectivement d'analyser les nouveaux EPR2.
18:10 Je peux vous dire que dès maintenant, actuellement, mes collègues de l'IRSN sont en train de faire l'expertise de ces projets-là.
18:15 Et c'est pour ça que ce n'est pas le moment de déstabiliser le système.
18:18 Comprenez bien que dans un contexte où la charge de travail va augmenter, notamment,
18:22 6 EPR, voire 14, plus des petits réacteurs, on parle en gros de 100 000 emplois.
18:27 Moi, j'ai lu dans la presse dernièrement...
18:28 - Mais on va réussir à embaucher tant de gens compétents ?
18:31 Parce qu'on dit qu'on a du mal... Vous souriez, vous êtes dubitatif.
18:35 - Non, non. Disons qu'après, c'est à l'industrie de trouver les bras dont elle aura besoin.
18:39 - 100 000 personnes, c'est beaucoup.
18:41 - C'est beaucoup, mais c'est sûr de la durée.
18:43 C'est pas immédiatement.
18:45 Par contre, il est clair aussi qu'il faut que le système de contrôle, lui, ait des bras.
18:48 Qu'il ait des bras et des têtes, bien sûr.
18:50 Et de ce point de vue-là, c'est pas le moment de faire en sorte que les gens qui le pratiquent,
18:54 soit le quittent parce que c'est pas clair,
18:56 soit ne veuillent pas y rentrer parce qu'il faudra 12 mois pour définir le nouveau système.
19:00 Thierry Chas, l'ancien directeur adjoint de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire,
19:04 Emmanuel Vargon, président de la Commission de la Régulation de l'Énergie,
19:07 on se retrouve dans une vingtaine de minutes.
19:11 On évoquera donc la question de la sûreté nucléaire.
19:13 Et puis, on essaiera aussi de tirer des enseignements des catastrophes de Fukushima et de Tchernobyl.
19:21 Car là aussi, on en sait un peu plus.
19:23 Nous serons en liaison avec Pierre Bey, qui est professeur émérite de cancérologie radiothérapie à l'université de Lorraine.
19:30 8h sur France Culture.
19:31 7h-9h
19:32 *Générique*
19:36 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
19:38 On parle relance du parc nucléaire, sûreté nucléaire.
19:43 Nous sommes en compagnie de Thierry Chas, l'ancien directeur adjoint de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire,
19:51 avec la question de la fusion de cet organisme.
19:54 Il y avait deux organismes chargés de la sûreté nucléaire, il n'y en aura plus qu'un.
19:59 Alors, je précise toutefois que cela se fera sans suppression d'effectifs.
20:03 C'est une nouvelle organisation, mais il n'y aura pas moins de moyens en matière de sûreté nucléaire.
20:10 Et puis, pour parler des conséquences éventuelles d'un accident nucléaire,
20:15 nous sommes en compagnie de Pierre Bey, professeur émérite de cancérologie radiothérapie de l'université de Lorraine.
20:21 Bonjour docteur.
20:23 Bonjour.
20:24 Et puis, enfin, nous sommes en compagnie d'Emmanuel Vargon, président de la commission de la régulation de l'énergie.
20:30 Emmanuel Vargon, j'aimerais que vous nous donniez votre sentiment, que vous commentiez ce qu'a dit mon camarade Jean Lemarie dans son billet politique.
20:40 Un débat sur l'accélération du nucléaire qui lui paraissait, disait-il, hors sol.
20:46 Je trouve que ce qui est intéressant dans ce billet, c'est la tension entre le présent et l'avenir.
20:52 Parce qu'en termes d'énergie, les décisions que nous prenons maintenant sont des décisions qui nous engagent pour 5 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans.
21:01 L'énergie se prépare avec beaucoup d'avance.
21:05 La construction de réacteurs nucléaires, ça se programme à 15 ans.
21:09 Et même les énergies renouvelables, qui sont censées être plus rapides,
21:13 si on parle de l'éolien offshore, des éoliennes en mer, entre le moment où on attribue les marchés et le moment où elles commencent à tourner, il faut compter en gros 5 ans.
21:23 Donc on voit bien que l'énergie, c'est une question de programmation.
21:26 Je pense aussi que ce qui est important à souligner, c'est que ce sont des choix très politiques.
21:31 Ce sont des choix qui nous engagent à savoir quelle forme de souveraineté, quelle forme d'autonomie nous voulons.
21:36 Nous avons besoin d'un équilibre entre notre production et notre consommation.
21:40 Si on n'a pas d'équilibre, on importe. Si on n'a pas d'équilibre, les prix explosent.
21:45 Ce qu'on a vu cet hiver, c'est qu'avec une tension très forte parce qu'on ne produisait pas suffisamment,
21:51 on a importé. Donc des questions physiques, est-ce qu'on va arriver à trouver assez d'électricité ?
21:56 Mais les prix ont aussi explosé, avec bien sûr des mesures de protection, mais qui pèsent quand même, notamment encore sur les entreprises.
22:04 Maintenant, ces choix, ils ne sont pas faciles et il n'y a pas d'énergie parfaite.
22:09 Le nucléaire est effectivement actuellement à traverser des difficultés techniques que EDF traite.
22:15 Et je pense que 2022, c'était un point bas de production. On était à 279 TWh.
22:22 EDF prévoit plus pour 2023, tout en disant qu'il y a encore deux ou trois ans pour traiter toute la maintenance des réacteurs
22:31 dans lesquels on trouve des fissures aujourd'hui. Donc on a le nucléaire qui passe par ces difficultés.
22:37 Et de toute façon, la prolongation de Centrale à 40 ans et plus nécessitera des travaux supplémentaires.
22:44 Sur les renouvelables, tout n'est pas parfait non plus, évidemment.
22:47 D'abord, il y a la question de leur implantation pour l'éolien terrestre.
22:51 Pour le solaire, il y a la question de la préservation des terres agricoles.
22:56 Et pour l'hydraulique, qui est une énergie qui fonctionne très bien,
23:01 une partie de vos reportages étaient sur la sécheresse actuellement et la tension en eau.
23:06 Donc on voit bien que ces choix, aucun choix n'est facile.
23:09 Et que si on dit "telle technologie a telle difficulté", c'est à la fois vrai,
23:15 mais une fois que vous avez fait le tour de toutes les technologies, vous revenez à la case départ.
23:19 J'ai évidemment pas cité ni le charbon, on est en train d'en sortir en électricité,
23:23 ni le gaz, qui sont des énergies d'appoint mais qui émettent du CO2.
23:27 Donc il faut qu'on trouve ensemble le bon mix.
23:30 Et ce bon mix, il faut aussi qu'il soit en face d'une consommation qui baisse,
23:34 même si on a en parallèle besoin d'électrifier les usages,
23:38 puisque la voiture électrique va se développer.
23:40 Donc cette équation est complexe.
23:42 Je ne crois pas que la loi nucléaire actuellement en discussion préempte vraiment cette équation.
23:48 Elle est essentiellement sur des mesures techniques,
23:51 même s'il y a ce sujet symbolique de la fondation nucléaire.
23:54 Le gros débat, il viendra cet été.
23:57 Le gros débat, il arrivera avec un projet de loi sur la programmation pluriannuelle de l'énergie.
24:02 Et c'est là qu'il faut se poser toutes ces questions.
24:04 Justement parce qu'on voit que les choix nucléaires sont là pour longtemps,
24:09 puisque les centrales sont là pour très longtemps, Emmanuel Vargon.
24:12 Et donc si on met en place 6 nouveaux EPR, on parle de 50 ans au minimum pour ces installations.
24:22 Peut-être plus, je vois Thierry Charles qui fronce les sourcils, donc probablement plus.
24:27 Est-ce que c'est bien raisonnable de régler ces questions qui sont des questions extrêmement importantes pour l'avenir de notre pays,
24:34 en quelques jours, même si, bien entendu, le Parlement a toute sa légitimité
24:40 et probablement les compétences nécessaires en se rapprochant de différents experts pour les traiter ?
24:47 Mais cette loi ne règle pas la question en quelques jours.
24:50 Elle prévoit d'un côté des simplifications administratives
24:54 et de l'autre, les parlementaires ont souhaité revenir sur l'un des sujets qui était un peu symbolique de la période précédente.
25:02 La définition du mix énergétique aura lieu de nouveau devant le Parlement l'été prochain.
25:08 Et ce qui est assez frappant, c'est que dans les années précédentes,
25:11 cette programmation était faite directement par le gouvernement, par décret.
25:15 Ce sont les parlementaires qui ont souhaité, dans la dernière loi, il y a quelques années, dire que c'est trop important.
25:20 Il faut que ce choix pour savoir comment est-ce qu'on répartit la production d'électricité en France
25:25 soit validé, débattu, voté au Parlement.
25:28 C'est ce qui se passe et donc cette loi arrivera dans le courant de cette année.
25:32 Et c'est là vraiment que seront posées à la fois les cibles en valeur absolue
25:37 et les proportions sur quels piliers on s'appuie, au pluriel,
25:41 quels piliers pour produire de l'électricité décarbonée en France.
25:46 Donc bien sûr, il y a un débat politique autour de la loi nucléaire,
25:50 mais le gros débat, qui a d'ailleurs été préparé par des débats avec nos concitoyens un peu partout en France,
25:59 le débat structurant, il arrivera l'été prochain.
26:03 Et puis, ces choses changent. La dernière PPE, programmation pluriannuelle de l'énergie,
26:07 on pensait qu'on n'aurait pas besoin de beaucoup plus d'électricité
26:10 et donc on pouvait diversifier entre le nucléaire et les énergies renouvelables.
26:15 Maintenant, on sait qu'on aura besoin de beaucoup plus d'électricité.
26:18 Peut-être que dans dix ans, on aura de nouveau une vision différente.
26:21 Merci, Emmanuel Vargon, de nous avoir donné votre sentiment sur ces questions relevant du nucléaire.
26:29 Je rappelle que vous êtes présidente de la Commission de la Régulation de l'énergie.
26:34 Se pose aussi la question de la sûreté.
26:37 Thierry Charles, vous êtes ancien directeur adjoint de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire.
26:42 On vient d'évoquer par exemple ces fissures sur des tuyauteries.
26:47 Là aussi, ce sont des choses qui font très peur.
26:50 A-t-on affaire, comme l'a dit la ministre Pannier-Runacher, à une question liée au vieillissement d'installation ?
26:59 Le vieillissement, cela se contrôle, la vétusteté, c'est quelque chose de logique.
27:04 Ou bien, faut-il être inquiet par rapport à l'état du parc nucléaire ?
27:08 En pratique, il faut être vigilant. Le terme habituel en sûreté, c'est la vigilance.
27:13 Parce qu'en pratique, lorsqu'on examine les installations, par définition, on vise à anticiper les problèmes qui peuvent survenir.
27:20 Et donc, on veut comprendre les phénomènes de dégradation potentielle.
27:23 La fatigue thermique, effectivement, ce sont des sujets connus.
27:26 Et notamment, EDF prévoit dans ses contrôles périodiques, sa maintenance, une surveillance de certaines soudures
27:32 pour vérifier qu'il n'y a pas apparition de phénomène de fatigue thermique.
27:36 C'est nécessaire, donc, de prendre des mesures pour remplacer des circuits.
27:39 Et d'ailleurs, c'est ce type de contrôle qui a permis de détecter les phénomènes qui ont été observés tout récemment,
27:47 qu'on appelle de la corrosion sous-contrainte.
27:49 Donc, partant de là, EDF, ayant observé des phénomènes nouveaux, a pris la bonne disposition.
27:54 Puisque par définition, il avait arrêté les installations de Civeaux et de Chaux.
27:58 Donc, de ce point de vue-là, il a pris les bonnes dispositions.
28:00 Et ensuite, toute la question, c'est de comprendre la cause du phénomène, la cinétique.
28:04 Puisque finalement, une des questions, c'est est-ce que c'est rapide ?
28:07 Est-ce qu'on peut attendre ? Quelles sont les dispositions à prendre et dans quel délai ?
28:11 Donc, de ce point de vue-là, des études ont été faites.
28:13 Et ce que j'observe, c'est que de premières conclusions ont pu être tirées sur les phénomènes et leurs raisons.
28:18 Mais on voit qu'il y a de nouveaux phénomènes qui apparaissent, qui conduisent à encore avoir besoin d'autres explications.
28:24 Donc, il faut continuer à être vigilant, à surveiller.
28:26 Et effectivement, ça peut conduire, pour certains réacteurs, à anticiper le remplacement des circuits.
28:32 Dernièrement, il y a eu une fissuration qui était observée d'épaisseur très importante, à 23 mm sur 27.
28:38 C'est clair que c'est significatif, de ce point de vue-là.
28:40 - Il reste 4 mm ! - Il reste plus grand-chose.
28:42 Donc, de ce point de vue-là, il faut faire très attention.
28:45 Comprendre maintenant pour quelles raisons il y a pu y avoir cet anomalie.
28:49 - Et pourquoi on ne les a pas vus avant ? Parce que les 23 mm, ils ne sont pas apparus dans la nuit.
28:52 - Bien sûr, mais la question, c'est quel type de surveillance vous faites et quel phénomène vous attendez ?
28:57 Donc, en pratique, en général, des phénomènes sont attendus et vous faites une surveillance par sondage sur un ensemble de soudures.
29:03 Donc là, ce sont des phénomènes nouveaux.
29:05 A phénomènes nouveaux, EDF a poursuivi ses contrôles.
29:08 Dans la demande de la SN, notamment, a fourni de nouveaux plans de contrôle qui ont permis d'observer de nouvelles anomalies.
29:13 - Jean-Les-Marie, est-ce que ces découvertes vous ont surpris, Thierry Charles ?
29:17 - Oui, le phénomène de corrosion sous contrainte qui est survenu a été surprenant pour plusieurs raisons.
29:24 Le matériau utilisé est quand même peu sujet à la corrosion sous contrainte.
29:28 Le milieu "corrosif", c'est l'eau, donc de ce point de vue-là, il n'est pas très corrosif.
29:34 Et puis, les contraintes possibles dans les circuits sont quand même connues.
29:37 Donc, ce n'était pas "attendu" dans ces zones-là.
29:40 Donc, le fait d'avoir eu la surveillance pour d'autres raisons a permis d'identifier.
29:45 Et ensuite, la démarche habituelle a été de comprendre, d'arrêter lorsque nécessaire et de réparer.
29:51 - Thierry Charles, ce sont des problèmes endogènes.
29:54 Ils sont liés à la vétusteté, à l'usure des installations, peut-être à une usure anormale.
30:00 C'est vous, l'expert, qui pouvez en décider.
30:03 Mais les deux catastrophes nucléaires auxquelles on a assisté étaient des chocs exogènes.
30:09 Donc, un exercice qui se déroule de manière imprévue à Tchernobyl et un tsunami, comme on s'en souvient, pour Fukushima.
30:19 Il y a aujourd'hui une question en France, c'est la sécheresse.
30:22 La sécheresse, elle va diminuer le niveau des fleuves.
30:25 Et ces fleuves, ils refroidissent les centrales nucléaires.
30:29 Comment continuer à avoir un système de refroidissement efficace alors que, probablement, hélas, les fleuves vont continuer à baisser ?
30:40 - En fait, concernant les évolutions climatiques, elles sont de deux niveaux.
30:44 Il y a effectivement la baisse des rivières, dans laquelle l'EDF peut piser l'eau pour justement refroidir les circuits.
30:50 Mais n'oublions pas que certains réacteurs sont refroidis par des aéroréfrigérants externes, donc, et utilisent beaucoup moins d'eau du circuit fluvial.
30:59 Par contre, c'est exact que si vous avez une baisse pour les réacteurs qui sont vraiment connectés à la rivière en termes de refroidissement...
31:05 - On a déjà eu une inquiétude.
31:06 - Bien sûr. Chaque été, en général, il y a une inquiétude pour deux raisons.
31:09 Il y a des règles en termes d'étiage minimum pour les prises d'eau. Il y a également des règles en termes de rejet d'eau chaude,
31:16 puisque finalement, un réacteur rejette de l'eau plus chaude, et donc, ça conduit à une élévation de température du milieu naturel,
31:21 avec des effets sur la faune qui est présente.
31:25 Et donc, de ce point de vue-là, ça conduit, chaque été, à ce qu'il y ait des baisses de puissance de certains réacteurs.
31:30 Parfois, l'ASN a donné une dérogation pour poursuivre des rejets d'eau en autorisant une augmentation limitée de quelques dixièmes de degré au niveau du fleuve.
31:38 Et donc, dans la durée, ça interroge effectivement sur la capacité de certains fleuves à permettre de refroidir suffisamment certains réacteurs.
31:44 Il y a un deuxième sujet important en matière d'effets climatiques, c'est la température de l'air.
31:49 La température de l'air, ça veut dire que vous devez, dans les bâtiments des réacteurs, vous avez des matériels qui tournent, qui chauffent eux-mêmes,
31:55 et si l'air extérieur est trop chaud, vous pouvez augmenter la température des bâtiments internes, et donc atteindre des limites de qualification pour des matériels.
32:03 Donc, ça conseille un autre type de mesures contre lesquelles EDF prend des mesures, pour notamment avoir des meilleurs refroidissements de certains locaux,
32:11 pour continuer à respecter les règles en termes de qualification des matériels.
32:14 Donc, cette question d'évolution climatique, c'est un sujet important, et EDF, il travaille, bien sûr, également l'ASN, l'IRSN, tous ensemble,
32:22 sur quels sont les impacts et quelles dispositions il y a à prendre.
32:26 - Mais alors, ces 6 EPR qu'on va lancer, ils vont être refroidis comment ?
32:29 - Eh bien, je crois qu'il en est prévu 2 à Penly, donc Penly c'est sur la mer, entre guillemets, et il y en a 2 autres qui sont prévues, c'est Gravelines,
32:40 qui également sont sur la mer. Donc le milieu, de ce point de vue-là, est beaucoup plus large qu'un simple fleuve.
32:46 Il est beaucoup plus simple d'être sur un littoral que d'être sur un fleuve.
32:50 - Mais est-ce que ça rend caduque, finalement, ces différentes centrales qui sont sur le Rhône, qui sont donc refroidies de manière classique par un fleuve ?
33:03 - Non, ça ne les rend pas caduques, les phénomènes d'élévation de température ne sont pas brutaux. En pratique, il y a des scénarios d'évolution, et donc...
33:10 - C'est pas tant l'évolution, mais peut-être je me trompe, c'est pas tant l'évolution de la température qui pourrait inquiéter
33:17 avec la diminution du niveau des fleuves, qui elle, est drastique, on le voit.
33:21 - En fait, il y a deux aspects, il y a effectivement le niveau du fleuve qui baisse, et en général, la température globale s'élève un peu au niveau du fleuve.
33:27 Et ces deux aspects ont un effet sur le réacteur.
33:30 - Et puis, alors ça, c'est la marche normale des installations, et puis il y a aussi, ce qu'à Dieu ne plaise, les incidents nucléaires,
33:39 et c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité, Pierre Bec, que vous nous éclairiez. Vous êtes professeur émérite de cancérologie et radiothérapie de l'université de Lorraine,
33:48 et notamment, l'une des choses qui est apparue récemment, c'est finalement une meilleure compréhension de ce qui s'est déroulé après les catastrophes nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima.
34:01 Qu'est-ce que l'on peut dire aujourd'hui sur les conséquences, sur la faune, la flore, et puis bien sûr, les êtres humains de ces deux catastrophes nucléaires ?
34:13 - Alors, je pense qu'il faut peut-être rappeler en quelques mots les effets biologiques des rayonnements ionisants, pour bien comprendre de quoi on parle.
34:24 Il y a deux types d'effets. Il y a des effets qu'on dit obligatoires, qui apparaissent après forte dose, et qui sont systématiques à partir d'une dose seuille.
34:36 C'est ce que l'on connaît bien en radiothérapie, puisqu'on irradie une partie du corps, dans cette partie qui renferme des cellules cancéreuses que l'on veut détruire,
34:46 et on sait qu'à partir de 20 grès, en général, à partir de la fin de la deuxième semaine de traitement, il peut apparaître des réactions sur les muqueuses,
34:56 qui sont typiquées de cystites ou de rectites. Voilà, ça c'est parfaitement connu, et ces réactions vont disparaître, et les cellules qui ont été détruites vont se régénérer progressivement.
35:08 Les tissus vont se régénérer. Il peut y avoir des réactions par vibes, surtout quand on a dépassé accidentellement les doses de tolérance des organes qu'on connaît bien,
35:17 et on a tous en tête l'accident dramatique d'épinal, où des patients ont reçu des doses anormalement élevées, qui ont entraîné des nécrosmesticulaires au niveau du pélvis.
35:28 Ça c'est pour l'irradiation partielle. Quand on irradie l'ensemble du corps, on observe des réactions cliniques à partir de 1 grès, 1000 mSv en un temps court,
35:39 et on sait que la mort peut survenir à partir de 2 grès par destruction complète de la moelle osseuse.
35:49 Les doses sont beaucoup plus élevées, mais ça ne s'est observé qu'à Hiroshima et Nagasaki, la mort peut survenir en quelques heures de cause neurologique.
35:58 Il faut aussi savoir qu'on utilise à titre thérapeutique des fortes doses pour détruire la moelle osseuse, dans certains cas de leucémie réfractaire,
36:06 et à ce moment-là on donne 12 grès à l'ensemble du corps, et il y a des milliers de personnes qui sont guéries de leucémie,
36:15 et qui vivent après avoir reçu 12 grès, 12 000 mSv sur l'ensemble du corps.
36:21 Donc ça c'est le premier type d'effet biologique, ce sont les effets obligatoires.
36:26 Et à côté de ça, il y a des effets que l'on dit aléatoires, ou stochastiques, qui surviennent éventuellement après des faibles doses.
36:34 Et ça peut toucher deux types de cellules dans le corps, les cellules reproductibles, les cellules germinales, avec un risque de malformation transmise à la descendance.
36:44 Ça a été observé dans certaines espèces animales, il faut savoir que dans les espèces humaines,
36:49 on n'a pas constaté de risque transmis héréditairement chez les descendants des survivants du Hiroshima et Nagasaki, ou des gens irradiés à Tchernobyl.
36:59 - Justement Pierre Bey, parce que si j'ai souhaité vous avoir en ligne, c'est parce qu'il y a eu récemment des études scientifiques,
37:09 toutes ne sont pas menées jusqu'à leur terme sur les conséquences des accidents de Fukushima et de Tchernobyl, avec des surprises en tout cas pour le grand public.
37:21 On a vu par exemple que les mutations n'étaient pas aussi importantes qu'on aurait pu l'imaginer sur la faune.
37:31 - Je termine juste, parce que j'ai parlé des cellules reproductibles, mais il y a aussi toutes les autres cellules de l'individu, les cellules somatiques,
37:39 et là ça entraîne un risque de cancer radio-induit qui est réel, mais qui est rare.
37:46 Et donc ça c'est pour bien planter le décor si vous voulez.
37:50 - Alors maintenant qu'est-ce qui s'est passé à Tchernobyl ou à Fukushima ? On n'est pas tout à fait dans le même registre en termes de doses qui ont été transmises ou de...
38:05 - Hum hum.
38:06 - Les projets, les régions étaient beaucoup plus importants à Tchernobyl qu'à Fukushima.
38:11 Et à Tchernobyl le nombre de personnes qui a été irradiée, en particulier les liquidateurs, ceux qui sont intervenus sur le site pendant plusieurs jours, ont été là aussi sans communes mesures avec ce que l'on a observé à Fukushima.
38:25 Alors on parlera peut-être après du risque de cancer tardif.
38:30 - Nous avons peu de temps Pierre Bey, donc malheureusement je vais vous obliger à être un peu succinct sur vos commentaires.
38:41 - D'accord. Alors en ce qui concerne les problèmes génétiques, donc encore une fois dans l'espèce humaine il n'y a pas de démonstration d'anomalie apparue chez les descendants des personnes irradiées.
38:56 Alors on a cité récemment une enquête sur les chiens autour de Tchernobyl, vous avez dû voir dans la presse ces jours-ci.
39:04 - Oui, c'est à elle que je faisais référence.
39:06 - Voilà, effectivement des mutations et des anomalies qui sont détectables chez ces chiens et qui sont transmises apparemment dans les générations suivantes et c'est en cours d'étude.
39:19 On n'a pas encore d'explication complète ni de panorama total de ses conséquences sur ces animaux.
39:29 - Et pour les conséquences de Fukushima, vous dites que là il y a eu une moindre libération de radioactivité, que pourraient être en quelques mots les conséquences de cette catastrophe nucléaire Pierre Bey ?
39:48 - Alors en termes sanitaires, les conséquences de l'accident de Fukushima sont à peu près nulles. Il n'y a pas eu d'effet déterministe obligatoire observé chez les personnes qui ont travaillé sur le site de Fukushima.
40:03 Car très peu ont reçu une dose supérieure à 100 mSv. Contrairement à Tchernobyl où je disais tout à l'heure, au moins 200 000 liquidateurs ont reçu une dose d'au moins 100 mSv.
40:16 Avec un certain nombre d'effet déterministe, il y a eu une trentaine de morts immédiates dues à l'irradiation aiguë. Et ensuite un certain nombre probablement de cancers plus difficiles à mettre en évidence, parce que ça apparaît tardivement, chez les personnes lourdement irradiées à Tchernobyl.
40:38 - Voilà donc la situation dans ces deux cas. Une mise au point utile. Thierry Charles, en conclusion, je l'ai dit, le débat qui existe aujourd'hui en matière de sûreté nucléaire en France, c'est sur la fusion de deux organismes.
40:56 Fusion, cela veut dire que les organismes ne vont pas être supprimés, les effectifs ne vont pas être amoindris. Il faut être vigilant, comme vous le disiez tout à l'heure. Il faut être vigilant, mettre des moyens et prendre son temps pour adapter le nouveau système. C'est essentiel ça.
41:12 - C'est-à-dire que finalement on puisse conserver, parce qu'à l'époque de Fukushima, je m'en souviens, on avait dit "ça arrive au Japon, mais ça ne peut pas arriver en France". Est-ce qu'on peut le dire avec autant de force ?
41:25 - Non, on dit clairement qu'un accident est toujours possible. Ça, il est toujours possible. Et on doit par contre tout faire pour l'éviter. Et tout faire pour l'éviter, ça veut dire notamment un exploitant compétent avec des moyens et un système de contrôle opérationnel. J'allais dire qu'on n'est pas en train de déstabiliser.
41:41 - Merci Thierry Charles. Je rappelle que vous êtes ancien directeur général adjoint de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire. Et puis merci à Pierre Bey, professeur émérite de cancérologie et radiothérapie de l'Université de Lorraine. Dans quelques instants, le point sur l'actualité, le 8.45 d'Anne-Laure Chouin.

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