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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marguerite Caton, je vous salue.
00:09 Bonjour Guillaume et bonjour à tous.
00:11 Alors aujourd'hui, il y a du conflit dans l'air.
00:13 Oui, on va parler de la jeunesse et ses relations à l'armée et à la guerre.
00:17 La grande crainte des autorités depuis la fin du service militaire obligatoire, c'est
00:21 de voir s'effriter le lien armée-nation, à la fois le patriotisme et puis la familiarité
00:26 à la chose militaire.
00:28 L'enjeu est d'autant plus important avec le conflit ukrainien aux portes de l'Europe.
00:32 Le ministère des armées a confié à Anne Muxel une enquête sur les jeunes et la guerre
00:36 pour explorer leur représentation et leur disposition à l'engagement.
00:40 Bonjour Anne Muxel.
00:41 Bonjour.
00:42 Vous êtes sociologue et politiste, directrice de recherche et mérite au CNRS.
00:46 Qu'avez-vous observé ? Une jeunesse plutôt engagée, plutôt patriote, plus que vous
00:50 ne l'imaginiez ?
00:51 Oui, plus que je ne l'imaginais, mais une jeunesse qui est en recherche d'engagement.
00:56 On le sait dans d'autres secteurs par rapport à d'autres vecteurs d'engagement.
01:00 Mais disons que par rapport à cette idée de servir, de servir la nation, de trouver
01:05 du sens à une cause qui pourrait être défendue, en l'occurrence se battre si le pays est
01:12 attaqué, et bien oui, cette enquête montre une sorte de regain de patriotisme.
01:18 On trouve une disposition des jeunes à éventuellement se mobiliser, s'engager en cas de conflit.
01:26 Mais attention, cette enquête mesure des dispositions, des représentations, entre
01:34 le fait de se dire "je suis prêt à m'engager", c'est à peu près 6 jeunes sur 10 en ce
01:39 moment en France, et le passage à l'acte et être soumis à cette nécessité de s'engager,
01:46 évidemment il y a un écart.
01:48 Vous signalez aussi certaines évolutions notables, la disparition de l'antimilitarisme
01:53 de gauche notamment.
01:54 Oui, la disparition de l'antimilitarisme qui correspond à la fin du service militaire
01:59 obligatoire au milieu des années 90, et qui de fait a éloigné ce refus en tout cas que
02:10 les jeunes générations pouvaient avoir quant à cette obligation de servir le pays par
02:16 un service militaire.
02:18 Juste un chiffre, en 79, 80% des étudiants étaient par exemple pour la suppression du
02:26 service militaire.
02:27 Aujourd'hui, et pour la première fois dans cette enquête, alors que toutes ces dernières
02:32 années on voyait que les jeunes étaient plutôt sur un refus d'un service militaire
02:39 obligatoire, pour la première fois dans cette enquête, on voit qu'ils sont une majorité
02:44 qui a accepté cette éventualité.
02:48 Et de manière générale, on comprend que l'armée est une institution qui jouit d'une
02:53 bonne image auprès de la jeunesse.
02:55 Oui, alors ça, ça fait des années que l'on mesure cet état de fait par rapport à la
03:00 défiance qui pèse à l'encontre des institutions politiques et de bon nombre d'autres institutions.
03:06 Il est vrai que les institutions régaliennes, mais particulièrement l'armée, jouit d'un
03:13 niveau de conscience très élevé.
03:15 Alors, plusieurs facteurs à cela.
03:18 D'abord, n'oublions pas que l'armée est quand même un bassin de recrutement important
03:23 pour la jeunesse.
03:24 Il y a des jeunes qui y voient des opportunités professionnelles, des opportunités de formation,
03:29 au-delà même de la seule idée d'engagement, mais aussi dans un contexte de regain de menaces,
03:38 qu'il s'agisse du terrorisme, mais aussi des guerres aux portes de l'Europe.
03:46 Et aussi du fait que les armées sont mobilisées maintenant depuis des années et des années,
03:54 aussi dans des missions qui dépassent le seul périmètre guerrier, des missions humanitaires,
04:02 des missions d'aide aux populations, de protection des populations, dans le cas de
04:06 catastrophe environnementale, mais aussi, souvenons-nous, les armées françaises ont
04:13 été mobilisées dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire Covid-19.
04:16 Donc, en fait, il y a beaucoup d'éléments qui ont pu rapprocher aussi les jeunes, de
04:26 désarmer et corriger, d'une certaine façon, l'image que des générations précédentes
04:32 pouvaient avoir, qui était beaucoup plus négative.
04:34 Mais il y a un élément que vous signalez qui serait moins intuitif, c'est le succès
04:38 des théories complotistes dans la jeunesse.
04:40 Quel est le mécanisme que vous identifiez ? Quel lien entre ce succès, qui est quand
04:45 même très important, on le découvre dans votre étude, et puis cet intérêt pour l'armée,
04:49 la défense plus généralement ?
04:50 Alors, le complotisme et la pénétration des idées complotistes est mesurée maintenant
04:57 depuis un certain temps et effectivement est assez importante dans les jeunes générations.
05:04 Mais n'oublions pas que dans l'ensemble de la population, la question de la pénétration
05:10 des idées complotistes, mais aussi de la désinformation, etc. est quand même quelque
05:17 chose d'important.
05:18 Mais en ce qui concerne les jeunes, et là, pas le lien, parce qu'il n'y a pas de lien
05:27 direct de cause à effet, parce qu'on adhère à des idées complotistes que pour autant
05:31 on va s'engager davantage dans une guerre.
05:35 Mais en tout cas, il y a des connexions possibles dans la mesure où dans les théories complotistes,
05:42 les questions militaires, les questions de conflits, l'idée qu'il y a effectivement
05:47 une menace, forcément fait qu'il peut y avoir à certains moments des interactions
05:58 ou des logiques d'intérêt qui se mettent en place.
06:03 Ce qui est intéressant aussi, c'est que les jeunes ne semblent pas pour autant atteints
06:07 d'un retour de flamme nationaliste.
06:09 Près de deux tiers des jeunes français souhaitent que l'Union Européenne se dote d'une armée
06:14 commune en complément de celle de chaque pays, l'appartenance à l'OTAN est vue
06:18 pour la moitié d'entre eux comme une bonne chose.
06:19 Un point m'a tout particulièrement intéressée Anne Muxell, c'est la question du nucléaire.
06:23 La guerre nucléaire tient une place notable dans la représentation des jeunes.
06:27 Oui, alors ça c'est effectivement quelque chose aussi qui différencie ces jeunes générations
06:33 qui sont peut-être sorties de cette matrice, on va dire, de la dissuasion, dès lors que
06:42 l'on évoque la question nucléaire et de l'arme nucléaire, ils pensent que c'est
06:47 possible.
06:48 On s'est éloigné d'Hiroshima, de Nagasaki, c'est vrai que là il y a aussi peut-être
06:56 un éloignement temporel qui fait que finalement la question de l'arme atomique n'est pas
07:02 considérée comme aussi saillante et dangereuse que dans les générations passées.
07:07 Mais effectivement c'est un résultat important, ce qui traduit aussi la perception forte et
07:18 la quitté finalement qu'ils perçoivent d'une menace d'une guerre mondiale.
07:24 Ils savent que dans le cadre d'une guerre mondiale, le recours justement à ce type
07:30 d'arme peut-être envisagé.
07:34 - Saskia de Ville : merci beaucoup Anne Muxel, je rappelle que vous êtes politiste et sociologue.

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