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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 La question du jour, Marguerite Caton.
00:08 Bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:10 Ce matin, nous recevons Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité
00:14 de l'IFRI, l'Institut français des relations internationales, pour qu'elle réponde à
00:18 notre question, que fait l'armée française en Irak ?
00:21 Bonjour madame.
00:22 Bonjour.
00:23 Hier, l'Élysée a annoncé la mort en opération d'un soldat français des forces spéciales,
00:27 troisième militaire français qui perd la vie en 10 jours sur le sol irakien.
00:31 Que sait-on des circonstances dans lesquelles il a trouvé la mort ?
00:34 Le militaire qui appartenait au commando parachutiste numéro 10 accompagnait à priori des forces
00:42 spéciales irakiennes de l'Iraqi Counter Terrorism Service afin de faire ce qu'on
00:47 appelle le battle damage assessment, c'est-à-dire de voir combien il y avait eu de morts d'un
00:52 groupe terroriste après une opération aérienne conduite par l'armée irakienne.
00:57 Et en fait, Daesh savait que les forces de sécurité irakiennes allaient revenir sur
01:04 le site afin de voir combien de décès leur frappe avait fait.
01:10 Et donc Daesh les attendait.
01:13 Par contre, on ne sait pas s'ils savaient qu'il y avait des français avec eux.
01:17 Et donc, ce soldat est décédé après des combats assez intenses.
01:20 On nous parle au moins de 4 voire 5 heures de combats avec Daesh.
01:24 Est-ce qu'on sait si l'attaque de lundi atteste d'une nouvelle vigueur de l'Etat islamique ?
01:29 Non, pas forcément.
01:30 Ça fait quand même plusieurs années qu'on parle d'une résurgence perpétuelle de Daesh.
01:35 Pourtant, sa capacité à conduire des opérations complexes ne semble pas beaucoup plus élevée
01:40 qu'auparavant.
01:41 Ça reste quand même un groupe qui est bien plus diminué qu'en 2016-2017.
01:46 Mais c'est vrai que ça nous rappelle que oui, nous avons des militaires français en
01:51 Irak et que Daesh existe toujours en Syrie et en Irak et que le groupe n'est pas que
01:55 présent en Afrique.
01:56 Cette présence française en Irak, c'est le prolongement d'une opération commencée
02:01 en 2014 au sein d'une coalition internationale menée par les Américains, objectif d'éloger
02:06 l'Etat islamique qui installait son califat sur l'Irak et la Syrie.
02:10 Qu'est-ce qui reste aujourd'hui de cette coalition et quelles sont ses missions ?
02:13 La coalition contre Daesh, qu'on appelle aussi "Opération In Iran Resolve", existe
02:18 toujours.
02:19 Elle en est effectivement dans sa 9e année avec une participation occidentale qui est
02:24 bien sûr réduite par rapport à 2017, la date à laquelle l'Irak a déclaré avoir
02:32 vaincu Daesh.
02:33 Et puis après, en 2019, la date où le dernier bastion territorial de Daesh a été détruit
02:38 en Syrie.
02:39 Mais il y a toujours des forces étrangères en Irak avec un principal contingent d'Américains.
02:46 On parle d'environ 3 000 militaires américains qui ne sont pas considérés comme des forces
02:51 combattantes.
02:52 C'est-à-dire que les forces américaines, à part les forces spéciales, ne vont pas
02:56 sur le terrain pour accompagner les Irakiens en opération.
02:59 Et puis il y a aussi des forces françaises bien sûr.
03:02 Alors du côté des forces spéciales, on parle d'environ 150 militaires à cheval sur
03:07 la Syrie et l'Irak, surtout en Irak.
03:10 Et du côté des forces conventionnelles françaises, il n'y a pas de chiffre, mais peut-être
03:15 une centaine, voire un peu plus, en Irak.
03:18 Donc au sein de cette opération "Shamal" qui compte, elle, environ 600 militaires français
03:24 donc répartis entre la Jordanie, l'Irak, la Syrie, les Émirats Arabes Unis, et puis
03:28 un petit peu au Koweït et au Qatar.
03:30 Et leur mission principale aujourd'hui, c'est donc de la formation à l'armée irakienne.
03:35 Pourquoi l'armée irakienne a-t-elle besoin de formation ?
03:37 Au temps de sa dame Hussein, elle était très performante, elle a été largement
03:40 démantelée, on le sait, par les Américains après 2003.
03:43 On imagine que la guerre contre Daesh l'aurait quand même aguerri de nouveau ?
03:46 Alors non, justement c'est l'inverse qui s'est produit.
03:48 Parce que déjà, Daesh n'était pas le premier ennemi qu'aient les forces irakiennes reconstruites
03:53 post-2003.
03:54 Surtout à partir de 2005, on a dû affronter.
03:56 Parce qu'on se souvient de la guerre civile qui a eu lieu entre forces sunnites et forces
04:02 philithes à partir de 2006 et puis ensuite la naissance d'Al Qaïda en Irak, où là
04:08 aussi les forces irakiennes ont été largement mobilisées.
04:10 Et on se rend compte que 20 ans après 2003, le noyau dur de cadres irakiens n'a toujours
04:18 pas pu être reconstruit.
04:20 Et qu'il reste une culture extrêmement sclérosée de l'armée irakienne, avec tout
04:25 le monde qui doit rendre compte au grand chef pour effectuer la moindre opération.
04:29 Et des procédures informatiques qui n'existent pas, c'est-à-dire que tout se fait encore
04:35 avec beaucoup de papier.
04:36 Et puis, par exemple, les ordres d'opération ou même les plans de vol des avions irakiens
04:41 sont transmis sur des boucles WhatsApp entre généraux et militaires irakiens.
04:45 Ce qui ne facilite pas non plus la coordination ou même le fait de partager des données
04:51 ou de faire des retours d'expérience sur les opérations.
04:54 Et donc qu'est-ce qu'on fait quand on fait de la formation dans ces cas-là ?
04:56 Il y a plusieurs types de formations que la France et les armées occidentales proposent.
05:01 Vous avez de la formation au niveau vraiment tactique.
05:03 Par exemple, vous allez apprendre aux soldats irakiens à se débarrasser d'engins explosifs
05:08 improvisés, puisque Daesh en a laissé des tonnes sur les chemins irakiens, à marcher
05:15 en ordre serré, à faire des formations tactiques.
05:19 Et puis, il y a du conseil aussi qui est fait au niveau des états-majors.
05:23 Donc là, un plus haut niveau, par exemple des colonels, voire des généraux, auxquels
05:27 on va essayer d'apprendre comment concevoir une opération, la planifier, utiliser le
05:32 renseignement qui a été collecté en amont pour effectuer une opération efficace.
05:36 Et puis ensuite, effectivement, conduire ce "battle damage assessment", c'est-à-dire
05:39 essayer de voir si votre opération est efficace ou non.
05:42 Du point de vue des autorités françaises, quel est l'intérêt de cette présence ?
05:45 Parce qu'on vient de dire que l'état islamique, aussi réel que soit la menace dans certaines
05:49 zones, n'en reste pas moins durablement affaibli.
05:51 Est-ce qu'il menace la France ou est-ce qu'on aime être en Irak, pour le dire totalement
05:56 à l'israélien ?
05:57 Alors c'est difficile de savoir si les états islamiques en Irak menacent encore la France.
06:01 A priori, en Irak, il n'y a pas de camp d'entraînement avec l'idée de commettre des attentats à
06:08 l'étranger.
06:09 Par contre, il y a peut-être cette menace en Syrie.
06:11 Et on ne peut pas être en Syrie si on n'est pas en Irak, d'où cette présence en Irak.
06:15 Et puis, évidemment, il y a quand même une volonté française d'asseoir la stabilité
06:20 du pays, parce que c'est quand même un pays d'envergure au Moyen-Orient, que la France
06:25 souhaite transformer en une sorte de pivot régional, avec d'un côté l'influence iranienne,
06:31 de l'autre l'influence américaine, et donc de faire émerger une sorte de, peut-être
06:36 pas d'axe, mais en tout cas, un ensemble de pays un petit peu moins vulnérables aux
06:42 influences étrangères.
06:44 Donc en fait, l'Irak, la Jordanie et l'Egypte.
06:47 Et donc c'est ce fameux format de la conférence tripartite qui a eu lieu à Bagdad en août
06:52 2021 et qui était le dernier déplacement du président Macron en Irak.
06:57 Et puis la nouvelle édition aura lieu en novembre 2023, donc là aussi avec Jordanie,
07:05 Egypte et Irak, qui partagent des problématiques en termes d'approvisionnement en eau, en
07:10 électricité et ce genre de choses.
07:12 Est-ce qu'il existe d'autres objectifs ou d'autres intérêts qui seraient d'ordre
07:15 énergétique, commerciaux ?
07:16 Oui, bien sûr, parce que l'Irak est un grand producteur de pétrole et donc évidemment
07:22 Total Energy a ses intérêts en Irak.
07:25 Et vous ne pouvez pas exploiter le pétrole si le pays n'est pas stabilisé.
07:29 D'où l'intérêt d'avoir des forces occidentales afin de stabiliser le pays, même si Daech
07:35 n'est pas présent dans les principaux puits de pétrole qui sont dans le sud du pays.
07:40 Mais c'est certain qu'il y a des intérêts très diversifiés, donc qui sont économiques,
07:44 commerciaux mais principalement stratégiques.
07:47 Merci beaucoup de toutes ces explications.
07:48 Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité de l'IFRI, l'Institut
07:52 français des relations internationales.
07:54 Et merci beaucoup Marguerite Caton, 7h23 sur France Culture.