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00:00 Marguerite Caton, que je salue !
00:02 Bonjour Guillaume, bonjour à tous !
00:04 Ce matin, vous penchez sur les prisons.
00:07 Et surtout, les prisonniers, dont le nombre ne cesse d'augmenter.
00:11 Selon les chiffres du ministère de la Justice, en un an, de janvier à décembre 2023,
00:16 3 504 nouvelles personnes ont été écrouées et placées en détention.
00:20 En 10 ans, de 2013 à 2023, c'est 9 000 personnes de plus.
00:25 A l'heure actuelle, dans les prisons françaises, il y a précisément 75 600, en 77 détenus.
00:30 Dans les années 80, ils étaient à peine 36 000.
00:32 Alors, comment expliquer cette hausse constante ?
00:35 Pourquoi il y a-t-il toujours plus de prisonniers ?
00:37 Annie Cancève va nous répondre. Bonjour madame !
00:39 Bonjour !
00:40 Vous êtes démographe chargée de mission pour le contrôle général des lieux de privation de liberté
00:44 et chercheuse associée au Centre de recherche sociologique sur le droit à les institutions pénales.
00:49 Toute la question est de savoir si la société est plus violente ou la justice plus sévère.
00:54 Si l'on regarde pour commencer, non pas les détenus, mais les personnes condamnées de manière générale,
00:59 avec ou sans peine de prison, leur nombre augmente-t-il lui aussi ?
01:04 Non, le nombre de condamnations est assez stable.
01:06 Depuis, en 2020, il y a eu une baisse du fait de la pandémie.
01:11 Et puis, la reprise a été à l'égal de ce qu'il y avait avant.
01:16 Donc, le nombre est assez stable.
01:17 Ce n'est pas ça qui fait augmenter la population carcérale.
01:20 Est-ce que cette augmentation de la population carcérale, qui est donc liée, vous le dites, à plus de peines de prison,
01:27 est-ce que c'est une évolution qui est liée à une évolution du code pénal voulu,
01:33 ou c'est une évolution autonome des juges, disons ?
01:37 Déjà, pour commencer, chaque nouvelle augmentation est présentée comme un record historique.
01:42 Et c'est tout à fait juste. Il n'y a jamais eu autant de détenus dans les prisons françaises.
01:47 Mais cela repose sur les tendances de long terme.
01:50 Depuis le milieu des années 50, la population carcérale croît.
01:54 Mais aujourd'hui, comme vous l'avez dit, de façon très importante, et on peut parler d'inflation carcérale,
02:01 on aura encore des records au cours de l'année 2024.
02:05 Cela ne va pas s'arrêter comme ça.
02:07 Je ne vois pas de levier mis en place pour contrecarrer cette évolution.
02:13 Après les simples calculs de projection que j'ai fait pour venir,
02:18 on atteindra les 78 000 détenus dès septembre-octobre.
02:24 Et la loi de programmation 2023-2027, qui prévoit 15 000 places supplémentaires,
02:31 pour porter le nombre total à 78 000 places, apparaît déjà sous-dimensionnée.
02:39 Mais laissons de côté cette question de la surpopulation carcérale.
02:42 Restons vraiment sur les condamnations. Pourquoi on prononce plus de peines d'emprisonnement ?
02:46 Déjà, il faut regarder, le nombre de présents dépend à la fois du nombre d'entrées en prison
02:53 et de la durée de temps que les personnes restent.
02:59 J'ai regardé les entrées en prison depuis deux ans.
03:04 Après le Covid, évidemment, tout a augmenté, tout a réaugmenté.
03:07 Mais depuis deux ans, le nombre d'entrées en prison est stable.
03:12 On n'a pas d'augmentation, on a à peu près toujours entre 25 000 et 27 000 personnes
03:18 qui entrent chaque trimestre en prison, autour de 90 000 chaque année.
03:23 En revanche, quand on regarde l'évolution des condamnés selon le quantum de peine,
03:29 selon la peine prononcée, là on remarque un déplacement vers les longues peines.
03:36 - Donc un allongement de peines ?
03:38 - Un allongement des peines, c'est très net. La population carcérale augmente du fait de l'allongement des peines.
03:44 - Et alors, quelle est la première cause ? Je me repose ma question.
03:47 Est-ce que c'est le code pénal qui a décidé d'être plus sévère ou ce sont les juges qui le sont devenus ?
03:52 - En fait, la stratégie nationale a joué sur deux tableaux.
03:57 Augmenter la capacité d'accueil et réduire les incarcérations décidées par les juges.
04:03 Pour la capacité d'accueil, elle arrivera trop tard, comme je l'ai dit tout à l'heure.
04:07 Pour le deuxième point, le ministère de la Justice ne cesse depuis plusieurs années de promouvoir des alternatives à l'incarcération.
04:15 Travail d'intérêt général, sursis probatoires ou surveillance électronique.
04:21 Allant jusqu'à interdire les très courtes peines, les moins de six mois.
04:25 Et à rendre quasi obligatoire l'aménagement ab initio, c'est-à-dire dès que la peine est prononcée,
04:32 de toutes les peines à faire du roux égal à un an.
04:35 - Donc normalement on aurait moins de courtes peines ?
04:38 - Normalement on devrait. Mais on a moins de courtes peines effectivement les moins de six mois.
04:41 Mais tout se reporte sur les peines plus longues.
04:46 Notamment les peines qui vont de 1 à 2 ans, de 1 à 5 ans en fait.
04:51 Mais cette politique impose au juge un raisonnement contradictoire.
04:56 Il prononce une peine ferme et dans la même décision un aménagement de peine.
05:01 Donc un placement sous surveillance électronique le plus souvent.
05:05 Donc c'est schizophrénique pour eux.
05:08 Il y a une forte résistance des magistrats à cette injonction à aménager tout de suite.
05:13 Et donc ils prononcent des peines plus longues.
05:16 - D'abord supprimer les toutes petites peines finalement poussent les juges à prononcer des peines plus lourdes.
05:22 Une autre évolution procédurale dont on observe des effets, c'est celle des comparutions immédiates.
05:26 Selon l'Observatoire international des prisons, 70% des peines prononcées en comparution immédiate sont des peines d'emprisonnement ferme.
05:34 Le risque d'un mandat de dépôt est 8 fois plus élevé que pour les convocations devant le tribunal correctionnel à une date ultérieure.
05:39 Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce mécanisme ?
05:42 - Oui c'est vrai, la comparution immédiate débouche la plupart du temps sur une peine ferme.
05:49 C'est une procédure rapide.
05:52 Elle est employée de plus en plus, notamment en ce moment, pour régler tout le contentieux des violences intrafamiliales.
06:00 C'est une priorité nationale.
06:03 Et donc on veut juger très vite la personne.
06:06 De toute façon il n'y a pas de question de culpabilité.
06:10 - On est souvent flagrant délit, il n'y a pas vraiment le temps de préparer sa défense.
06:14 - Et une peine de prison, voilà.
06:18 - Vous avez parlé des violences intrafamiliales, c'est intéressant. Je voudrais qu'on parle un peu de ces nouveaux types d'infractions.
06:23 Enfin, ce n'est pas nouveau, mais peut-être sur lesquelles on a une sévérité accrue.
06:27 Sur quelles infractions en particulier s'exerce le durcissement pénal ?
06:32 - Donc les violences intrafamiliales, c'est très clair.
06:35 Parce que comme je vous l'ai dit, c'est une priorité nationale.
06:37 Et donc les juges s'en emparent.
06:39 Et après le Covid, il y a eu une quantité beaucoup plus importante de violences intrafamiliales pendant le confinement.
06:49 Donc tous ces dossiers sont traités après.
06:52 Et sont donc traités plus lourdement.
06:56 Et aussi, parallèlement, le nombre de condamnations pour violences intrafamiliales a doublé depuis quelques années.
07:04 On a à peu près 50 000, 60 000 condamnations chaque année, contre 20 000 en 2017.
07:11 Donc il y a eu un bond énorme de ce contentieux.
07:15 Parallèlement, le contentieux des stupéfiants, trafic de stupéfiants.
07:20 - Oui, ça c'est 19% des prisonniers actuellement, des personnes coupables de trafics de drogue.
07:25 - C'est ça. Les trois contentieux les plus importants sont trafic de stupéfiants,
07:28 violences contre les personnes et les vols de toutes sortes.
07:34 Mais les vols de toutes sortes ont nettement diminué depuis les années 80.
07:38 Ils représentaient 60% et aujourd'hui 27%.
07:41 Donc c'est plus le contentieux qui remplit les prisons.
07:46 - Il faut dire un mot d'une part très important aussi de la population carcérale, avant de terminer cet entretien.
07:51 Ce sont des personnes qui ne sont pas condamnées mais qui sont en attente de procès.
07:54 Qui sont placées en détention provisoire parce qu'on les considère trop dangereuses
07:58 ou parce qu'on craint qu'elles ne s'enfuient par exemple.
08:01 Ce chiffre-là, est-ce qu'il est stable ? Je crois qu'il atteint environ 26% des détenus.
08:06 - Oui, près de 30% les dernières statistiques que j'ai regardées.
08:10 Ce n'est pas seulement le fait de craindre l'ordre public.
08:15 C'est aussi un problème de garantie de représentation, comme on dit dans la justice.
08:20 C'est-à-dire que les personnes n'ont pas de logement et n'ont pas d'emploi.
08:24 Elles passent par une comparution immédiate ou une CRPC qui est un plaidé coupable à la française.
08:31 Une CRPC défermant qui conduit aussi à la prison.
08:37 Puisque c'est de nouveau très employé, ça ressemble à la comparution immédiate.
08:41 Donc toutes ces voies rapides font que les personnes vont en prison.
08:46 - Plus en prison. - Beaucoup plus nombreuses.
08:48 - A l'heure actuelle. Merci beaucoup. On comprend qu'on peut construire autant de places de prison.
08:52 On courra toujours après ce raidissement social et pénal. Merci Annie Cancet.
08:56 Je rappelle que vous êtes démographe chargée de mission pour le contrôle général des lieux de privation de liberté.