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00:00 Et bien bonjour Marguerite Caton ! Bonjour, bonjour à tous ! Vous profitez de ce beau
00:04 jour d'automne et de vacances pour nous parler de travail.
00:08 Pire, de souffrance au travail et même de souffrance psychique car de plus en plus de
00:13 médecins alertent sur la santé mentale des travailleurs et pointent la hausse des arrêts
00:18 de travail liés à ces pathologies.
00:20 Alors pour comprendre cette augmentation du mal-être professionnel, nous recevons Sylvaine
00:25 Perragin.
00:26 Bonjour ! Bonjour !
00:27 Vous êtes psychothérapeute et consultante en entreprise.
00:31 Toute la question est de savoir si le travail est plus pénible qu'auparavant ou s'il
00:35 est vécu comme une contrainte plus importante qu'autrefois.
00:38 Qu'en pensez-vous ?
00:39 Alors la pénibilité n'est pas la même.
00:43 Elle a évolué dans le temps, dans l'histoire du travail.
00:45 Elle était très physique dans les temps anciens.
00:49 Elle est devenue petit à petit beaucoup plus psychologique.
00:52 Il reste des métiers avec des pénibilités physiques.
00:55 Et ce que vous dites sur le ressenti des contraintes est juste.
01:00 C'est-à-dire que les gens ressentent ces contraintes psychiques de manière sans doute
01:04 plus aiguë parce que la quête de sens est importante et que pendant très longtemps,
01:11 le travail avait un sens qui était externalisé.
01:15 C'est-à-dire le sens majeur c'était de nourrir ses enfants et sa famille.
01:18 Petit à petit, on a des problèmes de pays développés si vous voulez.
01:24 Et petit à petit, les gens ont voulu, et ils ont bien raison d'ailleurs, avoir du
01:28 sens individuel dans leur travail.
01:32 Et du coup, le fait que le travail apporte un salaire n'est plus suffisant.
01:37 Et ça crée un certain nombre de problèmes.
01:41 Ce n'est pas l'origine de la souffrance au travail.
01:44 Ce n'est pas la seule, mais c'est un des éléments qui fait que les gens ressentent
01:49 moins bien également le travail.
01:51 Quels sont les troubles psychiques associés au travail et comment se manifestent-ils ?
01:55 Un des grands troubles, c'est ce qu'on appelle l'épuisement professionnel, le
02:00 burn-out.
02:01 Ça se manifeste progressivement.
02:05 Une des caractéristiques, c'est que petit à petit, comme c'est très progressif,
02:11 les gens ne s'en rendent pas forcément compte.
02:13 Ils s'accompagnent de ces signes que sont la fatigue, la perte d'intérêt, les troubles
02:20 du sommeil, les troubles alimentaires.
02:21 Tout ça n'est pas spectaculaire et flagrant, mais ça s'installe progressivement.
02:26 Se conjugue à ce phénomène le fait que la majeure partie des gens veulent continuer
02:34 à travailler.
02:35 C'est important pour eux.
02:37 Donc, a contrario, s'installe un déni de réalité.
02:40 Et ils continuent à travailler.
02:43 Donc le mal-être augmente.
02:44 Et au bout d'un moment, évidemment, la corde se tend trop et finit par se rompre.
02:49 Est-ce que tous les travailleurs sont touchés de la même manière ? Ouvriers, employés,
02:54 cadres, hommes ou femmes, jeunes ou vieux ?
02:55 Ça touche absolument tout le monde.
02:59 Ce n'est pas une question de statut.
03:01 Mais on a constaté, par exemple, je regardais des chiffres, l'observatoire de l'absentéisme
03:08 donne ce chiffre qui est intéressant.
03:09 Que les RPS, les risques psychosociaux, sont la première cause d'arrêt de travail de
03:14 longue durée.
03:15 Que les arrêts de travail dus à la souffrance au travail, c'est 22,2% des arrêts de travail.
03:21 Et c'est la première cause des arrêts de longue durée.
03:23 Alors, ils disent également que ça touche les moins de 30 ans et les cadres, que ce
03:30 sont des chiffres en nette augmentation.
03:32 C'est ça le changement en fait ?
03:34 Oui, c'était des populations qui étaient plutôt moins touchées par les arrêts maladie.
03:37 Et là, il y a une forme d'épuisement aussi de ces populations.
03:40 Les jeunes qui sont plutôt réactifs et qui ont plutôt la possibilité de changer assez
03:46 rapidement de travail quand ça ne leur plaît pas.
03:48 Et les cadres qui, en général, aiment ce qu'ils font.
03:53 Le management est devenu difficile, très source de souffrance.
03:58 Et ce sont des chiffres en augmentation, net.
04:01 Venons-en aux causes, aux facteurs de ces souffrances au travail.
04:05 La première raison, c'est le stress, la pression, Sylvain Perragin.
04:09 Et là, elle est plus forte qu'autrefois ?
04:11 Nettement.
04:12 La pression, elle est nettement plus forte qu'autrefois.
04:16 Ça a commencé dans les années 90 et ça n'a cessé d'augmenter.
04:22 Et pourquoi la pression est plus forte ?
04:24 Ce n'est pas forcément que les demandes ont augmenté.
04:26 La demande psychologique de travail n'a pas forcément augmenté, même si la demande
04:30 de résultats est très très présente.
04:32 C'est le parallèle, on étudie souvent le parallèle entre la demande et les moyens
04:38 que l'on donne pour réaliser son travail.
04:40 Et si plus on diminue les moyens, plus la pression augmente et plus le stress augmente.
04:45 Et là, c'est vraiment…
04:46 Alors l'exemple type, c'est l'hôpital, si vous voulez.
04:49 C'est une demande qui est toujours aussi exigeante, d'abord par les dirigeants des
04:54 hôpitaux, mais également internalisée par les soignants, qui ont besoin, comme la plupart
05:00 des gens, de faire un travail de qualité.
05:02 Sauf que quand vous ne donnez pas les moyens aux gens de faire un travail de qualité,
05:07 c'est eux qui compensent le manque de moyens.
05:10 Et cette compensation a un prix en termes de stress.
05:13 Oui, bien sûr.
05:14 Il y a aussi, je crois, des effets liés au rythme.
05:16 Dans une note du Haut commissariat au plan sur le rapport au travail, qui a été publiée
05:20 le 12 octobre, il y a quelques chiffres intéressants.
05:23 Et le Haut commissariat au plan note que 77% des salariés ont un rythme de travail dicté
05:28 par des tâches à réaliser en moins d'une heure.
05:31 Et c'était 33% en 1984.
05:33 Donc il y a véritablement une accélération.
05:35 C'est ce qu'on appelle l'intensification du travail.
05:38 C'est-à-dire qu'on demande aux gens de faire la même chose en moins de temps.
05:41 Et finalement, ce qui est de plus en plus récompensé, parce que la partie de la reconnaissance
05:46 est également extrêmement importante, ce qui est de plus en plus récompensé est moins
05:50 la qualité que la rapidité et la quantité.
05:53 Celui qui est reconnu dans son travail, c'est celui qui fait vite.
05:57 Et finalement, celui qui fait vite et mal, ce n'est pas si grave.
06:02 Ce n'est pas si grave, voyez ce que je veux dire.
06:04 Et donc il y a un phénomène à la fois de découragement pour ceux qui veulent faire
06:08 bien et de non reconnaissance.
06:11 Et puis il y a des critères de qualité du travail qui sont en train de changer de camp.
06:16 Il y a aussi probablement une verticalité, un poids hiérarchique peut-être proprement
06:23 français avec 19% de dépression attribuable au harcèlement moral contre 9% à l'échelle
06:28 européenne.
06:29 La France est un peu championne du harcèlement moral.
06:31 Mais je voudrais que vous nous disiez, Sylvaine Perragin, vous qui êtes non seulement psychothérapeute
06:36 mais aussi consultante en entreprise, quand vous vous rendez sur le terrain, qu'est-ce
06:39 que vous dites au patron ? Vous lui dites qu'il faut plus de moyens ? Vous lui dites
06:41 qu'il faut arrêter de faire de la performance à tout prix ? Et qu'est-ce qu'il vous répond ?
06:45 - Alors, j'essaie déjà de remettre dans un contexte de réalité les problèmes comme
06:53 ils se posent.
06:54 Et j'essaie de trouver des marges de manœuvre.
06:57 C'est-à-dire, ce qu'il faut savoir, c'est qu'un manager qui est...
07:01 Alors, je ne parle pas du véritable harcèlement moral où on a affaire à des pervers narcissiques,
07:05 ce qui est quand même, Dieu merci, relativement rare, si vous voulez.
07:08 On a plus affaire dans la grande majorité à des managers qui n'en peuvent plus, qui
07:13 sont à cran, qui sont extrêmement stressés parce que ça devient de plus en plus difficile
07:17 de manager des équipes, parce que les exigences sont extrêmement fortes des deux côtés,
07:22 si vous voulez, et du côté des équipes et du côté des employeurs.
07:26 Les équipes, parce que les équipes souvent exigent des choses et les employeurs parce
07:30 qu'ils ne veulent surtout pas entendre parler du moindre problème.
07:32 Donc, tous les gens qui se trouvent en situation de management intermédiaire souffrent énormément.
07:38 Donc, déjà, ne pas juger les gens qui managent parce que ce n'est pas facile.
07:42 Et puis surtout, ce que je leur dis, c'est essayons de poser le problème dans sa réalité,
07:49 c'est-à-dire qu'est-ce qui fait qu'un manager est stressé, est à cran et finit
07:54 par éventuellement avoir de mauvaises relations avec son équipe ? Qu'est-ce qui fait dans
07:59 l'organisation du travail que c'est intenable, si vous voulez ? Et quand on pose véritablement
08:04 le problème, on s'aperçoit qu'il y a des solutions.
08:07 Il y a vraiment des solutions concrètes.
08:09 On n'est pas sans solution.
08:11 Évidemment, je ne vais pas lui dire qu'on va refaire l'économie européenne.
08:16 - Merci beaucoup Céline Berrage, un de ses notes d'espoir.
08:19 Je rappelle aussi que vous êtes psychothérapeute, consultante en entreprise.
08:22 Pour ceux qui veulent en savoir davantage, je signale votre ouvrage "Le salaire de la
08:26 peine, le business de la souffrance au travail" qui s'est paru au Seuil en 2019.