Shamseddine après Samara : pourquoi ces lynchages entre adolescents ?

  • il y a 5 mois
Avec Antoine, assistant d’éducation dans un lycée lyonnais et Michel Fize, sociologue et auteur du livre “La crise morale de la France et des Français” aux éditions Mimésis

Nous suivre sur les réseaux sociaux

▪️ Facebook : / https://www.facebook.com/SudRadioOfficiel .
▪️ Instagram : / https://www.instagram.com/sudradioofficiel/ .
▪️ Twitter : / https://twitter.com/SudRadio .
▪️ TikTok : https://www.tiktok.com/@sudradio?lang=fr

##C_EST_DANS_L_ACTU_3-2024-04-06##

Category

🗞
News
Transcript
00:00 Une question à l'ordre du jour ce matin, qui est le plus à même d'endiguer l'ultra-violence de certains jeunes ?
00:07 On vous demande si c'est l'école, la police, la justice ou les parents.
00:11 Vous continuez à voter sur le Twitter de Sud Radio, vous répondez pour votre part les parents, à près de 49% d'entre vous.
00:16 Vous pouvez également prendre la parole au 0826 300 300. On en parle tout de suite avec nos invités.
00:27 On revient sur le lynchage qui a entraîné sa mort du jeune Shamsedi Naviri Châtillon cette semaine.
00:33 Le jeune de 15 ans est mort hier. On revient aussi sur le lynchage de la jeune Samara, 14 ans, à Montpellier.
00:39 Elle a été placée dans le coma, elle en est heureusement sortie.
00:42 Une autre jeune fille de 14 ans a été extrêmement violemment agressée du côté de Tours cette semaine.
00:49 Ces agresseuses, c'était des filles, avaient entre 11 et 15 ans.
00:53 Elles lui avaient tendu un guet-apens et elles filmaient pendant qu'elles la frappaient.
00:57 Une pratique qu'on appelle aussi le "happy slapping", on frappe joyeusement.
01:01 Bref, est-ce qu'il y a une montée de la violence chez certains adolescents ?
01:05 On en parle avec nos deux invités qu'on accueille avec plaisir sur Sud Radio.
01:08 En duplex avec nous, Antoine, bonjour à vous.
01:11 - Bonjour. - Soyez le bienvenu sur Sud Radio, merci d'être avec nous.
01:14 Vous êtes assistant d'éducation dans un lycée lyonnais.
01:17 Bon, assistant d'éducation, corrigez-moi si je me trompe et dites-moi si c'est déplacé de le dire,
01:21 mais c'est ce qu'on appelait un pion quand on était au collège ou au lycée, non ?
01:24 - Vous êtes surveillant ? - C'est exactement ça.
01:26 Voilà, vous allez nous raconter ce que vous voyez, vous, comment se passe le contact avec ces ados que vous encadrez.
01:32 On est également avec notre autre invité, Michel Fise, bonjour à vous.
01:35 - Bonjour. - Et bienvenue sur Sud Radio également, sociologue, auteur de nombreux livres, notamment ce livre "La crise morale de la France et des Français".
01:42 C'est publié aux éditions Mimesis, vous aviez également dans le passé publié "L'école à la ramasse" sur un autre aspect.
01:49 D'abord, j'aimerais revenir avec vous, Antoine, en duplex, donc, je le rappelle, vous êtes assistant d'éducation dans un lycée lyonnais.
01:57 Comment se passent les rapports avec les ados que vous encadrez à l'intérieur de ce lycée, concrètement ?
02:03 Est-ce qu'il y en a qui sont de plus en plus violents ou pas ?
02:07 - Ben écoutez, la plupart du temps, ça se passe très bien avec tous les élèves,
02:12 mais effectivement, on peut dire qu'il y a quelques actes violents, des contacts avec les élèves très très tendus.
02:20 - Oui, des contacts avec les élèves. Entre les élèves eux-mêmes ou alors entre les élèves et vous ?
02:27 - Les deux. Les deux, entre les élèves, ça peut être très très tendu, surtout verbalement.
02:33 Là où je suis actuellement, très peu de bagarres, mais on retrouve effectivement des gestes déplacés
02:41 et des mots très très déplacés, surtout entre les filles et les garçons.
02:45 Et avec nous, une méfiance de la part de certains élèves et un respect qui disparaît de plus en plus.
02:55 - Ça veut dire qu'ils ne vous parlent pas ou qu'ils ne vous écoutent pas, c'est ça ?
02:58 - Ils ne nous écoutent pas. C'est très difficile de faire ranger un téléphone par exemple dans une salle de permanence
03:04 et très difficile pour certains professeurs et pour certains assistants d'éducation
03:09 de faire sortir un élève d'une classe quand il ne le veut pas, par exemple.
03:12 - C'est-à-dire ?
03:13 - Sur une exclusion de cours, les élèves refusent tout simplement de se lever de leur chaise ou de quitter la salle de classe.
03:21 - D'accord. Et donc comment vous faites dans ces cas-là ?
03:24 - On se rappelle à la direction, au chef de service, les CPE et généralement c'est eux qui écoutent le plus.
03:32 - Oui, c'est ça. Donc vous êtes obligé d'en référer à vos supérieurs.
03:35 En gros, c'est une remise en cause que vous vous constatez de votre autorité d'assistant d'éducation, c'est ça ?
03:42 - Constamment. En tout cas avec les élèves conflictuels, avec ceux qui nous posent des problèmes,
03:48 avec qui on rencontre des problèmes, on est constamment obligé d'en rendre notre autorité en cause.
03:55 On est obligé de faire appel au patron au final et on n'en a plus d'autorité.
04:00 - C'est ça, exactement, puisque quand on a besoin de faire appel à quelqu'un d'autre au-dessus de soi-même,
04:03 c'est qu'on n'arrive pas à le faire soi-même et c'est justement la faiblesse que cherchait à démontrer l'élève perturbateur.
04:08 Ceci dit, c'est une chose, c'est pas non plus un lynchage par 30 jeunes d'un autre jeune, justement,
04:13 c'est une contra-violence, vous, vous ne l'avez pas constatée encore dans votre lycée et c'est tant mieux,
04:17 autant pour vous d'ailleurs que pour vos élèves. En revanche, on en parle aussi avec Michel Fils,
04:22 parce que ce qui s'est passé cette semaine, c'est une loi des séries, mais elle est quand même dramatique,
04:26 Samara a été tabassée par 30 jeunes qui l'attendaient, qui n'étaient même pas de son établissement scolaire.
04:31 Ça c'était un Montpellier, Shams Eddin qui est mort hier, il a été roué de couille, il était à terre,
04:36 ils l'ont tué concrètement, ce sont des jeunes entre des jeunes.
04:40 Est-ce que ça s'est déjà vu, ça se voyait avant ou pas, Michel Fils ?
04:44 Alors, vous auriez pu rajouter ce jeune homme de 14 ans dans les Yvelines, qui a été également roué de couille
04:49 avec une barre de fer. Ça s'est produit à peu près au même moment que l'affaire de Tour.
04:55 Alors, moi cette situation ne m'étonne pas, je l'avais observée il y a une quinzaine d'années
04:59 quand j'avais revisité la question des bandes, après avoir écrit un premier livre en 1993,
05:05 et j'avais noté déjà en 2008 qu'il y avait un rajeunissement des auteurs de "Violence",
05:10 une féminisation, ce que l'exemple de Tour confirme.
05:16 Alors, qu'est-ce qui s'est dégradé en 15 ans ?
05:19 Eh bien, c'est le système moral de la société.
05:26 C'est-à-dire qu'on a perdu de vue qu'une société ne peut fonctionner qu'avec des règles,
05:31 avec des valeurs positives, de préférence, avec de la bienveillance, avec du respect,
05:36 avec de la tolérance, avec du dialogue, toutes sortes de choses évidemment qui ont été perdues de vue.
05:44 Parce que si on parle de réarmement civique, comme le dit le Président,
05:48 ça veut bien dire qu'au départ il y a un désarmement civique,
05:51 parce qu'on ne peut réarmer que ce qui a été préalablement désarmé.
05:56 Alors maintenant, j'entendais par rapport à votre sondage sur les responsabilités des parents...
06:02 En tout cas, au-delà des responsabilités, ceux qui sont les plus à même d'endiguer cette montée.
06:07 Oui, alors, plus à même, je n'en suis pas certain.
06:10 Parce que quand le Président de la République dit justement qu'il faut accompagner les familles,
06:16 les responsabiliser, leur permettre encore une fois de remplir leur rôle...
06:22 Les parents d'aujourd'hui ne sont pas les parents des missionnaires des années 70.
06:25 Ce sont des parents qui ne peuvent plus, qui sont impuissants.
06:29 Et donc, il faut les aider à faire ce que la loi leur impose, c'est-à-dire éduquer leurs enfants.
06:36 Donc j'avais dit il y a quelques jours, on pourrait imaginer des cours du soir pour les parents,
06:42 ou peut-être inventer, alors ça peut vous paraître un peu surprenant d'associer les deux mots,
06:48 mais des soins parentaux, des stages de soins parentaux, pour permettre encore une fois de les réhabiliter dans leur rôle de parent.
06:57 Et quand j'entends le témoignage d'Antoine, c'est un nom d'emprunt que vous avez choisi Antoine,
07:02 j'entends aussi qu'il faudrait vous aider, vous aussi, à récupérer en tant qu'assistant d'éducation dans les établissements scolaires,
07:08 une partie de votre autorité, Antoine ?
07:11 En fait, ce serait de la part des parents qui disent à leurs enfants de nous faire confiance.
07:18 Sauf que, est-ce que ces enfants font confiance à leurs propres parents ?
07:23 Alors ça, vous me posez une question à laquelle je ne peux pas vous répondre, je n'en sais rien, je ne suis pas dans leur tête.
07:27 Oui, effectivement, vous n'êtes pas dans leur tête.
07:29 Vous, vous parlez aussi Antoine d'événements qui se sont produits, très médiatisés, y compris par nous d'ailleurs,
07:35 cette année, qui ont entraîné des montées de tensions à l'intérieur de vos établissements scolaires,
07:40 par exemple le plan Vigipirate, c'était compliqué, les lendemains d'attentats, c'est compliqué,
07:45 les directives de vigilance notamment, et l'application de nouvelles règles, comme l'interdiction de la baïa,
07:49 ça n'a rien arrangé pour vos rapports entre assistants d'éducation et élèves ?
07:54 Ah non, ça n'a absolument rien arrangé.
07:56 C'est-à-dire ?
07:57 Le contrôle des sacs à l'entrée qu'on nous a imposé, qui est extrêmement difficile,
08:04 donc c'est un contrôle visuel qu'on est censé faire à l'entrée de l'établissement scolaire,
08:09 c'est juste impossible à réaliser.
08:11 Dans ce cas, il faudrait qu'on ouvre une heure à l'avance, c'est-à-dire le début des cours à 8h,
08:15 on ouvre le portail à 7h, et les enfants font la queue devant le lycée,
08:19 et on regarde visuellement le sac à la vue des déchets, ou le carnet de liaison, c'est juste impossible.
08:26 C'est ça, ça c'est une question de logistique plus que de discipline, on est d'accord si je vous comprends bien ?
08:30 Tout à fait, et en plus certains élèves ne veulent juste pas qu'on regarde l'intérieur de leur sac.
08:35 Mais dans ce cas-là, on ne les laisse pas rentrer ?
08:37 Si c'est la règle.
08:39 Ou à des parents qui vous appellent derrière en furie, on ne peut pas refuser l'accès à un lycée à un élève qui veut étudier ?
08:46 Sauf si on vous explique que personne ne rentre sans être fouillé, quoi.
08:50 Alors là, c'est bon courage.
08:52 Bon courage Michel Fise, c'est ce que nous dit Antoine, il a raison d'ailleurs,
08:56 parce que c'est lui qui est en première ligne concrètement, c'est de plus en plus difficile de faire respecter certaines règles.
09:01 Voilà, des gens comme Antoine, il en manque beaucoup, c'est-à-dire on manque beaucoup d'assistants d'éducation,
09:06 on manque d'infirmières, on manque de médecins scolaires,
09:10 on manque également, et c'est une formule qui donne de bons résultats, de médiateurs,
09:15 qui peuvent être d'ailleurs des élèves eux-mêmes, les plus âgés prenant en charge les plus petits.
09:22 Alors, le paradoxe peut-être, c'est que la réponse à ce problème, ce n'est pas l'autorité.
09:29 D'abord parce que l'autorité correspondait à un système politique qui n'est plus celui d'aujourd'hui,
09:35 la réponse, c'est le dialogue.
09:38 C'est-à-dire qu'il faut réinstaller, ou plutôt désarmer le rapport de force qui peut exister encore entre les adultes et les jeunes.
09:46 Alors, ça ne veut pas dire les laisser tout faire, voilà.
09:49 Mais il faut aussi de comprendre qu'ils peuvent être dans des situations très compliquées, ces jeunes,
09:53 et notamment au niveau familial, des situations financières notamment.
09:57 - Mais vous comprenez que beaucoup de nos auditeurs qui entendraient ce que vous dites en ce moment,
10:01 trouveraient ça déplacé, c'est-à-dire que vous dites qu'en gros on doit désarmer un rapport de force,
10:05 mais qui a été suscité par certains jeunes directement, et pas par l'assistant d'éducation,
10:10 ou alors le policier, ou le prof, ou le parent, quoi.
10:13 - C'est-à-dire qu'il faut rappeler les conditions qui permettent de vivre dans une communauté.
10:19 Et notamment, je le disais, la bienveillance, le respect.
10:22 Les jeunes doivent aussi être respectués comme les adultes.
10:26 - Exactement, sauf que cette semaine, on a perdu un jeune, il s'appelait Shamsaddi, il est mort il y a 15 ans.
10:30 On a failli en perdre une autre, elle s'appelle Samara,
10:33 elle a été placée dans le coma avant d'en sortir, heureusement.
10:36 Et elle a 14 ans, une autre jeune de 14 ans a été tabassée sous l'asile,
10:41 et collibé, et les rires de ses agresseurs s'étaient à tour cette semaine.
10:44 Heureusement, elle n'a qu'une fracture du nez, si j'ose dire.
10:47 Merci à nos deux invités, Antoine, assistant d'éducation dans un lycée lyonnais,
10:51 merci à vous également, Michel Fise, sociologue, auteur de ce livre "La crise morale de la France et des Français",
10:56 c'est publié aux éditions Mimesis, nul doute qu'on sera amené en reparler sur Sud Radio.

Recommandée