Intervention de Corinne Luquiens, membre du Conseil constitutionnel, devant les élèves du lycée de la Versoie à Thonon-les-Bains sur le thème « Comment les principes constitutionnels, notamment ceux définis à l’article 1er de la Constitution, protègent-ils les droits et les libertés ? ».
À cette occasion, une plaque commémorative en mémoire de Samuel Paty a été dévoilée.
À cette occasion, une plaque commémorative en mémoire de Samuel Paty a été dévoilée.
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00:00 (Musique)
00:10 Je voudrais commencer d'abord par vous dire le plaisir et l'honneur que j'éprouve à être à vos côtés aujourd'hui,
00:18 en cette journée que vous avez choisie de consacrer aux valeurs et aux principes de la République.
00:23 Je suis également bien sûr particulièrement sensible au fait de participer ensuite à l'hommage,
00:30 enfin et toute cette journée est également une forme d'hommage, que vous entendez rendre à Samuel Paty,
00:36 en dévoilant cet après-midi donc une plaque commémorative en son honneur au lycée La Versoix.
00:43 Le monde et même notre pays traversent une période difficile qui est marquée par,
00:50 je le rappelle, une remise en cause de l'état de droit. Il est donc particulièrement opportun de réfléchir ensemble,
00:57 à l'ensemble des valeurs et des principes qui garantissent ce qu'on appelle parfois le vivre ensemble,
01:03 tout en protégeant les droits et les libertés fondamentales. Et bien évidemment c'est avec vous,
01:09 les jeunes qui sont les premiers concernés, puisque vous représentez l'avenir de notre pays,
01:15 qu'il convient de mener cette réflexion. C'est donc une très heureuse initiative que les organisateurs de cette journée ont prise,
01:22 de réunir donc, de vous réunir tous, lycéens, pour participer à ce site de conférence sur un certain nombre de grands principes
01:30 donc affirmés par notre Constitution et j'espère que nous aurons réussi à vous y intéresser.
01:38 En ce qui me concerne, pour y parvenir, vous comprendrez que je m'adresse d'abord donc aux lycéens
01:43 et que j'essaye donc d'expliquer aussi simplement que possible en quoi la Constitution est là pour vous protéger.
01:51 Et je vais essayer de tenir un discours qui ne soit pas trop compliqué et d'être aussi concrète que possible
01:57 donc pour que vous puissiez vraiment comprendre les enjeux. Alors d'abord il y a une question de vocabulaire.
02:04 Je viens de mentionner l'état de droit et certains peuvent se demander ce que ça signifie.
02:09 Et je pense qu'il faut partir d'abord de ce qu'est le droit et à ce sujet remettre en cause quelques idées fausses.
02:18 On a parfois une vision négative du droit parce que pour beaucoup ça n'est qu'une série d'interdits ou d'obligations.
02:26 D'ailleurs la première matière qui vient à l'esprit quand on parle de droit, c'est le droit pénal.
02:32 J'ajouterai d'ailleurs qu'il est souvent vu au travers des séries américaines donc sous sa forme états-unienne et pas tout à fait sous sa forme française.
02:40 En fait le droit c'est beaucoup plus large que le droit pénal, c'est tout ce qui réglemente la vie en société.
02:47 La première matière qui vient à l'esprit, en fait le droit c'est ce qui réglemente donc la vie en société
02:53 et c'est par exemple le droit civil qui traite de l'ensemble de l'organisation des relations entre individus.
03:04 Ça peut être le droit de la famille mais ça peut être aussi le droit de passer des accords, ce qu'on appelle des contrats.
03:12 Ça peut être aussi les relations de voisinage.
03:15 Le droit c'est aussi le droit administratif, c'est-à-dire les relations entre les particuliers et l'administration.
03:24 Mais c'est aussi, c'est vrai, le droit pénal qui interdit ce qui fait tort à autrui comme par exemple les vols ou les violences.
03:33 Mais il n'est pas tant là pour interdire que pour protéger.
03:39 Dans cet égard, je voudrais citer l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyennes 789
03:44 qui délimite bien ce que doit être le droit.
03:47 Il affirme "la loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société
03:53 et nul ne peut être contraint de faire ce qu'elle n'ordonne pas".
03:57 C'est également résumé par une formule bien connue qui est que la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres.
04:06 Le droit c'est donc avant tout, et je crois que c'est quelque chose qu'il faut garder présent à l'esprit, ce qui protège les droits.
04:13 Regarder de cette manière en donne évidemment une image beaucoup plus positive.
04:19 Mais je vais revenir donc à l'état de droit.
04:22 Et l'état de droit c'est en fait l'ensemble des règles fondamentales qui organisent les relations entre le citoyen et les pouvoirs publics.
04:31 Les pouvoirs publics étant donc, je pense que vous le savez, les autorités qui organisent la vie de la société.
04:37 Pour le pouvoir central qu'on appelle l'état, c'est le président de la République, c'est le gouvernement, c'est le parlement, députés et sénateurs.
04:46 Et au niveau local, ce sont les élus, conseillers régionaux, conseillers départementaux, municipaux et les représentants de l'état, préfets et sous-préfets.
04:56 Beaucoup de ces pouvoirs ont été au cours de cette journée représentés ici.
05:03 Or ces autorités disposent d'un certain nombre de pouvoirs qui sont destinés à faire fonctionner la société, puisqu'ils doivent gouverner, légiférer, administrer.
05:15 Mais ils n'ont pas tous les pouvoirs.
05:18 Surtout, ces autorités ne doivent les exercer que dans l'intérêt commun et dans des limites qui sont strictement définies.
05:28 Si tel n'était pas le cas, ce serait le règne de l'arbitraire, ce qui est exactement le contraire de l'état de droit.
05:35 Le président de la République lui-même n'a pas tous les droits et il ne peut imposer les contraintes qui ne sont pas prévues par la loi.
05:43 Vous voyez, il y a pas mal de pays dans le monde dans lesquels l'état de droit n'existe pas et c'est l'arbitraire qui prévaut et qui s'exerce en fait au détriment des citoyens.
05:54 Je pense que ce n'est pas inutile de le rappeler parce que si tout n'est pas parfait en France, il est parfois heureux de se souvenir que nous sommes à cet égard mieux protégés que d'autres.
06:04 Or la loi qui définit les pouvoirs de toutes les autorités de l'État, c'est la Constitution à laquelle je finis par arriver.
06:12 C'est la loi fondamentale, celle qui est au sommet de toutes les règles et puisque je suis à tenons les bains, je vous permettrais de dire que c'est donc le Mont Blanc du droit.
06:22 La Constitution énumère les différents pouvoirs, l'exécutif, président de la République, gouvernement, le législatif, le Parlement, une autorité judiciaire avec les différents tribunaux et courts
06:34 qui bien sûr jugent mais aussi, comme le dit l'article 66 de la Constitution, la justice est gardienne de la liberté individuelle.
06:43 On en vient toujours à cette idée de protection des droits. Ainsi en France, nul ne peut être arrêté ou détenu que sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
06:53 Vos professeurs d'histoire vous ont certainement déjà dit que c'est pour cela que la Bastille a été prise en 1789 puisque la Bastille c'était un endroit où toute personne pouvait être emprisonnée
07:06 sur une simple décision du roi sans aucune forme de procès et donc sans aucun droit de la défense.
07:14 Alors la Constitution définit les différents modes de désignation de ces autorités, précise quelles sont leurs compétences et les rapports qu'elles entretiennent entre elles.
07:25 Mais elle comporte également, peut-être devrais-je dire, en tout cas du point de vue du Conseil constitutionnel, surtout des déclarations des droits auxquelles son préambule renvoie.
07:36 Il s'agit d'abord de la déclaration des droits de l'homme et des citoyens de 1789 que j'ai déjà citée dans son article 5 qui définit tous les droits politiques et les libertés individuelles
07:46 dont bénéficient les citoyens. Son article premier, j'aime bien le citer parce que je trouve que c'est vraiment une formule magnifique, c'est "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit".
07:58 Il y a également le préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1948, qui lui énonce plutôt l'ensemble des droits économiques et sociaux
08:11 qui ont donc, ce préambule a été adopté après la Seconde Guerre mondiale, et reprend en fait les principes qui avaient été définis par le Conseil national de la résistance
08:27 pour justement mettre en place après la guerre une société plus démocratique. Alors, parmi les droits qui sont affirmés par ce préambule de 1946,
08:38 il y a évidemment le droit de se syndiquer, le droit de faire grève, le droit à la santé, au logement, le droit à l'instruction. Je voudrais assister à cet égard,
08:48 puisque je m'adresse à des lycéens, sur le fait que ce qu'on présente parfois comme l'obligation scolaire, c'est d'abord et avant tout un droit et une chance extraordinaire
08:58 que l'ensemble des jeunes qui vivent dans tous les pays du monde n'ont pas toujours cette chance d'avoir un droit à l'instruction.
09:07 Et puis il y a enfin, dernière déclaration des droits à laquelle le préambule de la Constitution de 1958 fait référence, qui est la plus récente,
09:18 la Charte de l'environnement qui a été donc adoptée en 2004 et est entrée en application en 2005 et qui affirme notamment le droit de chacun de vivre dans un environnement
09:28 équilibré et respectueux de la santé. Alors, un événement récent me semble avoir démontré l'importance attachée à la Constitution et je veux évidemment parler
09:40 de la dernière révision qui a été réalisée donc il y a à peine quelques semaines et qui a inscrit à l'article 34 de la Constitution, dans le domaine de la loi,
09:49 la liberté garantie aux femmes de recourir à l'interruption volontaire de grossesse. Cette liberté résultait déjà d'une loi votée donc en 1975 et c'est très frappant
10:02 qu'il soit apparu souhaitable pour éviter qu'elle puisse être trop aisément mise en cause, de l'inscrire selon la formule consacrée, de la graver dans le marbre de la Constitution.
10:12 Donc c'est en quelque sorte une bonne illustration de l'importance de la Constitution. Cet événement donc met en lumière ce qu'on appelle la hiérarchie des normes.
10:26 Alors c'est quoi ce grand mot ? Eh bien, toutes les règles qui s'imposent aux citoyens, règlements, lois, lois organiques, constitutions, ne sont pas équivalentes et n'ont pas la même force.
10:38 Chacune des normes, c'est-à-dire des règles, doit respecter celles qui lui sont supérieures. Par exemple, les règlements doivent être conformes à la loi et le Conseil d'État,
10:47 c'est une autre institution, veille donc à la légalité des actes réglementaires. Et bien sûr, la loi doit être conforme à la Constitution et ça m'amène donc à vous dire quelques mots
11:01 de l'institution dans laquelle j'ai l'honneur de siéger, le Conseil constitutionnel, que son président vous a déjà présenté dans le petit film qui vient de vous être projeté.
11:12 Alors j'ai déjà dit que la Constitution était en quelque sorte au sommet du droit. Il me faut évidemment expliquer pourquoi. Ça tient d'abord à la matière dont elle traite,
11:23 qui, comme je l'ai indiqué, est l'organisation des pouvoirs publics, mais aussi donc les déclarations, l'énoncé des droits et des libertés fondamentales.
11:33 Mais ça résulte aussi du fait qu'il y a des modalités particulières pour l'adoption de la Constitution. D'abord, la Constitution de 1958, donc celle de la Ve République,
11:43 qui est en vigueur aujourd'hui, a été adoptée par référendum, c'est-à-dire par un vote populaire. Les modalités de Sarajevo sont également très exigeantes et plus exigeantes que celles des lois ordinaires.
11:57 Les lois ordinaires sont adoptées par le Parlement, à la majorité simple, par chacune des assemblées. Mais s'il n'est pas possible de trouver un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat,
12:07 le gouvernement, au terme d'une procédure qui met en particulier en œuvre une forme de conciliation, une recherche de conciliation, le gouvernement peut donner le dernier mot à l'Assemblée nationale.
12:20 Donc les lois ordinaires peuvent être votées sans l'accord du Sénat. Ce n'est pas le cas de la réforme constitutionnelle, puisque la réforme constitutionnelle,
12:32 toute révision constitutionnelle doit être votée exactement dans les mêmes termes, successivement par l'Assemblée nationale et par le Sénat, et de surcroît,
12:42 pour pouvoir devenir une réforme de la Constitution. Il faut qu'elle soit ratifiée par référendum, c'est ce qui s'est passé par exemple quand le mandat du président de la République est passé de 7 à 5 ans,
12:58 ou sinon ratifiée, comme ça a été le cas de toutes les autres révisions, et notamment de la dernière qui a été réalisée pour inscrire l'IVG dans la Constitution, par les deux assemblées réunies en congrès
13:10 à la majorité des 3/5e. Donc à partir du moment où la procédure de révision de la Constitution n'est pas la même que celle du vote de la loi ordinaire,
13:22 qu'il est plus difficile d'adopter une révision de la Constitution que de voter une loi. On comprend qu'il ne puisse pas être possible de porter atteinte à la Constitution au travers d'une loi ordinaire.
13:35 Et c'est ce qui explique qu'il existe un contrôle de constitutionnalité des lois. Et c'est là qu'intervient donc le Conseil constitutionnel, qui a été mis en place assez récemment
13:45 par rapport à ce qui existe dans d'autres pays. En 1958, sous la Vème République, le Conseil constitutionnel a été mis en place en même temps que la nouvelle Constitution,
13:55 et il est justement chargé de veiller à ce que la loi ordinaire ne soit pas contraire à la Constitution. Alors le président Fabius l'a rappelé, ça peut se faire au travers de deux procédures,
14:07 soit, que je ne vais pas détailler, soit il peut être saisi directement par différentes autorités, président de la République, Premier ministre, président des deux assemblées,
14:17 ou depuis 1974, 60 députés ou 60 sénateurs, ce qui est important parce que ça veut dire l'opposition. Il peut être saisi donc directement après le vote de la loi,
14:27 et avant qu'elle soit promulguée et donc appliquée, soit il peut être saisi donc ultérieurement, à tout moment en fait, dans le cadre d'une procédure judiciaire,
14:37 donc au travers de ce qu'on appelle la question prioritaire de constitutionnalité ou QPC. Alors, pour saisir le Conseil constitutionnel, le citoyen qui donc veut soulever
14:51 cette fameuse QPC doit justifier que la loi qui est susceptible de lui être appliquée porte atteinte à ses droits et à ses libertés. C'est ça qui est vraiment central,
15:03 c'est qu'effectivement, on ne doit pas faire un recours, je dirais, dans l'intérêt de la loi, par souci de pureté juridique, mais parce qu'effectivement,
15:12 une loi inconstitutionnelle porte en plus atteinte donc aux droits et aux libertés d'un individu. Alors, la description de la procédure serait un petit peu compliquée.
15:23 Je crois qu'il est plus simple de prendre des exemples concrets. C'est par exemple par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité que le Conseil constitutionnel
15:32 a été conduit à affirmer qu'une personne placée en garde à vue, c'est-à-dire interrogée par la police parce qu'il existe contre elle éventuellement des soupçons
15:44 qu'elle ait pu participer à une infraction, que cette personne placée en garde à vue doit pouvoir recevoir l'assistance d'un avocat. Alors, évidemment, il s'agit de protéger
15:55 les droits de la défense, mais aussi de s'assurer que la justice est bien rendue, parce qu'on sait que lorsqu'un innocent est en prison, ça veut dire aussi qu'un coupable est en liberté.
16:06 La QPC, procédure donc de recours contre les lois déjà entrées en application, a aussi permis au Conseil de protéger divers droits, par exemple le respect
16:18 des principes d'égalité entre les citoyens, leur liberté d'expression, mais également d'intervenir lorsque des dommages sont portés à l'environnement, ce qui, évidemment,
16:28 peut faire tort à tous les citoyens français que nous sommes. Alors, les organisateurs de cette journée ont souhaité particulièrement insister sur l'article 1er de la Constitution.
16:43 Si cet article a été placé en tête, c'est évidemment parce que le principe qu'il définit apparaît essentiel. Alors, je n'en redonne pas le texte, parce que l'un des intervenants l'a déjà fait,
16:57 en tout cas, ont déjà été évoqués, puisque l'ordre des interventions a été un petit peu modifié, mais le caractère laïc de la République, c'est ce dont nous venons d'entendre parler.
17:08 Et, bon, nous avons eu pour commencer une table ronde sur un autre principe, donc défini par l'article 1er, qui concerne l'égal accès des femmes et des hommes à diverses fonctions.
17:19 Et sans qu'il soit entré vraiment dans les détails, le sous-préfet, que nous avons entendu ce matin, nous a un petit peu parlé de l'organisation décentralisée de la République.
17:30 Alors, il me revient donc d'évoquer les trois principes restants, trois caractéristiques restantes de la République, qui sont donc son caractère indivisible, démocratique et social.
17:45 Alors, je pense qu'il est important de bien comprendre ce que signifie l'indivisibilité de la République. La France s'est constituée progressivement. Son territoire a pu évoluer au cours du siècle.
17:58 Vous savez certainement que la Savoie, qui incluait bien sûr la Haute-Savoie où nous serons aujourd'hui, n'a été rattachée à la France qu'en 1860, ce qui fait quand même 165 ans.
18:09 En tout cas, en 1946, après la Seconde Guerre mondiale, il a paru important de procéder à cette affirmation du caractère indivisible de la République pour marquer que les frontières,
18:20 pas seulement celles de la France d'ailleurs, mais qui avaient été fort maltraitées au cours du conflit, ne pouvaient être remises en cause. Cette affirmation a donc été reprise en 1958, mais elle figurait déjà dans la Constitution de 1946.
18:34 Alors, ça signifie quoi ? Qu'il existe une communauté nationale au sein de laquelle les lois... et que les lois s'appliquent sur l'ensemble du territoire et que les droits des citoyens sont les mêmes partout.
18:48 Néanmoins, je crois que c'est important de le rappeler aussi, l'indivisibilité ne signifie pas uniformité. Et donc, ça serait évidemment susceptible d'être mis en lumière par une analyse plus poussée de la décentralisation,
19:03 qui est une réforme vraiment majeure qui a été conduite à partir des années 1980. Mais je voudrais ajouter qu'au-delà de la décentralisation, qui s'applique donc sur l'ensemble du territoire,
19:15 certains articles de la Constitution admettent que des adaptations peuvent exister sur certains territoires, notamment donc les territoires situés outre-mer, pour tenir compte de leurs particularités.
19:26 Et vous avez certainement entendu évoquer l'éventualité de faire également évoluer la Constitution pour prendre en compte celle de la Corse. En tout cas, donc, l'indivisibilité de la République,
19:39 ça ne veut effectivement pas dire que la République... Le droit de se faire appliquer est de manière absolument uniforme sur l'ensemble du territoire sans tenir compte d'aucun particularisme.
19:49 Et le principe d'indivisibilité de la République peut être rapproché aussi du premier aléa de l'article 2 de la Constitution, qui indique que le français est la langue de la République,
20:01 qui définit l'emblème bleu-blanc-rouge, l'hymne national marseillaise et la devise "liberté, égalité, fraternité". Alors évidemment, là aussi, puisque les particularités peuvent exister,
20:15 ça n'interdit pas du tout l'existence de langue régionale et ça n'interdit pas aux régions, même aux communes, d'avoir leur propre emblème. Mais sur chaque mairie, sur chaque préfecture,
20:27 sur chaque bâtiment public, on trouve le drapeau bleu-blanc-rouge et chaque français doit pouvoir, sur n'importe quelle partie du territoire, s'exprimer en français.
20:39 Alors la France est par ailleurs une République démocratique. Il me semble que chacun comprend spontanément ce que ça signifie. Cette affirmation est d'ailleurs explicitée par le second aléa de l'article 2
20:53 de la Constitution, qui indique que le principe de République est "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple". Elle est également par l'article 3, qui indique que la souveraineté
21:04 appartient au peuple, qu'il exerce par ses représentants et par la voie du référendum. L'idée centrale, c'est que tout pouvoir émane, doit émaner du vote des français.
21:17 En outre, le suffrage est universel. Ça peut sembler une évidence, mais vous savez certainement que ça n'a pas toujours été le cas. Même après la Révolution française,
21:26 le suffrage a longtemps été censitaire, c'est-à-dire qu'il était subordonné au fait de payer un impôt français, ce qui n'était évidemment le fait que des citoyens
21:36 les plus riches. Mais nous l'avons rappelé dans la table ronde sur la parité, ça permettrait d'y insister, il a fallu attendre le 21 avril 1944 pour que le droit de vote soit reconnu aux femmes.
21:50 Aujourd'hui, toutes les françaises et tous les français peuvent voter dès l'âge de 18 ans. C'est sans doute le cas de certains d'entre vous. Nous allons avoir une élection
22:01 dans fort peu de temps et je ne saurais trop vous inciter à user de ce droit, qui a été quand même acquis de haute lutte. J'ajoute que le vote est incontestable en France,
22:12 ce qui est loin d'être le cas dans beaucoup de pays. Et sans y insister, je voudrais vous dire que c'est aussi un rôle du Conseil constitutionnel de veiller à sa régularité.
22:23 Alors bien sûr, la démocratie, ça n'est pas seulement le vote, c'est aussi l'organisation des pouvoirs publics, leur mode de fonctionnement, les contrôles qui sont exercés sur l'exercice du pouvoir.
22:34 Mais je crois qu'il serait trop long d'évoquer toutes ces questions. Quoique chacun puisse en penser, il demeure que les citoyens peuvent peser sur le fonctionnement de notre République
22:45 par leur vote. En outre, et c'est aussi un point sur lequel il faut insister, la liberté d'expression, qui est garantie par la Constitution, permet aux citoyens, aux partis politiques,
22:55 aux médias d'exprimer leur point de vue et le cas échéant de faire évoluer donc les institutions. Enfin, j'en viens au dernier caractère de la République, qui est le caractère social de la République.
23:07 Il s'agit là encore, je l'ai dit déjà, à propos du préambule de 1946, d'une formule que la Constitution de 1958 a reprise de la Constitution de 1946,
23:17 et donc qui est effectivement le produit du programme du Conseil national de la résistance. Alors, la discussion est ouverte de savoir si les droits sociaux,
23:34 tels qui étaient suggérés par le Conseil national de la résistance, sont bien toujours garantis. Mais ce qui est certain, c'est qu'un certain nombre de droits fondamentaux existent.
23:48 Par exemple, je prendrai le premier exemple qui me vient à l'esprit, le droit à la santé est concrétisé en France par l'existence d'un système de santé publique
23:59 et d'un régime de sécurité sociale qui garantit l'accès aux soins, même pour les plus démunis. Vous savez sans doute qu'aux États-Unis, lorsqu'un malade se présente à l'hôpital,
24:09 il n'est pris en charge que s'il peut présenter une carte de crédit. Ce n'est pas le cas, fort heureusement, en France. Il existe aussi un droit à une retraite par répartition,
24:21 c'est-à-dire une retraite qui est financée par les cotisations des personnes en activité, alors que dans bien des pays, les pensions dépendent d'éversements que les travailleurs ont pu,
24:31 ou hélas, n'ont pas pu effectuer au cours de leur carrière. L'indemnisation du chômage est également prévue par la loi. Alors, ce sont quelques-uns des éléments que l'on peut invoquer
24:43 pour illustrer ce caractère social de la République, en plus du droit de se syndiquer et du droit de faire grève que j'ai déjà mentionné. Alors, je n'irai pas au-delà dans cette présentation liminaire,
24:55 d'abord pour ne pas vous lasser, et puis pour surtout laisser la place aux questions éventuelles que vous pourriez avoir à me poser. Merci pour votre attention.
25:06 (Applaudissements)
25:13 (...)
25:35 — Bonjour, madame Corine Lucain. Merci de nous honorer de votre présence. Je voulais vous poser une question. Quand on prend la décision du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin
25:44 de supprimer l'accès à la nationalité française via le droit du sol dans le département de Mayotte, peut-on dire que la République française est donc indivisible ?
25:54 (Applaudissements)
25:59 — Alors, d'abord, pour l'instant, ça n'est qu'une annonce qui a été faite par M. Darmanin et qui envisage pour le faire – et ça prouve que la République française
26:09 est effectivement indivisible – une réforme de la Constitution, puisque, si vous voulez, c'est une bonne illustration du caractère indivisible de la République.
26:16 Pour avoir un droit de la nationalité différent à Mayotte de ce qu'il est en métropole, il faudrait effectivement réformer la Constitution.
26:25 À partir du moment où cette réforme sera faite, ce qui n'est quand même pas tout à fait absolument évident, eh bien on pourra se poser...
26:34 Je veux dire par là que, comme je l'ai rappelé, les conditions pour réformer la Constitution sont assez exigeantes. Il faut un vote conforme des deux assemblées
26:41 et un vote à la majorité des 3/5 du Congrès. Donc je pense que ça n'est pas la réforme qui va essayer de remettre en cause la divisibilité de la République
26:50 à brève échéance. Mais c'est une question tout à fait pertinente, puisque, effectivement, c'est bien parce que c'est contraire à l'indivisibilité de la République
26:59 qu'il fallait envisager une révision constitutionnelle. Donc bravo pour votre question.
27:04 (Applaudissements)
27:11 La équipe prend le micro pour la question suivante, juste à l'arrière là-bas.
27:19 Alors bonjour. Du coup, je voulais vous demander, personnellement, par rapport au Conseil constitutionnel, est-ce que vous êtes beaucoup demandé
27:26 et est-ce que vous faites des grosses journées ou c'est plutôt événementiel que vous vous rassembliez ?
27:31 Alors excusez-moi, je vous ai malentendu.
27:33 Oui, vous pouvez parler un petit peu plus près du micro.
27:35 Je voulais vous demander, est-ce que vous êtes souvent demandé ? Le Conseil constitutionnel se rassemble-t-il souvent ?
27:40 Fait-il des grosses journées ou c'est vraiment événementiel que vous êtes demandé ?
27:44 Alors, je dirais que ça n'est pas totalement événementiel, mais je travaille moins depuis que je suis au Conseil constitutionnel que je ne travaillais avant,
27:54 puisque j'aurais peut-être dû me présenter d'abord. Mais donc avant d'être nommée au Conseil constitutionnel, j'ai fait ma carrière pendant près de 40 ans
28:03 à l'Assemblée nationale, pas comme députée, mais comme fonctionnaire parlementaire. Je l'ai peut-être dit ce matin.
28:08 Oui, oui, oui, absolument.
28:10 Donc, alors, en fait, le Conseil constitutionnel se réunit de manière régulière chaque semaine, normalement le mardi matin,
28:19 pour les audiences, pour les fameuses QPC dont je vous ai parlé, c'est-à-dire qu'on entend les avocats qui viennent plaider,
28:25 défendre les questions qui sont soulevées par des justiciables. Et le jeudi, pour délibérer. Alors, évidemment, ça peut sembler assez confortable.
28:36 Évidemment, entre les deux, il faut quand même qu'on regarde les dossiers. Donc, en fait, c'est un travail qui est un travail très différent de celui que je faisais avant.
28:43 Quand je suis arrivée au début, je me suis dit que ça allait être terrible, parce que j'étais habituée à être dans maestrome de la séance publique,
28:50 d'avoir vraiment une activité au milieu de beaucoup de bruit et de fureur. Et là, c'est un travail plutôt qui ressemble à un travail de bénédictin,
29:00 c'est-à-dire qu'on dépouille des dossiers et on regarde dans le détail ce qui se passe. On délibère heureusement aussi ensemble.
29:08 Donc, c'est un travail qui est variable. C'est surtout un travail aléatoire, pas intermittent, mais aléatoire, parce qu'en fait, ça dépend du moment où nous avons des recours.
29:18 Donc, par exemple, je peux vous dire que c'est très mauvais plan si vous tenez absolument à fêter dignement les fêtes de Noël,
29:27 parce que nous sommes systématiquement chaque année mobilisés par l'examen de la loi de finances, qui est adopté vers le 20 décembre et sur lequel on doit se prononcer
29:35 aux alentours du 28 décembre. Donc on travaille sans discontinuer quasiment du 20 au 28 décembre. On est souvent aussi sollicité pour les lois début août,
29:46 parce que l'Assemblée finit ses travaux fin juillet et donc les lois nous sont envoyées début août. À part ça, donc ça c'est pour le contrôle a priori,
29:55 c'est-à-dire sur les lois non encore promulguées. Pour le contrôle via la QPC, c'est au fil des saisines. Voilà.
30:05 (Applaudissements)
30:11 Allez, des questions pertinentes, donc il nous en faut... Ah ben voilà, ça y est.
30:16 Rebonjour Madame Luquin. Je vais encore vous embêter. Donc la République française est définie comme démocratique dans le premier article.
30:29 Lorsque vous voyez que 53,77% des citoyens français inscrits sur les listes électorales se sont abstenus lors du second tour des élections législatives de 2022,
30:39 comment évaluez-vous l'état actuel de la démocratie en France ? Et si vous me le permettez, pensez-vous qu'il y ait des aspects à améliorer ?
30:47 (Applaudissements)
30:52 Je tiens... Merci pour vos questions parce qu'au moins elles sont un petit peu vivantes et donc elles m'obligent à sortir de ma zone de confort
31:01 à supposer que j'en ai une parce qu'en l'occurrence, bien que je sois chargée de veiller à l'application de la Constitution, je ne suis évidemment pas responsable de la Constitution.
31:10 Mais peut-être que finalement le fait que 53% des Français ne votent pas, c'est évidemment un échec. Je vais répondre un peu par une plaisanterie.
31:19 Ça tend à prouver que nous vivons dans un pays démocratique puisque le vote n'est pas obligatoire. Bon. Et il n'y a pas... Je pense qu'il y a un certain nombre de pays dans lesquels...
31:29 Et il n'y a pas de bourrage des urnes. Dans un certain nombre de pays, les résultats affichent des taux de participation très considérables, mais ça n'est pas forcément la preuve que les gens se sentent très impliqués.
31:39 Je trouve ça assez désolant pour répondre à votre question, mais j'aurais tendance à dire que les absents ont toujours tort et donc les abstentionnistes aussi.
31:51 C'est peut-être la marque que les partis politiques ne rencontrent pas une adhésion suffisante dans l'opinion publique, mais étant donné que nous sommes dans un pays qui est effectivement démocratique,
32:06 dans lequel n'importe qui peut créer un parti politique, n'importe qui peut se présenter aux élections. Pas aux élections présidentielles parce qu'il faut quand même des parrainages,
32:14 mais en tout cas aux élections législatives, aux élections locales. J'ai envie de dire à tous ces absentionnistes "Mais faites quelque chose".
32:21 Si vous n'êtes pas satisfaits par ce qui vous est proposé par les partis qui se présentent, présentez-vous. Voilà. Donc oui, ça témoigne d'un certain malaise.
32:32 C'est tout à fait dommage, mais je ne vois pas en quoi ça remet en cause le caractère démocratique du pays.
32:39 Ça peut éventuellement, encore une fois, témoigner d'un certain manque d'adéquation entre l'offre politique et la demande.
32:48 Merci.
32:49 [SILENCE]