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Olivier Le Noé - Université Paris Nanterre : le programme de sauvegarde de la mémoire des dirigeants fédéraux

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Éducation
Transcription
00:00 Nous retrouvons Olivier Lenoé qui a introduit cette journée ce matin aux côtés de Cécile Fabrice.
00:13 Olivier Lenoé est docteur en histoire, professeur à l'université de Paris, docteur en sciences politiques,
00:21 professeur à l'université de Paris-Nanterre et directeur de l'ISP, l'Institut des sciences sociales du politique.
00:27 Nous travaillons sur deux projets de recherche autour de la Grande Collègue des archives du sport.
00:33 Vous avez fait de nombreuses publications, notamment sur les politiques du sport.
00:39 Et là, vous allez intervenir sur le football, lequel vous avez aussi publié.
00:44 Vous intervenez seul, mais vous auriez dû être accompagné par Julien Sorez, qui a eu le Covid et ne peut être là aujourd'hui.
00:55 Julien Sorez, qui est agrégé d'histoire, qui a fait son doctorat sur le football dans Paris et ses banlieues,
01:03 et qui est aussi membre de l'ISP à vos côtés.
01:07 Et donc, vous allez nous parler du football, de la crise à la réforme.
01:13 Merci.
01:14 Merci, Brigitte.
01:15 Bonjour à toutes, bonjour à tous.
01:17 Donc, la question qui va m'animer, c'est de se demander comment le thème de la crise du football français au cours des années 1960
01:29 a pu constituer une fenêtre d'opportunité politique pour une administration des sports encore jeune et soucieuse de légitimer son action dans l'organisation du sport en France.
01:40 Alors, vous l'avez remarqué, j'ai mobilisé une notion qui est cette notion de fenêtre politique, qu'on appelle aussi une fenêtre pour la réforme,
01:49 une fenêtre d'opportunité politique.
01:51 On la doit à des travaux de politistes américains et qui, pour le comprendre très rapidement, ça fonctionne par analogie avec les fenêtres météorologiques
02:02 lorsqu'il s'agit d'envoyer dans l'espace des engins et une fenêtre politique s'ouvre lorsqu'il y a convergence de conditions favorables dans trois domaines
02:13 qui sont le domaine de l'opinion ou celui des problèmes, celui de l'expertise ou celui des solutions et enfin le domaine politique.
02:23 Alors, pour vous présenter ces quelques résultats, Julien Sorez et moi, nous sommes appuyés sur des matériaux qui étaient d'une part des documents administratifs
02:36 qui ont été versés aux archives nationales par la direction des sports, 5 codes d'archives, et puis des archives privées qui sont celles de Philippe Séguin,
02:48 dont on va voir qu'il a fait partie des protagonistes, notamment de la solution qui a pu être proposée à cette situation critique du football dans les années 60 et 70.
03:01 Donc, ce que je vais vous proposer, c'est de suivre ces trois courants.
03:06 Le courant des problèmes dans un premier temps, celui, le courant politique dans un deuxième temps et dans un dernier temps, le courant des solutions.
03:17 Alors, ces années 60, dans le cas du football français, on est dans une sorte d'entre-deux avec d'un côté l'épopée française lors de la Coupe du Monde en Suède de 1958,
03:34 le parcours du Stade de Reims lors de la Coupe d'Europe des Clubs Champions de 1956.
03:41 Et puis, plus tard, il faudra attendre quelques années pour avoir le parcours des Stéphanois jusqu'à la finale de la Coupe d'Europe,
03:50 celui aussi de Bastia quelques années après, ou encore les débuts d'un jeune joueur qui s'appelle Michel Platini.
03:57 Donc, c'est une période qu'on considère souvent comme une période assez terne dans l'histoire du football français, avec de nombreux échecs de l'équipe de France,
04:07 un style de jeu auquel on reproche d'être trop rigoureux, trop défensif, une conception qui est notamment portée par Georges Boulogne,
04:18 le faible investissement des joueurs sur le terrain, et puis des problèmes financiers également.
04:26 C'est une crise d'ordre financier avec un niveau d'endettement important des clubs qui restent très dépendants des subventions municipales pour équilibrer les comptes,
04:38 et enfin une influence en berne dans un certain nombre de stades.
04:43 Alors, il y a un autre aspect de la crise qui est un conflit de relations professionnelles,
04:49 et c'est un conflit dont on a essayé un peu de suivre l'évolution dans ces cartons d'archives.
04:57 Alors, un des temps forts de ce conflit, c'est lorsque le tout jeune syndicat des footballeurs professionnels, l'UNFP,
05:06 qui a été créé en 1961, qui à l'époque à sa tête, Juste Fontaine, donc vraiment une des figures du football de l'époque,
05:15 va assigner en justice devant le tribunal de grande instance de la Seine, la Ligue nationale de football et la Fédération française de football,
05:26 avec l'argument consistant à dire que les contrats de travail qui sont proposés aux joueurs, alors, sont illégaux par rapport à la législation commune.
05:37 Et puis ça, outre ce fait d'armes assez marquant, le syndicat recourt à des campagnes de presse,
05:45 par exemple, Raymond Coppa donnera une interview dans la presse à Sensation, dans France Dimanche, pour faire état de cette situation.
05:56 L'UNFP organise aussi des matchs de gala pour soutenir sa cause.
06:01 Et puis, l'UNFP sollicite de nombreuses audiences dans des départements ministériels,
06:08 bien sûr le secrétariat d'État à la jeunesse et au sport, mais aussi au ministère du travail.
06:15 Donc, c'est un conflit qui très tôt va être publicisé.
06:20 Et cette publicisation, elle, inclut même la médiation qui est engagée par l'administration des sports.
06:28 Et cette médiation va notamment être menée par celui qui, à l'époque, est délégué général à la préparation olympique et au sport.
06:38 C'est le titre qu'il a alors.
06:41 Et par exemple, dans l'équipe, Jacques Ferrand semble se satisfaire de cette médiation gouvernementale engagée et confiée au colonel Crespin.
06:52 Alors, on est tout de même en présence, il faut le rappeler, d'un contentieux qui est chargé, qui est ancien.
07:01 Il ne démarre pas avec cette grève.
07:04 Un premier moyen de l'apaiser, au moins à court terme, va consister en l'élaboration d'une convention collective.
07:12 Elle est signée en novembre 1964.
07:15 Elle est liée à un recul des joueurs, notamment sur la question du contrat de travail, qui, on va le voir, est centrale dans toute la durée de ce conflit.
07:26 Et comme cette question n'est pas réglée, le problème persiste.
07:33 Très peu de temps après l'élaboration de cette convention collective, les joueurs demandent à nouveau de revoir cette question du contrat de travail.
07:45 Ils obtiennent même le soutien du ministre de la Jeunesse et des Sports, celui qui succède à Maurice Herzog, François Missoff,
07:54 qui compare justement la situation des joueurs à celle de chevaux de course, en disant qu'il est nécessaire de leur rendre leur dignité
08:05 et tout simplement de leur permettre de bénéficier de droits équivalents aux autres travailleurs.
08:13 Donc on voit que cette question du contrat, qui n'a pas été réglée par la convention collective de 1964, demeure un point sensible.
08:22 Et puis on peut aussi ajouter que la question de la reconversion des joueurs n'est presque pas prise en compte à cette époque.
08:29 Quand on regarde les communications de la Ligue nationale de football, elle range ça dans la catégorie des œuvres sociales de la Ligue nationale de football.
08:41 Et puis va se produire une étincelle.
08:46 Cette étincelle, c'est lorsque les dirigeants de club élaborent de nouveaux statuts, de nouveaux statuts qui sont moins avantageux pour les joueurs,
08:57 qui proposent d'allonger la durée du premier contrat.
09:03 Les joueurs ne tardent pas à répliquer en annonçant une grève, grève qui va être suivie au mois de décembre 1972.
09:12 Et puis, suite à cette grève, le secrétaire d'État à la Jeunesse et au Sport, Joseph Comiti, va organiser une conférence de presse
09:22 et rédiger une lettre de mission pour qu'un expert soit précisément missionné et travaille sur cette question des problèmes du football français.
09:33 C'est ce qui marquera le début de la mission de Philippe Séguin.
09:38 Alors cette administration, là on en arrive un peu au deuxième courant, c'est-à-dire qu'est-ce qu'il en est du côté de l'administration et des politiques ?
09:50 De quelle façon ils se saisissent de ces problèmes ?
09:56 Ce qui marque cette décennie 1960 du point de vue de l'administration de la Jeunesse et des Sports, c'est une véritable réévaluation de son statut administratif.
10:08 Je vous ai donné ici quelques extraits d'un rapport qui est peu connu mais qui est très très riche,
10:14 qui est un rapport qui a été élaboré par deux sociologues, Michel Amiau et Michel Freytag en 1968,
10:20 et qui donne une description assez peu amenante de l'administration de la Jeunesse et des Sports à cette époque,
10:29 qui disent que c'est une poubelle de l'éducation nationale mais que malgré cela elle a survécu.
10:35 Et effectivement on voit dans les années 1960 qu'elle fait plus que survivre,
10:41 puisque cette administration devient un haut commissariat, puis un secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports le 11 juin 1963,
10:51 et enfin un ministère à part entière au moins entre 1966 et 1968.
10:59 Donc il n'y a pas que du symbolique aussi dans cette réévaluation administrative,
11:03 mais c'est suivi d'un effort de valorisation budgétaire, on le voit, l'année qui fait suite au passage du haut commissariat au secrétariat d'Etat.
11:12 Il y a une traduction budgétaire assez forte avec des augmentations des crédits pour les dépenses en personnel ou pour les interventions publiques,
11:20 donc dès l'année 1964, et donc le début de la crise coïncide, mais vraiment à un mois près,
11:27 avec cette transformation du haut commissariat en secrétariat d'Etat, vous le voyez ici sur cette photo,
11:34 on n'a pas eu le temps sur les documents qui traitent donc de ce conflit de relations personnelles,
11:39 on n'a pas eu le temps de modifier les entêtes des courriers.
11:47 Donc c'est aussi des années qui sont marquées par la place prise par Marceau-Crespin, dont on pourra reparler si vous le souhaitez.
11:57 Il a une ascension administrative qui est assez rapide, il devient en quatre années directeur des sports,
12:11 et puis un appel est fait à son arbitrage par les différentes parties du conflit.
12:19 Et puis on le voit, le rôle de l'administration dans ce conflit va évoluer d'une situation qui est initialement une situation d'arbitrage,
12:28 c'est ce que traduisent ici ces notes de l'entrevue qui a réuni Marceau-Crespin et les dirigeants de la ligue de football.
12:37 Donc initialement il s'agit de rendre un arbitrage, et puis peu à peu ce sera plus qu'un arbitrage,
12:45 ce seront plutôt des remèdes qui seront proposés au mal et vont se succéder toute une série de rapports.
12:53 L'administration va devenir une grosse consommatrice de rapports,
12:57 il y a toute une série de rapports qui vont être produits sur cette question de la crise du football français.
13:05 Le titre qui est donné aux pochettes quand on travaille sur cette question sur les archives,
13:11 c'est devenu une rubrique de l'intervention de cette administration,
13:18 des rapports qui sont jugés plus ou moins utiles que d'autres.
13:27 Il y a une affectation de moyens aussi qui est assez conséquente en termes de personnel,
13:33 il y a des personnes plutôt compétentes qui suivent cette question,
13:37 il s'agit de Jacques Grospayet ou encore de Paul Vermet qui maîtrise bien ces questions juridiques,
13:44 ou encore un travail de consultation auprès de spécialistes du football de haut niveau.
13:50 Ici on a une lettre de Georges Boulogne qui donne son avis sur l'origine du problème,
13:56 la persistance du problème, et le problème qui persiste c'est celui du contrat de travail,
14:02 d'après la consultation qu'il a opérée auprès des entraîneurs de football.
14:07 L'administration va même jusqu'à rechercher des solutions à l'étranger.
14:12 Ici un courrier de Marceau-Crespin adressé au conseiller culturel de l'ambassade de France à Londres,
14:20 où il pose un certain nombre de questions sur ce qu'il en est de la situation outre-Manche.
14:26 Alors là, les solutions qui vont être préconisées,
14:31 je vous ai fait part de cette grève qui avait été déclenchée au mois de décembre 1972,
14:36 et bien on se pose alors la question, quelles solutions et des solutions portées par qui ?
14:43 Donc vous voyez sur cette photo qui correspond à la passation de pouvoir entre Marceau-Crespin et Jacques Périllat en 1974,
14:51 un jeune homme, bras croisés, à votre gauche dans le coin de la photo, ce jeune homme c'est Philippe Séguin.
14:57 Philippe Séguin qui à cette époque sort tout juste de l'ENA, il est sorti de l'ENA deux années plus tôt,
15:04 et donc c'est lui qui va avoir cette mission de recenser les différents problèmes du football français,
15:10 de recueillir un certain nombre d'opinions, de repérer ce que sont les points d'accord et de désaccord,
15:18 et enfin de proposer des solutions.
15:25 Donc il rend un diagnostic, et puis il fait tout un ensemble de propositions en termes d'aménagement de la fiscalité des joueurs,
15:36 de création d'une caisse d'épargne obligatoire,
15:39 ou encore il préfigure ce qui deviendra par la suite la Direction Nationale du Contrôle de Gestion,
15:45 en incitant à la mise en œuvre de contrôle de régularité et de gestion auprès des clubs professionnels.
15:53 Et puis cette solution finalement aussi, elle revient à reconnaître l'utilité, le rôle que peut jouer le football professionnel,
16:02 et donc puisque ce rôle est reconnu, la nécessité pour les pouvoirs publics d'accompagner, d'aider ce football professionnel,
16:13 et l'aide financière au football professionnel, c'est quelque chose qui va perdurer jusque dans les années 90,
16:19 et qui va peu à peu être rendu quasiment impossible avec d'une part l'arrêt Bausman et plus tard la loi Buffet en 1999.
16:31 Et puis d'ailleurs les protagonistes ne s'y trompent pas quant à cette conclusion du rapport Souguin,
16:39 c'est une conclusion qui est favorable au football professionnel,
16:44 et un des représentants du groupement du football professionnel, Pierre Gincas, aura ce remerciement envers Philippe Souguin.
16:56 Et puis la solution qui est donnée, c'est une solution qui vise à replacer la Fédération Française de Football au centre du jeu,
17:05 à réintroduire de la verticalité avec l'idée d'une tutelle de la Ligue de Football vis-à-vis de la Fédération,
17:15 tout en disant qu'il y a certes une personnalité juridique qui est distincte,
17:19 mais la tutelle de la Fédération doit s'exercer sur la Ligue de Football au même titre qu'elle s'exerce sur les ligues régionales.
17:32 Je passe, je conclue sur ce qu'apportent ces archives par rapport aux questions, à ce qu'on peut y trouver, à ce qu'on a pu y trouver.
17:46 D'une part parce que ces archives présentent les différentes parties en présence,
17:51 et bien ça nous a permis de rendre compte des conditions dans lesquelles s'est constitué ce conflit de relations professionnelles,
18:01 la façon dont il a été résolu, et puis ça montrait assez clairement cette influence croissante de l'administration des sports sur son ressort social,
18:11 dans une conjoncture certes un petit peu particulière, et puis je terminerai sur cette idée du merci M. Seguin, vous l'auriez compris, c'est un verbatim.
18:21 C'est finalement une réforme qui a été portée par les pouvoirs publics, qui aura contribué à faciliter l'autonomisation du football français,
18:33 et tout particulièrement de sa composante professionnelle.
18:38 Merci de votre attention.
18:41 (Applaudissements)
18:44 (...)

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