Un rassemblement doit avoir lieu ce jeudi à Clermont-Ferrand, suite au suicide d'une adolescente placée dans le Puy-de-Dôme. Lyes Louffok, militant des droits de l'enfant, est l'invité de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-jeudi-15-fevrier-2024-2221941
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00:00 6h20, elle s'appelait Lily, elle avait 15 ans, elle s'est pendue il y a trois semaines dans sa chambre d'hôtel près de Clermont-Ferrand.
00:06 Un rassemblement est organisé aujourd'hui à Clermont devant le conseil départemental du Puy-de-Dôme.
00:11 Cette jeune fille était suivie par l'aide sociale à l'enfance depuis ses trois ans.
00:14 C'est à cet âge-là qu'elle a été retirée à la garde de sa mère.
00:17 Bonjour Elias Loufocq.
00:18 Bonjour.
00:19 Vous êtes l'un des porte-voix de ces enfants placés, vous avez vous-même été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance,
00:24 vous avez fait partie du Conseil national de la protection de l'enfance.
00:28 Comment se fait-il qu'une enfant de 15 ans, une mineure donc, se retrouve ainsi à vivre dans un hôtel ?
00:33 C'est le résultat d'un système qui aujourd'hui est à bout de souffle, n'est plus en capacité de pouvoir répondre à son objectif premier qui est de protéger les enfants.
00:43 Pour plusieurs raisons, d'abord parce qu'aujourd'hui dans le système de protection de l'enfance, à l'aide sociale à l'enfance,
00:48 on manque cruellement de places pour accueillir les enfants dont la justice ordonne le placement.
00:53 Ce qui fait qu'on a des départements qui se retrouvent en position de devoir placer des enfants dans des hôtels ou dans des campings,
01:00 alors que les différentes affaires qui ont précédé le drame...
01:04 Il y a deux ans déjà, il y a eu un jeune de 17 ans qui est mort, qui vivait dans un hôtel.
01:08 Oui, il y en a eu plusieurs.
01:09 Ce n'est pas la première fois.
01:10 Non, malheureusement, il y a eu Nour à Paris qui s'est jeté dans la Seine, qui était également placé en hôtel.
01:15 Il y a eu le cas de Jess qui a été poignardé par un autre enfant placé dans un hôtel à Sureyne.
01:20 Il y a eu le cas d'Anthony Lambert qui a été tué dans un camping en Saône-et-Loire.
01:25 Malheureusement, ces affaires sont récurrentes et on alerte tout le temps à chaque fois en disant
01:30 si nous n'interdisons pas ce mode de placement, si nous ne créons pas de nouvelles places,
01:34 si nous n'améliorons pas les conditions de travail des travailleurs sociaux, il y aura d'autres drames.
01:39 Et systématiquement, il y en a.
01:41 Et la question qu'on se pose tous, je crois, aujourd'hui, c'est jusqu'à quand cela va-t-il durer ?
01:46 Jusqu'à quand allons-nous accepter de placer des enfants, d'abandonner des enfants dans des structures
01:51 qui ne sont absolument pas adaptées, où ils sont parfois victimes de violences,
01:56 les jeunes filles de prostitution.
01:58 On a des enfants qui ont même parfois de la peine à pouvoir s'alimenter
02:03 parce qu'ils n'ont pas les cuisines nécessaires dans les hôtels.
02:06 - C'est ce que j'allais vous demander. Qui s'occupe de ces enfants ?
02:08 Comment ça se passe pour les repas, pour la lessive, pour les activités, pour le suivi scolaire ?
02:12 - Tout est un parcours du combattant.
02:14 Il y a des départements qui ont, pour vous donner un exemple, à Paris, il y a encore quelques années,
02:19 ils avaient mis en place un système de tickets-kebab.
02:21 On a passé des partenariats avec des kebabs qui se situaient en bas des hôtels,
02:26 où les enfants, grâce à un ticket qui leur était donné par l'Aide sociale à l'enfance,
02:29 avaient la possibilité d'aller récupérer à manger.
02:32 Moi, je pense que personne ne souhaite cela pour ses propres enfants.
02:36 - Vous avez bien dit "selon les départements", parce qu'il faut le rappeler,
02:38 ce sont les départements qui jettent l'Aide sociale à l'enfance.
02:41 Et en l'occurrence, pour reprendre l'histoire de Lili,
02:44 elle, c'est dans le puits de Dôme, et le président du conseil départemental
02:47 dit qu'il y a une convention qui avait été signée avec cet hôtel,
02:50 et que c'était un hôtel "homologué".
02:53 - Mais c'est inadmissible de tenir ce genre de propos.
02:55 Je ne sais pas si ce président de département aurait souhaité que ses enfants soient accueillis
03:00 dans de telles conditions s'ils avaient dû être, à un moment donné, placés à l'Aide sociale à l'enfance.
03:04 J'aimerais bien qu'il leur redise, devant les familles des victimes,
03:07 que ce type d'accueil est adapté.
03:09 - Le président du département a trouvé une astuce,
03:13 parce que c'est vrai que la loi n'est pas très bien rédigée,
03:16 qui lui permet d'habiliter des hôtels pour faire en sorte qu'ils changent de statut juridique,
03:20 et donc qu'ils ne soient plus juridiquement associés à des hôtels,
03:23 mais bien à des structures dépendant de l'Aide sociale à l'enfance.
03:26 Alors qu'en réalité, dans cette structure où Lili était placée, c'était qui qui était à l'intérieur ?
03:30 C'était l'hôtelier, le veilleur de nuit, basta, ça s'arrête là, il n'y avait personne d'autre.
03:34 - Il n'y a pas d'éducateur de la SU qui vive avec eux à l'hôtel.
03:37 Je vais même aller plus loin, c'est-à-dire que selon Mediapart,
03:40 qui a publié une enquête suite à la mort de Lili,
03:43 les éducatrices de l'Aide sociale à l'enfance, qui étaient chargées de rendre visite aux enfants
03:47 placés dans cet hôtel, ont obtenu de leur direction de ne plus s'y rendre,
03:51 parce que l'hôtelier était accusé d'harcèlement sexuel à leur égard.
03:56 Donc le département a dit "très bien, nous vous autorisons à ne plus y mettre les pieds",
04:00 mais par contre ça ne les a pas dérangés de laisser une jeune fille de 15 ans
04:03 livrer à elle-même dans cette structure.
04:05 Donc il y a quand même un vrai sujet.
04:07 Les élus doivent faire preuve de beaucoup plus de responsabilité sur cette question,
04:10 et systématiquement, avant chaque décision prise, se poser la même question,
04:14 de savoir s'ils l'accepteraient pour leurs propres enfants.
04:16 Ça je crois que c'est fondamental aujourd'hui.
04:18 - Aujourd'hui, combien d'enfants de la SU dorment chaque soir à l'hôtel ?
04:21 - C'est difficile à dire. On a eu un rapport, une enquête de l'inspection générale des affaires sociales
04:25 qui a été conduite en 2020, dont les conclusions ont été rendues publiques en 2020,
04:29 et qui faisait état de 8500 à 10500 enfants qui étaient à cette époque-là placés dans des hôtels.
04:36 Sauf que depuis ces dernières années, la situation s'est considérablement dégradée.
04:40 Le nombre de mesures de placement ordonnées par la justice, qui sont non-exécutées,
04:43 c'est-à-dire qui ne sont pas mises en œuvre et où les enfants restent en danger dans leur famille,
04:47 s'est démultiplié.
04:49 - Il n'y en a pas de plus statistique, plus récente ?
04:51 - Non, malheureusement. Et c'est d'ailleurs l'une des choses que moi je demande au gouvernement.
04:54 C'est que là, très vite, dans les jours qui viennent, dans les semaines à venir,
04:58 il y ait de nouveau une saisine de l'inspection générale des affaires sociales
05:01 qui permette de faire un état des lieux beaucoup plus clair,
05:04 quatre ans après la première étude, la première enquête qui a été menée.
05:07 Parce que si l'on veut interdire un dispositif, encore faut-il savoir à combien d'enfants celui-ci s'adresse.
05:14 Et en l'occurrence, aujourd'hui, on est dans le flou.
05:17 - Mais vous avez dit, si l'on veut interdire ce dispositif, mais en théorie, il l'est interdit.
05:21 Puisqu'il y a la loi taquée il y a deux ans qui a été adoptée,
05:24 et vous avez prévoyé, justement, là, pour cette année, d'interdire purement et simplement les placements d'enfants dans des hôtels.
05:29 Pourquoi elle n'est pas appliquée cette loi ?
05:31 - Alors, pour plusieurs raisons. D'abord parce que le gouvernement n'a pas pris les décrets d'application de la loi.
05:35 Ça c'est un vrai scandale également, parce que quand la loi a été promulguée en 2022,
05:39 le Parlement a dit, en gros, au gouvernement,
05:43 "Nous ne pouvons pas interdire du jour au lendemain le placement des enfants à l'hôtel".
05:46 - Pourquoi ça donne deux ans ? - Et on a 10 500. Donc, on joue le jeu.
05:49 C'est-à-dire, on laisse au département deux années pour s'organiser, débloquer des fonds,
05:53 aller chercher les excédents budgétaires que certains peuvent, parfois, chaque année, dégager,
05:57 pour essayer de créer un système de protection de l'enfance qui soit suffisamment solide.
06:01 Force est de constater, deux ans après, que les départements ne se sont pas organisés,
06:05 n'ont pas débloqué les fonds, n'ont pas créé de nouvelles structures,
06:08 voire même n'ont pas amélioré les conditions de travail de leurs travailleurs sociaux
06:12 pour permettre, justement, à ce qu'il y ait de la présence éducative dans ces lieux-là.
06:16 Et le gouvernement n'a, au bout de deux ans, toujours pas publié le décret d'application de cette loi,
06:20 tout comme il n'a pas publié le décret qui visait à organiser la phase transitoire.
06:24 Parce que si le Parlement a dit "Ok, on laisse deux ans au département pour interdire",
06:28 c'était pas non plus open bar. C'est-à-dire que les enfants de moins de 16 ans, les enfants handicapés,
06:32 avaient une interdiction, dès 2022, de se trouver placés dans un hôtel.
06:36 Lili, elle avait 15 ans. Elle avait moins de 16 ans. Lili, elle avait fait une tentative de suicide.
06:41 Avant même d'avoir été placée dans cet hôtel. On l'a quand même mise dans un hôtel.
06:46 Lili, elle cochait toutes les cases de ce qui était interdit dès 2022.
06:50 C'est pour ça que pour moi, au-delà de la colère, c'est énormément d'incompréhension
06:53 dans la manière dont on conduit cette politique publique aujourd'hui.
06:56 Et je sais ce qui vous met en colère également, c'est qu'on n'en parle pas beaucoup de Lili.
06:59 Non, on n'en parle pas beaucoup. Et ça, c'est systématiquement comme ça.
07:03 Il y a cette sensation assez révoltante de se dire qu'il y a des vies qui comptent moins que celles des autres.
07:10 Les vies d'enfants placées aujourd'hui, il y a vraiment cette sensation qu'on n'intéresse personne.
07:16 Quand on alerte, quand chaque jour on dénonce des dysfonctionnements qui sont massifs en protection de l'enfance,
07:23 qui ont des conséquences dramatiques qui parfois même conduisent à la mort d'enfants,
07:27 on a l'impression de crier dans le vide. Il faut qu'il y ait un sursaut collectif.
07:30 Il faut que chacun s'empare de ce sujet. Il faut que nous, en tant que citoyens,
07:34 nous demandions à nos élus de rendre des comptes.
07:37 C'est fondamental parce que ces enfants sont placés sur décision de justice.
07:41 Ils sont sous notre responsabilité. Ils ne sont pas sous la responsabilité de leurs parents.
07:45 Ils sont sous la responsabilité de la société. Et la société, c'est nous.
07:49 J'espère que votre message va porter ce matin.
07:51 Merci.
07:52 Liesse Loufocq, merci beaucoup d'être venu sur France Inter.