• avant-hier
Le Sénat se penche ce mercredi sur un texte visant à assouplir les objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols. À cette occasion, Maylis Desrousseaux, enseignante chercheuse au lab’Urba à l’école d’urbanisme de Paris, était l'invitée de France Inter. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-12-mars-2025-5143143

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Il est 6h21, ZAN, Z-A-N, trois petites lettres, très clivantes, la loi zéro artificialisation
00:15nette est un volet important de la politique environnementale de la France.
00:18Le but est de ne plus bétoniser le pays d'ici à 2050, mais certains trouvent que ça va
00:23trop vite.
00:24D'où cette proposition de loi examinée aujourd'hui au Sénat pour assouplir, certains
00:28diront, détricoter le texte initial.
00:30Pour bien comprendre les enjeux, je reçois ce matin une spécialiste du droit des sols.
00:34Bonjour Maïlise Desrosseaux.
00:35Bonjour.
00:36Vous êtes enseignante chercheuse à l'école d'urbanisme de Paris.
00:38Alors je le disais, le but ultime de cette loi ZAN, c'est qu'en 2050, tout ce qui sera
00:43pris sur la nature doit être rendu, ça veut dire que si on bétonne, on compense par des
00:47mesures de renaturation, c'est bien ça ?
00:48Tout à fait.
00:49Mais alors qu'est-ce qui change dans la nouvelle proposition de loi ?
00:51La nouvelle proposition de loi, elle change deux choses essentielles.
00:55La première, c'est qu'elle vient modifier une avancée qui avait été faite en 2021,
00:59qui était d'établir un lien entre l'artificialisation et la destruction des sols.
01:03Parce que quand on construit un projet d'aménagement, une maison individuelle, une infrastructure,
01:08on détruit un milieu qui nous sert énormément à nous en tant qu'êtres humains.
01:11Et le deuxième changement ?
01:13Le deuxième changement, c'est que la loi climat et résilience, elle était venue apporter
01:16une obligation de résultat à la limitation de cette artificialisation en expliquant que
01:20c'était 50% de réduction de construction par rapport à la construction qui avait été
01:25faite entre 2021 et 2031.
01:28Et là, avec la proposition de loi, on n'a plus cette échéance à l'horizon 2031.
01:32Mais à 2034, en fait, on décale l'objectif intermédiaire ?
01:36Même plus, parce qu'on n'a même plus cette obligation de s'arrêter, mais on est plutôt
01:40sur une trajectoire de réduction.
01:43Mais l'objectif final 2050, zéro artificialisation nette, ça, il est maintenu ?
01:47Il est maintenu pour le moment.
01:49Alors, cette loi, je l'ai dit, elle suscite l'opposition de nombreuses personnes en France,
01:54notamment des élus locaux.
01:56Le sujet a même occupé deux heures du dernier congrès des maires de France.
01:59Ces élus locaux, ils disent, ça vient d'en haut.
02:02Ce qui a été fait au Parlement, ce qui a été décidé, cette loi, finalement, elle
02:06ne s'adapte pas à nos spécificités locales.
02:08De quoi s'agit-il exactement ?
02:11Il s'agit en fait d'une limitation chiffrée et donc nécessairement, on change tout le
02:17paradigme habituel qu'on avait eu sur les lois précédentes qui venaient limiter l'étalement
02:21urbain, mais qui ne posaient que des obligations de moyens.
02:24Donc là, aujourd'hui, avec cette limite stricte, ça a forcé différents échelons
02:28de décisions, que ce soit à l'échelle des régions, des communautés de communes
02:32et des communes en elles-mêmes, de discuter pour se partager, entre guillemets, une enveloppe
02:37de consommation d'espace.
02:39Et parfois, certains élus peuvent se retrouver ou s'estimer lésés dans ce partage.
02:43Et c'est là que ça crispe.
02:45Mais des élus, on en entend aussi beaucoup, qui se sont mis dans la dynamique et qui ont
02:50mis à jour leurs documents d'urbanisme.
02:51Et par contre, tous ces élus, qu'ils soient pour ou contre, ils ont la même problématique.
02:56C'est que d'un côté, il y a les objectifs environnementaux et puis de l'autre, il y
02:59a les besoins de construction parce qu'on a une crise du logement et qu'il faut réindustrialiser le pays.
03:03Ça, c'est l'équation en fait.
03:05C'est ça.
03:06Dans le même temps, quand on regarde des notes d'études de France Stratégie, par exemple,
03:11on s'aperçoit qu'en France, il y a 20% d'artificialisation qui a été faite, qui
03:15était jugée non efficace, c'est-à-dire qui n'avait entraîné ni dynamique démographique
03:19ni dynamique économique.
03:21Donc ça montre qu'on a une marge de manœuvre quand même importante pour arrêter d'artificialiser
03:26tout en continuant à se développer.
03:27L'ampleur de la bétonisation aujourd'hui, elle est de combien ? J'ai regardé les derniers
03:32chiffres sur la décennie 2010-2020, c'était, pour dire simplement les choses, équivalent
03:37de 5 terrains de foot par heure.
03:39Aujourd'hui, en 2025, on est à peu près toujours sur ce rythme-là ?
03:41On est sur un rythme encore assez stable, en dépit de l'adoption de la loi en 2021.
03:46Mais on peut anticiper que d'ici 2-3 ans, si l'objectif de réduction est maintenu,
03:50là, on va voir la baisse s'amorcer puisqu'on paye aujourd'hui les coûts partis.
03:53On est obligé de détruire la nature, on ne peut pas réhabiliter des friges, des terrains
03:56qui sont déjà bétonisés ?
03:57On peut, absolument, ça nous fait rentrer dans une logique économique différente.
04:02Ça coûte plus cher ?
04:03Ça coûte plus cher.
04:04Si on prenait en compte, lorsqu'on artificialise une parcelle, la valeur de la destruction
04:09que l'on entraîne, parce que le sol, ça rend énormément de services écosystémiques,
04:13ça participe au changement climatique, ça abrite de la biodiversité, ça participe
04:17à la lutte contre les inondations.
04:18Est-ce que l'eau s'infiltre beaucoup plus facilement dans les sols ?
04:21Absolument.
04:22Tout ça, ce sont des choses qui coûtent cher, in fine, en aménagement post-destruction.
04:26Mais financièrement, si on regarde juste le côté économique, ça coûte plus cher
04:34de réhabiliter une frige que de détruire la nature ?
04:37Ça coûte plus cher de réhabiliter une frige aujourd'hui, surtout parce que…
04:41C'est combien par exemple ? On a des chiffres sur le bête carré, ça coûte combien ?
04:43Alors, il y a des chiffres, je ne les ai pas en tête, mais la plupart des friges ont des
04:49sols pollués.
04:50Donc ce qui coûte beaucoup, c'est la dépollution du sol avant la reconstruction.
04:54Qui doit payer cette dépollution ?
04:56Le porteur de projet ? L'ancien propriétaire ? Qui doit payer la commune ?
05:01Si on appliquait strictement le principe pollueur-payeur, ça serait la personne responsable
05:05de la pollution qui devrait prendre en charge cette dépollution.
05:08Mais pour faciliter justement la réhabilitation des friges, on peut transférer cette obligation
05:12de dépollution à ce qu'on appelle un tiers intéressé, c'est-à-dire un promoteur
05:15qui dirait « moi j'y vois un intérêt derrière, donc je dépollue et je construis
05:19derrière ». Donc il y a aussi quand même des opérations profitables.
05:23Alors il y a une autre solution qui est évoquée par certains urbanistes, c'est de construire
05:27à la verticale.
05:28Ça veut dire que c'est fini la maison individuelle qui est le rêve de nombreux
05:31Français ?
05:32Il y a beaucoup de maisons individuelles à rénover.
05:34Il faut densifier les villes plutôt que de les étaler ?
05:35Il y a beaucoup de maisons individuelles à rénover sur le territoire français.
05:39Ce n'est pas la fin de la maison individuelle, c'est la fin d'un étalement inconsidéré.
05:43Merci beaucoup Maïlise Desrousseaux.
05:45Je rappelle que vous êtes enseignante chercheuse à l'École d'urbanisme de Paris et juriste
05:50spécialiste du droit des sols.
05:51Merci d'avoir été en direct sur France Inter.

Recommandations