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Retraites : quand les manifestants s'inspirent des Hongkongais pour être imprévisibles. Jacques de Maillard professeur de science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, directeur du CESDIP (Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-22-mars-2023-5246801

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00:00 Il est 6h20 de Hong Kong à Paris.
00:02 Certains jeunes qui manifestent contre la réforme des retraites et surtout le recours
00:05 au 49-3 disent s'inspirer de techniques hongkongaises vues ces dernières années lors de mobilisations
00:11 contre la mainmise chinoise.
00:13 Bonjour Jacques Demaillard.
00:14 Bonjour.
00:15 Vous êtes professeur de sciences politiques à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines,
00:18 également directeur du CESDIP, c'est le Centre de Recherche Sociologique sur le droit
00:22 et les institutions pénales.
00:24 Cette technique hongkongaise se résume en une formule "Be Water" c'est quoi l'idée ?
00:30 C'est d'agir comme des vagues, d'être fuyant le plus possible ?
00:33 Oui, l'idée de ce mouvement hongkongais c'était d'être fluide, insaisissable pour
00:38 les forces de police.
00:39 Donc il y avait cette idée-là de la mobilité pour éprouver les capacités d'action de
00:44 la police.
00:45 Il y avait aussi de déjouer les interdictions de manifester.
00:49 Il faut quand même dire qu'à Hong Kong, ces interdictions étaient massives, impératives
00:54 et extrêmement autoritaires.
00:55 Donc le contexte était quand même différent.
00:58 Et à Hong Kong, il y avait une dimension, ça a duré très longtemps, ça a duré plus
01:01 d'une centaine de jours, qui était associée à une démarche culturelle et artistique,
01:06 avec des murs décorés de la musique, qui ont fait la popularité du mouvement.
01:11 Donc là, dans les témoignages qu'on a vus, un témoignage de jeunes français, essentiellement
01:14 des jeunes d'ailleurs, qui disent s'inspirer de ces techniques-là, il n'y a pas tout
01:18 le contexte évidemment, tout le décorum musical que vous évoquiez.
01:22 Là, on est juste purement sur comment on fait pour échapper à la police.
01:24 Voilà.
01:25 Donc il y a une dimension effectivement de fluidité au sens visiblement de mobilité
01:31 des manifestants.
01:32 On ne s'inscrit pas du tout encore dans la durée qu'a connue Hong Kong.
01:37 Et le nombre de manifestants concernés est également beaucoup moins important à ce
01:42 que l'on sait.
01:43 Et donc concrètement, ça consiste en quoi ? Il faut se disperser en petits groupes, c'est
01:47 ça, plutôt dans des quartiers avec des ruelles, pas des grandes places.
01:49 En tout cas, c'est ce qu'ils expliquent.
01:50 Voilà.
01:51 C'est d'une certaine façon une technique qui n'est pas nouvelle.
01:56 Oui, ça ne semble pas révolutionnaire comme idée, effectivement.
02:00 Exactement.
02:01 Les répertoires de mobilisation des manifestants ne se renouvellent jamais complètement.
02:06 Mais c'est vrai qu'ils circulent aussi dans une certaine mesure de façon transnationale.
02:10 On voit très bien l'inspiration hongkongaise sert aussi à en oublier cette façon de se
02:18 mobiliser.
02:19 Et il y a aussi une communication presque en temps réel qui se fait.
02:23 Ils utilisent des réseaux, des plateformes.
02:25 Comment on fait justement pour s'organiser ? Parce qu'ils disent on se disperse et puis
02:28 quelques minutes après, on essaye de se retrouver quelques rues plus loin dans un autre quartier.
02:31 Ça se passe comment ?
02:32 C'est tout le charme de ces mobilisations qui se déroulent avec à la fois une présence
02:40 physique, commune présence physique et en même temps, ce suivi permanent sur les réseaux
02:46 sociaux qui se joue quand même sur un double registre, voire un triple registre.
02:51 C'est à la fois une façon de communiquer entre les manifestants, c'est une façon de
02:53 communiquer à l'extérieur aussi.
02:55 Mais je disais triple registre parce qu'il y a également la communication en temps réel
03:02 qui se fait par les forces de l'ordre dans le suivi qu'elles exercent sur ces manifestants.
03:07 Justement, les forces de l'ordre, parlons-en, face à ces manifestations, la police multiplie
03:11 les interpellations.
03:12 Est-ce qu'elles se justifient ces interpellations ?
03:14 C'est un très très très critique, que ce soit par le syndicat de la magistrature,
03:18 le syndicat des avocats de France, même la défenseur des droits aussi partage son inquiétude.
03:23 Alors la critique qui est faite, qui a été très récurrente sur les mobilisations de
03:30 Gilets jaunes, ça a été les interpellations préventives.
03:34 C'est-à-dire qu'on interpelle, on garde à vue, on garde à vue relativement longtemps,
03:38 suffisamment longtemps pour empêcher de manifester.
03:39 Là, quand on regarde les premiers bilans, la difficulté c'est qu'on a peu de données,
03:46 qu'on a des retours individuels.
03:47 Ces inquiétudes ont quand même un fondement.
03:51 Quand on regarde les chiffres de jeudi, on a eu quand même pour Paris, je voyais 292
03:57 interpellations, 9 déferments près de la justice.
04:01 Le bilan consolidé du parquet, c'est 425, seulement 52 poursuites judiciaires.
04:08 Donc vous voyez, il y a quand même un écart important qui conduit à s'interroger sur
04:13 la légitimité de ces interpellations et de ces gardes à vue.
04:16 L'écart est plus important que par le passé dans d'autres contestations, vous trouvez ?
04:22 On a eu des chiffres extrêmement importants en 2019 sur les Gilets jaunes, qui étaient
04:26 encore plus importants que ça et qui, là, avaient suscité une véritable mobilisation.
04:31 Ils avaient même été mis en mots par le procureur de Paris, qui avait théorisé en
04:36 quelque sorte ces interpellations préventives.
04:39 Donc là, l'idée, c'est quoi ? C'est d'intimider pour faire peur et décourager les manifestants
04:43 de recommencer ?
04:44 Il y a une dimension potentielle d'intimidation, puis tout simplement de retenue.
04:49 Vous êtes retenu en garde à vue, donc vous êtes dans une situation de prévation de
04:55 liberté qui vous empêche de rejoindre la manifestation.
04:59 Est-ce qu'il y a une culture du chiffre aussi ?
05:00 Est-ce que ces interpellations, c'est destiné à montrer que la police fait bien son travail ?
05:05 Là, je dirais que cette dimension est toujours présente.
05:09 Là, je dirais qu'elle n'est pas aussi cruciale.
05:12 C'est-à-dire que la police n'a pas à communiquer sur...
05:18 Justement parce qu'on peut toujours mettre en regard le nombre d'interpellations, du
05:23 nombre de poursuites judiciaires.
05:25 Donc en tous les cas, aujourd'hui, au moment où on se parle, je ne dirais pas que c'est
05:30 centrale cette dimension de la culture du chiffre.
05:32 En revanche, recourir au garde à vue pour retenir et empêcher de manifester, là on
05:40 a quelques signes qui peuvent l'attester.
05:42 Comment pourrait se faire la gestion du maintien de l'ordre différemment ? Est-ce que la
05:47 police pourrait faire autrement ?
05:49 La difficulté, c'est qu'on est dans une situation qui est toujours pour partie inédite
05:55 pour les forces de l'ordre.
05:56 Donc les forces de l'ordre sont en quelque sorte dans une logique d'apprentissage.
05:59 Ils pratiquent les rétextes, c'est-à-dire des retours d'expérience qui les conduisent
06:03 à s'adapter.
06:04 Là, ce que l'on a vu à Paris, c'est que le nouveau préfet de police a communiqué
06:08 sur une nouvelle méthode où on est plus à distance, beaucoup moins dans la confrontation
06:13 que son prédécesseur.
06:15 C'est quoi ? C'est la technique de la nasse ? C'est ça l'encerclement ? Ça en fait
06:18 partie ?
06:19 La nasse, c'est quand même une technique plus proactive.
06:22 Il avait communiqué sur l'idée que les forces de l'ordre étaient moins visibles,
06:28 moins provocatrices.
06:30 En revanche, elles interviennent de façon ciblée.
06:32 Là, elle fait moins appel aux fameuses BRAVEM, ces véhicules, ces motos avec deux agents
06:41 dessus et avec une logique d'interpellation qui est extrêmement forte.
06:44 Donc ça, c'était la logique initiale.
06:47 Là, ce que l'on commence à voir, c'est potentiellement un changement de logique.
06:50 On a beaucoup plus de BRAVEM, on a des retours vidéo sur ces interventions avec des coups
06:54 de matraque.
06:55 Donc, on peut s'interroger sur une logique plus proactive, plus centrée sur l'utilisation
07:03 de la force qu'elle ne l'était.
07:04 Oui, on a d'autres façons de le faire en communiquant beaucoup plus en continu et en
07:10 amont avec les manifestants et avec une utilisation de la force qui se fonde sur des règles déontologiques.
07:16 Merci beaucoup Jacques Demaillard, professeur de sciences politiques à l'université
07:20 de Versailles Saint-Quentin en Yvelines.
07:22 Vous êtes le directeur du CESDIP et je cite aussi votre livre qui est paru le mois dernier.
07:25 C'est tout récent aux presses de Sciences Po.
07:27 Police et société en France.

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