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J-1 avant la grève du 7 mars : Bruno Palier, directeur de recherche CNRS en sciences politiques, auteur de l’ouvrage "Réformer les retraites", paru aux éditions Sciences Po en 2021 est l'invité de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-lundi-06-mars-2023-4559566

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00:00 Bonjour Bruno Pallier, vous êtes directeur de recherche au CNRS en sciences politiques.
00:04 Vous avez récemment publié un livre qui s'intitule « Réformer les retraites ». Nous
00:08 sommes à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
00:11 L'intersyndicale dit même vouloir mettre la France à l'arrêt.
00:14 La suite c'est du bras de fer avec le gouvernement.
00:17 Comment analysez-vous le rapport de force après un mois et demi de contestation ? Est-ce
00:21 qu'il y a match nul ou avantage pour l'un des deux camps ?
00:22 Il y a surtout un contraste entre les outrances, les débats, les incohérences à l'Assemblée
00:31 nationale et maintenant les difficultés au Sénat.
00:35 Donc contraste entre quelque chose qui ne semble pas bien maîtrisé du côté du gouvernement
00:41 face aux parlementaires et de l'autre côté un mouvement qui semble particulièrement
00:46 maîtrisé, qui est à la fois nombreux, qui reste calme dans les mobilisations et qui
00:52 fait l'objet de l'unité syndicale, ce que l'on n'a jamais vu sur une réforme des
00:57 retraites depuis qu'elle existe en France, c'est-à-dire depuis 1993.
01:00 Vous dites carrément jamais vu.
01:02 Les patrons de la CGT et de la CFDT quasiment bras-dessus-bras-dessous, ça c'est inédit.
01:06 Sur une réforme des retraites non.
01:07 En fait on n'a jamais eu d'accord puisque en général la CFDT a plutôt été dans
01:13 la négociation, c'est d'ailleurs ce que rappelle Laurent Berger, il dit "nous on
01:17 n'est pas contre une réforme des retraites, le passé le prouve, mais pas cette fois".
01:20 Et justement est-ce que le gouvernement il essaye quand même de casser cette unité
01:24 syndicale ? Est-ce qu'il essaye encore ou il a lâché l'affaire ? Parce que généralement
01:27 sa porte d'entrée justement c'est la CFDT.
01:29 Il semblait le faire le gouvernement dans la période qui a précédé la présentation
01:34 de la loi au Parlement.
01:35 Pendant les négociations ? Voilà, on ne peut pas vraiment appeler ça des négociations,
01:39 en tout cas les consultations, mais là depuis qu'il y a le front syndical il ne semble
01:45 pas qu'il y ait d'ouverture.
01:47 Et sur sa façon de présenter les choses, est-ce que le gouvernement a changé de stratégie
01:51 de communication depuis le début ? Est-ce que les ministres mettent en avant des arguments
01:54 différents ? Est-ce qu'ils en ont changé ?
01:55 Je ne sais pas si c'est vraiment une question puisqu'on sait qu'à peu près tous les
01:58 arguments ont été utilisés, depuis l'argument budgétaire jusqu'à l'argument "c'est
02:04 une réforme juste".
02:05 On a du mal à trouver la cohérence dans la communication autour de la réforme, alors
02:11 même qu'elle aurait pu être présentée comme c'est une nécessité budgétaire
02:16 et tout le monde va devoir faire des efforts.
02:20 Olivier Dussopt par exemple a admis qu'il aurait peut-être dû commencer par là.
02:25 Ce qui est surprenant par contre c'est qu'une fois après avoir admis cela, il y a quelques
02:30 semaines, ce week-end, il affirmait encore que c'était une réforme de gauche.
02:34 Une réforme de gauche qui ne ferait pas de perdant.
02:36 C'est curieux comme déclaration alors qu'il essaie de s'adresser à la droite, d'essayer
02:39 de faire passer cette réforme par la droite.
02:40 Comment vous analysez cette déclaration ? Pourquoi il faut pas élu du sable ?
02:44 Je ne sais pas si on peut vraiment analyser les incohérences.
02:46 On entend bien là que toutes sortes d'arguments sont mis en avant sans qu'ils arrivent à
02:51 prendre vraiment dans l'opinion.
02:53 On a vu qu'à la fois la réforme est assez bien comprise dans ses conséquences et que
02:57 d'autre part il n'y a pas d'adhésion aux objectifs qui sont assignés à cette réforme.
03:02 C'est quoi ? Vous pensez que le gouvernement n'a pas assez préparé cette réforme ?
03:05 Je crois que le gouvernement n'a pas assez préparé la réforme puisque le gouvernement
03:08 a été focalisé sur deux points.
03:12 Faire des économies le plus rapidement possible.
03:13 Le choix du report de 62 à 64 ans est effectivement ce qui permet de faire des économies le plus
03:18 rapidement possible puisque vous ne versez pas les retraites qui étaient prévues et
03:22 pendant ce temps-là un certain nombre de personnes continuent de payer des cotisations.
03:25 Donc ça c'est efficace d'un point de vue budgétaire mais pas tellement du côté social
03:29 ni politique.
03:30 De l'autre côté il y avait la focalisation sur la stratégie politique qui consistait
03:35 à essayer de prendre à la droite un de ces projets qui étaient présentés régulièrement
03:41 au Sénat.
03:42 Et sans doute n'ont-ils pas suffisamment préparé cette réforme en reprenant ce qui
03:45 était proposé au Sénat tous les ans ces dernières années par LR.
03:49 Et Emmanuel Macron, pourquoi est-ce qu'il est si peu présent dans le débat encore
03:53 ce week-end alors qu'il était en Afrique ? Il a déclaré qu'il n'avait pas grand-chose
03:56 de neuf à dire.
03:57 Je ne sais pas pourquoi il n'est pas si présent.
03:59 Il dit pourtant que cette réforme est si importante, c'est la mère des réformes
04:03 selon lui.
04:04 On le voit peu ? On peut se dire qu'il attend de voir un peu comment les choses tournent
04:08 sans vouloir lui-même prendre trop de responsabilités.
04:12 On sait qu'en général le Premier ministre joue le rôle de fusible si jamais ça se
04:16 passe mal et peut-être Emmanuel Macron prépare-t-il un retrait possible si les choses effectivement
04:22 se durcissent.
04:23 Bruno Pallier, ce que je trouve intéressant dans votre propos, vous avez écrit une tribune
04:27 notamment à ce sujet, c'est la façon dont vous analysez cette confrontation sur la réforme
04:31 des retraites.
04:32 Ces deux camps qui s'opposent finalement n'ont pas la même analyse de ce qu'est
04:36 le travail, ils n'ont pas le même regard sur le rapport au travail, les conditions
04:39 de travail.
04:40 C'est vraiment ça le nœud du problème ?
04:41 Oui, cette réforme, elle est moins une réforme des retraites puisqu'on le sait, le niveau
04:43 des retraites ne va pas forcément beaucoup changer.
04:46 Simplement, il faudra attendre plus longtemps pour avoir un niveau équivalent, voire un
04:50 tout petit peu supérieur.
04:51 Ce qui est en question, c'est le fait de demander aux Français de travailler un an,
04:55 deux ans de plus.
04:56 Et là, les Français disent non.
04:58 Et quand vous dites deux camps, les sondages montrent que ce n'est pas vraiment à parité
05:02 puisqu'on a entre 70 et…
05:04 Deux tiers à tiers.
05:05 Deux tiers à tiers si on compte les retraités.
05:08 Si vous comptez que les actifs, ça fait beaucoup plus que ça.
05:11 Ils ne sont pas d'accord avec l'idée de devoir travailler deux ans de plus.
05:15 Il faut s'interroger de pourquoi les Français ne souhaitent pas travailler plus longtemps,
05:19 alors qu'effectivement, par exemple en Allemagne ou en Suède, en moyenne, on travaille un
05:23 petit peu plus longtemps qu'en France.
05:25 Et la réponse, c'est quoi ?
05:26 Et la réponse, c'est la stratégie économique des entreprises qui consiste à produire
05:31 la même chose qu'avant, mais avec moins de monde, en faisant une pression sur les
05:36 salariés.
05:37 On connaît le mode de management en France, c'est ce qu'il s'appelle le "Lean Management".
05:40 On essaye d'éliminer tout ce qui paraît superflu, y compris la formation, y compris
05:46 l'amélioration des conditions de travail, en mettant la pression, en assignant des objectifs
05:50 de plus en plus élevés aux salariés, une intensification du travail avec de moins en
05:56 moins de participation des salariés aux décisions, à la définition des stratégies.
06:00 Donc il y a une perte de sens, une perte d'adhésion au travail qui peut se lire dans beaucoup
06:05 d'enquêtes et qui ne concerne pas que les plus modestes, qui concerne aussi les niveaux
06:09 intermédiaires, le management.
06:10 Il y a une fatigue vis-à-vis de ce management qui consiste à essayer de faire toujours
06:16 plus avec moins de gens.
06:18 Et ça nous explique une situation hyper paradoxale.
06:21 Vous avez en fin de carrière, entre 55 et 65 ans, à la fois la moitié des gens qui
06:26 ne sont plus en emploi parce qu'on les a fait partir, parce qu'on estime qu'ils
06:29 ne sont plus assez productifs ou qu'ils sont trop chers, et l'autre moitié qui
06:33 n'en peut mais parce qu'on a mis la pression sur eux dans leur carrière.
06:37 Bruno Pellier, il nous reste une petite trentaine de secondes, ça va trop vite.
06:41 J'aimerais qu'on termine avec le bilan politique de cette bataille que vous avez
06:46 esquissée d'ailleurs dans une autre tribune.
06:47 Vous parlez même de coûts politiques.
06:49 Pour vous, la grande gagnante, ce sera l'extrême droite.
06:51 Il est assez probable quand on voit la nature de cette réforme.
06:55 D'abord, celles et ceux qui sont les plus impactés sont parmi les réservoirs de vote
06:59 du Rassemblement national, à savoir des personnes qui sont dans des revenus modestes, pas les
07:05 plus pauvres, mais des revenus modestes, qui sont en emploi, qui sont parmi les plus touchées
07:12 par cette réforme, qui ont déjà subi les gilets jaunes, etc.
07:18 D'autres ingrédients, c'est le mensonge autour des 1200 euros.
07:24 Et on sait que le reproche de l'extrême droite, c'est "ils nous mentent".
07:27 Et puis enfin, c'est ne pas tenir compte de ce qu'on leur dit.
07:30 C'est cette caractéristique de la défiance politique.
07:33 C'est "ils ne s'occupent pas de nos problèmes".
07:35 Merci beaucoup pour votre analyse, Bruno Pellier.
07:37 Je rappelle que vous êtes directeur de recherche au CNRS en sciences politiques.
07:40 Et je redonne le titre de l'un de vos ouvrages qui concerne pleinement le sujet dont nous
07:44 venons de parler, "Réformer les retraites".
07:46 Il est paru aux éditions Sciences Po.

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