Après les vives polémiques qui ont entouré Sciences Po l'an dernier, son directeur Luis Vassy était l'invité de France Inter ce mercredi. "L'année 2024 a été une année difficile mais face à cela, il ne faut être ni dans le déni, ni dans l'alarmisme", assure-t-il. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-12-fevrier-2025-4669677
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00:00Il est 7h49, Sonia Devillers, votre invité est le directeur de Sciences Po Paris.
00:09Il a été nommé le 28 septembre dernier et le moins qu'on puisse dire c'est qu'on
00:14n'a pas beaucoup entendu depuis.
00:15Bonjour Louise Bassi.
00:16Bonjour.
00:17Les deux derniers dirigeants ont été emportés par des scandales dans la sphère privée.
00:22L'établissement est devenu l'épicentre au printemps de l'année dernière de la
00:26mobilisation étudiante pro-palestinienne, jusqu'à faire intervenir les forces de
00:30l'ordre dans son enceinte, jusqu'à devoir saisir le Conseil d'Etat pour faire annuler
00:34une conférence de l'eurodéputé Rima Hassan, ce sont une des péripéties parmi d'autres,
00:38tous les politiques s'en sont alors mêlés.
00:40Pour la première fois, c'était publié au journal officiel, dans la liste des qualités
00:45requises pour devenir directeur de Sciences Po, il était mentionné la capacité à gérer
00:50les crises.
00:51C'est ça votre job ? C'est gérer les crises ?
00:54C'est vrai que quand on a eu la chance de travailler pendant 20 ans au service de son
00:59pays dans la diplomatie française, on peut avoir une certaine habitude de la gestion
01:05de crise, mais je ne dirais pas que c'est la seule chose que j'ai à faire à Sciences
01:10Po.
01:11C'est vrai, vous l'avez dit, que l'année 2024 a été une année difficile, mais face
01:15à ça, il me semble qu'il ne faut être ni dans le déni, ni dans l'alarmisme.
01:19Pas de déni, l'année a été difficile, il faut repartir de l'avant, apaiser les choses
01:24et je crois pouvoir dire qu'elles sont très largement apaisées.
01:28Pourquoi ? Parce qu'une immense majorité des étudiants le souhaitent, ainsi que des
01:32enseignants et des salariés.
01:3315 000 étudiants, vous avez dit.
01:3515 000 étudiants, merveilleux, et puisque c'est le moment de Parcoursup, j'incite aussi
01:39les très bons élèves de France à se porter candidat à Sciences Po, où ils auront une
01:45expérience magnifique.
01:47Et puis, d'un autre côté, pas d'alarmisme, parce que vraiment, les fondations de Sciences
01:51Po sont extrêmement solides.
01:53C'est l'un des trois meilleurs mondiaux en relations internationales, en administration
02:00publique, en sciences politiques, en journalisme.
02:02Nous avons d'ailleurs certains membres de votre rédaction qui viennent de notre école.
02:06Vous avez néanmoins fait en sorte, ces derniers mois, que ne se reproduise pas la situation
02:12qui a été une véritable tempête dans laquelle vous avez pris vos fonctions.
02:15Vous publiez et vous soumettez au vote de vos institutions internes une doctrine.
02:20C'est une nouveauté.
02:21Alors, il est très prudent, ce texte, il fait prévaloir le principe de réserve institutionnelle
02:27en vertu duquel l'établissement ne saurait s'exprimer sur un conflit en cours.
02:32C'est là où on voit l'art du diplomate ?
02:34C'est surtout là qu'on voit qu'on est une université et qu'on a fait ce que fait
02:38une université.
02:39C'est-à-dire qu'on a intellectualisé les choses et on s'est demandé quelle était
02:42la bonne posture face à cette question importante de la prise de position politique de l'institution.
02:48Et je me fonde sur la doctrine que je vais proposer à mes conseils, qui doit donc être
02:53adoptée collégialement, sur un rapport qui a été fait par des académiques qui revient
02:57sur l'histoire de ce sujet.
02:58Alors, à la fin, il faut juste admettre que nous ne sommes ni une ONG, ni une ambassade.
03:03Nous sommes une université et donc nous devons, sur les sujets politiques, faire attention
03:09à deux choses.
03:10Si, en tronc, nous serons traités comme un objet politique et donc nous pouvons être
03:14la cible d'attaques politiques, et puis il y a un deuxième argument qui est manié,
03:18y compris depuis les années 60 aux Etats-Unis, qui est que si nous prenons position sur des
03:21sujets politiques, nous risquons de porter préjudice à la liberté d'expression de
03:26ceux dont l'opinion serait minoritaire et nous devons aussi être un espace de pluralisme
03:30et d'ouverture.
03:31Alors, il y a des sujets...
03:32En même temps, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on voit bien que cette doctrine
03:35est destinée à ne pas faire de Sciences Po un objet politique.
03:38Et en même temps, c'en est un, c'en est évidemment un, Sciences Po.
03:42C'est-à-dire, qui a donné dans la surenchère au printemps dernier, lorsque ont été dénoncés
03:48par exemple des faits antisémites au sein de l'école ? Gabriel Attal, qui s'est précipité
03:52dans l'enceinte de l'école, qui a dit « le poisson pourri par la tête ». Le président
03:56du Sénat, Gérard Larcher, qui a qualifié l'école de « bunker islamo-gauchiste ».
04:00Et Emmanuel Macron, en conseil des ministres, qui a fustigé le séparatisme.
04:04Donc, c'est un objet politique, éminemment politique.
04:07Absolument.
04:08C'est un objet surtout qui intéresse les Français pour une très bonne raison, qui
04:12est que depuis 150 ans, Sciences Po forme les dirigeants de la République française
04:17dans le secteur public et dans le secteur privé.
04:20C'est toujours le cas.
04:21Une très grande partie des hauts fonctionnaires, mais aussi des artistes, mais aussi de chefs
04:27d'entreprise et de journalistes, encore une fois, y compris chez vous, viennent de cette
04:32institution.
04:33Donc, c'est normal qu'il y ait une attention très particulière à l'égard de la manière
04:37dont sont formés les dirigeants.
04:38Mais est-ce qu'on peut dépolitiser Sciences Po ?
04:39Et c'est pour ça que la doctrine que vous évoquez dit aussi qu'on peut se prononcer
04:44sur certains sujets qui sont d'abord et avant tout ceux qui concernent la vie d'une
04:48université, la liberté académique et la liberté d'expression, qui sont les conditions
04:52nécessaires pour qu'une université puisse fonctionner.
04:54Et puis, sur les autres sujets, c'est pas qu'on se désintéresse de la vie de la
04:59cité, c'est qu'on les approche sur le plan académique.
05:02Notre rôle, c'est d'organiser le débat, d'organiser les savoirs.
05:05Vous parlez de l'antisémitisme, nous avons l'un des chercheurs, Dominique Reynier,
05:10qui a le mieux documenté l'état actuel de l'antisémitisme en France.
05:16Et c'est ça ce que nous devons faire.
05:17Donc, vous n'excluez pas d'organiser des débats en interne.
05:19Ce que vous ne voulez pas, c'est le communiqué de Sciences Po qui prend en fait et cause
05:24ou qui condamne l'agression de l'Ukraine par la Russie, qui condamne les bombardements
05:29de Gaza à Paris-Srez.
05:30Je vous donne des exemples les uns après les autres.
05:32Nous devons être une université, donc nous devons intellectualiser le rapport aux questions.
05:36Et bien sûr, la liberté d'expression des individus ou des collectifs est totalement
05:41assurée.
05:42Le sujet, c'est est-ce que l'institution doit prendre position en tant que telle ?
05:46Et c'est un autre sujet.
05:47Sauf sur les sujets, cœur de ce que fait, qui sont au centre de sa mission, liberté
05:53d'expression, liberté académique.
05:54C'est une volonté aussi de rassurer vos donateurs.
05:58Je rappelle que vous avez 230 millions d'euros de budget, que Sciences Po compte un tiers
06:03de subventions publiques, un tiers de frais de scolarité, un tiers de dons et de partenariats
06:08privés.
06:09Est-ce qu'il vous faut rassurer les politiques, ceux qui vous accordent des subventions ?
06:13Je rappelle qu'il y a deux régions, la région Île-de-France et la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur
06:19qui ont menacé de couper les subventions au moment où Sciences Po a été bloqué.
06:24Et est-ce que vous voulez rassurer les entreprises privées ?
06:27Je ne fais jamais les choses pour répondre aux attentes des uns et des autres pour une
06:31raison qui est qu'elles sont toujours contradictoires.
06:33Donc en fait, on fait les choses parce qu'on y croit et parce qu'on a des convictions.
06:36Et ensuite, si ces convictions rejoignent ce que nos partenaires veulent faire, bien
06:40sûr, ils sont tous les bienvenus, qu'ils soient publics ou privés.
06:44L'autonomie, elle est garantie par le fait d'avoir le plus de partenaires possibles
06:48et de n'être dépendant d'aucun.
06:50Et c'est la stratégie qu'on poursuivra.
06:52D'accord.
06:53Donc on en est où avec la région Île-de-France par exemple, avec Valérie Pécresse ?
06:57Avec la région Île-de-France, une charte a été soumise à l'ensemble des établissements
07:04d'enseignement supérieur qui coopèrent avec la région.
07:07Elle sera soumise au conseil qui est l'endroit où on doit examiner ce genre de textes au
07:13mois de mars.
07:14Et donc, nous verrons ce que le conseil dit et pour ma part, j'espère que nous pourrons
07:20maintenir les relations avec la région où nous sommes.
07:23Sciences Po est-il l'antre du wokisme, comme l'affirment vos détracteurs ?
07:28L'antre des études de genre, des études décoloniales, de tout un mouvement universitaire
07:33venu des Etats-Unis ?
07:34Ce qui est magnifique avec Sciences Po, c'est qu'on peut entendre toutes les critiques
07:40simultanément.
07:41Nous sommes soit l'endroit de l'élitisme conservateur à l'ancienne, soit en effet
07:47le temple du wokisme.
07:48Je crois qu'on n'est ni l'un ni l'autre, on est surtout une université de très bons
07:52élèves.
07:53Je voudrais quand même dire que 42% de nos élèves ont eu le bac, mention très bien
07:57avec félicitations du jury, ça les met dans les 1,5% de meilleurs élèves qui ont passé
08:01le bac général.
08:02La question c'est qu'est-ce que vous en faites ?
08:04C'est d'abord ça Sciences Po.
08:05On en fait des citoyens très bien formés.
08:08Nous avons parmi les meilleurs diplômes au monde et donc on travaille.
08:13C'est quand même l'endroit aussi où on associe pratique et théorie.
08:18Est-ce que l'idée c'est d'aseptiser les débats en interne à l'intérieur de Sciences Po ?
08:23Est-ce que l'idée c'est de faire le ménage ?
08:25Est-ce que l'idée c'est de montrer pas de blanche ?
08:27C'est exactement ce qui est en train de se passer aux Etats-Unis.
08:29Évidemment les grandes universités ont été au cœur de la rébellion face à Trump
08:36et pendant la campagne, accusées de wokisme par les républicains, par le président Trump
08:41qui prend là des décrets très lourds sur les universités.
08:44Est-ce que vous voulez vous aussi montrer pas de blanche ?
08:46Non, l'idée c'est que Sciences Po doit être un endroit où on a envie d'être.
08:50Où les meilleurs étudiants veulent venir.
08:52Où les meilleurs enseignants veulent venir.
08:54Je me réjouis que cette année, après avoir recruté l'ancien ministre des affaires étrangères
08:58Dmitro Kouleba, juste à la sortie de ses fonctions ministérielles,
09:02nous accueillons bientôt Josty Glitz prix Nobel d'économie en 2001
09:07et Nadia Mourad prix Nobel de la paix en 2018.
09:11Donc c'est ça ce qu'on veut faire.
09:13Être un lieu où on a envie d'être, où on étudie, où on fait de la recherche, où on travaille.
09:17Louis Svassi, vous êtes fils d'un père uruguayen, d'une mère argentine, tous deux réfugiés politiques.
09:22Vous êtes devenu français à l'âge de deux ans.
09:24Vous possédez également la nationalité uruguayenne.
09:27L'immigration est-elle une chance pour la France ?
09:32Je dirais que c'est surtout la France qui est une chance pour des gens comme moi.
09:38J'ai bénéficié par les concours de la vie du fait que mes parents aient trouvé refuge en France.
09:48Et pour ma part, je trouve que c'est un pays magnifique qui accueille des étrangers
09:54qui ont la chance de pouvoir contribuer à la vie du pays.
09:58J'espère avoir pris ma part à la défense des intérêts de la France
10:02comme diplomate et désormais comme directeur de Sciences Po.
10:04Louis Svassi, directeur de Sciences Po, merci.
10:07Et merci Sonia De Villers.