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L’enquête PISA pointe une baisse inédite des performances des élèves après la crise du coronavirus, y compris en France. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-06-decembre-2023-1743392

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00:00 ronde sur l'école et l'éducation, au lendemain de la publication des résultats de l'enquête PISA.
00:04 Vos questions et réactions, amis auditeurs, amis auditrices, au 01 45 24 7000 et sur l'application
00:11 de France Inter. Nos invités pour en parler, Léa !
00:14 Najat Vallaud-Belkacem, bonjour. Vous êtes ancienne ministre de l'Éducation Nationale,
00:17 directrice générale de l'ONG One France. Aujourd'hui, Xavier Jaravelle, bonjour. Vous êtes professeur
00:22 d'économie à la London School of Economics. Auteur de Marie Curie, Habit dans le Morbihan,
00:28 démocratiser l'innovation aux éditions du Seuil, qui a son petit succès. On a vu ça.
00:33 Mélanie Guenet, vous êtes enseignante chercheuse en mathématiques à l'université Paris-Saclay
00:38 et vous êtes vice-présidente de la Société Mathématique de France. Bonjour Madame et merci d'être là.
00:43 Et pour mémoire, l'enquête PISA. PISA, ça veut dire Programme International pour le Suivi des
00:48 Acquis des Élèves et mené tous les trois ans auprès des élèves de 15 ans dans 81 pays. Pour cette vague,
00:54 elle évalue trois critères. Compréhension de l'écrit, culture scientifique, culture mathématique.
01:00 Premier renseignement de l'enquête publiée hier, le Covid a eu un impact clair et net sur les
01:06 résultats scolaires des enfants. Pour le reste, les résultats sont mauvais pour l'ensemble des
01:12 pays, mais tout particulièrement pour la France, qui dégringole plus que les autres. On est désormais
01:17 26e pays en mathématiques, 29e en compréhension de l'écrit. Comment avez-vous reçu ces
01:24 résultats Najat Vallaud-Belkacem ? Les résultats sont mauvais, évidemment, on ne va pas dire le
01:30 contraire. Maintenant, il faudrait veiller à ce que la réponse ne soit pas encore plus mauvaise
01:34 et encore plus problématique. On va parler des réponses, mais d'abord un tour de table pour
01:38 savoir comment vous recevez ces résultats. C'est vrai qu'on les attendait, c'est vrai qu'il y a eu
01:42 le Covid, qui explique partiellement la chute, mais c'est pas bon. Effectivement très mauvais,
01:48 d'une certaine manière sans surprise. Un point qui est intéressant si on se projette à un peu
01:53 plus long terme, c'est les mauvaises nouvelles que ça représente du point de vue de l'économie,
01:56 du point de vue de la croissance mondiale, aussi de la croissance de l'économie française,
01:59 parce que moins de compétences, ça veut dire globalement une économie qui marche moins bien.
02:03 Peut-être pour donner un chiffre sur ce point, on estime que le retard éducatif français qu'on a
02:08 accumulé aujourd'hui, ça représente 140 milliards d'euros de PIB. En fait, ça veut dire que ce
02:13 problème éducatif pour l'économie, c'est aussi important que d'autres sujets dont on parle beaucoup
02:17 plus, comme la faiblesse du nombre d'heures travaillées en France. C'est aussi un enseignement
02:21 important. Comme il y a un gros enjeu économique, ça veut aussi dire qu'on peut financer des mesures,
02:25 parce qu'à la clé, ces mesures peuvent être parfois auto-financées, si on arrive à remonter
02:30 la pente et renforcer notre économie. - Au niveau économique, aujourd'hui, on est la 7e puissance
02:34 économique mondiale et on est 26e sur les mathématiques. Alors la preuve de maths,
02:38 elle en dit quoi ? Est-ce que vous avez été surprise ? Je veux dire, pardon, jamais la France
02:42 n'avait enregistré une telle chute et elle est surtout visible en maths, avec une moyenne qui
02:48 baisse de 21 points en 3 ans. Avez-vous été choquée par ces résultats, Mélanie Guenet ? Et quels mots
02:54 vous avez pour les qualifier ? Est-ce qu'ils sont alarmants, déprimants, inquiétants ? Quoi ?
02:58 - Alors comme les autres intervenants de la table ronde, pas vraiment de surprises. Ils ne sont pas
03:05 bons. Ils ne sont pas bons comme la moyenne des pays de l'OCDE, puisqu'il faut rappeler qu'en fait,
03:10 on est dans la moyenne des pays de l'OCDE depuis 2006 et on est toujours dans la moyenne, c'est-à-dire
03:15 que l'ensemble des pays de l'OCDE, comme vous l'avez dit, a descendu. Alors, elle a descendu fort,
03:20 la France, un peu plus que la moyenne des pays de l'OCDE, en particulier en maths, mais pas plus
03:24 fort que l'Allemagne par exemple ou la Pologne. - Oui, c'est vrai qu'on peut se consoler en se
03:29 disant qu'on est toujours dans la moyenne et qu'on est au niveau des Allemands. - Bah, c'est pas bon,
03:32 mais c'est pas... - Sauf qu'on était meilleurs il y a quelques années. - Il ne faut pas mettre non plus
03:37 trop fort les projecteurs sur un système qui va mal et qui aurait peut-être besoin de calme pour
03:42 pouvoir réfléchir tranquillement à comment on fait mieux. - C'est le calme pour vous la solution ?
03:46 - Oui, je pense que d'abord... - Expliquez-nous ça ! - Je pense qu'au lieu de faire du buzz médiatique,
03:53 comme on voit régulièrement à chaque annonce de résultats internationals, pour annoncer des
04:02 nouvelles mesures prises dans l'urgence, peut-être qu'on pourrait prendre le temps de réfléchir pour
04:05 savoir dans ces études qu'est-ce qu'elles disent qui montre que ça ne va pas chez nous, pour réfléchir
04:12 ensuite en concertation avec les gens du terrain et se demander comment on pourrait ensemble faire
04:18 mieux. Et je pense que tant qu'on ne prendra pas ce temps de la réflexion, tant qu'on ne prendra pas
04:23 le temps de prendre en compte les avis du terrain, on ne pourra pas réussir. - Et vous dites autre
04:28 chose, Mélanie Guenet, vous dites "arrêtez de nous pointer du doigt, nous les profs, on est déjà
04:33 en souffrance". C'est ce que vous m'avez dit là, juste avant le couloir. - Exactement, je pense qu'on a
04:37 accumulé les charges, on a accumulé les textes, on a accumulé les réformes incessantes depuis
04:43 six ans, sept ans sur les enseignants, en les pointant du doigt à chaque fois qu'il y avait une
04:49 nouvelle évaluation nationale ou internationale, en disant "c'est de votre faute", quelque part, je
04:53 caricature un petit peu, mais c'est un petit peu ce qui se passe. Et du coup, on crée du malaise
04:59 chez les enseignants, on crée de l'angoisse. - Najat Vallaud-Belkacem, qu'est-ce que vous répondez à cela ?
05:04 - Je suis assez d'accord, je pense que plutôt que de pointer les professeurs ou les élèves, parce que
05:10 d'autres vont aussi pointer les élèves sur le mode "c'est décidément tous des cancres", etc. Le sujet,
05:15 c'est vraiment la gestion du système éducatif. Or, ce que révèle pour le coup de très intéressant
05:19 cette enquête PISA par rapport à la précédente, parce qu'il faut aussi regarder ça, c'est que pour
05:24 la première fois, il y a un énorme sujet de pénurie d'enseignants et de conditions enseignantes
05:30 complètement dégradées. On se situe derrière le Cambodge, j'allais dire, comme pitre sur ce sujet-là.
05:37 On a vraiment un énorme problème. Donc en fait, la question c'est "a-t-on le nombre d'enseignants
05:44 nécessaires pour nos classes, pour nos élèves, dans toute leur hétérogénéité ? Ce qui signifie
05:51 avoir des effectifs plus faibles, nos effectifs sont trop nombreux par rapport à nos voisins.
05:55 A-t-on des enseignants suffisamment valorisés, reconnus ? Parce que l'image négative qu'on
06:02 leur renvoie a un effet, et l'enquête PISA le dit très clairement, sur la façon dont ils sont là pour
06:08 soutenir leurs élèves. Beaucoup d'élèves disent "on ne se sent pas suffisamment soutenus, portés,
06:13 motivés". Or, cette motivation et ce portage va créer de la motivation chez les élèves, finalement,
06:20 de l'engagement dans leur matière. Donc ça, c'est des sujets qu'il faut absolument refléter.
06:26 Revaloriser les enseignants, évidemment la question salariale, mais pas seulement. Le
06:30 nombre de personnels enseignants et non-enseignants dans les établissements scolaires n'est pas à la
06:34 hauteur aujourd'hui de leur formation, encore moins. On va y venir sur les réponses données par le
06:38 ministre Gabriel Attal. Mais qu'est-ce que vous répondez à ça ? Est-ce que c'est recevable,
06:43 l'idée de répondre "le problème c'est que les enseignants ne sont pas assez valorisés" ?
06:47 C'est un des problèmes parmi d'autres, mais il y a de nombreux problèmes. Je ferais deux remarques.
06:51 Déjà, si on se place sur une un peu plus longue période, on voit qu'il y a quand même une baisse
06:55 du niveau dans plein de matières, mais notamment en mathématiques, qui est très très forte en
06:58 France et qui est vraiment unique à la France. On peut dire qu'effectivement, dans PISA, on n'est
07:02 pas si loin que ça de la moyenne de l'ECDE, mais il y a beaucoup d'autres études, notamment TIMSS,
07:05 où on est vraiment à la traîne, il n'y a que le Chili qui fait pire que nous. Et cette baisse
07:09 du niveau, en fait, est assez unique dans les pays de l'ECDE. On en parle quand même beaucoup
07:14 moins que d'autres sujets, donc je ne sais pas si le calme est la meilleure réponse. Après, il faut
07:18 avoir des... Vous vous dites le contraire, vous vous dites "il faut en parler davantage", vous
07:21 dites "ils n'ont rien dit sur l'éducation pendant la campagne présidentielle". D'autres pays comme
07:27 l'Allemagne, le Portugal, avaient eu des mauvais résultats dans les années 2000. Ils ont eu des
07:30 plans chocs pour remonter dans le PISA. Ils sont remontés. Vous prenez l'Allemagne notamment,
07:35 qui dégringolait et qui à un moment a dit "bon, on se donne un objectif, un calendrier, et on met le
07:41 compte de 10 parts". Sachant qu'ils avaient quand même des problèmes différents de nous. C'est-à-dire
07:45 qu'eux, c'était surtout sur les décrocheurs, les gens qui ne maîtrisaient pas bien la langue
07:47 allemande. Nous, on a des problèmes qui touchent aussi les meilleurs élèves, ce qu'on n'a pas dit
07:50 tout à l'heure, mais on a aussi une baisse qui est constatée pour les meilleurs élèves, ce dont on
07:53 parle encore moins que des autres sujets. C'est-à-dire qu'il y a toujours... Le niveau baisse,
07:57 mais effectivement l'enquête PISA montre qu'il y a de moins en moins d'excellents élèves en France.
08:01 Voilà. Et la deuxième remarque que je ferais, c'est de dire qu'il n'y a pas effectivement de
08:05 mesures uniques. On a vu cette remontée de l'Allemagne et du Portugal, c'était tout un
08:09 cocktail de mesures. Et donc, il ne faut pas espérer... La rémunération et les revalorisations,
08:13 c'est très important. Et on voit qu'effectivement, la revalorisation décidée à cette rentrée est loin
08:17 de compenser la paupérisation relative depuis une vingtaine d'années. Il y a beaucoup d'autres
08:21 mesures sur les deux devants des classes qui a été fait, mais que au CPSE1, que dans les zones
08:25 d'éducation prioritaire. Et donc, ce qu'on veut, c'est des mesures qui ensemble nous permettent
08:30 d'obtenir des objectifs... d'atteindre des objectifs ambitieux à horizon 5-10 ans, comme l'ont fait
08:34 l'Allemagne et le Portugal. Mais qu'est-ce qu'on a raté en 20 ans, selon vous ? Personne ne sait
08:40 ce qu'on a raté. C'est-à-dire qu'on n'a pas de diagnostic pour dire pourquoi on a autant baissé.
08:44 Ce qui est assez frappant, mais autant d'autres pays, comme je disais, l'Allemagne, le Portugal,
08:47 avaient fait un travail de diagnostic, avaient dit "le problème, c'est sur cette frange des élèves,
08:52 les décrocheurs". Nous, c'est quelque chose de beaucoup plus large et qui est quand même assez
08:55 frappant. Et donc, tout ce qu'on peut faire, me semble-t-il, c'est de dire... On sait quand même
08:59 beaucoup de choses sur des mesures qui marchent bien, et on peut revenir sur plein de sujets...
09:03 Et donc, il faut tout mettre en oeuvre à la fois pour inverser la tendance.
09:08 Mais enfin, quand même, la compréhension de l'écrit. Parce qu'il y a les maths, mais il y a la
09:11 compréhension de l'écrit. C'est-à-dire comment on comprend un texte, comment l'élève comprend un
09:15 texte, comment il l'interprète. Pardonnez-moi de vous dire, je veux bien qu'on relativise,
09:19 mais on perd 19 points depuis l'ancienne enquête PISA, on est moins de 19 points sur la compréhension
09:25 de l'écrit. Et si on regarde sur 10 ans, c'est-à-dire quand vous étiez au pouvoir, on perd 32 points en
09:31 10 ans sur la compréhension de l'écrit. Il y a quand même... Je veux bien ne pas faire de buzz ou
09:36 dire c'est le problème de la revalorisation des enseignants, mais là, il y a un vrai problème.
09:39 C'est une chute brutale.
09:42 - Gerjat Valobal Kacem.
09:44 - D'abord, même si Xavier Jaravelle a raison de dire que, contrairement à l'Allemagne et au Portugal,
09:50 en France, il n'y a jamais eu ce vrai débat national consensuel sur qu'est-ce qu'il faut
09:55 faire suite au choc PISA, le diagnostic, malgré tout, on le connaît. Enfin, je veux dire,
10:00 on sait ce qui tire vers le bas notre système scolaire. Et d'ailleurs, c'est à nouveau dit
10:04 par cette enquête PISA. Ce sont les inégalités sociales, scolaires, qui déterminent à 20% les
10:11 performances éducatives des élèves.
10:13 - Vous n'êtes pas d'accord. Il n'est pas d'accord Xavier Jaravelle, mais il va vous répondre.
10:15 - Vous me répondrez. Mais c'est quand même énorme de se rendre compte que les élèves des milieux
10:20 défavorisés ont 10 fois plus de chances ou de risques que les élèves des milieux favorisés,
10:25 de se retrouver parmi les moins performants en mathématiques, par exemple. Enfin, vous avez plein
10:29 de chiffres dans l'enquête PISA qui vous redisent ça. Donc, c'est la question de l'équité. Or,
10:33 notre système, en fait, ne pourra remettre de l'équité que si on apprend à gérer l'hétérogénéité
10:40 des classes. Et c'est en cela que les réponses aujourd'hui apportées par l'actuel ministre,
10:45 qui consiste à faire des groupes, des classes de niveau, qui consiste à remettre du redoublement,
10:50 etc. C'est-à-dire qui consiste en réalité à refaire du tri social, à réexternaliser la
10:57 difficulté, la revenir dans des classes spécifiques. Ça n'est pas à la hauteur. Le sujet, c'est comment
11:03 est-ce qu'on permet à nos enseignants d'être en mesure et formés pour gérer l'hétérogénéité
11:09 des classes ? Sur la formation, Mélanie Guenet, il y a un point important, je crois, selon vous.
11:15 En fait, un des points clés, donc je suis complètement d'accord avec Xavier, que le fait
11:19 qu'on n'ait pas eu de choc PISA, ça vient du fait que, comme je disais tout à l'heure,
11:22 on n'a jamais analysé les véritables causes, on n'a jamais cherché à évaluer, au cours des 40
11:28 dernières années, nos systèmes éducatifs. Jamais. Donc, quand on ne sait pas quelles sont les causes,
11:34 forcément les annonces, elles ne peuvent pas être en correspondance avec des réels besoins. Et ce
11:39 qu'on pointe au travers de l'enquête PISA notamment, c'est le défaut d'enseignants et le défaut de
11:46 formation. Et c'est pour ça que je parlais de temps, parce que ce temps disponible qu'on n'a
11:51 pas actuellement, parce que les enseignants sont noyés dans un tas d'informations et d'injonctions
11:58 parfois contradictoires. On ferait mieux de leur laisser pour qu'ils aient le temps de réfléchir
12:03 à leur enseignement et de travailler ensemble. Et d'avoir ce temps de formation, on est dans les
12:09 derniers du monde en termes de nombre de formation. - C'est ça qui pêche, la formation. Vous aviez
12:15 débattu avec Natacha Polony, il y a deux semaines, Najat Dabal-Kessem, sur la question qui disait
12:20 "le problème c'est la formesse". - Je voulais vous donner un dernier exemple, c'est l'exemple du
12:24 Canada. Au Québec, ils sont tout à fait en haut des résultats PISA, ils restent en haut, contrairement
12:31 à l'Allemagne, parce que là en fait on est pareil que l'Allemagne. L'Allemagne, ils ont eu leur
12:35 choc PISA, mais ils sont revenus. Donc le Québec a une très grande continuité au contraire des
12:41 ruptures dans la stratégie pédagogique et les évolutions des réformes se font tout en douceur.
12:48 Il n'y a jamais de rupture et il y a un travail avec le terrain et la recherche qui est permanent
12:53 et très fort. - Il faut se souvenir que dans le premier degré, nos professeurs ont une obligation
12:57 de formation continue de 18 heures par an, là où des pays très bien classés sont plutôt dans les
13:05 100 heures par an. - Donc la formation est une des réponses. Xavier Jarvel, je vous ai vu tiquer
13:11 quand Najat Dabal-Kessem disait "le vrai problème, le cœur du problème, c'est l'inégalité, c'est
13:16 la différence entre les enfants des riches et les enfants des milieux défavorisés, c'est ça le
13:24 problème. - Évidemment, d'accord, pour dire que c'est un problème essentiel, on est les pires de
13:28 l'OCDE sur ce plan-là, mais c'est pas le seul problème, notamment parce qu'on le disait tout
13:32 à l'heure, y compris les meilleurs élèves subissent une baisse de leur niveau. Donc la seule clé
13:37 d'entrée ne peut pas être les inégalités. Donc je pense qu'il faut regarder un peu tous les sujets
13:41 un par un et voir ce qui marche, ce qui marche pas. Vous évoquiez par exemple les groupes de niveau,
13:44 il y a une littérature assez nuancée sur ce plan où on sait que si vous faites des classes où tout
13:48 le monde est vraiment séparé et reste toute l'année séparé dans toutes les disciplines,
13:52 ça ne marche pas. Mais si c'est des groupes de niveau qui sont beaucoup plus flexibles,
13:55 des groupes de besoin comme on les appelle souvent, ça marche beaucoup mieux. Les annonces
13:59 du ministre c'est quelque chose entre les deux, donc finalement c'est peut-être pas très clair.
14:02 - Alors les annonces du ministre ? - C'est expérimenté en fait.
14:04 - Nicolas, pour être très clair. - Dès septembre 2024, les élèves de 6e et 5e
14:10 seront désormais répartis en trois groupes de niveau, appelons-les comme ça pour l'instant
14:14 pour leurs enseignements de français et de maths. Même organisation pour les classes de 4e et de
14:21 3e à partir de la rentrée de septembre 2025. Est-ce que ça c'est une bonne mesure ? Est-ce
14:27 que c'est du sur-mesure ? Dites-nous. - Comme je disais, il y a plein de
14:32 mesures dans ce plan, notamment sur les groupes de niveau. En fait, la question c'est comment
14:35 ça va être mis en œuvre en pratique. Ça pose aussi plein de défis d'organisation.
14:38 - Le problème organisationnel est majeur. On a vu les désordres majeurs provoqués par la
14:44 réforme du lycée qui justement vise à déstructurer le groupe classe. Et là,
14:48 en fait, on déstructure le groupe classe à nouveau au collège. Au lycée, ça avait provoqué la
14:52 démission. J'ai eu des collègues qui ont demandé leur mutation du lycée quand il y a eu cette
14:57 réforme pour ne pas subir cette déstructuration du groupe classe. Donc là, on va propager cette
15:04 déstructuration du groupe classe au collège. - Après, le pire n'est quand même pas certain.
15:07 Ça peut marcher, c'est juste que... - Ça crée un nouveau désordre. Et pendant
15:11 qu'on fait ce désordre, on ne peut pas s'occuper de nos élèves. C'est ça le problème.
15:15 - Ça crée un désordre et on l'entend. - Sachant que la littérature montre quand même,
15:20 dans la très grande majorité des cas, ça ne marche pas et ça accroît les inégalités scolaires.
15:26 - De faire des groupes de besoin, c'est-à-dire ? - Imaginez que vous êtes dans le groupe fort.
15:30 Est-ce que vous avez envie de descendre dans le groupe faible ? - Non.
15:32 - Du coup, le groupe faible, comment il fait pour monter dans le groupe fort ? Puisque vous,
15:36 vous ne voulez pas partir du groupe fort. - Ça ne peut pas être un challenge pour l'enfant de dire...
15:39 - Oui, mais il faut... - Je vais pouvoir vous prendre le grâve.
15:41 - Vous ne pouvez pas faire descendre des élèves du groupe fort pour faire monter des élèves ?
15:46 - Et puis les élèves apprennent aussi par leur père, par émulation. Lorsque vous n'êtes entouré
15:52 que d'élèves de même niveau, comment voulez-vous progresser ? - Justement, c'est pour ça que ce
15:55 qui marche, ce qu'on appelle des groupes de besoin, c'est assez flexible. Vous allez travailler sur
15:58 un sujet précis, par exemple les fractions. - Ça se passe dans la classe.
16:01 - Ça se passe dans la classe. Donc ça dépend vraiment de la mise en oeuvre.
16:03 - C'est vrai que quand vous avez un enfant qui n'est pas bon en fractions, parce que vous parlez des
16:07 fractions, il y a quand même le casse-tête des parents quand on se retrouve à ne pas savoir le
16:11 faire. Non mais c'est vrai, parfois on aurait juste envie qu'on nous explique un peu plus peut-être
16:16 sur les fractions. - Si je peux me permettre, Léa Salamé, parce que du coup on évoque en effet les
16:20 politiques éducatives conduites depuis quelques années et je veux redire avec insistance que
16:25 toutes les politiques éducatives ne se valent pas. Si je peux me permettre, quand par exemple à
16:30 l'école primaire, prenons le premier degré, on avait instauré entre 2012 et 2017 le plus de
16:36 maîtres que de classes. C'était exactement ce dont on est en train de parler, c'est-à-dire les
16:41 groupes de besoin. Plus de maîtres que de classes, je rappelle pour tout le monde, c'était dans un
16:45 certain nombre de classes, les plus petites, on mettait deux enseignants au lieu d'un, ce qui
16:49 permettait au deuxième, l'enseignant supplémentaire, de prendre un petit groupe pour bosser les fractions.
16:55 - Cette mesure a été annulée en 2017, Léa Salamé, vous voyez ? - Oui, oui, non mais je vais vous même...
17:00 - Elle a été annulée, donc Jean-Michel Blanquer a quand même une responsabilité majeure, je m'étonne que son
17:05 nom n'ait pas été prononcé jusqu'à présent, dans les résultats de ce classement qu'il a. - Gabrielle Attal, lui,
17:09 disait en conférence de presse... - Gabrielle Attal était son secrétaire d'Etat ces dernières années.
17:13 - Gabrielle Attal vous a implicitement visé, vous, Najat Valobel Kassem, hier en conférence de presse, en disant
17:18 "C'est pas la faute, ces mauvais résultats de Jean-Michel Blanquer". Ce que nous lisons, c'est
17:22 le résultat probablement de réformes qui ont été conduites, notamment au collège en 2013, donc c'est vous,
17:26 qui n'ont pas permis d'atteindre les objectifs qui étaient à l'orme du collège pour avoir mis en place
17:31 les programmes 2015, qui pour une fois étaient faits en concertation, sur du temps long, construits,
17:37 n'ont pas pu être mis en place à partir du moment où Jean-Michel Blanquer est arrivé, puisque tous
17:42 les ans, je vous dis, il y a eu des nouveaux textes. - Puisqu'il les a annulés, comment est-ce qu'on pourrait
17:45 juger la réforme du collège qui a été annulée par Jean-Michel Blanquer ? - Ça n'a jamais pu être évalué.
17:49 Il ne faudrait peut-être pas oublier qu'en fait, là, on est en train de tourner les projecteurs vers l'école
17:54 primaire, mais Jean-Michel Blanquer a provoqué des désastres, à la fois qui ont provoqué la pénurie
17:59 des enseignants et à la fois qui ont détruit la filière scientifique au lycée. - Xavier Jean-Raphael, vous en
18:04 avez eu des faits de défendre Jean-Michel Blanquer ? - Non, je pense qu'il faut plutôt être dans une
18:08 perspective constructive, où il faut réagir à ces mauvais résultats. Tout le monde est d'accord pour
18:11 dire qu'il faut faire quelque chose, il faut utiliser toutes les mesures disponibles, pas se focaliser
18:14 sur quelques réformes iconiques. Il y a d'autres sujets d'ailleurs qui pourraient être abordés, là on
18:19 parle du niveau, il y a aussi plein de sujets très importants sur l'orientation, c'est-à-dire qu'à
18:22 niveau données, il faut aussi pouvoir susciter des vocations dans plein de domaines essentiels.
18:26 Dans mon livre "Marie Curie habite dans le Morbihan", le titre "curieux" en fait fait référence au fait
18:30 qu'il y a plein de gens qui ne se tournent pas vers la carrière de la science, mais qui en auraient
18:33 les aptitudes. En fait, on sait comment faire par la découverte des métiers, ça c'est un autre chantier
18:37 qui va être lancé. - Sur l'orientation, vous avez raison. Et je vous invite à écouter l'interview de 9h20 de
18:41 Redouane Bougué-Rabat, l'humoriste qui en veut à sa conseillère d'orientation parce qu'elle
18:46 disait "va faire plombier ou carrossier" et qui a coupé ses rêves. Mais ça, vous y êtes.
18:50 - Justement sur ce point, Xavier, pour aller dans votre sens, est-ce que vous savez, parce que vous
18:54 disiez tout à l'heure "les inégalités ne sont pas toutes", néanmoins je redis qu'elles sont beaucoup.
18:59 Est-ce que vous savez que les deux tiers des enfants de familles favorisées, lorsqu'ils
19:04 obtiennent au brevet entre 8 et 10 sur 20, demandent une seconde générale ? S'agissant des enfants
19:11 d'ouvriers, en revanche, c'est seulement 30% avec les mêmes notes qui vont demander une seconde
19:16 générale. Or, ces voeux d'orientation sont très rarement corrigés. - On va prendre plein de questions.
19:20 - Oui, il y en a beaucoup, vraiment énormément. Karine, bonjour ! - Allô, bonjour à tous ! - On vous écoute !
19:26 - Alors voilà, c'était pour vous faire part d'une réflexion. Moi, je suis de 71. - Comme moi !
19:33 - On était une trentaine par classe. Donc, l'école publique, je fais partie d'une famille modeste,
19:40 voilà. À l'époque, en CE2, on connaissait nos tables de multiplication par cœur. Donc, pour faire
19:48 une fraction en quatrième, il faut connaître ses tables de multiplication. Quand on sortait du CM2,
19:53 on connaissait tous nos temps sur le bout des doigts. Donc, quand on arrivait en sixième, on pouvait
19:58 acquérir des connaissances en littérature. On pouvait dire si un texte, il était ou pas, si c'est simple ou au présent.
20:03 Voilà, ce qu'ils ne sont plus capables de faire aujourd'hui. - Vous pensez que le niveau a baissé, clairement ?
20:08 - Ah mais clairement ! Moi, j'ai trois enfants. Ils ont 30 ans, 23 et 15. - Et vous pouvez le constater avec taux ?
20:16 - Ah oui ! - Vous les avez fait tôt, vos enfants ? - Pardon ? - Vous les avez fait tôt, vos enfants, s'ils ont 30 ans déjà ?
20:22 - J'en ai une de 30 ans, une de 23 et une de 15. - Ah ouais ? - J'en ai fait une à 21 ans, quoi. Voilà.
20:28 - Merci pour ce témoignage, Karine. On donne la parole à Emmanuel, maintenant, qui nous appelle du Limousin.
20:36 Bonjour ! - Oui, bonjour à tous. Je vous appellais parce qu'en fait, à chaque fois, sur les rapports, on consacre
20:42 beaucoup de temps sur les mathématiques. Ça a été le cas du premier intervenant qui disait qu'on allait perdre
20:47 l'économie parce qu'on était nul en mathématiques. Mais il y a plein de métiers où on n'a pas besoin d'être bon en mathématiques.
20:53 Je parle de ma femme, elle est avocate, elle est nulle en mathématiques. Moi, je suis antiquaire, je suis très fort en histoire de l'art
21:01 et nul en mathématiques, à part pour mes déclarations du RSAF. Les mathématiques, j'ai un fils qui a 15 ans qui aimerait être journaliste.
21:10 - On peut y arriver, même en étant nul en mathématiques, je vous le confirme. - C'est compliqué parce qu'on veut toujours qu'on soit bon en mathématiques.
21:17 Et il est confronté au problème. Il est très doué en littérature, il est très doué en histoire géo, mais on lui dit « Ah ouais, mais les maths, ça va pas ».
21:24 Mais il s'en fout des maths. Par contre, nos enfants ont du mal avec la géographie. Placer des fleuves, c'est compliqué. Placer des pays, c'est compliqué.
21:35 Comment voulez-vous qu'ils comprennent la géopolitique actuelle ? Expliquer à quelqu'un la guerre en Ukraine, si on ne connaît pas les bases de l'histoire,
21:43 on ne peut rien expliquer à un gamin. Rien. - Merci. - Voilà. Donc arrêtez avec les mathématiques et le sport.
21:50 Bon courage pour votre déclaration d'Ursaf. Ça a l'air gratiné. Merci. Vous vouliez répondre, Xavier Gérardel ?
21:58 - Je suis tout à fait d'accord pour dire que les mathématiques ne sont pas tout, y compris pour cet impact économique.
22:02 C'est-à-dire que ce que je voulais dire tout à l'heure, c'est que les compétences de base, y compris en français, c'est ça qui permet à l'économie d'être florissante,
22:08 et notamment d'adopter de nouvelles technologies. Je donne un exemple, le chat GPT, les robots conversationnels, il faut savoir leur poser les bonnes questions,
22:15 interagir avec eux d'une manière intéressante. Par exemple, si vous êtes avocat, vous pouvez utiliser l'IA conversationnel pour plein de parties de vos métiers.
22:22 Et ça, en fait, ça requiert des compétences de base dans tous les domaines, pas que les mathématiques. Donc l'impact économique est très important, y compris sur d'autres matières,
22:29 ce qui peut donner des moyens budgétaires pour faire toute une série de réformes. - Juste un mot, pardon, mais du coup, ça va avoir un lien avec l'IA.
22:37 Moi, je suis étonnée qu'on ne parle pas davantage de ce qui ressort du rapport, à savoir la distraction numérique. La distraction numérique qui est désormais mesurée par PISA.
22:47 - Vous avez raison, mais ça, Najat Vallaud-Belkacem, tous les enfants de l'OCDE des 81 pays sont concernés par l'obsession des écrans, la manque de concentration, la distraction numérique.
22:57 - Parce que c'est ça le grand défi dans lequel on baigne aujourd'hui, et tous les parents le savent, c'est en effet la place des écrans.
23:04 C'est la place des écrans. Et donc, en fait, c'est une question absolument sociétale, une question qui doit nous inciter à avoir un grand débat public,
23:10 y compris sur la façon dont on régule un certain nombre d'acteurs du numérique qui créent des tas d'outils addictifs pour nos adolescents.
23:19 Et en fait, on sait très bien que tout cela crée un isolement derrière les écrans qui détourne évidemment de la pratique de la lecture,
23:26 qui détourne même de la pratique culturelle, des sorties culturelles. Et en fait, ce sujet-là qui dépasse l'école, et je suis d'accord quand vous dites
23:34 qu'il faut arrêter de toujours mettre la focale et la lumière sur les professeurs, là c'est notre société.
23:38 Est-ce qu'on pourrait se montrer à la hauteur et imaginer une autre régulation pour sortir nos enfants des écrans ?
23:44 - Merci à tous les trois pour ce premier tour de table d'analyse de l'enquête PISA, Najat Vallaud-Belkacem, Xavier Jaravelle, Mélanie Guenet.
23:56 Merci d'avoir été à notre micro ce matin. Xavier Jaravelle, Marie Curie habitent dans le Morbihan.
24:02 Démocratiser l'innovation, publié au Seuil dans la collection La République des idées.

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