À 9h20, le réalisateur, metteur en scène et écrivain Robert Bober est l'invité de Léa Salamé. Il publie "Il y a quand même dans la rue des gens qui passent" (POL). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-20-decembre-2023-6937228
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00:00 - Et Léa, ce matin vous recevez un réalisateur et écrivain.
00:04 - Bonjour Robert Bober.
00:06 - Bonjour.
00:07 - Merci d'être avec nous ce matin.
00:08 Si vous étiez un livre et si vous étiez un sentiment, vous seriez quoi ?
00:12 - Alors un livre, je serais, je pense, La Petite Lumière d'Antonio Moresco.
00:20 Et un sentiment, je dirais l'innocence.
00:26 - L'innocence.
00:27 Je pensais que vous alliez me dire la nostalgie, parce que la nostalgie, elle est très présente
00:33 dans le livre que vous sortez, un livre aux très beaux titres.
00:37 Il y a quand même dans la rue des gens qui passent chez POL.
00:40 Robert Bober, pour ceux qui ne vous connaissent pas, vous avez eu mille vies.
00:44 Vous avez commencé par être tailleur, vous avez été aussi ensuite l'assistante François
00:50 Truffaut, puis vous avez eu une grande carrière de réalisateur de documentaires, travaillant
00:53 notamment avec Georges Pérec et avec le journaliste Pierre Dumayet à qui d'ailleurs ce livre
00:58 est adressé.
00:59 C'est une lettre à votre ami Pierre Dumayet.
01:01 Vous êtes devenu écrivain sur le TAR, publiant un premier roman en 1994, Quoi de Neuf sur
01:06 la guerre, qui vous avait d'ailleurs valu le prix du livre Inter.
01:09 Et vous avez aujourd'hui 92 ans.
01:11 Quelle vie ! D'abord un mot sur ce titre, ce titre frappant et mystérieux, qui est
01:18 inspiré d'un poème de Pierre Reverdy.
01:20 « Quand la lampe n'est pas encore éteinte, quand le feu commence à pâlir et que le
01:25 soleil se cache, il y a quand même dans la rue des gens qui passent ». Pourquoi ce
01:30 titre ?
01:31 Eh bien écoutez, mon âge pourrait être une réponse.
01:35 Quand la lampe n'est pas tout à fait éteinte, c'est le cas, donc je continue à faire
01:41 des choses.
01:42 Et parce que la vie de toute façon continue, les gens qui passent, c'est une phrase qui
01:50 vient souvent sous la plume de Reverdy, qui est un poète que je lis très régulièrement,
01:56 que je relis régulièrement.
01:58 Et les gens qui passent, vous les regardez souvent ?
02:00 De toute façon, on n'a pas le choix, il vaut mieux ouvrir les yeux et voir les gens
02:05 passer et ne pas s'en étonner.
02:08 Les gens continuent à passer, continueront toujours à passer.
02:13 C'est ce que vous dites, c'est clair.
02:14 Simplement, il faut les regarder, il faut les écouter.
02:17 Et c'est ce que j'essaie de faire.
02:21 Ce livre est une promenade à travers vos souvenirs, qui prend la forme d'une lettre
02:25 donc adressée à Pierre Dumayet, grand journaliste avec qui vous avez fait de nombreux documentaires.
02:29 Vous avez cette belle phrase à un moment « J'écoute le bruit que font mes souvenirs ».
02:33 Il y a plein de belles phrases dans ce livre en fait.
02:36 C'est des fragments de belles phrases.
02:39 Ces souvenirs, ils vous emmènent dans beaucoup d'endroits, dans la buttocaille de votre
02:42 enfance, dans les cinémas de l'après-guerre, au gré de vos rencontres avec Truffaut, avec
02:46 Perrec, avec d'autres.
02:47 Ces souvenirs, vous les livrez dans le désordre à vos lecteurs.
02:50 Selon le précepte d'Aragon, ce livre ne ressemble à rien qu'à son propre désordre.
02:54 Et effectivement, il n'y a pas d'ordre chronologique.
02:57 Ça vient quand ça vient.
02:58 Oui, ça vient parce que les souvenirs ne sont absolument pas chronologiques.
03:06 Ce livre, comme le précédent qui était déjà une lettre à Pierre Dumayet, quand j'ai
03:13 commencé, j'ai besoin de parler à quelqu'un.
03:18 Plutôt que de faire un livre sur Pierre Dumayet, je préfère faire un livre…
03:23 Donc je m'adresse à Dumayet.
03:26 Vous avez besoin de lui parler.
03:27 J'ai besoin de lui parler, j'ai besoin de parler aux autres, j'ai besoin de les
03:30 écouter.
03:31 D'ailleurs, Robert Didi dit qu'il ne faut pas écrire un livre pour soi, ni pour les
03:37 autres, mais aux autres.
03:39 Donc je m'adresse aux autres, vous, vous.
03:43 Et vous racontez donc ?
03:45 Les souvenirs, on vit avec des souvenirs.
03:50 Le savoir qu'on a, vient des souvenirs.
03:54 Et les souvenirs, on n'a pas besoin de les appeler.
03:56 Ils viennent d'eux-mêmes.
03:58 Et en écrivant des souvenirs, je pensais à un souvenir, j'écrivais le fait d'écrire
04:06 m'amenait à un autre souvenir, qui s'avérait parfois plus important que le premier.
04:12 Et j'avançais comme ça.
04:14 C'est pas un livre que je construis comme si c'était un roman.
04:17 Un roman, il faut le construire.
04:18 Les choses venaient avec des interrogations, des tâtonnements.
04:24 Il fallait que tout ça soit présent dans le livre.
04:27 Vous citez Vladimir Jankélévitch dans le livre qui disait "la nostalgie est un sentiment
04:31 inapaisable".
04:32 C'est beau ça.
04:33 On va l'écouter d'ailleurs, Jankélévitch qui parlait en 1974 de ce qui le rendait nostalgique.
04:40 Qu'est-ce qui vous rend nostalgique Vladimir Jankélévitch ?
04:43 Oh, n'importe quoi, un parfum, une odeur de paille, une odeur de fumée.
04:47 Pas vous non ? Quand vous sentez une odeur de paille brûlée, des herbes brûlées, ça
04:54 vous réveille pas des tas de choses ?
04:55 Et une chanson, quand vous chantez, un air.
05:03 La musique est porteuse de nostalgie, n'est-ce pas ? Les parfums, beaucoup, les parfums.
05:07 Et vous Robert Bobert, qu'est-ce qui vous rend nostalgique ?
05:12 J'ai envie de dire tout ce que j'ai vécu.
05:16 Tout ce que j'ai vécu, je ne refuse rien de ce que j'ai vécu.
05:21 Même si j'ai changé de métier, je n'ai pas changé de métier par dégoût ou par
05:29 refus des métiers que je faisais.
05:31 Chaque métier que j'ai fait m'a apporté quelque chose.
05:35 Quand j'étais tailleur, j'ai commencé à 14 ans à tirer l'aiguille.
05:40 Voyez, je fais machinalement le geste.
05:42 Oui, vous le faites, le geste, effectivement, on peut le voir.
05:44 Qui revient.
05:45 Et voilà, la relation aux autres, surtout c'était les années d'après-guerre.
05:51 Il y avait dans l'atelier des personnes dont la femme ou les parents avaient été déportés.
05:59 Et tout ça m'a appris quelque chose à vivre.
06:03 Je crois que je n'aurais pas pu écrire ce que j'ai écrit, faire les films que j'ai
06:08 faits s'il n'y avait pas eu tout ce passé.
06:10 Tout ce passé qui est le vôtre.
06:13 Vous parlez de votre enfance dans ce livre marqué par l'histoire.
06:16 Vous êtes née à Berlin en 1931.
06:17 Votre famille d'origine juive polonaise a fui le nazisme et s'est installée à Paris
06:21 en 1933.
06:22 Et vous parlez de cette carte d'identité.
06:24 C'est marrant parce qu'on parlait de ça un peu avec Elisabeth Born.
06:27 La carte d'identité qu'on vous a donnée à l'époque, quand vous êtes arrivée en
06:31 France, cette carte d'identité disait que ma nationalité est indéterminée.
06:35 Je ne savais pas encore, au reçu de cette carte, tout ce que cette mention allait annoncer.
06:40 Sur une autre carte d'identité plus tardive, plus respectueuse de mon parcours identitaire,
06:45 figurera la mention suivante.
06:47 Réfugié provenant d'Allemagne, apatride d'origine polonaise.
06:51 Cette identité qui me désignait en six mots, je l'ai conservée jusqu'en 1955, date
06:56 à laquelle on accepta finalement de me naturaliser.
06:59 Nationalité indéterminée, puis apatride.
07:03 Quel rôle vont jouer ces mentions dans votre vie ?
07:07 Je crois que c'est le fait d'arriver dans un pays, de toute façon quand j'avais 18
07:13 mois quand j'arrivais, je ne pensais encore à rien d'autre, sauf être dans les bras
07:19 de mes parents.
07:20 Et c'est petit à petit que les choses sont venues.
07:24 Je me souviens que lorsque j'étais, peut-être pas en préparatoire, mais en cours élémentaire,
07:33 j'ai quitté l'école au certificat d'études primaires, mes parents disaient "écoute,
07:39 essaye d'être le premier à l'école, nous on ne peut pas t'aider, on parle mal le français,
07:44 donc travaille bien".
07:47 Et c'est ce que j'ai fait, effectivement j'étais dans les premiers avec mon copain
07:52 Beck qui lui était toujours premier.
07:54 Et qui vous vaudra un autre livre, "La période de l'occupation et la guerre a hanté votre
07:59 vie" à vos écrits.
08:00 En juillet 1942, vous avez échappé avec votre famille à la rafle du Veldiv, prévenu
08:04 à l'avance de la rafle, vous avez ensuite survécu en vous cachant.
08:07 Mais vous vous rappelez d'un autre jeune garçon, Zozo, l'histoire vraie de Zozo,
08:13 qui avait 11 ans en 1942, lorsqu'il s'est échappé du Veldiv en courant, sans se retourner,
08:18 sans regarder ses parents derrière lui.
08:20 Vous écrivez "ça court vite, un garçon de 14 ans, ça court vite, surtout quand il
08:24 ne se retourne pas pour voir ses parents une dernière fois, parce que ça l'empêcherait
08:28 de continuer de se sauver.
08:30 Le vrai courage c'est ça, ne pas regarder son enfant s'enfuir pour lui donner une chance
08:36 de survivre."
08:37 Oui, alors ça c'est ce que j'ai pu écrire aujourd'hui.
08:43 Et à l'époque quand il nous a raconté ça, c'était en mai 45, la guerre venait
08:51 de s'achever.
08:52 Et il nous avait raconté comment il s'était sauvé.
08:56 On avait 13 ans à l'époque.
08:59 Et il n'a pas regardé ses parents.
09:01 Ça nous faisait rire.
09:03 Il avait traversé Paris du Veldiv jusqu'à Belleville, c'était une longue route.
09:10 Et à 13 ans, c'était héroïque, mais sans plus.
09:18 Mais tout ce que je dis après, c'est que quand je disais que les choses d'avant
09:24 nous apprennent par la suite, c'est ça.
09:27 En fait, cette idée de courage après m'a bouleversé, surtout quand j'ai appris
09:34 que cet enfant qui arrive à se sauver du Veldiv, courir à travers tout Paris, je me
09:42 suis dit qu'il est arrivé certainement en larmes parce qu'il savait que peut-être
09:46 il ne vivrait pas pour la dernière fois.
09:49 Et qu'il soit mort dans un accident de voiture à un peu plus de 20 ans.
09:55 - Vous avez dit, vous avez cette phrase, "Zozo est mort 20 ans plus tard d'un accident
10:00 de voiture.
10:01 S'échapper du Veldiv à 11 ans et mourir d'un accident de voiture, je ne connais pas
10:04 plus con comme histoire."
10:06 - Eh oui.
10:07 - C'est vrai que c'est une mort un peu conne.
10:08 - C'était...
10:09 Il reste son souvenir.
10:14 Et son souvenir m'a apporté quelque chose.
10:19 On a passé des années ensemble, en colis de vacances, on a même couru ensemble au
10:25 crosse de l'humanité.
10:26 - C'est ce que vous racontez.
10:27 Il y a aussi des très belles pages sur vos parents, sur votre mère d'origine polonaise
10:31 qui avait grandi à Berlin et qui, étonnamment, juive allemande, enfin polonaise à l'origine
10:36 mais juive allemande, après guerre, allait aimer retourner à Berlin parce qu'elle se
10:40 sentait de là-bas, parce que sa langue, on ne la regardait pas comme une étrangère
10:44 comme ici à Paris.
10:45 Elle était heureuse de pouvoir parler allemand sans accent.
10:48 - Oui, oui.
10:49 Je ne comprenais pas au début.
10:51 Je me suis demandé pourquoi, après ce que j'avais vécu, c'était une dizaine d'années
10:57 plus tard, pourquoi elle est là-bas et puis elle ramenait des petits pains d'épices,
11:04 des choses...
11:05 Il a fallu que je sois presque grand-père pour le comprendre.
11:10 C'est qu'elle arrivait là et personne ne la prenait pour une étrangère.
11:15 Alors qu'en France, elle allait acheter du pain ou n'importe quoi, chez Charcutier ou
11:20 chez le boulanger, avec son accent, elle était désignée.
11:24 Et ça, elle l'a vécu jusqu'à la fin.
11:26 - Vous parlez aussi de vos morts, de vos absents.
11:30 Pierre Dumayet, bien sûr, votre ami, puisque ce livre est une lettre à lui.
11:33 Et à un moment, d'ailleurs, vous lui dites "je te raconterai, je te raconte avec ce livre
11:39 la mort de ma femme, Hélène".
11:41 C'est l'autre absente du livre, votre femme qui est morte en 2021.
11:45 Vous citez beaucoup Delphine Horvilleur vivre avec nos morts, le livre qu'elle a écrit.
11:50 Elle vous inspire.
11:51 Comment on vit avec ces morts ? On leur parle ? Ils vous répondent ? Comment ça se passe
11:57 ?
11:58 - Oui, on a l'image habituelle des gens qui vont au cimetière et qui parlent aux morts
12:05 qui sont là, qui bien évidemment ne nous entendent pas.
12:08 Mais en leur parlant, on se souvient de tout ce qu'ils nous ont dit également.
12:13 Et il y a inévitablement en nous un dialogue qui s'établit.
12:17 Donc voilà, on va au cimetière.
12:21 Encore que lorsqu'on va à Bagneux, on se perçoit que sur les tombes, il y a une liste
12:26 de noms.
12:27 Et ces gens n'ont jamais été là.
12:29 Ils sont morts en cendres, en schwitz.
12:30 Mais il y a les noms.
12:32 Le fait de les nommer, c'est dire qu'un jour, ils ont été.
12:36 - C'est important.
12:38 - En lisant Jean Kelevich, qu'on a entendu tout à l'heure, c'est un personnage…
12:45 Je ne vais pas poursuivre les études, mais j'aurais bien aimé avoir Jean Kelevich
12:51 comme professeur.
12:53 Et comme professeur de philosophie, je sais qu'il fallait réserver sa place quatre
12:57 heures avant ses cours.
12:58 - Oui, ils étaient bondés, ses cours.
13:00 Robert Bobert, vous imaginez aussi dans ce livre votre propre enterrement.
13:03 Ce n'est pas triste, ce n'est pas tragique, c'est doux même, apaisé.
13:06 Vous dites "ce sera en automne, j'aime bien l'automne, il y aura encore quelques
13:10 feuilles aux arbres, il arrivera peut-être qu'on y voit des écureuils roux".
13:14 Et puis le livre se termine par un poème qu'on imagine à votre femme, où vous imaginez
13:19 la retrouver.
13:20 - Oui, de toute façon, je n'en suis pas croyant, je ne crois pas que…
13:29 - Il y a quelque chose après.
13:31 - Il y a quelque chose après.
13:32 Il n'empêche qu'on n'a pas le choix.
13:36 Je n'imagine pas me retrouver ailleurs que là, quand ma vie sera terminée.
13:43 - Vos souvenirs avec Truffaut, vos souvenirs avec Dumayet, vos souvenirs avec Perrec, avec
13:48 Mona Ozouf également, vous les racontez avec l'écrivain Eric Vuillard, vous les
13:52 racontez dans ce livre.
13:53 C'est un livre qui suscite une critique unanime de toute la presse.
13:56 Pour Olivier de Lambertery, dans Elle, vous êtes un conteur merveilleux de la vie des
13:59 autres et de votre propre existence.
14:01 Télérama parle d'un livre singulier et émouvant, Le Point le trouve bouleversant,
14:05 L'Obs affirme que c'est votre livre le plus émouvant et vous compare à un montagne
14:10 caracolant.
14:11 Vous qui racontez avoir longtemps eu du mal à vous dire, écrivain qui avait arrêté
14:17 l'école au certificat d'études, qui avait sans doute ressenti une forme d'imposture,
14:21 est-ce que cette unanimité de la critique vous fait plaisir Robert Bauvert ?
14:24 - Oui, bien évidemment.
14:25 Mais peut-être plus que la critique, ce sont les lettres que je reçois.
14:29 - Et qui vous disent quoi ?
14:31 - Des gens qui ont le sentiment que c'est à eux que je m'adressais et ça c'est formidable.
14:38 Ces lettres me sont très précieuses.
14:40 - Merci infiniment Robert Bauvert d'avoir été avec nous.
14:43 - Merci à vous.
14:44 - Ce livre m'a beaucoup touchée.
14:46 Il y a quand même dans la rue des gens qui passent, c'est chez POL.
14:49 Merci et belle journée.
14:50 - Merci à vous.