Après une carrière d'acteur chez François Ozon ou Abdellatif Kechiche, Salim Kechiouche présente « L’enfant du Paradis », un premier film entre autofiction et hommage à ceux qui luttent contre un passé qui les rattrape. Il est ce matin l'invité de Mathilde Serrell.
Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00 9h50, les nouvelles têtes, Mathilde Serrel. Ce matin, un acteur qui sort son premier
00:04 long métrage comme réalisateur, Salim Keshyouch, est dans notre studio Portrait Sonore.
00:10 Rocky Balboa, c'est son idole. Comme lui, il s'en est d'abord sorti par la boxe pour
00:25 éviter de traîner avec les sales types de son quartier, dans la banlieue lyonnaise.
00:29 Il a fait la première édition de France de kickboxing, deux fois deuxième au championnat
00:32 de France de boxe d'ailes. Un jour qu'il monte dans un bus, sa vie va changer.
00:36 Repéré par Gaël Morel, un acteur passé à la réalisation, il tourne dans son premier
00:45 film et démarre sa carrière. Les portes du succès s'entrouvrent. Le voilà devant
00:50 la caméra de François Ouzon.
00:51 Elle a posé sa main sur mon visage, là, sur les cheveux. Elle est descendue sur le
00:56 cou, puis sur tout mon torse. Elle est descendue un peu plus. Et là, c'est genre, espèce
01:02 de chipé. C'est son mec que tu aurais dû taper.
01:08 Jansé, à l'avant-garde d'un cinéma qui lui propose autre chose que des personnages
01:12 de taulards, de dealers ou de terroristes, il poursuit son métier d'acteur. Mais tous
01:17 les rôles ne sont pas si émancipés. Le succès se fait désirer. Retour à la cité,
01:23 avant une deuxième rencontre décisive.
01:24 Et vous faites quoi ?
01:26 Moi, je gère des affaires.
01:27 Tu gères des affaires ?
01:28 Enfin, des restaurants.
01:29 Ah d'accord, parce que tu gères des affaires, ça me trouve bizarre.
01:32 Non, non, deux restaurants ici et deux autres en Tunisie.
01:35 Ah bon ?
01:36 Ouais.
01:37 C'est pas vrai. Où ça, en Tunisie ?
01:38 A Mamet.
01:39 C'est lui, Tony, le cousin qui roule des mécaniques dans le premier volet de "Mec to
01:45 my love" d'Abdelatif Kéchiche. Aujourd'hui, il assume à son tour de prendre la caméra
01:49 avec "L'enfant du paradis". Premier film entre autofiction et hommage à ceux qui
01:54 luttent contre un passé qui tente toujours de les rattraper par le col.
01:58 Salim Kéchiche, bonjour.
01:59 Bonjour. Merci pour ce magnifique portrait.
02:02 Vous êtes reconnu, vous signez en bas de la biographie.
02:05 Oui, ça va.
02:06 C'est votre premier long métrage, présenté à la rentrée au Festival de Films Francophones
02:10 d'Angoulême. Et c'est d'une modernité, d'une finesse absolue. Je ne veux pas le
02:14 dire comme ça, mais on est loin de Rocky, quand même, dans l'influence.
02:17 Ah, mais on est loin de Rocky. Et en même temps, on est dans la tradition du film indépendant
02:20 américain, avec un anti-héros qui ne finit pas forcément bien à la fin.
02:25 C'est ça, moi, j'y ai vu l'impasse, en fait, avec "Al Pacino", qui est un magnifique
02:30 film, avec cette histoire de mafieux qui voudrait ne pas retomber à sa sortie de prison, dans
02:35 le cercle infernal de la malavita, mais qui va y retourner malgré tout. Et cet "Enfant
02:41 du paradis", c'est un peu ce qui lui arrive. Il a eu une mauvaise vie, qu'il continue
02:46 à payer, quand bien même il essaye de s'en écrire une autre.
02:48 Exactement, et c'est très juste, parce que c'était une de mes inspirations, dans
02:51 l'écriture, Carlito's Way.
02:53 C'est un de mes films préférés de Palma, avec un des plus beaux rôles d'Al Pacino.
03:01 Donc, ça a été une inspiration. Après, ça se passe dans le milieu du cinéma, et
03:05 c'est effectivement un jeune homme qui essaye d'échapper à son passé, à ses vieux démons,
03:10 par lesquels il est rattrapé, finalement.
03:12 "L'enfant du paradis", c'est un titre qui a beaucoup de signification pour vous.
03:15 Vous nous en donnez au moins deux ?
03:17 Au moins deux.
03:18 La première, en fait, c'est dédié à mon meilleur ami qui est parti trop tôt, qui
03:23 était un jeune acteur prometteur.
03:24 Son film préféré, c'était "Les enfants du paradis", de Carnet.
03:29 Donc déjà, c'était la première base.
03:31 Ensuite, en faisant des recherches, je me suis rendu compte que le paradis, c'était
03:35 l'endroit du théâtre où les gens modestes n'aient pas assez d'argent.
03:38 C'est les places pas chères.
03:39 Voilà, les places pas chères.
03:40 Et comme je parle d'un acteur qui vient d'un milieu modeste et qui essaye d'y arriver
03:44 dans le milieu du cinéma, je trouvais que ça avait un sens.
03:47 Et voilà au moins deux significations.
03:49 On écoute un extrait.
03:50 Hier soir, à deux heures du mat, j'allume mon écran, qu'est-ce que je vois ?
03:53 On te voit toi.
03:54 Et qui revient cinq ans plus tard, en train de t'enculer.
03:58 Mais alors, c'est un rôle.
03:59 Mais alors, ça c'est un rôle.
04:00 T'es comme moi, t'es en train de te faire enculer normal et lui, il kiffe ça.
04:03 Mais c'est la vérité, il y a 20 couissons.
04:04 Si c'est crédible, tant mieux, non ? Tu as cru ?
04:07 On est au début de "L'enfant du paradis".
04:09 Vous jouez dans votre propre rôle, à la fois pour des raisons économiques, dites-vous,
04:13 parce que pour se payer un acteur pour un premier film, c'est pas évident.
04:18 Vous jouez bien aussi.
04:19 Et puis c'est votre histoire.
04:20 Parce que le dialogue qu'on entend là, c'est ce qui vous est arrivé quand vous êtes revenu
04:24 à "Voix en volant".
04:25 On ne comprend pas les films dans lesquels vous tournez.
04:27 Non, c'est un peu mon histoire.
04:29 En fait, il y a quand même de la fiction, parce que ce n'est pas totalement une autobiographie.
04:33 C'est une autofiction ?
04:34 Voilà, c'est une autofiction.
04:36 Le point de départ, c'est comme je disais tout à l'heure, l'accident de cette amie
04:39 qui est partie trop tôt, qui m'a donné l'impulsion d'écriture de ce film.
04:42 Et ensuite, j'ai mélangé à ma propre vie, puisque j'ai mis des images d'archives.
04:45 Oui, de caméscopes, de fêtes de famille.
04:48 Et comme on avait tous les deux perdu notre mère avec cette amie, du coup j'ai pu faire
04:51 le parallèle avec cette perte d'un être cher qui reste une blessure qui ne se referme pas.
04:56 Votre mère qui est morte dans vos bras quand vous aviez 14 ans.
04:58 Exactement.
04:59 Et qui est présente dans le film, dans les images, à travers le caméscope.
05:03 Il y a cette origine familiale qui va revenir un peu se tresser comme ça au fur et à mesure du film.
05:11 Vous contournez un peu le sujet de la guerre d'Algérie, vous n'osez pas y aller.
05:15 Mais en même temps, c'est présent un peu à table dans les discussions.
05:18 Vous avez lu récemment "L'art de perdre" d'Alice Zeneter.
05:22 Comment est-ce que vous portez cette histoire en tant que deuxième génération ?
05:27 Justement, c'est un peu comme ces images d'archives.
05:30 C'est assez flou en fait, on n'en parle pas trop dans la famille.
05:33 Donc il faut aller un peu chercher les informations par soi-même.
05:37 Je ne parle pas de la guerre d'Algérie, mais c'est quand même assez présent dans la famille de ma compagne.
05:44 Dans le film qui s'appelle "Garence", qui est un hommage aussi aux enfants du paradis.
05:47 Et donc ça vient comme ça, un peu en filigrane par souvenirs et par bribes de dialogue.
05:52 Mais c'est vraiment un sujet qui me tient à cœur.
05:55 Et c'est pour ça que ce livre m'a vachement plu, "L'art de perdre".
05:58 Parce qu'il raconte sur plusieurs générations comment on se transmet justement ce poids de l'histoire.
06:03 Et ce poids du silence.
06:04 Exactement.
06:05 Et je vous ai parlé aussi d'un autre livre qui s'appelle "A quoi rêver loup" de Yasmina Kadra.
06:10 Que je suis en train d'essayer d'adapter au cinéma.
06:12 Et pour comprendre ce qui découle de ces traumatismes du passé.
06:16 En fait, l'histoire se répète mais n'est jamais la même.
06:18 Et je me dis que les années 90 en Algérie, ça a été une répercussion de la guerre d'Algérie, de la colonisation, etc.
06:25 Donc j'essaie de comprendre un peu tout ça, parce que ça m'intéresse.
06:28 Ça vous intéresse et ça vient se poser, on va dire, délicatement à la surface du film.
06:33 Aussi avec une modernité folle que je trouve qui est la présence de couples mixtes partout à l'écran.
06:39 On ne voit pas assez de couples mixtes au cinéma français.
06:42 C'est vrai.
06:43 Et non, non, mais ça me tenait à cœur de parler d'humanisme.
06:46 Et ça sort maintenant et avec tout ce qui se passe en ce moment.
06:48 On essaye beaucoup de nous diviser, de jouer sur nos différences.
06:52 Et dans le film, je voulais montrer qu'on a plein de choses qui nous relient.
06:57 Dans notre histoire, dans notre humanité.
07:00 Et je ne l'ai pas forcément fait exprès, mais c'est vrai que les parents de Garant sont un couple mixte.
07:05 Je suis moi-même dans un couple mixte, ma sœur est dans un couple mixte.
07:08 Et au final, je me rends compte qu'il y a beaucoup de couples comme ça, mixtes, pour me répéter.
07:15 Et la représentation de ces couples, c'est une modernité aussi au cinéma, parce qu'on les voit finalement peu.
07:20 Là, c'est la normalité.
07:21 Chaque couple est mixte.
07:22 Dans ce film, vous êtes vous-même, Yazid, le héros.
07:26 Le temps s'est écoulé très vite.
07:30 Je vous conseille d'écouter « L'amour et la guerre » qui est votre chanson d'Aznavour,
07:33 que vous écoutez en boucle en ce moment pour démarrer votre journée.
07:36 L'enfant du paradis, ce sera en salle ce mercredi, votre premier long métrage.
07:39 Bonne route à vous !
07:40 Et je voulais dire une dernière chose, ce soir, on fait une avant-première à l'espace Saint-Michel.
07:44 Vous êtes les bienvenus !
07:46 A Paris !
07:47 Merci beaucoup !