SMART JOB - Les cadres en manque de confiance ?

  • l’année dernière
Selon une étude de l’EM Normandie, plus de la moitié des cadres français ne se considèrent pas comme des “talents” que les entreprises devraient courtiser. Et à leurs yeux, leur diplôme aurait plus d’impact sur la carrière que les performances et compétences en poste… Explications avec le professeur en RH Jean Pralong.

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00:00 [Musique]
00:11 Fenêtre sur l'emploi pour parler des cadres.
00:15 Alors c'est un sujet assez intéressant, l'étude menée par Jean Prallon que je salue.
00:20 Je suis très heureux de vous retrouver, professeur en ressources humaines à l'EM Normandie,
00:24 avec une étude sur la manière dont les cadres se perçoivent et dans leur relation au talent.
00:30 Alors c'est un peu subjectif.
00:32 D'abord pourquoi avoir voulu traiter ce sujet ?
00:35 Parce que ça renvoie quand même à une forme non pas de népotisme,
00:38 mais à une sorte de caste qui s'installe si tu n'as pas fait HEC, globalement tu n'es rien quoi.
00:42 Alors il y a un vieil intérêt de ma part pour le talent,
00:45 parce que c'est un vieux concept qu'il a de McKinsey, donc ça valait le coup d'en reparler un petit peu.
00:49 Et puis concrètement ces jours-ci, on sort d'une séquence recrutement qui a occupé tout le monde,
00:54 on a recruté autant que possible après la sortie du confinement,
00:57 et on rentre dans une séquence gestion des talents.
00:59 On arrête de recruter, on va gérer les gens qu'on a recrutés.
01:01 - Gestion des talents d'ailleurs.
01:02 - Voilà, évidemment, gestion des talents.
01:03 Donc le débat qui se pose aujourd'hui c'est qu'est-ce que ça veut dire ce truc-là ?
01:06 - 56% des cadres en France, donc on va dire une majorité, ça c'est votre étude,
01:11 voient le talent comme non évolutif.
01:15 Ça c'est totalement incroyable.
01:16 De 1 à 10, est-ce qu'on doit s'inquiéter de cette perception d'eux-mêmes ?
01:21 Globalement, il n'y a pas de progression quoi.
01:24 - Alors surtout ce n'est pas leur perception d'eux-mêmes.
01:26 Du coup le talent c'est quelqu'un d'autre, ce n'est pas eux.
01:28 Dans l'imaginaire de ces cadres, donc des cadres en général,
01:32 le talent ça concerne une minorité de cadres triés sur le volet,
01:36 qu'on repère par leur très beau diplôme, par leur jeunesse,
01:39 par le fait que c'est aussi des jeunes et des hommes.
01:41 Et donc cette petite élite, pour la plupart des cadres,
01:44 elle est très belle, elle est très intéressante, mais c'est surtout pas eux.
01:47 Et donc le risque c'est de se désengager de programmes qui pourtant seraient faits pour eux,
01:51 et puis de se sentir déclassé parce qu'on a parfois été très bien diplômé,
01:55 très jeune, très brillant, on est de moins en moins jeune avec le temps,
01:58 donc on perd son statut de talent.
02:00 - Mais ça veut dire que, vous dites, il y a une sorte de petite caste.
02:03 Je mets de côté les énarques puisque je pense que c'est plutôt les grandes écoles de commerce.
02:08 Je veux dire, ceux-là sont protégés ou ceux-là sont aussi victimes finalement d'une forme de déclassement ?
02:13 - Alors au départ, évidemment, ils s'identifient à ce terme de talent,
02:16 et ils sont là pour ça, ils ont ramé pour être là, donc au fond c'est un peu normal.
02:20 Donc ils ont fait toutes les études qu'il faut pour arriver à ce niveau d'élite,
02:24 ils rentrent dans l'entreprise avec ce potentiel,
02:26 et le diplôme est un signal de potentiel, c'est comme ça que c'est vu pour les entreprises.
02:30 Et puis le temps passe.
02:30 Alors le temps passe, on peut effectivement être aspiré vers le haut,
02:34 et confirmer son potentiel, et puis arriver parmi les dirigeants,
02:37 et puis on peut ne pas faire ça.
02:38 Et donc on peut passer du temps à évoluer plus lentement,
02:42 et progressivement sortir de la catégorie des gens qui auraient eu ce fameux talent.
02:46 - 55,95% c'est très précis, selon votre étude,
02:52 c'est la proportion des cadres qui voient le talent comme une ressource rare et non évolutive.
02:56 On en revient à ce débat.
02:58 Alors la ressource rare, ça j'entends,
03:00 mais encore une fois, je perçois mal la notion de non évolutive.
03:03 - Si, parce que c'est un don.
03:05 - Donc c'est la main de Dieu qui vous a choisi quoi.
03:08 - Exactement. Quand McKinsey a trouvé ce terme de talent, le coup de génie,
03:11 c'était de le prendre dans le monde de l'art.
03:12 Qu'est-ce que c'est que le talent de l'artiste, Picasso, etc.
03:15 Ce sont des gens qui, effectivement, un peu par Dieu,
03:17 ont été touchés par ce don incroyable qui fait qu'ils savent peindre, dessiner, écrire, faire de la musique.
03:23 Donc le talent de l'artiste, au fond, il est perçu comme étant inné.
03:26 Donc le talent du cadre, il serait lui aussi inné.
03:28 Et donc on le révèle, on le mesure par un très beau diplôme, que tout le monde n'a pas,
03:33 on le confirme par ce diplôme,
03:35 mais en réalité ce serait inné et ce ne serait pas développable.
03:37 Et c'est un sacré problème.
03:38 - Et c'est un énorme problème dans le recrutement,
03:40 puisqu'on entend sur ce plateau des recruteurs, des entreprises, des décideurs,
03:43 qui disent "mais nous on voudrait recruter autrement".
03:46 Ça veut dire faire un pas de côté et pas aller chercher HEC ou l'ESSEC,
03:49 qui au demeurant sont de très belles formations,
03:51 mais aller chercher ailleurs.
03:52 Mais en fait, ils se sont empêchés de faire ça.
03:54 - Alors pendant très longtemps, les entreprises ont pensé que finalement,
03:57 l'éducation nationale et le système éducatif leur servaient de repérage potentiel.
04:01 Si quelqu'un a fait HEC, il est forcément très bon.
04:04 Ça ne veut pas dire que les autres ne le sont pas,
04:05 mais celui-là on est sûr qu'il est bon.
04:06 Donc c'était pratique.
04:07 - Gage de qualité.
04:08 - Voilà. Aujourd'hui, ça reste un peu vrai,
04:11 mais il reste à développer ou à trouver d'autres ressources,
04:14 puisque l'entreprise doit se faire quand même avec des métiers nouveaux,
04:17 avec des compétences nouvelles.
04:18 Et donc, il faut révéler progressivement des compétences,
04:21 la capacité à agir dans le réel,
04:23 plutôt que des potentiels qui ne sont que des potentiels.
04:25 - Donc cet effet d'entonnoir lié au diplôme, puisque je vous entends,
04:28 est limitant dans une stratégie de développement et de recrutement,
04:32 c'est ce que vous dites.
04:33 - On sait bien quand même que les meilleures carrières
04:35 peuvent commencer par un très beau diplôme,
04:36 c'est pour ça qu'on va le chercher en général,
04:38 mais que ça ne suffit pas.
04:39 Donc le débat après, c'est comment on développe
04:41 des compétences chez les collaborateurs
04:43 et comment on sort finalement de l'ambiguïté du talent,
04:45 parce que c'est un peu ce que dit l'étude.
04:46 Ce terme est très ambigü, il a eu du succès par son ambiguïté,
04:50 tout le monde a pu essayer de s'y projeter ou non,
04:52 sauf qu'aujourd'hui, ça ne suffit pas.
04:53 Ça engage une micro-population qui s'y retrouve,
04:56 ça désengage le reste de la population des cadres,
04:59 et donc là, il y a un sujet à travailler autour de la compétence.
05:01 - Et on fera peut-être un jour une étude avec vous,
05:03 ou une chronique sur le mot "talent",
05:05 qui est souvent utilisé un peu tout le temps,
05:08 et ça l'affadit peut-être ce mot "talent".
05:11 Merci Jean Prallon, étude à découvrir, j'imagine,
05:13 sur le site de l'EM Normandie.
05:16 C'est une étude vraiment très intéressante,
05:18 l'EM Normandie, vous êtes professeur en ressources humaines.
05:20 Merci Jean de nous avoir accompagnés pour terminer cette émission.
05:23 C'est terminé, merci à vous, merci de votre fidélité évidemment,
05:26 merci à toute l'équipe, merci à Alice Pitavie pour la réalisation,
05:29 merci à Saïd pour le son,
05:32 et merci à l'équipe de programmation Nicolas Juchat,
05:34 que je ne veux pas oublier, et Alexis bien entendu.
05:37 Merci à vous, merci pour vos réactions,
05:38 et puis je serai là très très bientôt.
05:41 Bye bye.
05:43 [Musique]

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