[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] Silvano B., jeune Italien venu de Toscane, décide d’aller vivre sa vie en Australie. Dans son nouveau pays, tout lui sourit, il gagne de l’argent et rencontre une femme avec laquelle il compte se marier, Louisa. Quelque temps plus tard, Silvano B. est porté disparu. A l’époque, on pense même qu’il est probablement mort mais son corps est introuvable. Son frère, Pietro, décide de mener l’enquête. Mais ses recherches pour lever le secret sur la mort de son frère ne sont pas sans risques. Pietro est retrouvé assassiné ! Leur père, âgé de 66 ans, décide alors à son tour d’entreprendre des recherches. Pour ce faire, lui qui n’a jamais quitté l’Italie, se rend sur place, en Australie, où il s’y déplace avec sa bicyclette. Pour lui, Louisa est la clé de cette affaire. Est-elle responsable de ces meurtres ? Sait-elle quelque chose sur les assassinats des deux frères ? Lorsque le père de famille frappe à sa porte, la jeune femme est affolée. Dans cette maison, Louisa n’est pas seule, un bambin est à ses côtés. Est-ce le fils de Silvano B. ? Pourquoi Louisa est-elle si effrayée ? Dans cette maison, le vieil homme ne semble pas en sécurité… Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast “Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare”, issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
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00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:09 Le dossier que nous ouvrons aujourd'hui pourrait servir de scénario un film pour Jean Gabin.
00:16 Un Jean Gabin en vieux paysan toscan qui s'appellerait Giuseppe Battistini et qui aurait
00:26 eu deux fils. Le fils aîné s'appelait Silvano. C'était un garçon sec, robuste, au visage
00:35 ceux et simple. En 1952 il en eut assez de l'existence terne et dure dans les collines.
00:42 Il embrassa son père et sa mère et s'embarqua pour l'Australie. Si j'ai de la chance je vous
00:49 appellerai sinon je vous enverrai ce que je pourrais de temps en temps. Il faut que je fasse
00:55 ma vie et que je pense aussi à mon petit frère Pietro. Quatre ans plus tard Silvano donne de
01:02 bonnes nouvelles. Il gagne bien sa vie comme chauffeur de camion et il a rencontré une fille
01:08 Louisa des Jauneaux et il va peut-être l'épouser. Hélas une autre lettre sèche et officielle celle-là
01:18 parvient peu après au village. Elle annonce que Silvano a disparu. Sans doute est-il mort.
01:24 Un mystère entoure sa fin. Le dossier de ce que l'on appellera l'affaire Jauneau-Battistini est
01:33 ouvert. Il est ouvert mais bien maigre. Le corps de Silvano n'a jamais été retrouvé. Louisa des
01:40 Jauneaux ne peut donner aucun renseignement. En Toscane le vieux père Giuseppe et le jeune
01:47 frère discutent interminablement. L'un et l'autre sentent que derrière les communiqués laconiques
01:52 de l'ambassade et de la police internationale il y a une sombre histoire. Ils pensent que leur devoir
01:57 est de la découvrir. Alors Pietro, le jeune frère, trouve à s'embaucher là-bas et part à son tour.
02:04 Il entre dans la communauté fermée et hostile des Italiens de la petite ville australienne où son
02:10 frère s'était fixé. Il prend contact prudemment avec les parents de Louisa des Jauneaux, les amis
02:16 et les camarades de Silvano. Mais son histoire s'achève tragiquement. On découvre un jour son
02:24 cadavre dans le port de Macdonald. C'est là que le dossier de l'affaire Jauneau-Battistini va
02:32 mériter d'être choisi par Jacques Antoine pour figurer parmi les dossiers extraordinaires de la
02:36 police. Mais pour une raison tout à fait inattendue. C'est que ce dossier une fois ouvert, ce n'est pas
02:43 la police qui va le refermer mais le vieux père Giuseppe Battistini et vous allez le voir de quelle
02:50 manière. Donc chers amis les deux fils Battistini sont morts en Australie. Le premier alors qu'il
03:15 tentait avec succès d'y faire sa vie. Le second alors qu'il cherchait à connaître le secret
03:20 de la disparition du premier. Bien sûr l'ambassade d'Italie en Australie stimulée par le vieux
03:25 Battistini harcèle la police australienne mais les indices sont maigres. En ce qui concerne le
03:30 premier fils Silvano, elle retrouve bien entendu la plupart des gens qu'il a connus notamment les
03:36 membres de la petite colonie italienne de Macdonald mais se heurte à une véritable conspiration du
03:42 silence. Le corps de Silvano ne sera jamais découvert et au début de l'affaire sa mort n'est
03:48 qu'une supposition. On a découvert un matin sa voiture près d'une plage. La clé de contact y
03:55 était encore. Dans la boîte à gants un paquet de cigarettes entamé, les papiers de la voiture et
03:58 des bricoles sans intérêt. Sur le siège arrière son imperméable. Impossible d'imaginer qu'il se
04:04 soit noyé en se baignant ou qu'il ait été surpris par la marée car il faisait trop froid pour se
04:09 baigner et il est fort douteux qu'il se soit promené sur la plage sans son imperméable car
04:13 il pleuvait. Par contre il se pourrait qu'il ait emmené une autre personne avec lui et peut-être
04:18 une femme car on a trouvé des cendres qui ne provenaient pas des cigarettes de Silvano et un
04:22 mégot tout près de la voiture qui portait des traces de rouge à lèvres. Enfin il semble bien
04:27 qu'une voiture se soit arrêtée quelques temps derrière la voiture de Silvano. On aurait sans
04:32 doute pu en apprendre beaucoup plus si la pluie et les badauds qui ont rôdé autour de la voiture
04:36 avant l'arrivée de la police n'avaient pas complètement brouillé les traces des pas dans
04:40 le sable. En ce qui concerne la mort tragique de Pietro elle est à la fois beaucoup plus claire
04:45 bien que tout aussi mystérieuse. Le corps a été découvert par hasard, une dragueuse suceuse qui
04:52 aspirait la vase dans le port a révélé sa présence. Il était ficelé comme un saucisson et alourdi de
04:58 deux grosses pierres. L'autopsie a révélé qu'il avait été tué de plusieurs coups de couteau avant
05:03 d'être immergé. L'assassinat était très récent et on a même pu déterminer le type d'armes dont
05:09 s'étaient servis les meurtriers car il semblerait bien qu'il y ait eu au moins deux assassins d'après
05:14 la direction et la hauteur des coups qui lui ont été portés. Il s'agit de la main, c'est longue,
05:19 probablement de ces couteaux à crans d'arrêt à la mode sicilienne. Mais je vous l'ai dit il y a
05:26 un McDonald, une petite colonie italienne et beaucoup d'autres italiens dans toute la région.
05:29 Est-ce par solidarité, est-ce par peur ? Peut-être pour les deux raisons à la fois. Personne ne parle
05:36 et bien que la police australienne dispose d'un moyen de contrainte assez puissant, le non
05:40 renouvellement des permis de travail, l'enquête piétine. On propose au vieux père Giuseppe
05:46 Battistini de rapatrier le corps de Pietro, son plus jeune fils. Il refuse. Le rapatriement se
05:52 ferait à ses frais et le vieux Battistini a besoin d'argent. C'est qu'en effet, tout en pleurant ces
05:58 deux fils disparus, pesant un à un les maigres résultats de l'enquête que lui communique l'ambassade,
06:02 le vieux Giuseppe passe ses longues soirées d'hiver dans sa ferme misérable à préparer
06:08 minutieusement une expédition en Australie. Vous allez voir chers amis que c'est une étonnante
06:15 histoire. Imaginez ce vieillard de 66 ans, grand, massif, noué, toujours silencieux au visage dur.
06:22 Je vous le redis en voyant sa photo on pense à Jean Gabin. Ce sera son premier voyage non seulement
06:27 à l'étranger mais même en dehors de sa province où les douze collines sont couronnées de bosquets
06:32 de cyprès. Il a déjà renoncé aux cigares toscans, redoutables et odorants, luxe des pauvres. Il a
06:39 écourté les séances dans l'auberge du village. Je ne mangerai pas s'il le faut pour ramasser
06:44 l'argent dont j'ai besoin. Je chercherai un bateau, je travaillerai à bord s'il le faut mais j'irai.
06:49 Je veux voir en face les gens qui étaient autour de mes fils. Je découvrirai leurs assassins.
06:55 Une vieille femme toute ridée écoute craintivement ses paroles. C'est l'épouse du vieux Giuseppe
07:04 Battistini. Il ne connaît pas le fin fond de l'histoire mais il sait que désormais son devoir
07:12 est net puisque les deux garçons sont morts il faut qu'ils prennent la relève. Qu'il tourne le
07:18 dos à la maison de toujours au milieu des cyprès, qu'il s'embarque vers le continent inconnu et
07:25 qu'il aille lui découvrir la vérité s'il le faut, venger son sang. Déjà curieusement rassemblés
07:33 dans un coin de la pièce, trois éléments que le vieux semble considérer comme indispensables pour
07:39 cette expédition. Une bicyclette, une paire de bottes vieux souvenir volé à l'armée allemande
07:49 et un mystérieux petit paquet soigneusement enveloppé dans du papier sombre.
07:54 Au printemps 1958, à la nuit tombante, paraît donc sur la route qui traverse la plaine en
08:12 direction d'un faubourg de McDonald's en Australie un vieillard à bicyclette.
08:18 Un pareil équipage est plutôt exceptionnel dans ce pays et il fait se retourner les rares gens
08:24 qu'il croise. Cet homme bien entendu c'est Battistini. Sur le porte-bagages de sa bicyclette
08:33 une grosse valise indique qu'il vient de fort loin et son équipement est des plus singuliers avec son
08:38 béret délavé, son blouson usé, son pantalon gris rayé comme on porte au mariage et ses bottes
08:46 allemandes. Méticuleusement il appuie sa bicyclette contre le premier mur. Il entre dans la première
08:54 maison pour en ressortir presque aussitôt et demande en italien aux gens qu'il regarde comme
08:58 une bête curieuse "Luisa de Jono". Où est Luisa de Jono ? Giuseppe n'est pas arrivé là par hasard.
09:06 Il a soigneusement épluché les rapports de police et il est convaincu que Luisa de Jono,
09:11 dont Silvano lui avait parlé dans ses lettres en termes chaleureux, est la cheville de toute l'affaire.
09:18 D'ailleurs la police australienne l'a pensé aussi et si elle a apparemment abandonné cette piste,
09:23 faute de preuve, elle n'en continue pas moins à exercer sur Luisa et ses proches une surveillance
09:29 discrète. On peut être à la fois un rustique vieillard et un homme intelligent. Giuseppe,
09:37 pour ne pas attirer l'attention à son arrivée sur la terre australienne, a déclaré venir en
09:42 touriste pour un mois seulement et depuis il a pris grand soin d'éviter d'entrer en contact
09:48 avec la police de la région. "Luisa de Jono, où est Luisa de Jono ?" répète le vieux Giuseppe.
09:56 Dans ce faubourg tout le monde ou presque est italien donc tout le monde a compris mais les
10:04 gens se détournent au lieu de lui répondre. On voit même un jeune homme s'éloigner discrètement,
10:08 disparaître dans l'ombre en courant vers la maison du vieux et farouche de Jono, de Jono aîné,
10:14 frère de cette Luisa que cherche le vieillard. De porte en porte, Giuseppe Battistini, fatigué,
10:22 misérable, son vélo à la main, cherche la maison de Luisa car elle a déménagé. Mais à chaque porte
10:30 c'est un visage fermé, un dos qui se tourne. Autant avoir commerce avec un spectre plutôt
10:37 qu'avec cet homme là. Enfin lorsque la nuit tombe, le vieillard pense avoir trouvé la maison de Luisa.
10:46 Il frappe à la porte et attend. Luisa semble habiter l'unique étage de cette maison isolée,
10:53 entretenue dans un état de propreté rigoureuse. Il a parcouru 20 000 km, traversé en bicyclette un
11:04 quart de l'Australie, il a rusé avec tous les douaniers pour passer son mystérieux petit paquet
11:09 enveloppé de papier sombre, tout ceci pour enfin frapper à cette porte. Luisa, surprise d'une
11:19 visite aussi tardive, demande avant d'ouvrir "Qui est là?" "C'est le père de Silvano." Il y a un long
11:27 silence. Giuseppe frappe encore. "Alors?" "Tremblante sans doute." Luisa tourne la poignée de la porte.
11:38 Mais pendant ce temps à la sortie de la ville, De Jono est né, le plus vieux des frères de Jono,
11:46 propriétaire d'un grand bazar, fait débarrasser la table, sortir sa vieille et l'un de ses vendeurs
11:52 qui demeure chez lui, puis il décroche le téléphone. Dans un appartement de McDonald's,
11:57 à 40 km de là, le plus jeune des frères de Jono se lève du fauteuil où il écoutait la radio pour
12:02 répondre au téléphone. Après avoir entendu quelques mots seulement, il salue sa femme et
12:07 s'en va. De Jono, aîné, raccroche aussi. Il est arrivé en Australie bien avant la guerre,
12:13 il a fait venir successivement ses deux frères et sa jeune soeur Luisa. Celle-ci, qui est arrivée
12:19 en 1952, presque en même temps que Silvano, ne s'est pas encore assimilée. Malgré le tablier
12:25 à fleurs, elle est encore une paysanne italienne pauvre et digne. D'ailleurs, elle parle trop mal
12:29 l'anglais pour tenir la caisse du bazar de son frère aîné. Elle a 34 ans et sans être vraiment
12:34 jolie, elle est encore fraîche et brune, sans un cheveu gris. Le vieux Giuseppe et la jeune femme
12:40 sont restés quelques instants face à face, puis il est entré dans la maison. Ils n'ont rien osé se
12:46 dire tout d'abord. Le premier mot vient de Luisa qui offre une chaise et du café. Pendant ce temps,
12:53 de Jono aîné attend ses frères, les sourcils français bourrant lentement sa pipe, ramassant
12:59 de ses gros doigts les brins de tabac qui tombent sur la table, levant le nez vers la fenêtre chaque
13:03 fois qu'une voiture approche sur la route. Dans la maison de Luisa, le vieux Giuseppe a regardé
13:10 autour de lui. Un enfant vit dans cette maison, qui peut avoir cinq ou six ans, si l'on en croit
13:17 quelques jouets qui traînent et quelques vêtements qui sèchent. « Vous avez aimé mon fils ? » demande
13:25 le vieux. Comme la jeune femme hésite à répondre, il répète. « Répondez-moi. » « Je suis sûr que
13:33 vous l'avez aimé. » Luisa parle presque terrorisée à qui est-ce d'un signe de tête. « Est-ce que
13:42 vous l'aimez encore ? » Luisa répond encore affirmativement d'un signe de tête. Le vieux
13:50 regarde autour de lui encore une fois. « C'est votre enfant ? » demande-t-il en montrant les
13:55 vêtements qui sèchent. « Oui. » répond Luisa. « Fille ou garçon ? » « Garçon. » En vérité,
14:04 tout cela le vieux Giuseppe le sait par les rapports de police, de même qu'il sait que
14:08 l'enfant serait né d'un père également italien, maçon à MacDonald en 1952, aujourd'hui établi à
14:14 Sydney. Mais il a vu l'homme. Et bien que celui-ci ait confirmé les faits, Giuseppe n'a pas été
14:20 convaincu. Voilà pourquoi il a préféré poser les questions lui-même à Luisa. Il voulait savoir
14:25 comment elle répondrait. « Je peux voir l'enfant ? » Luisa esquisse un geste comme si elle voulait
14:33 barrer la porte de la chambre. Mais Giuseppe s'approche, décidez à l'écarter. Elle renonce
14:41 avec un soupir de résignation. Le vieux entre donc dans la chambre. Mais pendant ce temps,
14:50 une voiture à toute vitesse saute sur les cailloux et fait siffler ses pneus dans les ornières durcies
14:55 sur la petite route qui vient de MacDonald. Le vieux Giuseppe s'est penché sur le lit du
15:00 petit garçon. Il le regarde longuement et murmure. « Silvano. » Quand il se redresse pour regarder
15:12 Luisa, son visage est encore plus sombre et plus dur. « C'est son fils, n'est-ce pas ? » Luisa
15:22 fait de la tête des signes de dénégation. Mais Giuseppe devine en elle plus que de l'inquiétude,
15:26 presque de l'affolement. Alors il insiste. « Si, c'est son fils. Je le reconnais bien. Non,
15:34 non, je vous assure. » « Pourquoi Silvano ne vous a pas épousé ? » Il est parti.
15:42 « Une autre femme ? » « Oui. » Alors le vieux s'assoit pesamment sur une chaise. Il a tout
15:54 compris. Luisa, debout devant lui, sautait quelques secondes puis demande. « On vous a vu entrer ici ?
16:02 » « Oui. » « Alors il faut partir. » Le vieux têtu fait « Non » de la tête. « Si, il faut partir,
16:13 je vous en supplie, partez. Il n'y a plus rien à faire, partez. Vous ne pouvez plus rien changer,
16:18 alors partez ! » Pendant ce temps dans la rue, où la nuit est maintenant tombée, trois hommes marchent
16:24 vers la maison de Luisa. Ce sont les trois frères de Jono, le plus vieux marche en tête. Le vieux
16:31 Giuseppe Battistini est toujours assis sur sa chaise. « Je vous l'ai dit, il a tout compris. »
16:36 « Oh, ce n'était pas difficile. Son fils s'est mal conduit, c'est sûr. Il a fait un enfant à cette
16:42 Luisa puis il est parti. » Alors les frères de Jono chatouilleux sur le terrain de l'honneur et
16:46 qu'on lui a dépeint comme des hommes farouches, sinon des brutes, l'ont tué. Pour détourner les
16:52 soupçons de la police, ils ont supprimé le mobile de l'assassinat en payant ce maçon italien pour
16:57 qu'il se déclare être le père de l'enfant. Lorsque Pietro est venu en Australie, il a bien fallu le
17:03 tuer aussi lorsqu'il découvrit la vérité. Maintenant, ce devrait être le tour de Giuseppe.
17:07 C'est sans doute pour cela que la pauvre Luisa répète « Je vous en supplie, partez ! » Le vieux
17:15 qui tourne le dos à la porte répond toujours « Non » de la tête. Alors la porte s'ouvre. Les trois
17:24 frères de Jono pénètrent en silence pour la refermer derrière eux. Luisa voit ses frères
17:34 avec des yeux agrandis d'épouvante et sans dire un mot d'un mouvement imperceptible de la tête,
17:38 elle fait comprendre au vieux Giuseppe le danger qui le menace. Puis elle le prend par le bras et
17:44 le force à se lever pour le conduire à la porte. Mais les trois frères de Jono s'interposent.
17:48 Giuseppe Battistini, debout, ne bouge pas. Luisa demande à ses frères de sortir mais ceux-ci se
17:59 sont concertés, ils savaient qu'elle essaierait d'intervenir. Ils pensent que c'est de la faiblesse,
18:03 que ce n'est qu'une femme et qu'il faut agir malgré elle. C'est grâce au compte rendu du
18:10 retentissant procès qui suivit et aux journaux de l'époque que nous avons pu reconstituer les
18:14 éléments de cette affaire. Nous laissons donc aux journalistes la responsabilité du dialogue
18:18 mélodramatique qui selon eux s'instaure entre Luisa, la pauvre femme paisible et digne,
18:24 devenue subitement méconnaissable, écarlate, les yeux durs, la voix sourde et les trois frères de
18:29 Jono. « Laissez-le » dit-elle, « je vous hais ». « Ce sont des chiens » dit le plus jeune des
18:37 frères de Jono. « Et vous êtes des loups » répond Luisa. « On ne peut pas faire autrement » répond
18:42 l'autre jeune frère de Jono. Puis furieux à son tour, de Jono est né intime à Luisa lors de ce
18:48 terre en lui rappelant que c'est le seul droit qui lui reste. C'était le devoir des hommes de venger
18:53 son honneur et maintenant c'est leur devoir de préserver l'avenir de la famille par tous les
18:58 moyens comme c'est son devoir à elle d'élever son enfant. Mais pour que cet enfant justement ne soit
19:04 pas témoin de ce qui va se passer, le vieux fait ouvrir par le plus jeune des trois frères la
19:08 porte de la cave et l'on jette sur les marches le vieux Giuseppe Battistini qui n'a même pas
19:15 esquissé un geste de défense. La porte s'est refermée sur Giuseppe qui se relève faiblement
19:22 dans l'obscurité sur les marches de l'escalier. Au moment où il tombait, il a entendu crier Luisa
19:28 et comprend qu'elle se jetait sur l'un de ses frères. Mais maintenant que la porte s'est
19:32 refermée, il n'entend plus que les éclats confus d'une violente discussion. Sans doute les trois
19:38 hommes essaient-ils de convaincre leur soeur à moins qu'ils ne tiennent une sorte de conseil
19:42 ou qu'ils éloignent l'enfant qui a dû se réveiller. Le vieux descend les marches et va s'asseoir sur
19:50 une caisse. Soudain il entend un bruit étrange. Dans la nuit, sur sa droite il devine un soupirail
19:59 et devant ce soupirail on jette des fagots et des pelletés de terre pour l'obstruer.
20:06 Pour étouffer ses cris sans doute. Aucun doute, ces hommes sont décidés à lui faire payer de sa vie
20:15 le crime de son fils et sa curiosité à lui. Alors le vieux met la main dans une poche intérieure
20:23 et sort le petit paquet de papier sombre. Soudain la lumière s'allume, la clé tourne dans la serrure,
20:33 la porte de la cave s'ouvre en raclant le sol. Le vieux voit d'abord l'ombre de leurs jambes bouger
20:39 sur le mur blanchi à la chaude, puis ses jambes s'agitent, font bientôt un petit ballet sur les
20:45 marches de l'escalier. Enfin, précédant ses deux frères, le vieux de jaune haut apparaît tout
20:51 entier la tête baissée pour passer sous la voûte. Giuseppe Battistini qui recule jusqu'au mur semble
20:57 arracher quelque chose à l'objet sorti du papier sombre qu'on distingue mal dans l'obscurité. Les
21:04 trois hommes sont maintenant groupés au bas des marches. Le vieux de jaune haut s'est figé en
21:09 voyant Battistini, puis il a un geste de recul mais ses frères derrière lui n'ont pas tout de suite
21:15 compris et lui barrent involontairement la route. Quand ils veulent s'enfuir, il est trop tard. Le
21:22 vieux Battistini a lancé sa grenade et comme il l'a tenue en main jusqu'à la dernière seconde elle
21:26 explose dans l'escalier avant d'avoir touché les marches. Lorsque la fumée est dissipée,
21:33 Giuseppe Battistini quitte le fond de la cave,
21:40 passe devant le vieux de jaune haut inerte et monte les marches sans même jeter un regard
21:47 sur les deux frères blessés qui le regardent passer avec des yeux agrandis de stupeur.
21:52 Giuseppe ayant succombé à un cancer pendant sa détention préventive, il n'y aura qu'un procès
22:02 d'assises encore n'aura-t-il pas le retentissement qu'on pouvait en attendre car il manquera les
22:06 deux vedettes, deux jaune hauts aînés étant morts sur les marches de l'escalier de la cave.
22:10 Louisade Jauneh d'abord inquiétée pour complicité et non dénonciation d'assassinat,
22:15 fera l'objet d'un non-lieu grâce aux déclarations que fera Giuseppe avant de
22:19 mourir et au témoignage de ses frères qui permirent d'établir que deux jaune hauts aînés
22:24 avaient exercé sur elle une terrifiante contrainte. Quant aux deux frères de Jauneh,
22:29 après avoir avoué leur participation au crime, ils essayèrent par la suite de se décharger le
22:34 plus possible sur leur aîné mais on saura par eux comment est mort Silvano. Ils réussirent à
22:40 convaincre Louisa de l'emmener auprès de cette plage, là ils le tuèrent et l'emmenèrent dans
22:45 la malle arrière de leur voiture jusqu'à une falaise où ils le jetèrent à la mer. On ne
22:50 retrouva jamais le corps, sans doute les requins se chargèrent-ils de le faire disparaître. Leurs
22:55 avocats n'auront aucune peine à obtenir les circonstances atténuantes en démontrant d'abord
22:59 qu'ils étaient deux êtres faibles complètement dominés par la terrible personnalité de deux
23:05 jaune hauts aînés. Il y eut ensuite des couplets délirants sur le code de l'honneur propre à
23:10 certaines populations de l'Italie du Sud qui constitue en soi une loi très ancienne qu'il
23:15 est difficile pour des gens d'intelligence médiocre de concilier avec nos lois modernes.
23:20 Mais le plus émouvant de cette histoire c'est que Louisa Faschet avec ses frères vit maintenant
23:26 en Italie dans le village même de Giuseppe Battistini car c'est auprès de la vieille
23:33 madame Battistini qu'elle choisit d'élever son fils qui ainsi faute d'avoir un père eut au moins
23:43 une grand-mère.
23:44 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar un podcast issu des archives
24:09 d'Europe 1 et produit par Europe 1 studio. Réalisation et composition musicale Julien
24:16 Tarot. Production Sébastien Guyot. Direction artistique Xavier Joli. Patrimoine sonore
24:23 Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Belmar.
24:29 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1. Écoutez aussi le
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