Avec Samantha de Bendern, chercheuse au Chatham House, un groupe de réflexion britannique sur les relations internationales et Didier Billion, politologue français, spécialiste de la Turquie, du Proche-Orient et du Moyen-Orient, Directeur adjoint de l'IRIS
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00:00 - 36, réfléchissons à ce qui se passe au Proche-Orient.
00:05 Encore une fois, on est là pour regarder les faits.
00:08 Nous n'allons pas supputer sur ce qui va se passer dans un mois, deux mois, trois mois d'ailleurs, nous n'en savons rien.
00:13 Et personne n'en sait rien, et tout ce qui est dit ici ou là ne doit pas être retenu.
00:19 Bien, la réalité elle est où ?
00:22 La réalité c'est que Israël a demandé à 1 100 000 personnes de Gaza de quitter le nord de Gaza et d'aller vers le sud, vers la frontière égyptienne.
00:34 Les Égyptiens qui acceptent de porter une aide à la population de Gaza, mais qui ne veulent pas, surtout pas, voir les Gazaouis arriver chez eux.
00:45 Bon, ça c'est la réalité.
00:47 La réalité c'est que le risque humanitaire est grand.
00:50 Et d'ailleurs l'ONU l'a dit.
00:54 Samantha de Benderne, bonjour.
00:56 - Bonjour.
00:57 - Merci d'être avec nous, Samantha de Benderne, qui est une chercheuse, qui est chercheuse associée à l'Institut Royal des Affaires Internationales,
01:05 qui est une spécialiste de l'OTAN, de l'Union Européenne, qui connaît bien ses jeux politiques internationaux.
01:14 Samantha de Benderne, l'ONU qui avertit Israël, Israël qui répond à l'ONU en disant "Bon, occupez-vous de ce que vous devez vous occuper".
01:24 Le risque humanitaire est grand, Samantha de Benderne ?
01:28 - Alors, le risque humanitaire est grand et il y a surtout un risque énorme de voir s'empirer de clivages qui existent déjà entre ce qu'on pourrait appeler l'Occident
01:39 et les pays qui sont en train déjà d'avoir une coalition anti-occident, qui s'est formée et s'est authentifiée avec la guerre en Ukraine,
01:48 et qui maintenant va encore voir le monde se diviser en deux.
01:52 Le monde, on va dire, que l'on peut appeler démocratique, libéral d'un côté, qui est incarné par les États-Unis,
02:00 et le reste du monde qui trouve que les États-Unis et les Occidentaux sont hypocrites.
02:06 Quand ils appellent, par exemple, à des cécis de feu et au droit humanitaire en Ukraine.
02:13 Parce que ce qui se passe ici, et le défi terrible auquel Israël est confronté, c'est d'éradiquer Hamas,
02:21 qui a commis des actes terroristes d'une violence absolument encore impossible à vraiment désirer sur le territoire israélien,
02:30 et se conformer au droit de la guerre.
02:33 Et là, c'est un défi qui est quasiment...
02:38 Si Israël est à la hauteur de ce défi, ça pourra ouvrir vraiment une voie pour une paix dans le Proche-Orient.
02:51 Mais si Israël, malheureusement, ceux qui souffrent le plus sont les populations civiles de Gaza,
03:01 eh bien, je crois que nous sommes partis pour des années et des années, et une répétition générationnelle de la violence.
03:11 - Oui, le risque, ce que voulait dire Samantha de Bendert, c'est que le risque est très grand, le risque est immense dans cette opération.
03:16 - Le risque est immense, et ni l'ONU, ni l'OTAN, ni l'Union Européenne ont eu une voix depuis le début de cette conflagration.
03:27 On voit les États-Unis qui traînent les devants, Blinken qui aujourd'hui fait une grande tournée du Moyen-Orient,
03:34 l'Europe quasi invisible, nous avons Macron, nous avons les Britanniques qui sont les voix européennes,
03:43 qui ont eu le sens du continent européen, qui ont eu la plus grande résonance,
03:50 mais toutes les instances multilatérales sont absolument absentes de l'échiquier, on va dire diplomatique, dans cette situation.
03:59 - Bien, avec nous aussi Samantha de Bendert, Didier Billon, qui est politologue français, géopolitologue spécialisé à Turquie, du Proche-Orient, du Moyen-Orient,
04:08 directeur adjoint de l'IRIS, Didier Billon, bonjour. - Bonjour.
04:11 - Didier Billon, vous avez écouté Samantha de Bendert, oui, le risque est immense, pris par Israël, le risque pour Israël,
04:19 mais le risque pour le monde, pour cette région et même pour le monde.
04:23 - Clairement, j'utiliserais rarement le terme d'historique, mais nous sommes dans une période et un moment historique,
04:31 il y aura un avant et un après le 7 octobre. Au-delà de l'émotion terrible devant ce que l'on constate,
04:39 devant le nombre de morts de l'opération du Hamas de samedi dernier, je suis évidemment très inquiet
04:46 par la réaction mise en place par le gouvernement israélien. Je comprends totalement qu'un gouvernement ne puisse pas rester les bras croisés
04:54 devant l'ampleur, devant la sidération qui a affecté Israël, c'est une certitude.
04:59 Mais quand j'entends le ministre de la Défense expliquer que les Gazaouis sont des animaux humains qui seront traités de cette façon,
05:07 je suis choqué, et plus que choqué, je condamne ce type d'expression. Et surtout, comme cela a été rappelé tout à l'heure,
05:16 quand j'entends les autorités israéliennes qui demandent à plus d'un million de Gazaouis de partir de chez eux,
05:24 alors que nous savons que d'ores et déjà, il y a 10% de la population Gazaoui qui n'a plus de quoi s'abriter,
05:30 ça veut dire à peu près 250 000 personnes. Et on leur dit "partez", mais partir où ?
05:37 Nous savons que la frontière nord avec Israël, bien évidemment, est fermée, nous savons que la frontière sud avec l'Egypte est aussi fermée.
05:46 - Les Égyptiens ne veulent pas des Gazaouis. - Absolument, et donc c'est une sorte de provocation et de spirale infernale qui est devant nous.
05:53 Et puis, si cette opération terrestre a lieu, honnêtement, il y a encore 3-4 jours, j'en doutais, parce qu'il y a le paramètre des otages.
06:01 Je pense qu'au vu des déclarations des autorités israéliennes les dernières, eh bien il va y avoir une opération terrestre.
06:08 Comprenons ce qu'est Gaza. Gaza, c'est l'endroit du monde où la densité de population est la plus importante.
06:18 Ne croyez pas qu'à Gazelle il y a de grandes avenues où les chars d'assaut vont pouvoir se déployer. Non, ça va être un combat rue par rue.
06:25 Les gens du Hamas connaissent parfaitement leur territoire, leur ville, ils le quadrillent.
06:31 - Un territoire mité. - Absolument, il y a les tunnels, etc.
06:35 - Des tunnels, des souterrains partout. - Donc tout cela est infiniment préoccupant.
06:40 Je pense que ce qu'on appelle le droit de la guerre, mais qui est constitutif du fonctionnement des déclarations constitutives de l'ONU,
06:49 vont être foulées au pied, et donc on est dans une situation où par ailleurs, et c'est là où je vous rejoins, c'est un enjeu international désormais.
06:59 Parce que j'étais très attentif à ce que disait précédemment Samantha, nous retrouvons schématiquement les mêmes lignes de fracture internationales qu'à propos de la guerre en Ukraine.
07:10 Nous avons d'un côté le monde occidental, qui s'est regroupé, qui est sur l'Ukraine très sévère, à l'encontre de la Russie, qui a voté des sanctions,
07:20 mais comprenons que la grande majorité de la planète n'est pas sur la même longueur d'onde.
07:25 C'est-à-dire que c'est ce mouvement de désoccidentalisation qu'on appelle maintenant.
07:31 Et à propos de la Palestine, comprenons bien que pour nombre d'États du Sud, c'est un symbole du deux poids deux mesures.
07:41 C'est un symbole de l'inégalité avec laquelle les puissances occidentales traitent les questions internationales.
07:47 - Alors ça c'est très intéressant. Je vais observer juste une petite page de pub, et la dimension religieuse en plus qui se greffe là-dessus,
07:54 on va en parler dans un instant, il est 9h44, à tout de suite.
07:58 - Sud Radio.
08:00 - Sud Radio, parlons vrai chez Bourdin, 9h10, Jean-Jacques Bourdin.
08:05 - Le point sur le conflit entre Israël et le Hamas, je ne vais pas dire Israël et la Palestine, c'est Israël et le Hamas.
08:14 Le point sur ce conflit, il y a une dimension, on en parlait avec Didier Billon pendant la pub,
08:20 Samantha de Benderne, il y a une dimension religieuse qui se greffe sur ce conflit.
08:25 - Oui, mais c'est une dimension religieuse qui existe depuis des décennies,
08:31 et c'est ça aussi qui est très dangereux pour nous en Europe, et surtout en France,
08:36 c'est que c'est une dimension religieuse islamiste.
08:40 Et si nous allons, je pense que malheureusement dans les jours, les semaines et sans doute les mois à venir,
08:47 nous allons voir une guerre urbaine terrible à Gaza.
08:52 Et juste avant de revenir sur la question religieuse, si on pense, un parallèle qui me vient en tête, c'est Mossoud, la crise de Mossoud,
09:00 quand les forces irakiennes ont voulu se débarrasser de Daesh à Mossoud.
09:04 Ça leur a pris 9 mois, avec au moins 11 000 civils de tués.
09:09 Qu'est-ce que nous allons voir à Gaza si on pense à un contexte de guerre urbaine qui est la seule qui me vient en tête de mémoire récente ?
09:19 Pour miens la dimension religieuse, pendant cette guerre que nous allons voir, je le crains, à Gaza,
09:27 les israéliens auront le soutien de l'Occident.
09:31 Que va-t-il se passer dans les communautés radicalisées en Europe, en France, au Royaume-Uni, en Allemagne ?
09:39 Comment vont-ils réagir ?
09:42 Quelle est la menace terroriste qui va peser sur nos communautés avec ces dimensions religieuses ?
09:48 Et ça c'est quelque chose d'extrêmement inquiétant.
09:51 Didier Billon, la dimension religieuse, oui on vient d'en parler, elle est évidente,
09:57 même si c'est un conflit armé aujourd'hui, mais très politique.
10:03 Regardons la géopolitique locale, enfin locale, régionale je dirais.
10:08 L'Usbola, vous connaissez bien tous ces mouvements et bien cette région du monde,
10:13 l'Usbola pour l'instant ne réagit pas vraiment.
10:18 L'Iran, l'Iran pousse pourtant, même si, il faut faire attention parce que derrière les mots il y a les actes,
10:24 et les actes pour l'instant ne sont pas là.
10:27 Comment regardez-vous la situation ?
10:29 Tout d'abord sur l'Iran, il y a eu des déclarations qui sont assez inquiétantes
10:34 et que nous devons prendre en compte.
10:37 Il faut bien comprendre qu'en Iran aujourd'hui, ce sont les plus durs qui sont au pouvoir.
10:42 C'est le produit des décisions de Trump quand il a rompu, dénoncé l'accord sur le nucléaire.
10:48 Évidemment, les plus ultra en Iran ont repris le pouvoir, majorité au Parlement,
10:55 ils tiennent la présence de la République Islamique et bien sûr le guide lui-même est un dur.
11:01 Je ne crois toutefois pas, au-delà des déclarations, qu'on ne doit pas prendre à la légère,
11:06 mais je ne crois pas que ce soit dans l'intérêt de l'Iran de se projeter dans un conflit armé.
11:12 Toute la préoccupation aujourd'hui de l'Iran, c'est d'être réintégré dans le jeu régional et international.
11:19 C'est infiniment compliqué, mais leur intérêt n'est pas d'aller à la guerre.
11:24 Et puis, par ailleurs, en ont-ils les moyens militaires ?
11:28 Ne serait-ce que militaires, je n'en suis pas convaincu.
11:31 Quant au Hezbollah, nous connaissons sa proximité évidente avec l'Iran,
11:37 pour autant j'ai toujours considéré que le Hezbollah avait avant tout un agenda politique national.
11:45 En d'autres termes, par donné la trivialité, le Hezbollah n'est pas le petit doigt sur la couture du pantalon devant les ordres de Téhéran.
11:58 Et le Hezbollah a aussi beaucoup à perdre.
12:01 Il y a une déclaration des responsables du Hezbollah dès dimanche dernier.
12:06 Ils ont dit "pour l'instant, limitons les échanges armés".
12:12 Ils le disent en ces termes. Il y a eu quelques échanges de roquettes, mais très secondaires, malheureusement avec quelques morts.
12:18 Néanmoins, dit le Hezbollah, s'il y a une opération terrestre, et on en prend le chemin,
12:24 alors nous prendrons les décisions adéquates.
12:28 Donc c'est une menace à peine voilée.
12:31 Et on ne peut pas exclure non plus le fait que le Hezbollah, s'il y a une intervention militaire israélienne,
12:37 décide de hausser le niveau d'attaque ou de riposte militaire contre Israël.
12:43 Donc Israël serait sur deux fronts.
12:45 Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvaise aigure, mais écoutons ce qui se dit.
12:49 - Ecoutons, encore une fois, l'effet "écoutons ce qui se dit".
12:53 Samantha de Benderny, il y a aussi le problème des otages.
12:56 Les otages des discussions sont en cours, c'est évident.
12:59 Moins "non c'est" et "mieux c'est" pour les otages.
13:03 Discussion avec des pays intermédiaires qui pourraient jouer un rôle.
13:06 La Turquie, le Qatar. Le Qatar.
13:08 Samantha de Benderny.
13:10 - Oui, le Qatar, parce que le quartier général politique du Hamas est au Qatar.
13:16 Mais le Qatar est aussi un des pays de la région qui a le moins de relations avec Israël,
13:22 qui n'a toujours pas de relations diplomatiques avec Israël.
13:25 Mais le Qatar pourrait jouer un rôle, mais si vous voulez le problemifier,
13:32 les Israéliens l'ont dit à demi-mot, c'est que la survie de l'État, la survie d'Israël,
13:38 est ce qui aura la primauté.
13:41 Et dans ce cas-là, la vie des otages, si vous voulez, ne...
13:47 - Passe après. Disons clairement les choses, passe après.
13:50 - Voilà, passe après.
13:51 Et ce qui est intéressant, si on pense un petit peu dans un contexte historique,
13:56 ceux qui nous écoutent et qui se souviennent des otages d'NTB en 1976,
14:01 quand des otages israéliens ont été pris en otage en Ouganda
14:06 et ont été sauvés par un commando israélien qui a fait vraiment quelque chose d'extraordinaire.
14:14 Le chef de ce commando était Yonatan Netanyahou, le frère de Benjamin Netanyahou,
14:19 qui était lui destiné à un grand avenir politique et qui a été tué,
14:23 un des seuls Israéliens tué pendant cette prise d'otage.
14:26 Beaucoup d'Israéliens, à qui j'ai parlé ces derniers jours, m'ont dit
14:29 "Et si il n'y avait pas eu NTB, si Yonatan n'avait pas été tué,
14:35 peut-être que nous n'aurions pas la situation que nous avons aujourd'hui
14:39 avec cette radicalisation en Israël."
14:42 Les Israéliens accusent Netanyahou d'avoir créé des conditions,
14:49 d'avoir accentué des conditions qui ont poussé Hamas à ses horreurs.
14:54 Sans bien sûr oublier le fait que c'est Hamas qui les a commises et pas Israël.
14:59 Mais si vous voulez, on est dans un cercle vicieux
15:02 qui continue génération après génération ici.
15:06 Et juste pour parler de la dimension religieuse,
15:10 tous les pays arabes qui ont récemment fait des ouvertures vers Israël,
15:15 ceux qui ont signé les accords d'Abraham, aujourd'hui sont dans une situation terrible.
15:19 Ils vont être obligés de prendre le côté des Palestiniens
15:24 une fois que l'opération terrestre aura commencé.
15:27 Donc tout ce qui a été fait ces dernières années en Israël et dans le Proche-Orient
15:33 est en train d'être détruit, risque d'être détruit dans les heures.
15:37 - Il s'est écroulé.
15:38 Merci beaucoup Samantha de Benderne.
15:40 Merci Didier Billon.
15:42 Oui, le Qatar, on en parlait avec Samantha.
15:44 Le Qatar a un rôle important.
15:47 - J'ai une nuance avec Samantha.
15:49 Je pense que le Qatar, potentiellement, peut jouer un rôle réel.
15:53 Nous connaissons tout d'abord ses compétences dans le domaine des médiations et des négociations.
15:58 Il l'a opéré à plusieurs reprises.
16:00 Et puis, il ne faut pas sous-estimer que même si le Qatar n'est pas parti aux accords d'Abraham,
16:06 il a quand même des relations régulières et de longue date avec Israël.
16:11 Et par ailleurs, le Qatar a l'avantage, si je puis dire, d'avoir aussi d'étroites relations avec le Hamas.
16:18 N'oublions pas que, mensuellement, le Qatar verse 30 millions de dollars à la bande de Gaza,
16:24 donc aux caisses du Hamas.
16:26 Donc, il a l'avantage, et ils sont peu d'acteurs et peu de protagonistes dans la région,
16:30 d'avoir l'oreille des deux protagonistes.
16:33 Est-ce que pour autant, ils vont parvenir à un cessez-le-feu, à des mesures de médiation ?
16:38 Je n'en sais strictement rien.
16:40 Là, évidemment, l'émotivité est portée à incandescence.
16:43 Et ce qui m'affole, moi, c'est l'autisme qui prévaut dans la région.
16:47 - Merci Didier Billon.
16:49 Merci.
16:50 Très intéressant, tout ce que nous venons d'entendre de votre bouche.
16:54 Merci. Tout de suite, Sud Radio Média.
16:57 Juste après les infos, Valéry Rexper, Gilles Gansman, reçoivent mon confrère Guillaume Durand.