• l’année dernière
Transcription
00:00 * Extrait de « Les Midi de Culture » de Géraldine Mossna Savoie *
00:19 Un artiste et un lieu, c'est le thème de cette table critique consacrée à deux expositions uniques que nous vous proposons ce midi.
00:25 Le célèbre peintre néerlandais Vincent Van Gogh a passé les deux derniers mois de sa vie dans un village du Val d'Oise au nord de Paris.
00:31 Ses toutes dernières œuvres sont réunies au musée d'Orsay.
00:35 Puis Picasso est mort il y a 50 ans dans le musée parisien qui porte son nom.
00:39 C'est l'artiste française Sophie Cale qui célèbre à sa façon la disparition du peintre espagnol.
00:46 - Et on en parle avec vous Corinne Rondeau, bonjour ! - Bonjour !
00:49 - Vous êtes maître de conférences en esthétique et sciences de l'art et on en parle aussi avec vous Stéphane Coréard, bonjour !
00:55 - Vous êtes critique d'art et commissaire d'exposition, bienvenue à tous les deux dans les musées de culture.
01:00 * Extrait de la musée d'Orsay *
01:05 - Et on commence par cette exposition "Événements Van Gogh à Auvers-sur-Oise" les derniers mois, c'est au musée d'Orsay.
01:12 - Je me suis remis au travail, le pinceau pourtant me tombant presque des mains.
01:17 Ce sont d'immenses étendues de blé sous les ciels troublés.
01:20 Et je ne me suis pas gêné pour exprimer de la tristesse, de la solitude extrême.
01:25 Je cherche d'habitude à être de bonne humeur assez, mais ma vie est attaquée à la racine même.
01:31 Mon pas aussi est chancelant.
01:33 Mon travail à moi, j'y risque ma vie, et ma raison s'y est effondrée à moitié.
01:38 - Extrait d'un documentaire diffusé sur arte.tv et qui évidemment est diffusé à l'occasion de cette exposition dont le titre dit tout.
01:48 Exposition qui réunit les dernières oeuvres peintes par Vincent Van Gogh à Auvers-sur-Oise
01:53 où se réfugie le peintre pour les deux derniers mois de sa vie.
01:56 On est en mai 1890, il quitte l'asile de Saint-Rémy-de-Provence dans un état assez piteux.
02:02 Et il rejoint le fameux docteur Paul Gaché.
02:05 On va voir qui il est avec nos critiques.
02:07 Évidemment, dans ce village du Vexin, Van Gogh cherche une forme de renaissance.
02:11 Il s'impose d'ailleurs une discipline.
02:13 Sur ses 70 jours qu'il passe là-bas, il va peindre 74 tableaux d'un geste frénétique.
02:18 Ça fait presque plus d'une toile par jour jusqu'à la dernière.
02:22 Donc, on en est maintenant certains.
02:24 Racines d'arbres exposées au musée d'Orsay pour la première fois.
02:27 Le 27 juillet 1890, Van Gogh se suicide d'une balle dans la poitrine.
02:32 Stéphane Coréard, est-ce que vous avez découvert grâce à cette exposition un nouveau Van Gogh ?
02:38 Oui, d'une certaine manière.
02:40 Je crois que c'est la première fois qu'il y a eu une aussi grande exposition consacrée uniquement à ces deux derniers mois.
02:45 70 jours, comme vous l'avez dit, à Overture Oise.
02:47 73 tableaux, 33 dessins aboutis.
02:50 La seule gravure qui l'ait jamais réalisée.
02:52 Et l'exposition en réunit la plupart.
02:55 C'est une exposition qui est unique en quantité, certes, mais aussi en qualité et en diversité.
02:59 Ça n'a rien à voir avec deux mois de la production de Jeff Koons,
03:02 ou, je ne veux rien divulgacher, deux mois de la production de Sophie Cale.
03:05 On est quand même dans un projet...
03:07 Ça commence déjà !
03:09 C'est vrai que c'est stupéfiant.
03:11 Deux mois de travail, des tableaux qui auraient suffi à remplir une vie.
03:15 Vincent Van Gogh, de toute façon, c'est huit ans à peu près de peinture achevée.
03:19 On se rend compte à quel point certains de ses artistes ont été vraiment des géants.
03:23 L'exposition nous propose de suivre Vincent Van Gogh pas à pas pendant deux mois à Overture Oise.
03:29 Notamment grâce au travail qui a été fait sur les lettres, sur sa biographie.
03:33 On voit quel tableau a été peint quel jour.
03:35 Ses itinéraires dans le village, les gens qu'il a rencontrés, son état d'esprit.
03:39 - Séduit, totalement séduit.
03:41 Corinne Rondeau, vous aussi, vous avez été séduite par ce que raconte cette exposition
03:46 sur ces deux derniers mois de la vie de Van Gogh ?
03:49 - Je ne suis peut-être pas séduite par ce qu'il racontait,
03:52 même si je pense que c'est nécessaire pour ce parcours de deux mois.
03:56 Je rejoins là-dessus Stéphane, c'est une vie entière en deux mois.
04:01 C'est absolument prodigieux en termes de peinture,
04:05 ce qu'il nous a proposé est tout à fait remarquable.
04:08 Après je suis toujours un petit peu agacée par la manière dont la médiation
04:13 prend de plus en plus le dessus sur des grosses expositions comme ça.
04:17 - Alors ça veut dire quoi ?
04:18 - Ça veut dire que vous rentrez sur deux magnifiques portraits.
04:21 Un autoportrait de 1989 de Van Gogh,
04:25 et le portrait de Dr Gachet qu'il fait dans cette période-là.
04:30 Vous avez une rencontre entre un corps qui se tient dans une luminosité de bleu-vert,
04:36 c'est Van Gogh, et puis le côté plus attristé,
04:39 le visage plutôt bas sur une table rouge.
04:43 Vous avez ces contrastes qui sont assez merveilleux de bleu et de bleu clair,
04:47 de vert et de rouge.
04:48 Déjà ces deux portraits vous disent l'homme qui se tient debout
04:52 et l'homme qui est aussi beaucoup plus intériorisé avec le Dr Gachet,
04:57 dont on découvre tout de suite une salle où il a travaillé,
05:00 il a fait sa thèse sur le mélancolie.
05:02 Et donc là le côté médicalisation de la peinture,
05:06 à la fois c'est de l'amitié, le Dr Gachet est proche,
05:10 il prend un nom d'emprunt pour faire lui-même de la gravure.
05:16 Donc vous avez cette manière d'accueillir beaucoup de gens,
05:20 il faut un petit peu répartir le public.
05:22 Et c'est vrai qu'entre ces deux portraits,
05:25 l'église d'Auvers-sur-Oise,
05:28 qui sont deux tableaux qui vous frappent à cause de ces bleus profonds,
05:33 ces bleus sombres et les bleus verts,
05:36 vous avez une sorte de scansion qui est très bien faite au début,
05:40 ensuite un autre atelier de médiation,
05:42 il y a la fétichisation avec la palette de Van Gogh.
05:47 - Si j'ai bien compris, vous ne vouliez pas aller dans ces petites salles attenantes,
05:51 dans ce petit cabinet qui vous raconte qui sont les personnages,
05:54 comment ils travaillent et ce qu'il se passe.
05:56 - Par contre, à partir de cette salle, vous avez des portraits de femmes,
05:59 des bouquets, des natures mortes,
06:02 qu'il reprend après les avoir abandonnées, il en fait beaucoup à cette période-là,
06:05 après en avoir fait très peu l'année précédente,
06:09 puisqu'il est à Saint-Rémy-de-Provence.
06:11 Et là vous avez quelque chose qui commence à s'ouvrir,
06:14 c'est-à-dire que ce type est dans une espèce de floraison.
06:16 Il arrive au mois de mai,
06:18 il dit "le paysage de Auvers-sur-Oise est gravement beau,
06:21 dans le grave, il y a tout".
06:23 C'est-à-dire qu'il y a une puissance de ce paysage,
06:26 mais aussi toute la puissance de Van Gogh,
06:28 qui dit d'ailleurs "on aura du mal à faire correspondre la nature de la peinture
06:31 à la nature elle-même".
06:32 Qu'est-ce qui se joue dans cet écart-là ?
06:34 Et par contre, évidemment, cette exposition est une ode à la nature,
06:40 c'est une ode aussi à la peinture,
06:42 c'est une saison de peinture que réalise littéralement Van Gogh.
06:46 Moi j'ai été bouleversée, je dois te dire,
06:49 par ces séries de portraits de femmes,
06:51 il y a deux tableaux de fleurs,
06:53 et surtout la dernière salle, qui est les "Double Carrés",
06:56 qui sont une série,
06:58 on ne sait pas trop s'il a voulu faire une frise décorative, etc.
07:02 Arrêtons-nous peut-être sur cette dernière salle.
07:04 Donc les "Double Carrés", c'est-à-dire en réalité un format très particulier,
07:08 hors marché si je ne dis pas de bêtises,
07:10 non commercial, qu'on ne peut pas vendre comme ça,
07:12 ce sont des peintures en format panoramique.
07:15 Absolument, elles font 50 cm de haut sur 1 m de large,
07:18 dans la série il y en a peint 13, il y en a 11 qui sont rassemblées.
07:21 Dans cette dernière salle...
07:22 Ça c'est exceptionnel !
07:23 Absolument exceptionnel, j'ai regardé quand même,
07:25 pour informer nos auditeurs,
07:27 les tableaux viennent du monde entier dans cette salle,
07:29 il y a 4 tableaux qui viennent d'Amsterdam,
07:30 2 de Balme, mais aussi de Cardiff, Cincinnati, Dallas, Londres,
07:33 aucun n'est normalement à Paris,
07:34 il faut quand même se rendre compte de la chance qu'on a
07:36 de pouvoir venir à Paris pour voir cette exposition.
07:38 Je pense que dans la salle, il y en a pour plus d'un milliard d'euros en assurance,
07:41 donc je le dis, ce n'est pas parce que c'est superlatif,
07:44 c'est pour dire que peut-être on ne le reverra plus jamais.
07:46 Je pense que c'est un des apports de l'exposition,
07:48 de mettre l'accent sur cette série de tableaux
07:51 qui est unique par bien des aspects.
07:55 D'abord, effectivement, c'est un format inhabituel,
07:56 il faut que nos auditeurs comprennent que d'habitude,
07:58 les châssis, c'est-à-dire la toile tendue sur du bois,
08:01 qui est proposée aux peintres,
08:02 obéit à des formats classifiés,
08:04 qui sont numérotés par rapport à leur taille,
08:07 et qui existent en 3 formats,
08:08 qui sont portrait, paysage et marine,
08:11 chacun étant plus allongé et correspondant à la proportion du modèle qui va être peint.
08:16 Le double carré n'existe pas,
08:18 puisque la marine qui est le plus allongé fait normalement 1m par 65,
08:21 là on est dans 1m par 50, c'est donc un format panoramique.
08:24 Comme l'a dit Corinne,
08:27 on ne sait pas s'il avait en tête un arrangement décoratif,
08:30 parce que ça pourrait s'y prêter,
08:32 avec des raccords, avec des tableaux plus petits.
08:34 On ne sait pas si c'est pour des raisons presque psychologiques,
08:37 pour exagérer cette dimension scopique du paysage,
08:42 ou si c'est même pour une raison symbolique,
08:44 puisque le carré c'est l'imperfection terrestre,
08:48 le double carré c'est l'opposition entre le bien et le mal,
08:50 et donc peut-être que c'est ce double carré qui lui permet de peindre
08:53 cet étendu de sentiments qu'il y a dans ces tableaux.
08:56 Ce qui est vraiment, je trouve, très étonnant dans cette exposition,
09:00 c'est qu'on nous dit, et on croit savoir,
09:02 que sortant de Saint-Rémy-de-Provence, Van Gogh est exténué par la mélancolie,
09:06 par sa maladie.
09:07 Sa belle-sœur, qui rencontre pour la première fois
09:09 Jo sur le chemin d'Auvers,
09:11 dit qu'elle est frappée par sa stature,
09:13 c'est un gaillard qui est solide, qui a bonne mine,
09:16 alors qu'il sort d'un internement quand même.
09:18 Le travail qui l'abat, et lui-même se présente d'ailleurs comme un travailleur,
09:22 il insiste sur le fait que bien qu'il ne rapporte pas d'argent à son frère,
09:25 qu'il soit un poids, il veut être un ouvrier comme les autres.
09:28 Et là, la besogne qui l'abat, les 11 tableaux qui sont là
09:31 ont été peints en un mois, dans le dernier mois,
09:33 c'est absolument incroyable en termes de diversité.
09:36 Je crois que c'est ça la grande leçon aussi de l'exposition,
09:38 c'est que tout le monde se fait une image de Van Gogh,
09:40 de la touche Van Gogh, un peu image d'épinal,
09:42 mais l'exposition révèle au contraire une diversité de travail incroyable.
09:46 - On a une image erronée d'un Van Gogh en fin de vie, dépressif,
09:50 qui serait incapable de créer.
09:52 - En tout cas, le personnage apparaît beaucoup plus complexe, je trouve,
09:54 que l'image d'épinal, effectivement, parce que donc un travailleur,
09:57 il est peut-être solitaire, mais il est à la fois admiré,
09:59 on voit qu'après sa mort, tous ses pairs lui témoignent
10:02 par exemple de son admiration.
10:04 - Oui, il reçoit beaucoup de lettres, effectivement, de reconnaissance.
10:06 - Il est sociable, parce que c'est intéressant aussi de voir ce que c'est
10:08 que la vie d'un peintre qui arrive comme ça dans un village comme Auvers-sur-Oise,
10:10 on voit les parcours qu'il fait, où est-ce qu'il va peindre,
10:12 un peu en dehors de la ville, dans la ville,
10:14 il doit se faire "ami" avec des gens qui acceptent
10:17 de poser pour lui comme modèle.
10:19 C'est très intéressant de voir ce que ça veut dire d'être peintre.
10:21 - Corinne Rondeau, sur l'énergie peut-être, et sur le style,
10:24 est-ce qu'on découvre des choses particulières sur ces oeuvres-là,
10:28 celles de la dernière salle, ou alors les autres qu'on voit aussi ?
10:31 Puisque ce qu'il peint, effectivement, on ne l'a peut-être pas dit,
10:33 mais il peint les maisons d'Auvers-sur-Oise, les ruelles,
10:36 beaucoup de champs, de paysages aussi.
10:38 - Il peint là où il est, c'est-à-dire...
10:40 - Sur le motif.
10:41 - À la fois les champs, les demeures,
10:44 en fait, ce qui est absolument merveilleux,
10:47 et là je reviens sur un terme qu'a utilisé Stéphane,
10:50 en fait, il commence à 27 ans, très tardivement il meurt à 37 ans.
10:54 Et quand il commence à peindre au tout début,
10:56 donc 1890, à peu près,
10:59 il dit qu'en fait il peint les paysans avec la terre qu'ils en semencent.
11:04 Eh bien, cette dernière période, ces deux mois,
11:07 c'est comme en Van Gogh, en pleine explosion de sensibilité,
11:12 d'affectivité pour ce qu'il voit, ce gravement beau,
11:16 qu'il va mettre sur ces toiles dont on n'a à peu près rien à savoir,
11:20 et à faire d'ailleurs, de ces doubles carrés.
11:23 Mais vous avez là, les maisons qui ressemblent à de la terre,
11:27 pardon, la terre qui pousse, les toitures sont comme des vallons, des collines.
11:32 Vous avez ces fleurs qui sont absolument dans une sorte...
11:36 le petit acacia en fleurs qui est sidérant,
11:40 qu'il a peint à la tête à l'envers, juste au-dessous.
11:43 Et vous avez cette manière dont il va...
11:45 Il y a un tableau absolument formidable de deux figures dans un bois,
11:50 dans un sous-bois, ce sont des colonnes de peuples violets, les troncs violets.
11:55 Vous avez ces deux couples mal figurés en termes de détail,
11:59 comme d'habitude chez Van Gogh, qui arrivent vers vous,
12:02 entre deux troncs, et là vous avez une diagonale qui part,
12:06 qui fuit vers l'infini, et ça revient à cette idée qu'il veut peindre,
12:10 ces paysans aussi, et ces hommes et ces femmes, avoir une vision d'infini.
12:14 Donc il est entre la terre et l'infini,
12:16 et je me permettrais juste de dire une chose qui m'a absolument bouleversée.
12:20 Ce tableau, ces deux figures dans le sous-bois, qui est à pleurer,
12:25 vous avez des paysages aussi avec ces diagonales dans le vert,
12:29 - Avec la pluie aussi, la pluie tombe !
12:31 - Non mais ça c'est... A la limite pour moi c'est trop japonisant,
12:34 et donc ça rappelle au Kuzai, donc j'aime moins,
12:36 et je suis allée vers de l'affect, c'est-à-dire là où j'ai voulu vivre,
12:39 avec la peinture.
12:41 Et je veux juste te dire une chose, on dit que le dernier tableau,
12:43 c'est les racines d'arbres,
12:45 je me rappelle aussi que le tableau qui lui fait grand plaisir,
12:48 qu'il va peindre pour sa famille, c'est la naissance de son neveu,
12:52 qui va avoir le même prénom que lui, c'est l'amandille en fleurs.
12:56 Et si vous regardez l'amandille en fleurs,
12:58 qui est un tableau japonisant et très beau aussi,
13:02 il a les mêmes nœuds et la même forme que le dernier tableau
13:06 de Van Gogh avec ses racines au vert sur oise.
13:09 Et on a l'impression qu'il fait un cycle,
13:11 et si vous regardez bien, les branches du haut tiennent dans le ciel,
13:14 et lui, on ne sait pas d'où viennent les racines,
13:16 parce que les racines, c'est la peinture.
13:18 Et en fait, cette série qu'on voit,
13:20 et effectivement, il faut y aller parce qu'on ne le verra plus,
13:23 c'est la vie de Van Gogh dans cette série,
13:27 et dans ses 70 jours, c'est l'apothéose et l'absolu dénuement
13:32 d'un homme en train de peindre, et c'est sa vie qui est là.
13:35 Donc, contentons-nous de la peinture, d'abord.
13:39 - D'abord la peinture, on a bien compris Corine.
13:42 On se balade dans cette exposition et on s'arrête dans cette dernière salle
13:45 parce qu'on peut enfin s'asseoir aussi dans cette dernière salle
13:48 et regarder et pleurer, vous dites Corine.
13:50 Stéphane Collard, vous avez pleuré vous aussi ?
13:52 - Oui, absolument, je voudrais revenir sur ce qu'a dit Corine
13:54 en parlant de cet acacia qui est un tout petit tableau
13:56 qui est format A4, qui vient du musée de Stockholm.
13:58 Je l'ai vu il y a 30 ans là-bas et je m'en rappelais encore
14:00 comme si c'était hier.
14:02 On voit justement qu'il y a un mimétisme
14:04 entre la nature qu'il peint et la touche.
14:06 C'est-à-dire qu'on a l'impression que ce tableau,
14:08 ce n'est pas des touches de peinture, c'est des épines.
14:10 Il est fait avec les épines.
14:12 Souvent en caricature, la touche Van Gogh,
14:14 un artiste autochtorain comme Bertrand Lavigne,
14:16 l'a justement exagérée comme étant une touche parallèle,
14:18 un petit peu des hachures qui vont dans le même sens, etc.
14:21 Quand on regarde, c'est le contraire de ça.
14:23 Parfois c'est des points, parfois c'est des ronds,
14:25 parfois c'est totalement des circonvolutions quand c'est un ciel,
14:27 parfois c'est des fers à cheval quand il peint une plante
14:30 dont les fleurs sont dans cette forme-là.
14:32 Dans cette dernière salle, il y a un tableau aussi
14:34 qui est très connu et qui est rarissime,
14:36 c'est le champ de blé avec le vol d'oiseau.
14:39 Ça m'a évidemment fait penser au dernier tableau de Nicolas Destal,
14:42 qui sont les mouettes, on en a parlé ici,
14:44 et qui est le tableau qui fait juste avant aussi quasiment de se suicider.
14:47 Et ça me fait penser à un tableau de Gilles Aillaux
14:49 dans l'exposition que lui consacre le Centre Pompidou,
14:51 et j'espère qu'on aura la cause d'en parler,
14:53 un de ses derniers tableaux aussi, qui fait peu de temps avant sa mort,
14:55 c'est un vol d'oiseau. Je pense qu'il y a quasiment l'ébauche
14:57 d'une exposition thématique dans les derniers tableaux,
15:01 les derniers vols d'oiseaux dans les musées parisiens en ce moment,
15:04 et c'est un vrai plaisir.
15:05 - Un tout dernier mot peut-être sur le...
15:08 Je ne sais pas si c'est courageux d'ailleurs,
15:10 mais le réencadrement de certaines œuvres aussi,
15:14 le musée d'Orsay a choisi de retirer ces cadres en bois
15:18 avec des dorures qui sont très présents,
15:21 pour remettre un cadre avec une couleur très légère,
15:24 vert pâle, blanc, qui remette en valeur les tableaux aussi.
15:29 Ça, ça vous a marqué ou pas ?
15:31 - Je trouvais qu'il restait beaucoup d'or quand même.
15:33 - Moi aussi, je n'ai pas fait attention.
15:34 - Il n'y a que quatre tableaux effectivement qui ont été reencadrés
15:37 et qui permettent aussi à la couleur de Van Gogh de ressortir à ce moment-là.
15:41 Merci.
15:43 * Extrait de Van Gogh *
16:08 - Allez voir, je crois qu'on l'a compris,
16:10 Van Gogh a ouvert sur Oise les derniers mois exposition au musée d'Orsay à Paris
16:14 jusqu'au 4 février prochain.
16:15 Le catalogue de l'exposition est disponible aux étisations Azon.
16:19 * Extrait de Van Gogh *
16:28 - Quand la plasticienne Sophie Cale prend ses quartiers au musée Picasso,
16:31 ça donne cette exposition et ce titre "A toi de faire ma mignonne".
16:35 - Je ne me suis pas débarrassée des œuvres de Picasso par refus de Picasso,
16:40 mais parce que j'avais peur des œuvres.
16:43 C'est par la peur de l'imposture que j'ai voulu montrer des Picasso cachés, absents.
16:51 Et ce n'est pas un souci politique.
16:54 Bon, il m'a invitée dans son musée, pas dans son lit.
16:58 - Pendant trois mois, Sophie Cale pose donc ses bagages, ses valises
17:02 et ses œuvres au musée Picasso.
17:04 A l'occasion des célébrations de l'anniversaire de la mort du peintre espagnol il y a 50 ans.
17:09 C'est une proposition qui lui a été faite en 2019.
17:11 La plasticienne, vous l'avez entendu, hésite d'abord.
17:14 Et puis elle vient visiter le musée, l'hôtel Salé, durant le confinement.
17:17 Elle y découvre ses Picasso recouverts de papier craft
17:21 qu'elle a l'intuition de photographier à ce moment-là.
17:24 Et c'est ce qui va peut-être en partie la débloquer.
17:27 A l'occasion de ces célébrations, beaucoup d'œuvres de Picasso ont été prêtées à travers le monde.
17:32 Ça libère de l'espace, l'espace qu'envahit Sophie Cale.
17:35 Les quatre étages de ce musée sont investis par plus de 700 pièces recensées.
17:41 Corinne Rondeau, il faut prendre le temps de se balader dans ces quatre étages
17:46 parce qu'il y a effectivement beaucoup de choses.
17:48 Est-ce que vous vous êtes laissée porter ?
17:51 - Écoutez, je ne sais pas.
17:54 - Il y a moins d'enthousiasme que sur Picasso.
17:56 - Oui, on ne choisit pas ce qu'on aime aussi.
17:59 C'est comme ça.
18:02 On arrive et on se dit "mais où sont les Picasso ?"
18:05 Évidemment, cette manière dont vous le premier l'aurez de chaussée, c'est ça.
18:09 C'est une exposition culottée parce qu'en fait, elle vous pousse à dire "mais où est Picasso ?"
18:14 Il est dans le sous-sol à peu près, puis elle en laisse trois pour elle.
18:17 Est-ce que je me suis promenée ?
18:19 Je vous avais dit "ça l'a débloqué"
18:22 Oui, ça a débloqué la visite avec les craft et les œuvres empaquetées.
18:26 Ça débloque le compteur de la signification et des associations chez Sophie Kall, comme elle sait très bien le faire.
18:32 C'est une exposition culottée par rapport à cette manière non belliqueuse, agressive ou arrogante d'effacer.
18:41 C'est une exposition d'oblitération.
18:44 On oblitère l'œuvre de Picasso.
18:46 Le confinement lui a donné l'idée, comme elle sait très bien travailler sur la contingence, l'immanence, ce qu'on veut et surtout l'opportunisme.
18:53 Ce qui fait que ça marche très bien.
18:56 C'est vrai, ça marche.
18:58 Cette manière de dire "le format de Guernica, ce n'est pas Guernica qui m'intéresse puisque j'ai une source comme quoi les artistes sont au-dessous de Picasso".
19:06 C'est toujours une manière de dire "Picasso est grand, mais finalement il n'est pas si grand que ça".
19:10 Parce qu'on est capable aussi de faire ce qu'elle est capable de faire.
19:13 C'est-à-dire avec rien d'oblitérer un des grands artistes, même s'il a tout ce qui lui traîne comme casserole aujourd'hui.
19:19 Mais c'est ça qui est culotté aussi, parce que pour les 50 ans de Picasso, on a entendu parler de Picasso depuis un an.
19:25 On est presque...
19:27 Oui mais on n'en peut plus depuis déjà beaucoup plus.
19:29 D'autant plus !
19:31 Donc finalement ça fait aussi du bien d'avoir cette forme de pied de nez à Picasso.
19:35 C'est très réjouissant de se dire qu'effectivement même si elle les a cachés, il y en a d'autres qui sont en train de tourner dans le monde.
19:41 Les Picasso c'est quand même les tableaux qui traversent le plus la surface.
19:44 Stéphane Coréard, si on reste au premier espace, sur les chaussées, on a mélangé Picasso et Sophie Cale et ça donne "Pical-so".
19:52 Est-ce que vous êtes convaincu par cette sorte de dialogue avec Picasso qui n'en est pas vraiment un ?
19:57 Alors disons que Corinne parlait d'opportunisme.
20:00 Effectivement c'est cruel de parler de Sophie Cale après avoir parlé de Vincent Van Gogh, parce qu'on passe de l'existentiel à l'astucieux je dirais.
20:06 Parce que effectivement c'est malin, c'est une expression qui est extrêmement maligne.
20:09 Elle est très maligne de bout en bout.
20:10 C'était malin d'inviter Sophie Cale, elle l'a dit au micro d'Arne Laporte, on entendait un bout de son, ce qu'elle a dit là-bas.
20:15 Et elle a dit "bah oui, il fallait inviter une femme parce qu'il y a tellement de problèmes avec Picasso et les femmes que forcément c'est tombé sur moi".
20:21 Le lien qu'elle a avec Picasso est plus que ténu, comme d'ailleurs elle le dit.
20:27 Elle-même dès l'entrée de l'exposition, c'est un mot prolongation sur une affiche, sur un dessin d'enfance où quelqu'un dans la famille aurait pu dire "on a un Picasso dans la famille".
20:36 Le format de Guernica comme l'a dit Corinne.
20:38 Dans ce premier étage, il faut dire que l'exposition est fleuve, voire même carrément trop longue.
20:44 C'est un petit peu souvent le problème dans ces expositions dites "carte blanche".
20:49 C'est qu'à la fois elle souffre d'une dimension qui est trop grande, parce qu'objectivement il n'y a pas de quoi remplir les quatre étages du musée Picasso.
20:56 Et ça s'étire et à la fin on n'en peut plus.
20:58 Et d'autre part il y a une absence de commissariat qui est problématique, parce qu'elle apparaît comme artiste commissaire.
21:03 Il y a une commissaire associée au musée, mais à un moment donné il fallait avoir le courage de...
21:06 - Vous voulez dire qu'il y a tout et n'importe quoi dedans ?
21:08 - Alors d'abord c'est une mini rétrospective des 20 dernières années.
21:13 Sa dernière grande exposition à Paris datait, enfin il y a eu le musée de la chasse, mais disons institutionnelle, classique, datait de 2005 je crois au centre Pompidou.
21:21 Donc c'est ce qui occupe les trois derniers étages, avec aussi des œuvres nouvelles.
21:25 En fait en gros c'est un sandwich, je crois que j'ai parlé de tranche napolitaine la dernière fois.
21:29 - Oui il y a un fil conducteur dans les interventions.
21:32 - C'est l'heure du déjeuner peut-être, mais j'y suis pour rien, c'est des expositions.
21:36 - Quelle sera la suite ?
21:37 - Le rez-de-chaussée c'est effectivement Picasso, ensuite il y a un étage de rétrospective, et puis ensuite il y a des œuvres nouvelles.
21:44 Alors pour vous répondre complètement sur le rez-de-chaussée, elle applique effectivement des recettes qui sont connues, qui sont connues dans son travail.
21:51 Puisque par exemple il y a des tableaux qui étaient prêtés de Picasso, donc elle a demandé aux gardiens, aux visiteurs de les décrire.
21:58 Et puis cette fois-ci elle a fait broder le texte de ce qui lui est dit, ça vient occulter le tableau qui est quasiment pas visible, comme un fantôme derrière.
22:06 Ça c'est un procédé qu'elle a déjà fait pour des tableaux absents, d'ailleurs série qu'on découvre au premier étage.
22:11 Ce qui est un peu plus nouveau on pourrait dire, c'est effectivement les Picasso confinés,
22:15 où elle a photographié dans le musée Picasso pendant le confinement, des crafts qui avaient été mis devant les tableaux pour pas qu'ils s'abîment, qu'ils prennent la poussière.
22:23 Alors là il y a un petit problème quand même conceptuel aussi, parce que beaucoup, il y a deux salles de photos de Picasso confinés, je pense qu'au bout d'une photo on avait compris.
22:30 Mais il y a surtout la chèvre, une sculpture de Picasso en bronze, qui elle est réellement là, emballée.
22:35 Donc les tableaux ne sont pas eux en vrai mais en photo, et la chèvre en revanche, parce que c'est une sculpture, elle est là en vrai, à mon avis un peu approximative.
22:41 Dans son humour aussi, puisqu'il y a quand même pas mal d'humour dans son travail, il y a cette petite salle, il faut la trouver,
22:47 elle est dans un virage entre deux escaliers si je ne dis pas de bêtise, une petite salle avec une petite porte très étroite, où on peut aller regarder un Picasso.
22:55 C'est la salle de consolation, ça c'est absolument sublime évidemment, parce que c'est un tableau très important de Picasso.
23:00 La Célestine effectivement, qui est dite aussi la femme à la thèe.
23:04 La thèe c'est une tâche blanche opaque qu'on peut avoir sur la cornée de l'œil, notamment après une blessure.
23:08 C'est une tenancière d'une maison close de Barcelone, c'est un tableau qui est rentré dans les collections nationales,
23:13 non pas par dation contrairement à la plupart des tableaux du musée Picasso, mais à la suite d'une aventure rocambolesque
23:18 pour qu'on autorise la sortie du territoire d'un authentique chef-d'œuvre qui n'aurait jamais dû quitter le sol français,
23:23 qui était les noces de Pierrette, mais le propriétaire a donné ce tableau.
23:25 C'est donc un tableau qui est je crois depuis 30 ans dans les collections nationales.
23:28 On ne l'a jamais aussi bien vu, là pour le coup on peut s'asseoir.
23:31 On est sur une chaise de, je crois, de Diego Giacometti qui a fait le mobilier de l'hôtel Salé.
23:35 Et on est devant et effectivement seul dans cette salle, ce qui est assez merveilleux parce que le tableau est très spectaculaire.
23:40 C'est un monochrome bleu avec juste cette tâche blanchâtre de l'œil qui se détache.
23:44 Mais si je vous suis bien Corinne et Stéphane, en fait cette exposition qui pourrait être un peu drôle,
23:49 un peu piénée, un peu de dérision du grand Picasso, en fait ça tombe un peu à plat.
23:54 Non, on ne peut pas dire ça. Je pense que les gens ne prendront ce qu'ils veulent dans cette exposition
24:00 parce qu'il y a beaucoup de polysémies, parce qu'il y a beaucoup d'associations,
24:03 parce que le travail de Sophie Kall est quand même un travail de grande mondanité.
24:07 Elle travaille avec les choses, il y a du snobisme, donc en fait d'une certaine manière,
24:11 et je le prends au sens très noble du terme, cette manière de jouer avec des codes et d'en jouer au maximum.
24:19 C'est à ça aussi que renvoie pour moi le mot d'opportunisme.
24:22 Cette manière dont elle a quand même le talent et le génie de se servir, de se saisir de pas grand-chose pour en faire une montagne.
24:30 Donc ça on ne peut pas lui faire le reproche que depuis 40 ans, elle a une œuvre qui tient sur ce petit truc qui est un signe
24:36 et elle fait un monde de signes. C'est vraiment un univers qui est de l'ordre du geste artificiel.
24:43 Et donc en fait c'est pour ça que moi ça ne m'intéresse pas en termes d'œuvre, de production,
24:48 mais parce qu'en fait je ne vis pas d'expérience, j'en vis chez Van Gogh,
24:52 je ne vis en fait qu'une certaine manière de faire image sur une représentation.
24:58 C'est quoi la mort de ma mère ? C'est quoi ma propre mort si je l'imaginais ?
25:03 C'est une expérience la mort de Corinne.
25:06 Elle donne une image. C'est-à-dire que moi j'ai décidé par exemple de ne pas regarder le film de la mort de sa mère.
25:13 Je l'ai vu à plusieurs endroits exposés, je ne suis jamais allée regarder ça. Je ne veux pas le regarder.
25:18 Donc en fait elle a toujours cette manière de dire "écoutez moi je vous laisse ça, c'est un peu comme quelqu'un qui vous fait une offrande,
25:25 alors je ne sais pas si le mot n'est pas un peu trop fort quand même, mais en fait c'est à vous de choisir ou pas.
25:29 Moi je n'ai pas envie, parce que je n'ai pas assez d'appétit pour ce travail-là.
25:34 C'est peut-être pour ça que la rétrospective c'est bien, on peut aller piocher.
25:37 Oui mais en fait c'est une oeuvre et ce n'est pas aussi efficace qu'on le dit.
25:41 Il y a deux choses en fait. Effectivement la rétrospective je pense montre,
25:44 et c'est peut-être ça le principal intérêt de cette exposition pour les gens qui connaissent Sophie Kall,
25:48 qui l'aiment ou qui veulent même la découvrir. C'est qu'en fait on voit qu'elle perd foi en l'image.
25:52 C'est-à-dire que ses parents effectivement, on reste toujours l'enfant de ses parents je crois,
25:55 mais elle peut-être plus que les autres. Elle a voulu être artiste pour épater son père qui était un grand collectionneur.
25:59 Elle fait des textes aussi peut-être parce que sa mère était une grande lettrée qui lui a récité des pages entières de Proust.
26:05 C'est toute l'histoire à toi de faire ma mignonne, de la première salle raconte comment sa mère,
26:09 quand elle expose au MoMA, quand Sophie Kall expose au MoMA, sa mère lui dit "ah ben tu les as bien nues".
26:13 Et en fait c'est évidemment une expression et un travail sur le syndrome de l'imposteur,
26:17 et donc sur le dévoilement, la peur d'être démasqué. Alors ça, ça pourrait être passionnant je trouve.
26:21 Mais elle ne joue pas le jeu. C'est-à-dire qu'en fait elle s'arrête au seuil.
26:25 Elle maîtrise complètement ce qu'elle montre. Et dans ce sens-là, effectivement,
26:30 Corinne parlait de superficialité, on est dans la réponse warholienne.
26:34 Warhol disait "regardez bien la surface de mes œuvres, il n'y a rien derrière"
26:37 ou "je suis une machine". Elle en fait, elle fait semblant de dévoiler, mais elle ne nous montre rien.
26:42 - Corinne, pour terminer. - Non, non, mais je suis d'accord.
26:45 Il y a peut-être quelque chose, effectivement, d'une limite qu'elle ne peut plus franchir.
26:54 "À toi de faire", ma mignonne, c'est le titre de cette exposition de Sophie Kall.
26:58 C'était découvert jusqu'au 7 janvier au musée Picasso à Paris.
27:01 Trois ouvrages sont publiés à cette occasion. "Picasso" aux éditions EXB,
27:05 "Eratum" et "Collection" Sophie Kall aux mêmes éditions.
27:08 Et puis enfin "Noir dans Blanche" chez Gallimard.
27:11 On vous met les références sur le site de France Culture à la page de l'émission.
27:13 Merci à tous les deux. Corinne Rondeau, maître de conférences en esthétique et sciences de l'art.
27:17 Stéphane Coréard, critique d'art et commissaire d'exposition d'avoir participé à cette table critique.
27:22 Elle est réécoutable, comme toutes les autres, sur le site de France Culture et sur l'appli Radio France.

Recommandations