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00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture. Géraldine Mossna Savoie
00:07 Place à la rencontre. Aujourd'hui, mon invité est un jeune écrivain et un ancien réalisateur et scénariste.
00:14 Depuis hier, il est le dernier ou nouveau au choix Prix Goncourt, au réolé pour son quatrième roman « Veillez sur elle » paru aux éditions de l'Iconoclast.
00:23 Bonjour Jean-Baptiste Andréa.
00:25 Bonjour.
00:26 Bienvenue dans les midis de culture et surtout, bravo pour ce Prix Goncourt.
00:30 Merci mille fois. J'espère quand même ne pas être le dernier.
00:33 En tout cas, vous êtes le dernier là de s'aider.
00:36 Le dernier en date.
00:37 Exactement. Là, on est 24 heures après l'annonce. Hier, j'étais dans ce studio, j'ai annoncé votre nom 24 heures plus tard. Dans quel état vous êtes ?
00:47 Ça a été un tel tourbillon hier, ça a été un tel choc émotionnel que ça va mieux aujourd'hui. Je commence un peu à réaliser, pas complètement.
00:58 Je crois que ça va prendre quelques jours. Mais déjà, j'ai mieux dormi cette nuit que la nuit précédente. Donc, je suis un peu plus apaisé.
01:08 Parce que vous aviez peur ? Vous aviez peur d'être déçu ?
01:11 Non.
01:12 Parce que vous, voilà, on ne s'attendait pas à vous.
01:14 Non, j'ai adoré. J'aime bien être l'outsider. J'ai toujours aimé ça. J'ai toujours été un outsider de toute façon.
01:19 Non, non, je n'avais pas peur. J'ai beaucoup de mal. Je suis assez intense et j'ai beaucoup de mal à gérer l'incertitude.
01:26 Donc, si on me dit oui, c'est toi, oui, non, ce n'est pas toi. Ça, ça me va. Je suis tout à fait capable.
01:32 Je ne me suis jamais dit que je devrais gagner un Goncourt ou quoi que ce soit. Je n'ai pas du tout cette prétention-là.
01:40 Cette prétention-là ou cette ambition ?
01:41 Oui, ni ambition, ni prétention. Mon ambition a été d'écrire des livres et c'est ce qui était déjà une grosse ambition pour moi.
01:46 Donc, je n'ai pas eu ça. C'est plutôt l'incertitude qui me minait. J'avais juste envie qu'on me dise oui ou non.
01:53 Et une fois qu'on vous a dit oui, alors il y a eu un moment, vous nous racontiez juste avant.
01:58 Oui, en fait, on a pensé que c'était non parce qu'on n'avait pas la nouvelle. On pensait qu'après 12h30, c'était mort.
02:05 Et à 12h37, on a attendu par précaution. On s'est dit c'est fini. On a vraiment prévenu tout le monde.
02:11 On a ouvert une petite bouteille de champagne entre nous en disant ce n'est pas grave.
02:14 Et on s'est dit c'est vrai que ce qu'on a vécu jusque là, on valait la peine. Et c'était vraiment le cas.
02:18 Ces derniers jours ont été d'une intensité émotionnelle pour la maison qui était merveilleuse.
02:22 Donc, on s'était préparé. On s'est dit bon, ce n'est pas nous. Et puis, dix minutes plus tard, l'appel est tombé alors que personne ne s'y attendait.
02:29 Donc, on a perdu puis gagné.
02:31 Ça a été un moment où tout le monde était en pleurs. Je ne me rappelle plus. J'ai parlé à des gens. Je ne me rappelle plus ce que je leur ai dit.
02:39 J'ai été tiré dans un taxi. C'était un moment d'une intensité émotionnelle très intense.
02:45 Vous avez pleuré ?
02:46 Bien sûr que j'ai pleuré. On a tous pleuré.
02:49 Alors, j'ai dit jeune écrivain parce que ce n'est que votre quatrième roman.
02:53 Il faut quand même dire que vous avez été publié pour la première fois il y a seulement six ans.
02:58 Oui, alors j'avais fait 20 ans de cinéma avant tant que scénariste et réalisateur.
03:03 Mais c'est vrai que j'ai osé parce qu'il y avait quand même ce mot-là dans ma trajectoire intérieure.
03:14 Il fallait oser se confronter au roman.
03:17 J'ai seulement osé à 46 ans en 2016. C'était hier. Ça me paraît loin et proche à la fois.
03:32 Ce tournant dans votre vie, le fait d'avoir osé de passer d'un métier à l'autre.
03:37 Alors, ça reste des métiers artistiques. Le métier de réalisateur, scénariste, vous étiez déjà dans l'écriture.
03:41 Mais de passer à l'écriture et que ça marche comme ça, vous incarnez presque un rêve.
03:48 Mais aussi ce qui va peut-être être une illusion pour des milliers d'écrivains.
03:54 Vous voyez tous ces gens qui veulent passer à l'écriture.
03:57 Oui, mais bon, regarde, il y a Jean-Baptiste Andréa, il a eu un concours.
04:01 Mais tant mieux. Moi, je n'appelle pas ça une illusion.
04:03 Au contraire, la chose la plus intense, les obstacles les plus forts qui sont dressés sur mon chemin sont des obstacles intérieurs.
04:13 Et c'est souvent le cas dans nos vies.
04:15 Quand en plus, on a des ambitions artistiques, quand on a 15 ans aujourd'hui et qu'on veut faire quelque chose de sa vie,
04:21 qu'il soit dans le domaine de l'artistique, dans une société où finalement, ce n'est pas si valorisé que ça.
04:27 Bien sûr, on adulte les artistes, mais ceux qui essaient de devenir artistes, ceux qui sont sur ce chemin, rencontrent beaucoup de difficultés.
04:33 Moi, j'ai envie que ces gens-là se disent "ouais, c'est possible".
04:36 J'ai envie qu'ils se disent "regardez, pour Jean-Baptiste Andréa, ça a été facile".
04:38 C'est mon modèle.
04:39 En fait, ça n'avait pas été si facile que ça.
04:41 Ça a été un long combat. J'ai connu des hauts et des bas dans le cinéma.
04:45 Et au fond, finalement, on pourrait dire que c'est arrivé tard parce que c'est à 46 ans que mon premier roman a été publié.
04:50 Il m'a fallu tout ce temps-là pour arriver à cette joie-là.
04:52 Oui, mais vous n'aviez pas essayé d'écrire des romans pendant 25 ans avant.
04:55 Non, mais j'ai écrit aussi beaucoup de scénarios qui n'ont jamais été faits.
04:58 Mon apprentissage a été fait sous la forme du scénario et pas du roman, ça c'est certain.
05:02 Mais après tout, il y a des exemples de temps en temps d'auteurs ou d'autrices qui écrivent jeunes et qui écrivent quelque chose de merveilleux.
05:09 Moi, je crois à ça. Je crois à la magie. Je crois à cette magie-là. J'ai envie de la partager.
05:15 Jean-Baptiste Andréa, on va parler de votre roman parce que c'est pour ce roman-là que vous avez été récompensé du prix concours hier.
05:24 Ça s'appelle « Veillez sur elle » et on va entrer dans le cœur de ce roman avec cet archive.
05:29 [Vidéo]
05:54 C'est une archive du 14 mai 1939. Vous l'avez reconnu, Jean-Baptiste Andréa, il s'agit de Benito Mussolini à Turin en Italie.
06:03 Et si on s'est servi de cette archive, c'est parce que votre roman parcourt tout le XXe siècle italien de guerre mondiale
06:09 et notamment la montée du fascisme à travers deux personnes.
06:14 Un homme, Mimmo, qui est mal né, pauvre, de petite taille, mais qui est un génie de la sculpture et qui va se compromettre dans le fascisme.
06:24 Et à travers une femme, son opposé, Viola Orsini, riche héritière d'une famille aristocratique, mais entre lesquelles va naître une relation.
06:33 On va en reparler parce que c'est très difficile de définir cette relation. Elle a été beaucoup présentée comme un amour impossible.
06:39 Je ne suis pas sûre que ce soit vraiment ça que vous ayez en tête. D'abord, sur cette place de l'histoire, pourquoi avoir choisi cette histoire aussi longue, aussi impressionnante ?
06:50 D'abord, j'avais envie de passer à quelque chose de supérieur en termes d'ambition romanesque.
06:53 J'ai écrit trois romans qui représentaient une conquête de liberté par rapport au cinéma, qui est un art de contrainte, tout coûte cher, le temps est limité.
07:00 Et paradoxalement, je me suis aperçu que je m'étais imposé encore sur ces trois premiers romans.
07:08 C'était des huis clos, c'était des temporalités très contrôlées et assez réduites.
07:13 Et puis, après ces trois romans, je me dis bon, d'abord, j'ai envie de me renouveler, j'ai envie de faire autre chose.
07:19 Et puis, j'ai envie de lâcher la bride et de décrire un roman qui ressemble au roman qui m'ont porté au long de ma vie.
07:27 Donc, ça, c'était l'envie d'écrire quelque chose de plus grand. Et le sujet de ce livre est vraiment la lumière qui nous permet de vivre, la joie qui nous permet de résister aux ténèbres.
07:39 Je trouve qu'on ne parle que de noirceur et que de ténèbres et que de tristesse. Et elles existent, elles existent ces ténèbres. Elles sont là dans notre monde, mais on ne parle que de ça.
07:50 Moi, je crois très fort à la lumière qui ne cesse jamais de briller dans ces ténèbres et j'ai envie de la voir.
07:56 La lumière dans ce roman, c'est en l'occurrence Viola, cette femme brillante qui veut déployer ses ailes à une époque où c'est très difficile de le faire.
08:03 Et elle se heurte à mille tyrannies, tyrannies du quotidien, tyrannies de l'intime, tyrannies de sa famille, tyrannies de la société.
08:10 Et naturellement, cette époque où il y a une grande tyrannie politique qui est exactement la même tyrannie que combat Viola me paraissait le cadre idéal pour dérouler cette histoire.
08:22 Mais quand vous dites, Jean-Baptiste Andréa, j'avais envie de lumière, pardonnez-moi, mais c'est un peu vague.
08:28 Vous voyez, concrètement, pourquoi choisir justement le XXe siècle italien qui est quand même très noir pour aller vers la lumière ?
08:38 Mais le XXe siècle italien est très noir parce que si on pense seulement au fascisme, mais en Italie, il y a des mouvements incroyables et ambiguës d'ailleurs, comme par exemple le futurisme,
08:48 qui contenaient de la lumière et qui ont pu dériver vers la noirceur. Il y a quand même l'art de l'Italie, il y a la résilience, il y a la résistance.
08:55 Et l'Italie est quand même sortie de cette noirceur-là, en tout cas du pire de cette noirceur-là.
09:02 Et donc, ce que je veux dire par lumière, c'est la capacité à ne pas se laisser détruire par les circonstances et par les obstacles qu'on rencontre dans une vie.
09:13 Et Dieu sait qu'ils sont nombreux, les obstacles rencontrent ces deux héros.
09:17 C'est ça la lumière. Pour moi, la lumière, c'est peut-être juste la capacité à se relever et à ne pas cesser de s'enthousiasmer.
09:24 Et j'emploie ce terme prudemment, je mesure bien que quand on est sous les bombes en Ukraine, c'est pas tout à fait la même chose.
09:32 Quoi qu'il arrive, je trouve ça fascinant de voir que souvent des enfants dans les pires zones de guerre oublient ça pour jouer au ballon quelques instants.
09:41 C'est ça la lumière. C'est pas la prérogative de l'enfance en plus. On la perd souvent quand on est adulte, mais c'est pas une fatalité.
09:48 Et moi, je parle de deux héros chez lesquels cette lumière vacille, mais je veux pas qu'elle s'éteigne.
09:53 Moi, mon rôle, c'est de ne pas la laisser s'éteindre dans ce roman.
09:55 Et c'est là où intervient cette relation entre Viola et Mimmo. Alors, est-ce que c'est un amour impossible ou pas ?
10:03 Et justement, est-ce que c'est pas cette relation entre eux qui leur permet de maintenir cette lumière même si elle vacille ?
10:09 Exactement. Vous en avez bien parlé. C'est vrai que pour des raisons de simplification, on a des termes.
10:17 De communication éditoriale.
10:18 De communication, exactement. Amour impossible, etc. C'est pas une romance, ce livre. C'est quelque chose de plus fort, de plus important.
10:25 Il s'aime parfois au point de se détester. Et en plus, vous avez employé un mot qui m'intéresse beaucoup, qui est le mot "définir".
10:33 Vous avez dit "elle est dure à définir" ou "j'ai pas envie de la définir". Et moi, j'ai beaucoup, beaucoup, beaucoup en France,
10:38 parce que j'ai aussi un pied dans la culture anglo-saxonne. J'ai fait mes premiers films en anglais, j'ai épousé l'anglais, j'ai vécu en Angleterre.
10:44 On a un très gros poids de la norme en France.
10:47 De l'étiquette.
10:49 De l'étiquette, de la norme, de ce qui est déjà de la boîte dans laquelle il faut se placer très tôt dans nos vies.
10:56 C'est quelque chose qui m'a toujours paru très détestable.
11:00 Carrément. Détestable.
11:02 Absolument. Je suis très sérieux là-dessus. Je ne suis pas toujours sérieux, mais là, je suis sérieux.
11:06 Je l'ai ressenti comme une véritable oppression.
11:09 À votre rencontre ? Ou même au quotidien ?
11:13 Au quotidien, dans tout. On est tout énormé.
11:16 Et moi particulièrement, en plus, moi qui voulais être écrivain gamin, et quand j'arrive en seconde, on me dit "qu'est-ce que tu veux faire dans la vie ?"
11:22 et que je dis "écrivain" et qu'on me déroule des magazines dans les yeux en me disant "non, ça n'est pas dans le magazine".
11:28 Ça n'est pas dans le magazine d'orientation. Les fiches Onicep de l'époque.
11:32 Et donc, il n'est pas à sous-estimer ce point.
11:37 Je crois qu'il y a beaucoup de gens à cette époque qui feraient des choix différents si on leur permettait de faire ces choix différents.
11:43 Donc, je déteste définir. Définir, c'est tuer quelque chose. C'est tuer des possibles.
11:49 Et donc, je n'ai pas envie de définir cette relation.
11:54 Elle est multiforme. Elle est amour, elle est amitié, elle est détestation, elle est tout ça à la fois.
12:00 Et c'est ça qui me plaît dans cette relation. Et effectivement, vous avez raison, la lumière naît de ça et vacille parfois dans cette relation.
12:06 Mais elle est là. C'est comme une bougie qui fait cette petite étincelle.
12:10 Alors moi, ce que je trouve frappant dans cette relation, sans la définir, Jean-Baptiste Andréa, mais peut-être si je le fais, vous me détesterez.
12:15 Non, je ne vous détesterai. Je vous pardonnerai parce que j'adore France Culture.
12:19 Peut-être vous pardonnerez France Culture, mais pas ce que je vais dire.
12:24 Il me semble quand même que vous parvenez justement à saisir quelque chose qui se passe souvent entre des personnes,
12:34 mais qu'on ne parvient pas justement à définir et qu'on va laisser tomber à cause de ça.
12:39 C'est-à-dire, cette personne ne peut pas être mon amoureux, ne peut pas être seulement une amie,
12:44 ne peut pas être un frère de substitution, ou peu importe, c'est un ex, c'est un futur, mais il est là.
12:50 Et comme on ne sait pas à quelle place le mettre, eh bien, on va précisément l'écarter. Allez, Jean-Baptiste, on va vous l'écrire.
12:57 Oui, parce que je vois qu'en fait, je ne vais pas vous détester, parce que vous confirmez exactement ce que je suis en train de dire.
13:02 C'est-à-dire que parce que la relation que vous illustrez ne rentre pas dans une norme ou un cadre donné amoureux, ex, etc.,
13:14 on a tendance à l'abandonner parce qu'on ne la comprend pas. Et c'est exactement mon propos.
13:19 C'est précisément d'essayer d'être un peu plus libre, un peu plus ouvert, un peu plus sensible à l'infinie variété de l'humanité.
13:28 Et c'est très précieux. Je trouve qu'il y a beaucoup de choses qui sont tuées, d'élans, de rêves.
13:35 Je vais beaucoup dans les lycées. J'ai un petit peu moins de temps ces derniers temps, mais je l'ai beaucoup fait.
13:39 Et vous savez, dans les lycées, on nous invite pour parler de nos livres. Et moi, parler de mon livre, c'est très sympa.
13:45 Mais au bout de cinq minutes, je vois bien que les lycéens, soit ils le lisent, soit ils ne le lisent pas.
13:48 Donc, je leur parle d'autre chose. Et moi, je me rappelle que j'aurais vraiment aimé voir un écrivain ou un artiste à cet âge-là pour voir que ça existait.
13:55 Voir que ce n'est pas des gens morts ou avec une barbe blanche et une pipe.
14:00 Et voilà, donc je n'ai pas envie qu'ils éteignent cette beauté.
14:05 Et Viola, cette fille extraordinaire, cette héroïne qui met très cher, refuse ça, refuse toutes les normes.
14:15 Elle refuse les définitions.
14:16 Elle refuse les définitions, elle refuse les normes. Et je comprends parfois que les gens me disent "Ah, mais elle est un petit peu irritante, cette Viola".
14:21 Tout en me disant "Mais quand même, qu'est-ce qu'elle est attachante, qu'est-ce qu'elle est intelligente".
14:25 Mais ça va ensemble. J'adore ce personnage qui refuse les normes.
14:29 Et puis, il y a quelque chose qui permet de conserver la lumière.
14:33 Alors, il y a cette relation-là, mais il y a aussi le rapport à l'art.
14:36 Parce que Mimmo, il est sculpteur. Il a de l'or entre les mains.
14:41 Il va sculpter une pietà. Veillez sur elle, en fait.
14:45 Elle, c'est la pietà qui a quelque chose de Viola.
14:51 Je ne rentrerai pas dans les détails.
14:52 Là aussi, vous restez d'ailleurs assez flou et subtil, Jean-Baptiste Andréa.
14:56 C'est très difficile de se servir de la littérature pour parler d'art.
15:01 Parce que parler de sculpture, parler de musique, parler de cinéma, c'est déjà des œuvres qui contiennent en elles de la beauté.
15:09 Alors, le rajouter en plus à travers l'écriture, n'est-ce pas un peu périlleux, ça ?
15:13 Je dois vous avouer que je ne me suis pas posé la question.
15:16 Vous n'avez pas peur, en fait ?
15:18 Non, moi, je n'ai pas peur de grand-chose.
15:19 Enfin, si, j'ai peur de plein de choses, en fait. J'ai peur de la mort.
15:21 Mais je n'ai pas peur de parler d'art dans mon bouquin.
15:23 Je crois que ça arrive à très peu de monde, le rapport de la mort, non ?
15:25 Non, non. C'est une démarche très sensuelle pour moi, l'écriture.
15:30 Donc, ce n'est pas une démarche qui est en premier lieu intellectuelle.
15:34 Et je parlais tout à l'heure des verrous intérieurs.
15:37 En tout cas, ces verrous intérieurs, je les débloque vite.
15:40 Une des questions que je me posais, c'est est-ce que j'ai le droit d'écrire sur l'Italie sans être italien ?
15:45 Ça, par exemple, ça me faisait plus peur.
15:47 Ou Viola, par exemple. Est-ce que je peux écrire sur un personnage féminin ?
15:51 Ça me faisait moins… Je ne l'aurais pas fait à la première personne.
15:53 On peut, je n'ai pas de problème avec ça.
15:55 Mais moi, je ne préférais pas le faire.
15:57 En tout cas, sur l'idée de parler de l'art, non, tout est lié pour moi.
16:00 C'est normal d'écrire sur l'art.
16:03 Je crois que l'art, c'est précisément la liberté dont je parle.
16:07 L'art est la possibilité d'échapper à toute norme.
16:12 L'art n'a pas besoin de normes. L'art vit entre les normes.
16:15 Et pour moi, il a évidemment représenté ma liberté.
16:18 Pour beaucoup de gens, il représente une liberté.
16:20 Personne ne vous dit, alors qu'il y a une prédominance de l'art dans nos vies,
16:23 et quand on veut s'y exposer, personne ne vous dit, jeune homme,
16:26 ça c'est une vraie carrière, à part vraiment dans des domaines très précis.
16:29 Donc l'art, c'est ce qu'il y a entre les chemins qui sont tracés, qui sont balisés.
16:32 Donc évidemment, l'écriture, les formes d'art, la musique, mon troisième roman parlait de musique.
16:40 - Le héros était un petit peu un prodige du piazza.
16:43 - Voilà, qui jouait dans les gares.
16:45 Tout ça est lié et indissociable.
16:47 J'aurais même du mal à ne pas écrire sur l'art.
16:49 À ne pas en parler.
16:50 - Il n'y a pas une forme de mise en abyme qui est compliquée ?
16:53 Il y a deux choses qui sont quand même difficiles quand on parle d'art.
16:55 C'est d'une part la dimension technique, notamment sur la sculpture.
16:58 Il y a quand même tout un ensemble, un champ lexical à maîtriser.
17:02 Et puis il y a cette sensation indescriptible que produit l'œuvre d'art sur celui qui la reçoit.
17:10 - Mais c'est la même sensation que produit un morceau de musique.
17:14 Et on a quasiment tous l'expérience d'un morceau de musique qui nous met les larmes aux yeux.
17:18 Et personne ne va vous dire, c'est parce que là on part d'un accord de septième diminuée à un accord de je ne sais pas quoi.
17:24 - C'est vrai, vous avez raison.
17:25 - On peut faire ça, mais ce n'est pas nécessaire.
17:27 Et en fait, moi je parle de la sculpture exactement de la même manière.
17:30 Avec des mots littéraires, il y a en fait très peu de technique de sculpture dans ce livre.
17:33 Moi je ne suis pas sculpteur.
17:35 Et je n'avais pas envie de faire un livre pour les fans de sculpture.
17:38 J'ai envie de parler de ce qu'il y a de commun à tous les arts.
17:42 En fait, qu'il y ait une capacité à nous émouvoir, à nous toucher au-delà de toute explication.
17:46 Je crois que tout grand art est touche au-delà de toute explication.
17:50 - Et alors pourtant, vous, avec les mots, vous êtes bien obligé de passer par des mots qui vont forcément un petit peu réduire, expliquer, enfermer cet indicible de l'émotion à travers des mots.
18:03 Quand vous parlez d'un morceau de musique qui nous touche, moi je serais incapable de le décrire autrement qu'avec des banalités.
18:10 C'est-à-dire en disant "c'est incroyable", "ça me fait un effet dingue".
18:14 Vous voyez, c'est banal.
18:15 - Mais vous êtes journaliste, vous animez une émission de radio.
18:17 Moi je serais incapable des journalistes d'animer une émission de radio.
18:19 Pour moi, le mot ne réduit pas.
18:21 Au contraire, le mot c'est un entonnoir, c'est un porte-voix qui féconde l'esprit de la lectrice ou du lecteur.
18:29 C'est-à-dire, moi je plante une phrase ou un mot et j'en dis le moins possible.
18:32 Je vais absolument à l'essentiel parce que je sais ou en tout cas j'espère que cette phrase va, dans l'esprit du lecteur, provoquer un feu d'artifice.
18:40 C'est-à-dire que je fais la moitié du travail, la lectrice et le lecteur font l'autre moitié du travail.
18:46 Parce que nos esprits sont peuplés d'images, sont déjà peuplés de sensations.
18:50 Et donc il y a cette rencontre qui se fait.
18:52 Mais résultat, les mots pour moi, et je pense que tous mes amis auteurs vous diront exactement la même chose, n'en ferment pas.
18:58 C'est même l'opposé.
18:59 Ça serait horrible si un livre était un carcan.
19:01 - Mais c'est intéressant ce que vous dit Jean-Baptiste Andréa parce que ça veut dire que vous, vous misez même sur la simplicité, presque la réduction.
19:08 - Absolument, c'est très précieux pour moi.
19:10 Ce livre a une forme relativement conventionnelle.
19:13 Moi je ne suis pas...
19:15 - Il fait quand même 600 pages, 580 précisément.
19:18 - Il y a trois niveaux de narration, mais en fait mon but est d'atteindre la simplicité la plus absolue.
19:26 Parce que la simplicité pour moi est noble.
19:29 Ça me fait penser à, je parle à mon passé de cinéma, mais à un réalisateur que j'adule et que j'ai adulé qui est Spielberg.
19:38 Et cette dernière scène de Indiana Jones et la dernière croisade.
19:43 C'est encore la façon d'écrire de Spielberg.
19:45 Et alors, pardon, spoiler pour ceux qui n'ont pas vu, bouchez-vous les oreilles,
19:48 mais quand il cherche le Graal, parmi tous ces vases dorés, chargés de pierreries, de formes très complexes,
19:55 le Graal est en fait la coupe du charpentier la plus simple, la petite coupe en bois parmi les coupes ornées de pierres précieuses.
20:02 Je trouve ça précieux de sculpter une petite coupe en bois toute simple.
20:06 C'est très difficile.
20:10 Fantômette, j'espère que tu sais ce que tu fais.
20:13 J'ai la voiture.
20:14 Tu dois arrêter.
20:16 Allez, on y va.
20:17 Assez tard, bougez pas.
20:18 Et silence radio. Le furé a peut-être moyen de nous entendre.
20:21 F comme Fantômette.
20:23 Les personnages de livres pour la jeunesse ou de films pour les jeunes ont un âge constant.
20:31 Et que je ne précise jamais d'ailleurs.
20:33 Parce que le lecteur ou la lectrice, surtout la lectrice, doit pouvoir s'identifier à Fantômette.
20:40 Et si c'est une lectrice qui a par exemple 9 ans et qu'on lui dise Fantômette a 10 ans, on va dire "oh c'est une vieille".
20:46 Et si Fantômette n'a que 8 ans, elle va dire "ah qu'est-ce que c'est que cette petite jeune".
20:49 Alors il ne faut jamais préciser l'âge des héros.
20:52 On ne connaît pas son identité exacte, mais on sait qu'elle va à l'école pendant la journée, qu'elle est très bonne élève,
20:58 qu'à la fin de la nuit, qu'elle met ce masque, qu'elle accroche cette cape sur ses épaules avec la fameuse agrafe en forme de F,
21:04 et qu'elle se lance à la chasse aux bandits.
21:06 Fantômette. Alors on a entendu un court extrait de l'épisode. Je le cite.
21:10 Vous, vous êtes fan Jean-Baptiste Andréa. Moi je ne connais pas bien Fantômette.
21:13 Du livre.
21:14 Du livre. Mais bon, on a entendu un extrait de la série télévisée de 1993.
21:18 C'était Fantômette et le collier de rap Saskou.
21:21 Et on a entendu une archive du créateur de Fantômette, Georges Chollet, qui date de 1992.
21:27 C'était dans l'émission Carousel sur France Culture.
21:30 Ça, par exemple, c'est la simplicité pour vous ?
21:32 C'est le petit pot du charpentier où l'écriture est simple, mais continue à énerver l'imagination, Fantômette ?
21:39 Ce qui est étonnant comme référence.
21:41 Je précise quand même que j'étais fan de Fantômette à 10 ans. Je ne le lis plus beaucoup, Fantômette.
21:46 Non, mais ça vous a peut-être encore...
21:48 En fait, tous mes livres ont une héroïne forte et une femme forte.
21:52 Et tout d'un coup, je me suis aperçu, à force de parler de mes livres, parce que quelqu'un m'a posé la question.
21:57 Quels sont les premiers livres que tu dévorais ? C'était Fantômette.
22:00 Mon premier héros, moi en tant qu'homme, mon premier héros était une fille fluette qui se mettait une cape et un masque et une agrafe en forme de F.
22:08 Et elle avait un bonnet à pompons.
22:10 Ça, c'est la première héroïne que vous avez écrite ?
22:13 C'est la première héroïne de ma vie, que j'ai lue.
22:15 Que vous avez lue ?
22:16 Oui, que j'ai lue, Fantômette.
22:17 Et donc, je crois qu'elle a infusé, avec les femmes fortes qui m'ont entouré, toute ma vie, elle a infusé mes personnages de femmes.
22:25 Mais c'est drôle, parce que, une nouvelle fois, je ne lis plus Fantômette, quand même.
22:28 Mais vous n'avez pas le droit de vous prémunir, Jean-Baptiste Andréa.
22:31 Même si vous le lisiez tous les soirs, on n'allait pas vous juger.
22:34 C'est vrai, merci.
22:35 J'essaie de compléter ma culture, ayant lu tous les Fantômettes, de lire des choses que je n'ai pas lues.
22:40 Alors justement, sur cette fabrication des personnages féminins, on en retrouve presque dans tous vos romans.
22:46 On pourrait le dire.
22:47 Vous avez dit tout à l'heure que vous n'aviez pas eu trop de mal à penser à Viola.
22:53 Alors, est-ce que c'est à vous mettre dans sa peau ?
22:58 Oui, je n'ai pas de mal à me mettre dans la peau de n'importe qui.
23:02 Vous ne vous interdisez rien ?
23:04 Non, je ne m'interdisais rien.
23:05 Comme je le disais tout à l'heure, je n'avais pas forcément envie de parler à la première personne dans la peau d'une femme.
23:09 Une nouvelle fois, ce n'est pas interdit.
23:10 Mais je me sentais plus à l'aise dans la peau du personnage de Mimô, qui est un peu pâteau, maladroit,
23:17 voire qui peut être un sale type, mais qui au fond a un grand cœur.
23:20 Je me sentais mieux dans la peau de Mimô pour parler de Viola et pour avoir un peu ce regard extérieur,
23:24 un peu perplexe.
23:26 Et à la fois perplexe, mais admiratif surtout, sur cette femme.
23:30 Mais oui, j'ai été entouré de femmes très fortes.
23:33 Je suis là aujourd'hui grâce à mon éditrice qui a changé, infléchi en tout cas, Sophie Thivry, le cours de ma vie.
23:40 Donc, je n'ai pas de mal à décrire ce genre de femme que je côtoie et que j'admire.
23:48 Et comment vous pensez justement à ces personnages-là ?
23:51 Que ce soit Mimô ou Viola, ou d'ailleurs tous les personnages secondaires en fait,
23:55 parce qu'on parle beaucoup de ces deux-là, c'est normal, mais qui sont très importants.
23:58 Je pense à Emanuele qui revient tout le long du roman, à Don Anselmo.
24:04 Comment vous les voyez ces personnages ?
24:06 Vous les fabriquez comme des personnages de cinéma par exemple,
24:09 avec même une manière de se mouvoir dans l'espace ?
24:11 Vous les imaginez ? Vous les voyez ?
24:13 Alors, moi je suis un grand adepte de la préparation d'un roman.
24:16 Je ne pars pas au fil de la plume sur une idée ténue.
24:18 D'abord, une idée ténue, c'est une fin.
24:20 Je sais où vont mes romans.
24:21 Ah oui ?
24:22 Oui, tous.
24:23 Une fois que j'ai la fin, avant d'écrire le premier mot, je me construis mon histoire.
24:27 Mais dans cette histoire, les personnages sont ceux qui restent le plus flous pour moi.
24:32 C'est-à-dire que les événements sont très précis.
24:36 Je fais un déroulé, j'ai un carnet couvert de scènes, de notes, non dialoguées, pas de style.
24:42 Mais les personnages restent flous.
24:44 C'est trois traits.
24:46 J'esquisse Viola, femme, indépendante, forte, brillante, riche, arrogante et tendre.
24:55 Mimo, maladroit.
24:57 Donc ça, ça me suffit.
24:59 Après, au moment où je me mets à écrire, c'est que j'ai toute mon histoire.
25:02 Et là, j'étoffe les personnages au fil de la plume.
25:05 C'est la seule chose qui arrive au fil de la plume, c'est l'étoffe des personnages.
25:08 Ils prennent vie dans les dialogues pour moi.
25:11 J'adore les dialogues.
25:12 C'est négligé en littérature, les dialogues, je trouve.
25:16 Vous trouvez qu'on n'en fait plus ?
25:17 Ou mal ?
25:18 Mal, non.
25:20 Mais je trouve que quand on le fait bien, et ça c'est l'expérience du cinéma,
25:28 je ne sais pas si je le fais bien, mais il y a quelque chose de magique qui se produit.
25:31 On peut dire infiniment de choses avec juste un petit bout de dialogue,
25:36 plutôt que trois pages de description.
25:38 Mais y compris dans la richesse psychologique des personnages.
25:41 Il peut passer énormément de choses.
25:43 C'est pour ça que le dialogue doit être hyper précis.
25:46 C'est très risqué aussi un dialogue, parce que ça peut très vite tomber à plat, sonner faux.
25:51 Comment on sait ce que c'est qu'un bon dialogue ?
25:53 Pour vous c'est quoi un bon dialogue ?
25:55 Vous avez dit "sonner faux", le truc qu'on ne dirait jamais dans la vie.
25:58 On a tous l'exemple, par exemple au cinéma, on le voit beaucoup,
26:01 une nouvelle fois ce n'est pas systématique, mais on voit quand ça ne marche pas,
26:05 des gamins de 9 ans qui ont des phrases qui ne correspondent pas exactement à leur âge,
26:10 et on sent l'adulte qui a mis les phrases.
26:12 Ou alors des phrases un peu plates qui ont été dites par 1000 personnages de cinéma avant eux.
26:16 Donc il faut trouver la phrase qui soit une phrase du quotidien,
26:19 mais en fait ça ne peut pas être une phrase du quotidien, parce que ça serait plat dans le roman.
26:24 Donc il faut trouver une phrase qui soit assez extraordinaire pour être dans le roman,
26:28 mais qui en même temps, dans ce temps suspendu du roman, puisse passer pour une phrase du quotidien.
26:35 Ça n'est pas explicable, c'est du ressenti.
26:38 Je ne peux pas expliquer.
26:40 - Combien de temps vous mettez à écrire, à vous dire là j'ai le bon dialogue ?
26:46 - Alors en fait, paradoxalement, une fois que j'ai passé sur ce livre,
26:49 j'ai passé 10 mois à écrire la structure.
26:51 Une fois que la structure est là, j'ouvre un fichier, tout est à la plume avant,
26:55 et là j'ouvre un fichier, je commence à taper sur l'ordi, j'écris d'un trait.
26:58 Et là j'écris vraiment d'un trait.
27:00 - Donc 10 mois de préparation, 1 mois d'écriture ?
27:02 - Non, 4 ou 5 mois d'écriture en tout.
27:05 D'affilée, je peux passer 12 heures par jour à écrire, mais je n'écris que 3 pages par jour.
27:10 Parce que j'attends ce moment où ça va sortir d'un trait, ça va être juste et ça va être vrai.
27:15 C'est une forme de trans, et ça ne peut pas durer 12 heures par jour.
27:18 Donc j'attends ce moment de la journée où ça va se passer.
27:20 Parfois c'est au début de la journée, parfois c'est une demi-heure et je trouve ça tellement super,
27:24 j'écris une page, je m'arrête pour préserver, avoir encore cette sensation un peu plus tard dans la journée.
27:28 Mais je m'arrête toujours plus ou moins à 3, 4 pages maximum par jour.
27:31 Et de là, sortent des choses... En fait c'est la condition de la vérité pour moi.
27:36 Que je n'ai pas de calcul dans l'écriture, dans la voie littéraire je ne la calcule pas.
27:39 Je ne cherche pas mes mots, je ne cherche pas à placer des mots particuliers,
27:42 je ne cherche pas des sonorités particulières, je cherche l'instinct.
27:46 - Vous n'êtes vraiment pas dans le travail formel ?
27:49 - Non, le travail formel est dans la structure, pas dans la langue.
27:52 - Et vous disiez que les personnages finalement c'était ceux qui étaient les moins travaillés en amont.
27:56 Là l'écriture est obligée de les travailler. C'est-à-dire la manière dont Viola va prendre la parole ?
28:00 - Je le découvre dans mes 3 pages par jour.
28:03 En fait, comme je n'ai pas à penser à ce qui va se passer après la scène que j'écris,
28:07 cette partie de mon cerveau est libérée et me permet de me plonger dans cette forme.
28:12 C'est vraiment une forme de trance. Je ne veux pas passer pour un fou mais je suis là.
28:16 - Vous êtes agi, comme on dit, par le stylo ?
28:20 - Non, je ne veux pas... Non, ce n'est pas ce stade du cliché.
28:23 Je suis très concentré. On peut faire sauter des pétards derrière moi, ça ne me fait rien.
28:26 Je suis très concentré devant l'ordi. C'est un moment de joie.
28:29 Je dis trance parce que c'est un vrai moment de plaisir. Il y a presque des endorphines.
28:33 Tous les gens qui font un peu de sport connaissent ce moment.
28:36 Au début, c'est pénible. Puis il y a le second souffle.
28:38 Et là, on vole, quel que soit le truc qu'on fait.
28:40 Si on court ou si on nage, on a ce moment où tout va bien.
28:42 Moi, c'est ça la sensation de l'écriture. C'est ça que j'appelle la trance.
28:45 Là, les choses sortent.
28:47 Soit la trance arrive, et une nouvelle fois, en général, elle arrive.
28:50 Parce que je l'ai préparée formellement pendant 10 mois.
28:53 Si ça arrive, il y a très peu de réécriture dans ce moment.
28:56 Il y a 10 ou 15 % à la fin, avec mon éditrice, de réécriture.
29:00 Mais si vous lisiez le manuscrit original, il est très proche de ça.
29:03 Ce qui est fou, c'est qu'on le sent cette construction des personnages.
29:07 Parce que ce sont des personnages qui se construisent au fur et à mesure de leur vie.
29:11 Ce qui est aussi le cas dans vos autres romans, où il y a vraiment des parcours particuliers.
29:14 J'y pense en vous voyant, Jean-Baptiste Andrès,
29:17 ce qui correspond aussi peut-être à vous-même.
29:20 Qui vous fabriquez en tant qu'écrivain ? Qui avancez ?
29:26 Oui, il y a toujours, en tout cas dans les héros de mes livres,
29:29 ce parallèle que je mets plus ou moins déguisé entre ce combat que j'ai mené pour réaliser ce rêve
29:34 d'écrire un jour, d'être moi-même.
29:38 Quand j'ai rencontré mon éditrice, quand elle m'a dit "j'aime ce que tu fais",
29:45 j'ai eu pour la première fois de ma vie l'impression d'être complètement aligné avec moi-même.
29:50 Je n'étais pas malheureux avant, je suis un mec très optimiste et très solaire.
29:54 Mais là, cette sensation dont je ne savais même pas qu'elle existait,
29:57 que je pouvais être en parfaite résonance avec moi-même et avec tous mes rêves,
30:01 je me suis senti tellement bien.
30:04 C'est pour ça que depuis 2017, je vis ce rêve d'être écrivain.
30:07 Il y a ce parallèle, et je rends ça plus romanesque chez mes héros,
30:11 qui s'en éloignent beaucoup plus que moi.
30:13 Mais moi, mes études ne correspondaient pas à ce que je voulais faire, par exemple.
30:16 J'ai fait des études très sérieuses, mais je voulais écrire.
30:18 De commerce ?
30:19 Oui, et de sciences politiques.
30:21 Je ne dis pas que je n'en ai pas tiré quelque chose,
30:23 en tout cas du côté sciences politiques plus que du côté commerce.
30:26 Mais j'aime avoir des personnages très désalignés au départ,
30:34 et le roman les aligne.
30:36 C'est Amy.
30:40 Hein ?
30:42 Une petite fille.
30:44 Son nom est Amy.
30:46 Oh.
30:48 Elle a tellement froid.
30:51 Oui, je ne suis pas surpris. Il fait froid ici.
30:54 Tiens, tu vas la tenir.
30:58 Non, non, je ne suis pas vraiment un type de bébé.
31:09 Comment elle respire avec tout ce blanquet sur sa tête ?
31:12 Ne t'inquiète pas.
31:14 Elle est morte.
31:16 C'est une bonne question.
31:21 Oh mon Dieu !
31:29 Oh, merde !
31:34 Qu'est-ce que c'était ?
31:35 Richard ! Richard !
31:37 Oui, je suis là !
31:39 Viens ici !
31:41 Où sont Brad et la dame ?
31:46 Brad ?
31:49 Oui, je suis bien. Qu'est-ce qui se passe ?
31:51 Brad ?
31:52 Hé, Dickhead !
31:55 Dead End, un film de vous, Jean-Baptiste Andréa, qui a 20 ans aujourd'hui,
32:01 qui est sorti en 2003, qui est un film d'horreur.
32:05 Mais qui êtes-vous, Jean-Baptiste Andréa ?
32:08 C'est fou, la première seconde m'a ramené 20 ans en arrière, cette voix, comme si c'était hier.
32:17 Oui, mais surtout, vous avez fait ouf !
32:19 Oui. C'est toute l'illustration de la différence entre le cinéma et la littérature,
32:25 question qu'on me pose souvent.
32:27 C'est-à-dire que j'ai pris ce virage du cinéma, je l'ai mesuré après coup,
32:32 précisément parce que je ne m'autorisais pas encore à assumer complètement le fait d'être écrivain,
32:37 et je ne m'autorisais pas à un roman.
32:41 En plus, j'ai fait beaucoup de scènes, donc j'avais quand même l'amour de la scène, ça c'est vrai,
32:45 je me suis dit, le cinéma me correspond.
32:47 Le cinéma est calcul en permanence.
32:49 C'est lourd ! C'est des équipes, c'est des financements.
32:52 En 2001, le CNC m'a dit "Ton univers n'est pas assez français".
32:56 Je les ai appelés sur un projet qui était en finale d'une commission de court-métrage.
33:01 On s'était fait jeter, j'avais un co-auteur, et je leur ai dit "Votre univers n'est pas assez français".
33:07 Et là je me suis dit "Ouh là, c'est mal barré pour nous si l'univers culturel est national".
33:11 Ça avait des petits relents totalitaires d'ailleurs.
33:14 Et donc je dis à mon co-auteur "Fabrice, écoute, il faut qu'on écrive en anglais,
33:18 c'est une langue qu'on adore tous les deux, moi je parle depuis longtemps".
33:21 Et on écrit ce film en anglais, et on se dit "Comme ça on aura un public large,
33:26 on va aller le tourner nous-mêmes dans la forêt de Rambouillet avec les petites caméras de l'époque,
33:29 et puis on va faire un film d'horreur parce que l'horreur, ça vend".
33:31 Donc il y avait un calcul.
33:32 Oui, il y avait un calcul quand même, il fallait le viser.
33:34 Tout à fait. Donc on a écrit ce film, tout d'un coup ça s'est emballé,
33:37 on est parti aux Etats-Unis parce que c'est tombé chez Studio Canal,
33:39 ils nous ont dit "Arrêtez la forêt de Rambouillet, vous partez aux Etats-Unis".
33:41 On est parti aux Etats-Unis.
33:42 Et finalement, on en a fait autre chose qu'un film d'horreur.
33:45 En fait, c'est un film sur les secrets de famille, et donc il y a assez peu de gore.
33:49 Et c'est un film qui est devenu culte, qui est assez dérangeant parce qu'un coup on sursaute,
33:54 et la minute d'après on rit.
33:56 Donc ça a créé un film assez unique.
33:58 Mais il y a eu toujours ce calcul, et plus les films avançaient,
34:01 plus le calcul devenait, pas cynique mais calcul,
34:06 plus les budgets devenaient importants,
34:10 plus il fallait appliquer de personnes qui donnaient leur avis,
34:12 et plus je m'éloignais des mots, de l'écriture, de ce qui me plaisait fondamentalement.
34:17 Je m'éloignais de l'histoire que je voulais raconter.
34:20 Et puis à un moment j'ai eu un gros burn-out,
34:24 et je me suis dit "J'ai juste besoin de faire quelque chose pour moi,
34:28 j'ai besoin de me faire du bien".
34:29 Et j'ai écrit "Ma Reine", mon premier roman.
34:33 J'y pensais depuis 4 ans,
34:35 je ne savais pas du tout comment m'y prendre,
34:37 je me disais "Je suis scénariste, comment on écrit un roman ?
34:39 Par quel bout on le prend ?"
34:41 Je passais de la contrainte à la liberté absolue.
34:43 Et tout d'un coup dans ce moment de burn-out,
34:45 j'ai cette vision de cette histoire,
34:47 ces deux gamins qui se retrouvent sur un plateau,
34:49 d'ailleurs il y a des parallèles entre les deux,
34:51 entre ce roman le premier et le dernier.
34:53 - Entre Veillé-sur-Alain et Martin.
34:55 - Et j'écris ce roman pour moi, jamais,
34:58 je me dis "Ça va être publié".
35:00 - Si, vous voulez devenir écrivain Jean-Baptiste.
35:02 - Oui, mais bien sûr, à 9 ans,
35:05 j'ai fait du cinéma, j'ai fait de la scène,
35:07 mais je suis réalisateur à cette époque.
35:09 Et donc je ne me dis pas "Tiens, non, j'écris ce roman,
35:12 je le finis".
35:13 Pour moi, je me dis "Rappelle-toi en l'écrivant,
35:15 rappelle-toi de la joie que tu éprouves,
35:17 c'est ça que tu ne dois jamais abandonner,
35:18 tu ne dois plus te compromettre".
35:19 Ce roman, je le finis, il est petit, il est court,
35:21 il me prend 2 mois à écrire.
35:23 Et je me dis "Qu'est-ce que j'en fais ?"
35:24 "Bah écoute, je bosse dans l'écriture et mon métier,
35:26 je ne vais pas le garder sur mon bureau,
35:28 vous voyez, je l'envoie".
35:29 J'ai 14, 15 refus.
35:32 Et ça tombe chez l'Iconoclast,
35:34 qui m'appelle tout de suite en me disant
35:36 "Le montre à personne, on adore ça,
35:38 et on veut le publier".
35:39 Mais je vous promets qu'au moment où je l'ai écrit,
35:42 sur la vie de ma mère,
35:45 qu'elle ne s'inquiète pas,
35:47 et que je ne me suis pas dit,
35:49 je l'ai vraiment écrit, c'était court ce moment,
35:52 je ne me suis pas dit "Je vais le publier".
35:54 - Mais vous l'avez saisi ?
35:55 - Oui, c'est ça.
35:56 Peut-être qu'au fond, je me disais
35:57 "Je me suis même pas posé la question".
35:59 Et je me rappelle de m'être dit à la fin
36:01 "Tiens, il est là, je l'envoie alors".
36:04 Voilà, c'était un moment étonnant dans ma vie.
36:08 Donc toute la différence est là,
36:09 tout d'un coup j'abordais la liberté.
36:11 Je sautais du nid avec mes petites ailes
36:15 pour voir si ça volait.
36:16 - Et ça a marché.
36:17 Bravo Jean-Baptiste Andréa,
36:19 merci d'avoir été avec nous aujourd'hui,
36:21 au lendemain du prix Goncourt.
36:23 On est très heureux pour vous.
36:25 Ce roman, c'est Veillez sur Elle,
36:27 c'est aux éditions, très belles éditions,
36:29 de l'Iconoclast, il faut les saluer,
36:31 vous en avez bien parlé Jean-Baptiste Andréa.
36:33 Pour finir, vous avez le choix entre deux chansons
36:35 que nous avons sélectionnées.
36:37 Soit vous pouvez écouter une chanson
36:39 qui parle de la vie d'artiste,
36:40 en référence à votre personnage principal Mimo,
36:42 soit une chanson en référence à une belle héritière,
36:45 en référence à votre autre personnage principal, Viola.
36:48 - La vie d'artiste.
36:50 - Allez, la vie d'artiste.
36:51 ♪ ♪ ♪
36:56 ♪ ♪ ♪
37:01 ♪ ♪ ♪
37:06 ♪ ♪ ♪
37:09 ♪ Si t'as l'égard de vous-même, je peux rester un jour ou deux ♪
37:13 ♪ Pour que vous m'enseigniez à tempérer la viande et à faire l'argent ♪
37:18 ♪ Et si ça ne va pas, je prends mon sac et je fais la course ♪
37:22 ♪ Ce que vous ne méritez pas, c'est la difficulté de la vie d'artiste ♪
37:27 ♪ Nous n'avons jamais eu de problème pour vivre l'un avec l'autre ♪
37:31 ♪ Comme très peu, je dors n'importe où ♪
37:36 ♪ Je ne m'inquiète pas avec votre façon, car mon façon est un peu tordue ♪
37:40 ♪ C'est pour ça que j'ai besoin maintenant de vous entendre ♪
37:43 ♪ Si t'as l'égard, ou si tu n'as pas l'égard, si t'as l'égard pour vous, je peux rester ♪
37:48 ♪ Un jour ou deux, pour que vous m'enseigniez à tempérer la viande et à faire l'argent ♪
37:54 ♪ Et si ça ne va pas, je prends mon sac et je fais la course ♪
37:59 ♪ Ce que vous ne méritez pas, c'est la difficulté de la vie d'artiste ♪
38:04 ♪ ♪ ♪