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00:00 * Extrait de « Le Pouet du Père » de M. Le Pen *
00:19 Ils sont au nombre de 84.
00:21 84 vers qui composent le poème français le plus traduit, le plus diffusé, le plus lu.
00:26 Bref, certainement le poème français le plus célèbre au monde.
00:29 84 vers, 21 strophes du poème « Liberté » de Paul Eluard.
00:33 Et c'est à ce monument que notre auteur du jour a décidé de consacrer son premier
00:38 roman, l'occasion pour nous, dans le Book Club, de nous replonger dans la vie du poète
00:42 français, ses amitiés, ses amours, ses rencontres et ce qu'il en reste aujourd'hui.
00:47 Un poème, nous dit notre lectrice Noemi, qui contient le monde.
00:52 * Extrait de « Le Pouet du Père » de M. Le Pen *
00:53 Sur mes cahiers d'écoliers,
00:54 ça a été une de mes premières découvertes poétiques.
00:55 Sur toutes les pages blanches,
00:57 j'ai senti la puissance que provoquaient les mots d'Eluard.
01:01 Et c'est une poésie qui nous rassurait aussi.
01:04 Sur le risque disparu, sur l'espoir sans souvenir.
01:07 France Culture, le Book Club, Nicolas Herbeau.
01:12 J'écris ton nom.
01:13 Clémence, Béatrice, Patricia, Noemi et Aurélien, lecteurs et lectrices du jour, toutes et tous
01:19 avides de liberté.
01:21 Bonjour Xavier Donzelli.
01:22 Bonjour.
01:23 Vous êtes journaliste, secrétaire de rédaction à la revue Historia et vous publiez donc
01:26 votre tout premier roman.
01:28 Et par le pouvoir d'un mot aux éditions Segers.
01:31 Ce titre, c'est l'un des 84 vers de ce mythique poème « Liberté » qui vous passionne,
01:38 qui vous obsède.
01:39 Xavier Donzelli, depuis combien de temps ?
01:40 Depuis longtemps.
01:41 Depuis longtemps, j'ai une grande passion pour Paul-Éluard.
01:46 Une passion platonique et poétique, entendons-nous bien.
01:51 Et le poème « Liberté », c'est le plus connu.
01:55 C'est aussi celui qui a l'histoire la plus folle, la plus romanesque.
01:59 Et en fait, j'ai voulu allier le plaisir de la lecture au plaisir de la recherche.
02:05 Je me suis lancé dans cette enquête sur le poème.
02:07 Une enquête, vous dites, ça veut dire que vous êtes allé voir des documents, aller
02:11 lire des manuscrits ? Quelle a été la démarche ?
02:14 Oui, c'est ça.
02:15 D'abord, il a fallu recouper toutes les sources, c'est-à-dire revenir aux références
02:18 propres.
02:19 C'est-à-dire, le poème a été beaucoup commenté.
02:21 Ne serait-ce que dans les œuvres complètes d'Éluard, il y a une notice assez importante.
02:25 Et puis après, il y a même beaucoup de documents.
02:28 Le poème a même sa fiche Wikipédia.
02:30 Et en même temps, de l'un à l'autre, il y a des petites différences, il y a des
02:36 petits défauts dans le temps, des petits accros chronologiques.
02:39 Et j'ai voulu aller chercher et rétablir une forme de continuité entre ce qu'on
02:45 dit et ce qui est plausible ou probable.
02:48 Et on va voir ça évidemment avec vous en parcourant les pages de votre roman.
02:51 Pour échanger sur ce poème, sur cet auteur aussi, nous avons convié Yann Hover.
02:56 Bonjour Yann.
02:57 Vous êtes la directrice du musée d'art et d'histoire pour Paul Éluard à Saint-Denis.
03:01 Paul Éluard qui était lui-même lyonnaisien.
03:04 Absolument.
03:05 Paul Éluard est né en 1895 à Saint-Denis.
03:07 Et c'est lui qui a choisi de faire don à sa ville natale d'un ensemble d'œuvres,
03:10 de manuscrits, d'éditions qui ont constitué le noyau de ce fonds Paul Éluard qui est
03:13 un fonds aujourd'hui de référence sur le poète.
03:15 Qui est Paul Éluard ? Qui on découvre quand on entre dans cette salle de votre musée ?
03:19 On découvre une figure plus complexe que celle que l'on pense parfois.
03:25 On a souvent une image, effectivement ce poème Liberté est très très connu.
03:30 On a l'image de ce poète de l'amour, de la résistance.
03:33 Quand on se met à lire ses textes, quand on entre dans ses archives, dans ses papiers
03:38 personnels, ses documents, ses manuscrits raturés dans lesquels on voit comme les repentirs
03:43 d'un tableau, l'écriture à l'œuvre et vraiment le travail du poète en mouvement,
03:48 on s'aperçoit que c'est quelqu'un d'extrêmement précis, qui cherche le mot juste, qui va
03:54 parfois jusqu'à raturer cinq, six fois un même mot jusqu'à trouver le mot qui lui convient.
03:59 Une écriture qui est à la fois très généreuse et très tendue, je dirais, très précise,
04:05 très riche.
04:06 Un amoureux des femmes, on l'a beaucoup dit, des femmes qu'il a aimées, sur lesquelles
04:11 il a beaucoup écrit.
04:12 Un poète qui a eu des engagements très forts à travers la résistance mais aussi après
04:17 la guerre dans le mouvement pour la paix, mais aussi un amoureux de la peinture et des
04:21 arts, puisque Éluard était entouré de nombreux artistes et il a énormément écrit à leur
04:25 sujet.
04:26 Et notamment de deux mouvements qui sont nés évidemment au début du XXe siècle, les
04:32 dadaïstes et les surréalistes.
04:33 André Breton disait avoir été impressionné, le théoricien, le fondateur du surréalisme,
04:39 avoir été impressionné par Paul Éluard.
04:41 C'était l'un de ses amis très fidèles, en tout cas pendant une bonne partie de ses
04:47 écrits, de sa vie d'artiste.
04:48 - Ils ont eu en effet des relations très fortes et les textes qui nous sont parvenus en témoignent.
04:54 - Alors on le disait, les dadaïstes, depuis 1918-1919 jusqu'à les années 40 évidemment
05:01 pour le surréalisme et puis dans les années 40, 42-43, Paul Éluard entre dans ce groupe
05:08 qui est le groupe de la revue La Main à Plume et c'est cette période-là que raconte votre
05:13 roman Xavier Donzali puisque c'est à ce moment-là qu'il va écrire ce poème "Liberté".
05:18 Noémie a lu votre roman, Noémie qui vit dans les Hauts-de-France et qui nous donne son
05:22 impression.
05:23 "Depuis toujours je lis de la poésie et Liberté est un de ces textes qui traverse la vie avec
05:29 moi.
05:30 En ses mains devant mes camarades de classe, aucune d'estrophe à déclamer ne m'est
05:34 revenue.
05:35 Adolescente, j'ai redécouvert ce poème.
05:37 Il est devenu mon armure, je trouvais qu'il contenait le monde.
05:40 Il y a quelques semaines, j'ai appris la formation de ce poème grâce à la lecture
05:44 du roman très documenté de Xavier Donzali.
05:47 Il met en lumière la manière, le contexte, l'état d'esprit de Paul Éluard quand
05:51 il l'a composé.
05:52 Il était très amoureux.
05:53 Une seule pensée l'obsédait, c'était elle.
05:57 Cette humilité émotionnelle font alors écho à l'effroyable occupation allemande qui
06:02 figeait les existences.
06:04 Le poème Liberté est alors au monde.
06:06 C'est l'effervescence des auteurs jusqu'aux libraires, tous les maillons irremplaçables
06:11 de cette chaîne pour risquer leur vie, pour l'amener à sa diffusion et son largage
06:16 par la RAF.
06:17 L'auteur, dans un style délicat, dont les mots sont choisis avec méticulosité, donne
06:22 enfin leur place à ce grâce à qui Liberté a pu être diffusée et regonfler d'espoir
06:27 la population opprimée pour devenir l'un des plus connus des poèmes de la littérature
06:31 de la résistance.
06:32 D'ailleurs, j'ai une question à vous poser, Xavier Donzelli.
06:36 En temps de guerre, le poète peut-il être considéré comme un soldat ?
06:40 - Bonne question.
06:42 Il y a eu des poètes soldats.
06:44 René Char, on est l'exemple le plus parfait, c'est le capitaine Alexandre.
06:50 Il renonce à écrire, il renonce à l'écriture sous l'occupation allemande et il part, en
06:56 fait, dans les Alpes pour participer à un réseau de résistance, notamment de parachutage.
07:02 Il y en a eu d'autres qui ont pris les armes.
07:03 Éluard n'a pas pris les armes.
07:06 Éluard, ses armes, c'est les mots.
07:08 Il faut se dire aussi qu'Éluard, il a quand même 47 ans en 1942, donc il est plutôt jeune.
07:13 C'est peut-être pas facile de redevenir combattant à son âge.
07:17 Et en tout cas, lui, non, il se positionne.
07:19 Mais c'est pas quelqu'un qui fuit le combat.
07:22 Parce qu'Éluard reste à Paris, dans le Paris occupé.
07:26 Il revient à Paris dès la chute de la République.
07:31 En fait, il revient, je crois, en septembre 1940.
07:33 Il a été mobilisé aussi pendant la guerre.
07:35 C'était un des plus vieux lieutenants de l'armée française.
07:38 Il n'a pas combattu parce qu'il était dans le sud de la France, mais il a dû s'évacuer
07:42 comme la plupart des soldats sous la poussée allemande et il s'est retrouvé dans le Tarn.
07:46 Et il revient à Paris.
07:48 Donc, il affronte cette occupation allemande.
07:50 Il est là.
07:51 Il publie sous le joug allemand.
07:54 Il publie en zone libre.
07:56 Il publie aussi à Paris.
07:57 Donc, vous parliez de la Main à Plume.
07:58 La Main à Plume, c'est une maison d'édition.
08:01 C'est un groupe surréaliste qui publiait des revues assez confidentielles du point
08:06 de vue du tirage, de l'ordre de 500 exemplaires, 300, 500 exemplaires.
08:09 Et il faisait ça dans le Paris occupé.
08:12 Les Allemands les considèrent un peu comme des hurlus berlus parce que c'était des surréalistes
08:16 un peu chahuteurs.
08:17 Mais quand la Main à Plume publie le recueil "Poésie et vérité" de 1942 de Paul Eluard,
08:23 ce n'est pas du tout la même affaire parce que là, on est sur un tirage de 5000 exemplaires.
08:27 C'est considérable.
08:28 Et le propos ne fait plus du tout rire les Allemands.
08:30 - Évidemment.
08:31 Et quand Noemi parle de soldats, c'est parce que vous l'avez dit, on est dans cette période
08:34 de la Seconde Guerre mondiale, dans la France occupée.
08:36 Et Paul Eluard va tout de même s'isoler, en tout cas, en quelque sorte, pour écrire
08:41 ce poème puisque tout débute à Vézelay où il est réfugié avec sa compagne Nouch.
08:46 Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Comment est-ce qu'il écrit ce poème ? Qu'est-ce
08:51 que représente ce poème ? Comment on peut le décrire pour ceux qui ne connaîtraient
08:54 pas avant de l'entendre dans quelques instants ?
08:56 - C'est un poème très long.
08:58 C'est un poème qui a une place particulière dans l'œuvre d'Éluard parce que les poèmes
09:03 d'Éluard ne sont pas sur le même modèle.
09:06 Là, il a choisi un modèle assez répétitif.
09:10 Tous les vers commencent par « sur » et chaque strophe se termine par « j'écris ton nom ».
09:16 Seule la dernière strophe est différente.
09:18 Donc il y a une structure vraiment répétitive, itérative.
09:21 Et ce n'est pas commun chez Éluard.
09:24 Après, c'est un poème qui est à la fois très simple dans le choix des mots, mais
09:29 ça c'est un petit peu général pour Éluard, et qui en même temps développe plusieurs
09:34 thématiques.
09:35 C'est un poème à la fois d'urgence, de combat, et puis aussi avec de vraies ouvertures
09:42 poétiques comme on peut dire quand il décrit certains vers sur le lac « lune vivante »,
09:51 sur l'étang « soleil moisi ».
09:52 On voit vraiment des images très belles et qui sont vraiment de l'ordre de la poésie.
09:57 Puis il y a des images un peu plus simples sur les armes des guerriers, sur la couronne
10:01 des rois, etc.
10:02 C'est un poème qui peut toucher à peu près tout le monde, ceux qui sont initiés
10:05 à la poésie et qui l'apprécient pour sa justesse et la pureté de ses images, et
10:11 puis ceux qui cherchent vraiment un champ d'espoir.
10:15 - Ce qui est très amusant, intéressant aussi dans votre roman, c'est qu'on a l'impression
10:19 qu'il écrit vraiment au fur et à mesure du temps qui passe.
10:22 C'est-à-dire des expériences qu'il vit durant cette période-là.
10:27 Pendant combien de temps il écrit ? Est-ce qu'il l'écrit d'un trait dans la réalité
10:30 ou est-ce qu'il est nourri de tout ce qui se passe ? Est-ce qu'on sait ça ?
10:34 - On ne sait pas exactement.
10:35 Après, moi j'en ai déduit certaines choses.
10:38 Déjà, dans la manière de…
10:40 Madame Lenoveur disait que Paul-Éluard reprenait beaucoup ses poèmes.
10:43 Or là, on est quand même sur un poème de 21/40, vous parliez de 85 vers, c'est quand
10:49 même considérable.
10:50 Sachant que c'est un monsieur qui reprend beaucoup, on peut estimer qu'il ne l'a
10:53 pas écrit d'un trait ou en tout cas qu'il l'a beaucoup repris.
10:56 Et Éluard lui-même disait que c'était un poème à l'origine d'un poème d'amour
11:00 qu'il voulait dédier à la femme qu'il aime, Nouch, sa deuxième femme, et qu'il
11:04 a changé pour que ce poème englobe une idée plus vaste qui était celle de la liberté.
11:08 Ça, c'est la liberté propre du poète d'expliquer son œuvre après.
11:12 Moi ce que j'ai voulu faire, c'était justement de rentrer un petit peu, si on peut dire,
11:17 dans la tête de Paul Éluard et de se mettre un petit peu à sa place quand il écrivait
11:20 ce poème.
11:21 Qu'est-ce qu'il a pu ressentir ? Parce qu'on a, par exemple, des traces, notamment
11:24 il y a un manuscrit qui est reproduit au début du livre, où on voit beaucoup de ratures.
11:28 C'est-à-dire que ça commence comme un beau manuscrit bien parfait, bien immaculé,
11:33 puis en cours de route, tout d'un coup, il barre un vers, il change une strophe, etc.
11:37 Donc on voit qu'il était sans arrêt dans une démarche de refonte et de réécriture.
11:42 - Agnès Nevers, vous avez cette chance d'avoir l'un des manuscrits sous la main, si je
11:46 puis dire, même si effectivement il doit être ouvert et bien protégé, puisque l'un
11:50 des manuscrits de ce poème "Liberté" est dans votre musée.
11:54 Vous êtes d'accord ? Il est raturé ? Comment il a décrivé le "nous" ?
11:58 - Alors effectivement, il a des ratures.
12:01 C'est vrai, c'est un des manuscrits, on en connaît plusieurs.
12:04 C'est le seul manuscrit de travail que l'on connaisse de ce poème.
12:07 C'est le seul manuscrit dans lequel on voit cette écriture à l'œuvre.
12:10 Et pour moi, il a, à ce titre, une place tout à fait particulière dans les documents
12:15 qui ont pu nous parvenir.
12:16 Effectivement, comme dit Xavier Denselé, le début du poème est écrit sans rature.
12:22 Il a donc probablement été d'abord écrit sur un autre support, puis reporté sur cette
12:26 page quadrillée, comme un cahier d'écoliers, si je peux me permettre.
12:30 Et on voit ensuite le travail en cours, le travail d'écriture, les ratures, les verbes
12:36 arrêts, parfois des strophes entières.
12:37 Et à la fin, plus tard, après l'écriture, ce manuscrit a été signé par Elie Weyer,
12:45 par sa très belle signature.
12:46 Donc, il avait tout à fait confiance qu'il ne s'agissait pas seulement d'un brouillon,
12:51 mais réellement d'une pièce importante qui allait être transmise, peut-être à
12:57 travers les générations.
12:58 - Xavier Denselé, vous citez en exergue de votre livre une conférence donnée par Paul
13:04 Eluard en 1946 à l'Institut français de Prague, qui se termine par « Aussi le poète
13:09 ne connaît le titre de son poème qu'après l'avoir écrit.
13:12 Et si je ne me trompe pas, sur les manuscrits, le titre est raturé et modifié.
13:18 Alors, quel était le titre initial ? Est-ce qu'on le sait ? Et pourquoi est-ce qu'on
13:23 est arrivé à ce titre liberté ? »
13:24 - Alors, le titre initial, c'était une seule pensée.
13:27 Ça, c'est irréfutable.
13:29 Et c'est devenu liberté.
13:31 C'est un poème qui a circulé sous deux titres.
13:33 C'est ça qui est important.
13:34 C'est-à-dire qu'il a connu deux histoires, deux filières de diffusion.
13:37 Et ça permet aussi de tracer les pistes.
13:42 Quand je faisais mes recherches, par exemple, c'était un indice vraiment fiable.
13:45 Pourquoi il a choisi pour liberté ?
13:48 Peut-être parce qu'une seule pensée, c'était peut-être pas assez précis, trop allusif,
13:53 qu'on ne voyait pas trop à quoi il faisait référence.
13:55 Et sur cette question du changement de titre, alors il y a plusieurs versions, mais moi,
14:00 pour avoir vu les différents manuscrits d'Eluard, notamment ce premier manuscrit,
14:04 celui qu'on estime être le plus ancien en tout cas, le titre est déjà barré.
14:08 Donc il y a déjà une hésitation sur le titre dès le moment de sa composition, en quelque sorte.
14:12 Donc ça laisse la place à beaucoup d'imagination.
14:15 "Sur mes cahiers d'écoliers, sur mon pupitre et les arbres, sur le sable, sur la neige,
14:22 j'écris ton nom.
14:23 Sur le sable, sur la neige, j'écris ton nom.
14:26 Sur toutes les pages lues, sur toutes les pages blanches, pierre, sang, papier ou cendre.
14:33 J'écris ton nom.
14:35 Sur les images dorées, sur les armes des guerriers, sur les armes des guerriers,
14:39 sur la couronne des rois, j'écris ton nom.
14:43 Sur la jungle et le désert, sur les nids, sur les jeunets, sur l'écho de mon enfance,
14:49 j'écris ton nom.
14:50 Sur les merveilles des nuits, sur le pain blanc des journées, sur les saisons fiancées,
14:56 j'écris ton nom.
14:57 Sur tous mes chiffons d'azur, sur les temps soleil moisi, sur le lac lune vivante, j'écris
15:04 ton nom.
15:05 Sur les champs, sur l'horizon, sur les ailes des oiseaux et sur le moulin des ombres, j'écris
15:11 ton nom.
15:12 Sur chaque bouffée d'or, sur la mer, sur les bateaux, sur la montagne démente, j'écris
15:17 ton nom.
15:18 Sur la boue des mirages, sur les sueurs d'armes, sur les châteaux, sur les rues d'or, sur
15:25 la vie épaisse et fade, j'écris ton nom.
15:30 Sur la forme sainte, sur les cloches décorées, sur la boue des critiques, j'écris ton nom.
15:40 Sur tous ces endroits sur lesquels j'aimerais voir le mot liberté.
16:09 - Des vers qui sont gravés dans votre tête.
16:12 Il y a d'autres lecteurs et lectrices qui vont nous le dire et qui vont nous raconter
16:15 leur expérience de ce poème qu'on apprend souvent à l'école.
16:18 Mais pour parler de la poésie de Paul Eluard, il dit à Max-Paul Fouché dans votre roman
16:24 "Ma poésie est par essence révolutionnaire", il veut faire une poésie action.
16:29 C'est-à-dire qu'on parlait tout à l'heure de soldats ou pas, en tout cas la question
16:32 pouvait se poser et était posée par notre lectrice.
16:34 En tout cas, il n'écrit pas juste pour le plaisir d'écrire.
16:37 Il veut qu'il se passe quelque chose avec cet écrit.
16:39 - Oui, je pense.
16:40 Il y a un basculement très net, à mon avis, dans l'œuvre d'Eluard au tournant de la guerre
16:45 dans les années entre 1941, parce que c'est une année de bascule pour le conflit déjà,
16:52 parce que c'est le moment où l'Allemagne est arrêtée aux portes de Moscou en décembre 1941.
16:56 Il y a l'espoir rené un petit peu quand la Wehrmacht, l'armée allemande, commence
17:00 à patiner un peu en Russie.
17:02 Et Eluard, jusqu'en 1940, écrit des poèmes qui s'inscrivent dans la même facture que
17:07 ce qu'il a écrit dans les années 1930.
17:09 Mais à partir de 1941, à partir des recueils comme "Sur les pentes inférieures" et puis
17:14 "Poésie et vérité 1942", on sent vraiment une intention de prendre la parole et de délivrer
17:20 une parole d'espoir qui soit différente.
17:22 - Ania Nauver ?
17:23 - Oui, je voulais juste ajouter une petite chose.
17:25 Moi, je fais une lecture un petit peu différente que la vôtre, donc je vous la propose.
17:29 Il me semble que c'est surtout à partir de 1936 et de la guerre d'Espagne que l'engagement
17:35 prend une place tout à fait particulière dans l'œuvre d'Eluard et notamment à partir
17:38 du poème "Novembre 1936" dont nous avons la chance de conserver également le manuscrit.
17:42 - Qu'est-ce qui est dans le livre d'ailleurs ?
17:43 - Alors dites-nous, qu'est-ce qui se passe en 1936 avec cette guerre d'Espagne ?
17:46 Paul Eluard va s'engager à ce moment-là et prendre la parole, en tout cas prendre la plume.
17:50 - Absolument, à travers ses textes, il va prendre position de manière très claire.
17:55 Donc à partir de ce premier poème "Novembre 1936" qui marque pour moi vraiment l'entrée
18:00 dans une poésie engagée de manière tout à fait explicite.
18:04 Ensuite avec "La victoire de Guernica" puisque Eluard et Picasso sont ensemble quand ils
18:09 découvrent le massacre de Guernica et pendant qu'Eluard peint son grand et célèbre tableau,
18:13 Eluard écrit ce poème "La victoire de Guernica" et tous deux vont être présentés ensemble
18:17 dans le pavillon républicain espagnol de l'exposition de 1937.
18:21 C'est vrai qu'aujourd'hui on oublie parfois de citer ce poème d'Eluard, donc j'aime à le rappeler.
18:26 - Il y a aussi tout un parcours politique qui est intéressant pour Paul Eluard qui
18:30 fait partie du Parti communiste à un moment donné, puis ensuite il est exclu du Parti communiste.
18:36 Donc il y a déjà aussi un engagement fort dans la société en tant qu'artiste, presque artiste engagé
18:42 si on peut dire cet adjectif à cette période-là.
18:46 Vous écrivez tout de même que pour Paul Eluard la poésie doit "descendre de l'Olympe" pour se répandre
18:53 parmi les hommes, devenir une arme au service des consciences.
18:56 Il y a véritablement cet engagement aussi dans la société, comme je le disais, dans cette période difficile
19:04 aussi et d'entrer quasiment en clandestinité lui aussi avec ses groupes.
19:08 On parlait tout à l'heure de la main à plume qui était un vrai mouvement en France à cette époque-là.
19:14 - Oui bien sûr, mais Eluard avait toujours à cœur de rester parmi les hommes.
19:19 Je ne pourrais pas le citer de mémoire mais il disait que l'un des mots qui le touche le plus c'est celui de fraternisation.
19:25 Et je pense qu'en fait même son engagement au sein du Parti communiste doit se comprendre par ce biais.
19:32 C'est-à-dire qu'en fait Eluard c'est quelqu'un qui, comme on le disait, est né à Saint-Denis, n'était pas un aristocrate
19:38 et en fait il était assez proche des gens, il est resté proche des gens toute sa vie.
19:42 Et sa poésie, lui considérait que les poètes ne devaient pas, oui, rester sur leur parnasse,
19:51 à écrire des vers et à se couper du monde.
19:53 Lui voulait être parmi les hommes et il voulait vraiment élever les hommes par la poésie.
20:00 C'est-à-dire faire le chemin inverse, ne pas garder des poètes en haut et le peuple en bas
20:05 mais que les poètes descendent parmi le peuple pour élever le peuple vers la poésie.
20:09 C'est un peu trivial de le dire comme ça mais je pense que c'était son idée à lui.
20:13 Qu'est-ce qu'on retrouve dans votre musée, Agnès Neuver, qui nous raconte qui est ce Paul Eluard à cette période-là ?
20:22 Il y a des photographies de ses amis, on a parlé des surréalistes tout à l'heure, des dadaïstes,
20:26 on les retrouve évidemment dans son univers, dans sa sphère proche ?
20:30 Bien sûr, on trouve des photographies, des documents, des manuscrits, des éditions qui présentent Eluard
20:38 mais aussi son entourage, la manière dont Eluard perçoit, on évoquait tout à l'heure ses textes sur les artistes,
20:44 mais aussi la manière dont il est perçu par ses artistes.
20:47 En lisant votre ouvrage qui donne chair à ses archives et à ses documents qui les met en mouvement,
20:54 j'ai pu reconnaître un certain nombre de documents, de sources historiques, de photographies,
21:01 que ce soit la photo d'Eluard à Minière photographée par Manret quand il est mobilisé en 1939
21:07 ou bien les photographies de Georges Etchadourne, on voit Eluard chez lui entouré des œuvres qu'il conservait.
21:12 Je trouve que c'est la visite du musée très complémentaire de la lecture de cet ouvrage.
21:17 Ça tombe bien puisque vous êtes là ensemble, dans ce studio, dans le bouclet, c'est évidemment une bonne façon d'en parler.
21:23 Racontez-nous un petit peu, Xavier Donzelli, votre travail. Vous êtes journaliste à la base,
21:27 donc vous avez fait ce travail d'enquête, cette démarche d'aller voir les documents,
21:31 notamment ceux qui sont dans le musée mais bien d'autres aussi.
21:33 Comment ensuite on se détache de votre formation de journaliste pour vous dire "je vais écrire un roman,
21:39 je vais inventer autour pour raconter comment cette histoire et ce poème a été écrit, diffusé ensuite".
21:46 Ce qui m'a tout de suite frappé quand j'ai commencé à mettre le nez dans les documents,
21:49 c'est qu'énormément de gens étaient impliqués dans la diffusion du poème.
21:53 Et tous ces gens ont un parcours vraiment particulier pendant la guerre.
22:00 Et il m'a semblé que leur parcours entrait en résonance avec les propos du poème.
22:07 Et j'ai trouvé très intéressant cette idée que chacun des acteurs, chacun des messagers de ce poème
22:14 va agir en son âme et conscience pour que ce poème se diffuse.
22:19 Mais aussi j'ai essayé, ça c'est la trame romanesque qui le permet, d'injecter un petit peu d'intime pour chacun dans son rapport au poème.
22:29 Donc chacun des personnages, comme on dit que c'est un poème d'amour,
22:33 la plupart de ces personnages ont une histoire d'amour au moment où ils entrent en contact ou en possession du poème.
22:38 Donc j'ai trouvé ça intéressant et j'ai creusé.
22:40 * Extrait de « Boucle à culture » de Mélanie de Montchalin *
22:43 #Boucleàculture
22:46 * Extrait de « Boucle à culture » de Mélanie de Montchalin *
22:48 Sur mes cahiers d'écoliers, sur mon pupitre et les arbres,
22:54 sur le sable, sur la neige, j'écris ton nom.
23:01 Sur toutes les pages lues, sur toutes les pages blanches,
23:08 pierres, sang, papier ou cendre, j'écris ton nom.
23:14 * Extrait de « Boucle à culture » de Mélanie de Montchalin *
23:15 * Extrait de « Boucle à culture » de Mélanie de Montchalin *
23:16 * Extrait de « Boucle à culture » de Mélanie de Montchalin *
23:17 * Extrait de « Boucle à culture » de Mélanie de Montchalin *
23:18 * Extrait de « Boucle à culture » de Mélanie de Montchalin *
23:19 Et nous étions avec Francesca Solville en 1969 qui a donc mis en musique et chanté ce poème dont nous parlons aujourd'hui.
23:26 Le poème de Paul Eluard intitulé « Liberté » qui est au cœur de votre premier roman « Xavier Donzelli et par le pouvoir d'un mot ».
23:33 Et nous en discutons également avec Anne Yanover, la directrice du musée Paul Eluard de Saint-Denis.
23:39 On en vient évidemment avant d'en arriver à cette chanson, à la première publication de ce roman en 1942.
23:46 Donc est-ce que c'est bien le groupe de la main à plume qui a été le premier à publier ce poème-là aussi ?
23:57 Il y a une histoire autour de cela ?
23:59 - Non, le premier c'est Max-Paul Fouché, les dates le prouvent.
24:03 Donc le poème paraît sous son titre original « Une seule pensée », seul, il paraît seul, pas accompagné d'autres poèmes,
24:11 en ouverture de la revue et là on est en juin 1942.
24:14 C'est une revue qui est éditée à Alger et qui se diffuse principalement en zone libre,
24:19 et un peu dans le Maghreb, mais principalement en zone libre.
24:22 Donc la diffusion se fait là pour cette première partie.
24:25 La main à plume, l'édition de la main à plume, le poème reparaît avec ce titre « Liberté »
24:32 donc on a changé de titre entre temps, dans un recueil qui s'appelle « Poésie et vérité 1942 ».
24:37 Donc « Liberté » est avec d'autres poèmes des Loires qui sont un peu dans la même veine,
24:42 et là on est à l'automne 1942.
24:45 - Et c'est à ce moment-là aussi qu'il est parachuté, si je puis dire, ce poème.
24:50 Alors racontez-nous, c'est ce qui le rend presque mythique,
24:53 c'est-à-dire qu'il est vraiment attaché à cet esprit de la résistance et de la France qui est occupée, mais qui refuse cela.
25:01 - Oui, bien sûr, alors ça c'est une histoire passionnante.
25:04 Il faut savoir que le poème parvient en Angleterre grâce à Fontaine,
25:07 puisque les pages de Fontaine, la maison d'édition à Alger, sont reprises dans une revue qui est à Londres,
25:13 dirigée par André Labarthe et dont le secrétaire de rédaction est Raymond Aron.
25:17 Excusez du peu.
25:19 Cette revue s'appelle « La France Libre », elle reprend les pages de Fontaine.
25:24 Et à partir de là, la diffusion est immense, c'est-à-dire que les pages de « La France Libre » sont elles-mêmes reprises partout.
25:29 Enfin, partout.
25:30 Partout où « La France Libre » se diffuse, c'est-à-dire à peu près sur tous les fronts.
25:36 Et elle va paraître en Amérique, elle est reprise en Amérique, elle est reprise un peu partout.
25:41 Les largages, c'est un petit peu plus tard, c'est en 1943.
25:44 Et c'est encore une initiative, là, des Anglais, du ministère de l'Information britannique,
25:50 là on parle vraiment de matériaux de propagande littéraire,
25:53 qui décident d'éditer une revue qui tient dans le format de la main, vraiment, format paume de la main,
26:00 une revue très légère, d'environ 40 grammes, qui contient 48 pages,
26:04 et qui est destinée uniquement à être larguée, elle n'est même pas en vente en Angleterre.
26:09 C'est une revue, donc, ce qui est vraiment inouï, c'est que c'est une revue financée par le ministère britannique,
26:15 mais diffusée en français et uniquement pour la France.
26:18 Et dans cette revue paraît le poème d'Éluard, sous le titre « Une seule pensée ».
26:22 C'est très étonnant, Anne Yanover, de se dire qu'un poème, en tant qu'objet, vous qui êtes à la tête d'un musée,
26:28 un poème va devenir objet de propagande, quasiment un tract pour la liberté,
26:34 avec, et on le disait tout à l'heure, ce titre aussi qui a été changé, qui a été raturé,
26:38 on met « Liberté » en haut d'une page et qu'on diffuse dans une France occupée, c'est très symbolique.
26:44 Oui, c'est un poème qui a une force symbolique extrêmement puissante.
26:51 C'est un poème aussi dont on a fait différentes lectures au cours du temps.
26:55 Xavier Dantzler le disait, Éluard a dit avoir commencé à écrire ce poème à l'été 1941 en pensant à la femme qu'il aimait.
27:01 Il a commencé comme un poème d'amour, il est devenu un poème militant, un poème de résistance.
27:06 Il a été effectivement diffusé par la Royal Air Force sur la France occupée,
27:10 mais il a été aussi distribué par exemple lors de la libération de Caor,
27:13 une édition des francs-tireurs partisans français du Lot dont un exemplaire est conservé au musée.
27:19 C'est un poème qui ensuite au fil du temps a vu la lecture qui en était faite modifiée
27:25 jusqu'à arriver à une date assez récente, au début des années 2000,
27:30 comme un poème pour enfants, un poème que l'on retrouvait dans des éditions à destination du jeune public,
27:35 illustrés avec des pop-up, des jolies petites éditions, mais vraiment lu comme un poème enfantin.
27:41 Et c'est au moment de l'attentat de Charlie Hebdo, notamment des attentats qui ont frappé la France en 2015,
27:48 qu'il a ressurgi dans les marches de soutien aux victimes des attentats,
27:54 comme quelque chose de notre culture commune à défendre,
27:58 comme il a repris toute sa portée symbolique qui était sans doute celle qu'il avait au moment de la résistance.
28:03 Et aujourd'hui je pense qu'on ne le lit plus de la même manière.
28:06 C'est quelque chose qui nous lit, c'est un poème que beaucoup d'entre nous avons dans la tête,
28:13 qui nous accompagne et qui fait partie de notre culture commune.
28:18 Aujourd'hui je suis une vieille femme, mais à l'époque j'étais passée en sixième de justesse.
28:24 J'étais une élève timide, délocalisée dans un collège qui n'était pas le sien.
28:30 Le professeur de français nous avait demandé d'apprendre ce poème, je le trouvais magnifique.
28:35 Et puis j'avais aimé les vocations que portaient les mots, les sensations qu'il faisait naître en moi,
28:41 ma jouissance à les entendre par ma bouche.
28:44 Alors lorsqu'un jour en classe j'avais osé lever le doigt pour réciter et que je m'étais levée,
28:50 j'ai senti la puissance que provoquaient les mots des Loires.
28:55 Je sentais la lourdeur du silence, je sentais le poids des mots.
29:01 Et par le pouvoir d'un mot, je recommence ma vie.
29:05 Je suis née pour te connaître, pour te nommer liberté.
29:10 - C'est très émouvant, c'est même difficile de reprendre la parole derrière notre lectrice Béatrice Donné-Souvoix
29:15 qui nous raconte son rapport presque intime à ce poème.
29:24 On sent dans votre roman, Xavier Donzelli, que ce poème est devenu un message d'espoir.
29:28 Et ça c'est très fort.
29:30 - Oui, c'est un message d'espoir pour les combattants, pour les gens qui souffrent,
29:34 pour ceux qui aiment la poésie et qui veulent qu'elle accompagne un idéal.
29:39 C'est un poème qui a eu une très forte résonance.
29:43 Et le fait, encore une fois, que le ministère de l'Information britannique choisisse un poème
29:49 pour qu'il soit parachuté, c'est-à-dire envoyer des jeunes aviateurs,
29:53 se faire canarder par la flaque allemande pour balancer les tracts,
29:58 on mesure la portée et la valeur du texte.
30:01 Plutôt que de charger les avions avec des bombes, on les charge avec des poèmes.
30:06 Ce qui est quand même assez fou.
30:08 - Et qui est donc devenu un grand poète de la résistance avec tout cela.
30:12 Et qui a aussi inspiré beaucoup.
30:14 On parlait tout à l'heure, avant de préparer l'émission, de Jean Lursa,
30:17 qui a réalisé cette tapisserie, là aussi dans des conditions quasi clandestines à Haubusson.
30:24 C'est-à-dire qu'il y a aussi tout un imaginaire graphique autour de ce qu'a écrit Paul Eluard, Agnès Nauveur.
30:30 - Oui, c'est un poème dont plusieurs d'artistes saisissent pour poursuivre, je pense,
30:35 le combat d'Eluard et le diffuser.
30:39 Effectivement, Jean Lursa fait une magnifique tapisserie qui est tissée dans la clandestinité en 1943 à Haubusson,
30:44 qui est aujourd'hui dans les collections du Musée national d'art moderne au centre Pompidou.
30:47 Je pense aussi à l'illustration qui en est faite plus tard par Fernand Léger,
30:51 qui va être édité par Segarce en 1953 sous forme d'un poème objet,
30:55 et qui a été d'ailleurs réédité récemment.
30:58 - On va écouter Patricia, qui, elle, a beaucoup aimé Paul Eluard.
31:03 Mais pas simplement ce poème "Liberté".
31:06 Et on va voir ce qu'a apporté Paul Eluard au-delà de ce poème.
31:11 - Je me souviens encore fort bien de mon oral du bac de français,
31:15 qui portait sur "La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur".
31:18 Et je me souviens d'une poésie qui nous avait paru immédiatement accessible,
31:25 avec des mots simples et qui, en même temps, faisait écho à nos grandes préoccupations d'alors.
31:32 La force de l'amour, la douleur de la perte de l'être aimé.
31:36 Et c'est une poésie qui nous rassurait aussi, beaucoup.
31:40 Je me souviens d'une vraie correspondance entre cette poésie et les jeunes gens que nous étions.
31:46 Et puis, pour être sincère, c'est une poésie que j'ai laissée de côté pendant plusieurs années,
31:52 jusqu'à ce que l'on m'offre, et j'y tiens beaucoup, je tiens beaucoup à cette édition,
31:57 une vieille édition des années 60, édition Segers, "Les derniers poèmes d'amour", de Paul Eluard.
32:04 Et c'est une édition absolument remarquable, parce que c'est une édition qui reproduit des photos,
32:10 de nouches, qui reproduit surtout les brouillons, les manuscrits d'Eluard,
32:17 où on le voit raturé, où on le voit écrire en bleu, en rouge, et c'est extrêmement émouvant.
32:24 Et j'ai encore le livre sous les yeux, et dans "Les derniers poèmes",
32:30 il y a un poème, donc dans "La mort, l'amour, la vie", où il écrit "Rien n'est simple ni singulier".
32:37 Et je pense que voilà, tout est dit. Rien n'est simple ni singulier chez Eluard.
32:42 C'est une très belle phrase, évidemment, pour résumer tout son travail.
32:46 Xavier Donzelli, "La place des femmes", on en a parlé, il en a eu trois.
32:50 "Nouches", c'est celle qui intervient au moment de l'écriture du poème "Liberté" que vous racontez,
32:56 mais est-ce qu'on sait quels ont été leurs rôles auprès du poète ?
33:00 Oui, en ce qui concerne "Nouches", c'est une grande histoire d'amour,
33:05 parce qu'ils vont rester ensemble, je crois, 16 ans, 17 ans, ils se connaissent en 1929 ou 1930, je ne sais plus exactement.
33:12 Et elle meurt en 1946, donc elle l'accompagne pendant toute cette période
33:16 où Eluard choisit d'écrire en conscience politique aussi, avec la guerre d'Espagne d'abord,
33:22 puis la Seconde Guerre mondiale.
33:24 Et je pense que "Nouches", ça correspond justement à...
33:27 Bon, c'est une femme très belle, mais au-delà de ça, c'était quelqu'un qui avait un parcours de vie,
33:33 qui pouvait tout à fait s'inscrire dans ce que Paul Eluard admire et aime chez les gens,
33:40 c'est-à-dire quelqu'un qui vient du peuple, qui se bat pour son existence, etc.
33:48 et qui l'accompagne. Je pense qu'en fait, elle l'a beaucoup accompagnée dans sa vie de poète.
33:54 Et puis il y a eu Dominique, Dominique c'est sa dernière épouse,
33:57 qui a donné quasiment tout le fond au musée de Saint-Denis à Nienhoveur.
34:03 Alors Dominique a donné effectivement des œuvres importantes de ce fond,
34:06 pas tout, mais des choses, vraiment des pièces importantes.
34:10 Dominique, il va la rencontrer en 1951 à Mexico.
34:13 Donc on l'évoquait tout à l'heure, après "Gare", il va s'engager fortement dans le mouvement pour la paix avec Picasso.
34:19 C'est lié à son adhésion au Parti communiste, mais il prend quand même une forme de liberté.
34:25 Picasso aurait dit "il ne faut pas que les communistes m'apprennent à peindre,
34:29 moi je ne leur donne pas des cours d'économie".
34:31 Éluard et Picasso vont tous les deux faire un pas de côté pour avoir un vrai libre-arbitre.
34:36 Et on les retrouvera ensemble dans votre musée à Saint-Denis à partir du 8 avril prochain.
34:41 Une belle exposition sur cette amitié sublime entre Pablo Picasso et Paul Éluard.
34:47 On arrive malheureusement au terme de ce book.
34:49 Je vous remercie vraiment tous les deux d'être venus nous parler de Paul Éluard et de ce mythique poème "Liberté".
34:54 Merci beaucoup Xavier Donzelli.
34:56 Votre tout premier roman s'appelle "Et par le pouvoir d'un mot" aux éditions Segas.
35:00 Merci beaucoup Anne Yenover d'être venue échanger avec nous.
35:05 Dans un instant l'épilogue de ce book le mai avant 13h25 sur France Culture.
35:12 Voici les cadres ITM de Charles Dandig.
35:14 "Gorvidal était ce que les anglo-saxons appellent un conversationalist.
35:20 Nous avons une expression française pour cela.
35:22 Un homme ou une femme de conversation.
35:24 Je trouve l'expression curieuse.
35:27 Les êtres qui ont tant soit peu de talent pour ce qu'on appelle la conversation
35:31 comme encore Germaine de Stael, Anna Noaille, Théophile Gautier ou Oscar Wilde
35:36 empêchent précisément toute conversation.
35:39 Ils savent très bien lancer des balles qu'ils rattrapent tout seuls et avec brio.
35:44 Les autres ne feraient que les ralentir.
35:46 Une bonne conversation c'est l'art de les laisser parler.
35:49 Gorvidal, vous pouvez trouver des interviews de lui sur YouTube.
35:53 Savourez les interviews.
35:55 Vous savez qu'il y serait bon.
35:57 On le voit souvent écouter les questions avec un œil qui se plisse de plaisir.
36:01 Il savoure d'avance la réponse qui vient de lui venir à l'esprit
36:05 et il l'a fait et elle est bonne.
36:08 Si bonne qu'on a publié de son vivant plusieurs livres d'entretien avec lui,
36:12 tous très amusants et parfois plus que cela.
36:15 Ce que l'on appelle un bon mot est souvent une pensée exprimée avec une rapidité qui étonne.
36:21 Voici Gorvidal à propos des Américains.
36:24 Les Américains n'aiment que les choses sur lesquelles ils peuvent apposer une étiquette,
36:28 même si cela les tue.
36:30 Pensez à ces pauvres écrivains d'Amérique latine.
36:32 Certains sont très bons, mais le réalisme magique les a totalement anéantis.
36:37 Les critiques sont comme les touristes qui reviennent d'un voyage en disant qu'ils ont fait le Machu Picchu.
36:43 Ok, on a fait le réalisme magique et donc on peut le jeter à la poubelle.
36:47 Ou encore, tout ce que je désire de la part des Américains
36:51 est qu'ils puissent encore lire l'alphabet dans 100 ans. Je ne suis pas très ambitieux.
36:55 Ou peut-être que si.
36:57 À la télévision, la conversation dégénère en débat.
37:00 Gorvidal était très bon en débat aussi.
37:03 Au moment des conventions démocrates et républicaines de 1968,
37:07 il a été engagé à débattre avec le journaliste républicain William Buckley.
37:13 Vidal a si bien su l'exaspérer de son ironie et de son flèchme
37:17 que Buckley, à bout d'arguments, a explosé et l'a traité de pédé en menaçant de le frapper.
37:23 Il faut voir Vidal se caler dans son fauteuil avec un sourire de tigre.
37:27 Il sait qu'il a gagné.
37:29 Buckley est en effet descendu de trois marches dans l'estime publique.
37:32 Bien sûr, ce genre d'injure ne pouvait venir que d'un gai dans le placard
37:36 et ne le sachant peut-être pas bien dans le placard de son placard en quelque sorte.
37:41 Nous avons vu cela tout récemment en France avec un député du Parti Républicain.
37:46 Le frère de Buckley, qui a depuis témoigné dans un documentaire sur ce débat télévisé,
37:51 dit qu'il a toute sa vie regretté ses paroles.
37:54 Il a sûrement davantage regretté de n'avoir pas vécu comme il l'aurait dû.
37:58 Charles Vendigar, écoutez sur franceculture.fr et sur l'appli Radio France.
38:02 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club.
38:05 Alexandra Labegovic, Didier Pinault, Jeanne Agrappard, Zora Vignet et Auriane Delacroix.
38:10 Thomas Beaud réalise cette émission et à la prise de son ce midi, Marie-Claire Oumabadi.
38:15 Le Book Club de France Culture est ouvert 24h/24, évidemment sur Instagram, bookclubculture.
38:20 Et voici l'épilogue de ce jeudi.
38:22 Éluard César Mselemo.
38:24 Il a donc probablement été d'abord écrit sur un autre support, puis reporté sur cette page cadrillée,
38:29 comme un cahier d'écoliers.
38:31 Et qui est destinée uniquement à être larguée. Elle n'est même pas en vente en Angleterre.
38:35 C'est une revue financée par le ministère britannique.
38:38 Plutôt que de charger les avions avec des bombes, on les charge avec des poèmes.
38:42 Ce qui est quand même assez fou.