• l’année dernière
Transcription
00:00 * Extrait de « La vie de la peinture » de Jean-Michel Lambert *
00:17 Pour les peintres, il s'agit souvent de symboliser une allégorie, la représentation sur toile
00:22 de l'art de la peinture.
00:23 C'est aussi une bonne occasion, il faut bien se le dire, de créer un autoportrait, peindre
00:28 de l'artiste dans son atelier.
00:30 On a tous eu envie d'imaginer comment telle ou telle œuvre avait été créée, dans
00:35 quel lieu, dans quelles circonstances.
00:37 Quelle était à cette époque la vie de l'artiste ? Une réflexion sur la création, sur ces
00:42 aventuriers de l'impossible, peintres, sculpteurs, écrivains, que l'on retrouve dans les récits
00:47 de nos deux invités et qui ont aussi inspiré la communauté du Book Club.
00:52 Nous l'accompagnons donc de New York à Shanghai, en passant par la villa Noah Yaier, le phare
00:57 de Cordouan, ou encore Moscou.
00:58 On y croise Bernard Noël, Francis Bacon, David Hockney, mais aussi Paul Auster et Samuel Beckett.
01:05 Et ses rencontres avec les tout jeunes Keith Haring et Jean-Michel Basquiat au début des années 80.
01:09 Caroline et Louise, les lectrices du Book Club qui nous accompagnent ce midi.
01:20 Bonjour Jean Frémont.
01:21 Bonjour.
01:22 Vous êtes l'auteur de très nombreux livres, en 2016 notamment "Calme-toi, lisons",
01:26 quasiment un livre de fiction.
01:28 Vous donnez la parole à l'artiste Louise Bourgeois dans un monologue que vous avez
01:32 imaginé.
01:33 Louise Bourgeois que l'on retrouve aussi aujourd'hui dans votre nouveau livre "La
01:37 blancheur de la baleine", un recueil de portraits d'artistes.
01:40 Vous racontez des vies d'écrivains, de poètes, de sculpteurs que vous avez rencontrés,
01:46 des aventuriers de l'impossible.
01:47 Dites-vous, pourquoi les définir ainsi ?
01:49 Je dis quelque part aussi que ce sont des chercheurs plus que des trouveurs.
01:57 Tout le monde connaît cette phrase de Picasso disant qu'il cherche pas mais qu'il trouve.
02:01 Ben non, il y a des gens qui cherchent et qui trouvent pas.
02:03 Ou ce qu'ils trouvent, ce n'est pas ce qu'ils veulent, ce n'est pas ce qu'ils
02:06 cherchent.
02:07 C'est parce qu'ils veulent toujours autre chose.
02:08 C'est ça l'impossible.
02:09 C'est pour ça que le livre, je finis par… C'est un recueil de textes écrits sur
02:13 une vingtaine d'années.
02:14 Ça n'a pas été fait consciemment pour faire ce livre.
02:16 C'est après, à postériori, que je les ai réunis.
02:20 Mais j'ai donné pour titre « La blancheur de la baleine » parce que c'est le titre
02:23 d'un des chapitres, du chapitre central de Moby Dick.
02:28 Parce que pour moi, c'est ça que ces gens cherchent.
02:31 Ils ont ça en commun.
02:33 Ils cherchent quelque chose qui échappe, toujours.
02:35 Voilà.
02:36 Vous êtes aussi, Jean Frémont, président directeur général de la Galerie LeLond,
02:40 établie à Paris et à New York.
02:43 C'est un lien tout tracé que l'on fait avec notre second invité du jour, Richard
02:47 Teixier.
02:48 Bonjour.
02:49 Bonjour.
02:50 Vous êtes peintre, sculpteur, écrivain.
02:51 Vous publiez aux éditions Gallimard un récit intitulé « Cosmos ambulant » dans lequel
02:55 vous racontez cette fois-ci vos ateliers d'artistes.
02:59 Une pratique assez originale de l'atelier nomade, comme vous l'appelez.
03:04 Pratique qui va vous mener à New York, ville fascinante, qui écrivez-vous, mais en face
03:10 de ses propres contradictions, et qui rappelle que l'art est une aventure ouverte.
03:15 Ça vous parle du coup de ce que vient de dire Jean Frémont ?
03:17 Oui.
03:18 Pour un artiste, c'est aussi l'atelier.
03:21 Vous savez, c'est la grande affaire quand même.
03:23 C'est à la fois ce qu'on souhaite toute sa vie, un grand atelier, le désir d'un
03:27 grand atelier.
03:28 Et puis très vite, quand c'est un sanctuaire, ça devient une prison dorée, un enfermement.
03:33 Et une stratégie de renouvellement, en tous les cas celle que j'ai conçue, consiste
03:38 à se balader à travers le monde, trouver du matériel sur place, travailler d'une
03:44 manière comme ça, simple, ouverte.
03:46 Ça a des tas d'avantages.
03:48 Le premier d'entre eux, c'est de vous faire perdre immédiatement votre statut de touriste.
03:53 Vous devenez d'un coup un nomade qui pique sa tente, et ceux qui sont autour, là, s'intéressent
04:00 à vous, parce qu'ils ont envie de voir ce que vous allez fabriquer.
04:02 Et quand vous dites travailler, fabriquer, je me permets de vous couper, parce que Jean
04:06 Frémont disait "il recherche quelque chose, parfois il ne trouve pas".
04:09 Est-ce que vous, vous avez l'impression de rechercher quelque chose dans votre atelier,
04:13 d'être à la recherche de quelque chose ?
04:14 - Oui, c'est vrai, c'est très juste.
04:18 Et quelque chose que je recherche, c'est que je ne trouve jamais.
04:21 Parce que c'est pour ça qu'on a envie de faire un autre tableau.
04:24 C'est la déception.
04:25 Vous savez, la quête du chef d'œuvre qui anime, même ceux qui disent le contraire,
04:30 qui anime quand même la plupart des artistes, c'est une quête impossible.
04:34 On n'y arrive pas.
04:35 À un moment, il faut recommencer sur un autre tableau, toujours et encore.
04:39 Alors l'atelier de domaine, je dois vous dire que ce n'était pas une théorie préétablie.
04:45 Elle s'est construite petit à petit.
04:47 Je me suis aperçu qu'elle était bonne pour moi, mais quand j'ai commencé, c'était
04:51 par pauvreté.
04:52 Je n'avais pas d'atelier, on me proposait à gauche, à droite, et j'y allais.
04:56 - Alors on va évidemment parcourir les ateliers que vous avez investis.
05:01 En réalité, je disais, ça a commencé à New York, pas tout à fait, puisque ça a
05:04 commencé à New York, c'est là Richard Texier que vous êtes nés.
05:07 Et Caroline de la librairie Les Halles à New York a lu Cosmos ambulant et voici ce
05:11 qu'elle en retient.
05:12 Dans son nouvel ouvrage, Cosmos ambulant, Richard Texier nous raconte sa pratique de
05:16 l'atelier nomade, essentielle à sa création artistique.
05:20 Nous l'accompagnons donc de New York à Shanghai, en passant par la villa Noah Yahyer,
05:24 le phare de Cordouan ou encore Moscou.
05:25 En véritable globe-trotter artistique, il nous raconte ses cinq ateliers.
05:29 L'euphorie new-yorkaise et ses rencontres avec les tout jeunes Keith Haring et Jean-Michel
05:33 Basquiat au début des années 80, l'étrange fin du soviétisme à Moscou en 1992, les
05:38 fantômes du surréalisme à la villa Noah Yahy, l'isolement et les pièges de la marée
05:42 à Cordouan et les mésaventures que l'on peut avoir avec les autorités chinoises à
05:46 Shanghai.
05:47 Il nous révèle comment le voyage et l'immersion loin de son atelier parisien ont pu être
05:50 de riches sources d'inspiration pour lui.
05:52 Avec ce livre, Richard Texier nous dévoile un aspect passionnant de son travail, l'importance
05:56 des rencontres et la richesse de l'ailleurs.
05:58 Cosmos ambulant est un texte captivant, une invitation au voyage et à la création.
06:02 Et donc une question pour vous monsieur Texier, savez-vous déjà où vous mèneront vos futurs
06:06 ateliers nomades ?
06:07 D'abord merci de me lire avec tant de précision.
06:10 J'ai remarqué que les libraires c'est une lecture scalpel.
06:14 Je vous remercie infiniment.
06:15 Alors les ateliers nomades je ne les prémédite pas.
06:18 C'est-à-dire que c'est une proposition qui vient à moi et que je conjugue avec une
06:23 envie.
06:24 Donc j'aimerais pas l'idée d'aller quelque part comme ça, ex abrupto, me convoquer
06:28 sur site, j'aimerais pas ça.
06:30 Donc il y a des pistes en ce moment.
06:32 J'ai toujours rêvé par exemple de travailler au bord de la mer dans le grand sud marocain.
06:36 Je me souviens d'un projet avec Peter Lindbergh là-dessus, il voulait m'accompagner.
06:41 Il me dit tu piques une tente face à la mer mais encore dans le désert et je viens couvrir,
06:47 on partage ensemble, on prévoit une régie, il me dit qu'on passe du bon temps ensemble.
06:52 Et alors peut-être le grand sud marocain.
06:55 Puis j'ai un autre projet, je peux pas parler mais qui me tient à cœur, mais qui va peut-être
07:00 se faire aussi.
07:02 Putain.
07:03 Putain.
07:04 Putain.
07:05 Putain.
07:06 * Extrait de « Déus D'Eau » de Richard Teixeira *
07:33 Alors nous revenons en 1979, Richard Teixeira à Manhattan.
07:37 Premier séjour, vous êtes dans ce taxi que vous décrivez avec cette ambiance où
07:41 Gilbert Ogil vous accueille en musique à New York.
07:45 Et vous l'avez dit, l'idée c'est de ne plus être un touriste mais de devenir un nomade.
07:51 C'est-à-dire de s'installer, comme dans votre projet d'aller au Maroc, de planter sa tente.
07:56 Et à Manhattan, vous allez découvrir bon nombre d'artistes dans leur atelier qui est souvent la rue.
08:03 Mais oui, ce qu'on ne savait pas dans les années 80, c'est qu'au fond on était au milieu du creuset.
08:08 Tous les artistes étaient là, entre quelques blocs.
08:12 Non mais c'est incroyable, quand on regarde rétrospectivement, ça fait 40 ans maintenant,
08:16 tout le monde était là et en effet je découvrais les premiers gars qui travaillaient dans la rue,
08:22 s'ils n'avaient pas d'atelier non plus, et ils essayaient de se faire comprendre.
08:26 Tous, tous rêvaient de rejoindre les grandes galeries.
08:30 Mais on ne leur proposait pas autre chose, donc ils travaillaient dans la rue.
08:32 Et je me souviens ce soir, en effet, rentrant d'un dîner ennuyeux,
08:36 je ne sais pas pourquoi, il y a des choses dont on se souvient très clairement.
08:39 Et je me souviens du type qui travaillait de l'autre côté de l'avenue,
08:43 éclairé par une ampoule à tungstène, enfin un réverbère, c'était un peu une scène d'Edward Hopper.
08:49 Et puis c'était marrant parce que moi j'étais de l'autre côté de l'avenue,
08:53 appuyé sur une bouche d'incendie, il n'y avait pas grand monde qui traînait sur zone à ce moment-là,
08:57 et le crayon du gars se cassait, je n'arrive pas à savoir si c'était une craie ou un fusain,
09:02 il cassait régulièrement. Alors du coup il ramassait les morceaux,
09:05 et je voyais ce qu'il était en train de faire.
09:07 Et ça m'attirait du coup, j'ai traversé, puis je les rencontre, on a eu un petit échange,
09:12 enfin c'était marrant, aujourd'hui c'est marrant, c'était Basquiat.
09:16 D'ailleurs il avait signé sa mot, et il m'a dit en partant, je lui disais ton nom,
09:22 et il me dit "Nan Basquiat".
09:25 - A l'époque on ne parlait pas encore de street art, d'art de la rue,
09:28 mais c'était de fait l'endroit où les artistes s'exprimaient,
09:34 vous avez rencontré Basquiat, vous avez rencontré Kissaring,
09:37 ils vous ont inspiré quoi ces artistes-là ?
09:39 - Richard Hamilton aussi, qui était un gars intéressant,
09:44 qui giclait plutôt que qui peignait.
09:47 Ils m'ont inspiré des gens, moi j'étais un peu dans le même état,
09:50 je ne suis pas du tout artiste de rue, moi je n'ai jamais eu même l'idée de travailler dans la rue,
09:56 mais on avait un truc en commun, c'était l'urgence de développer notre monde,
10:01 de dire nos rêves, de les partager avec le plus grand nombre,
10:05 et d'agir, vous savez, un peintre c'est un gars qui peint,
10:09 il faut revenir à des fondamentaux, voilà.
10:12 Et quand on n'a pas d'atelier, on va le chercher plus loin,
10:15 et quand on n'en trouve pas, on peint sur les murs,
10:18 pour au moins partager son rêve avec d'autres.
10:21 - Jean-Frédéric Frémont, vous qui êtes galeriste,
10:24 on a mis du temps à faire rentrer ces artistes-là dans les galeries,
10:27 justement faire passer de la rue à la reconnaissance des grandes galeries aussi.
10:32 - Pour ce qui concerne Basquiat, ça a été quand même très très vite,
10:35 tout a été tellement vite dans sa vie, il est mort à quel âge ?
10:39 27 ans ? 26, 27 ans ?
10:41 Non, il a été rapidement, moi j'étais beaucoup à New York dans ces années-là aussi,
10:46 on était dans les mêmes années,
10:49 et j'ai eu un contrat avec Basquiat d'ailleurs,
10:52 je n'ai pas pu faire d'exposition, mais j'ai acheté des œuvres,
10:55 l'exposition était prévue, puis il est mort avant que ça se fasse.
11:00 Mais oui, les choses allaient quand même très vite,
11:03 pour Kissarig, ça a été un petit peu plus long,
11:06 mais ça a été rapide aussi, ils ont finalement tous intégré...
11:10 Le textier parle de la galerie de Tony Schiafrasi,
11:13 ils sont tous allés là au départ,
11:16 c'était le centre de la ville à ce moment-là.
11:19 Downtown, évidemment, les galeries chics étaient uptown,
11:23 ma galerie était 57ème rue, bon d'accord,
11:26 mais on allait s'encanailler un peu quand même par là.
11:30 - Vous décrivez cette effervescence dans votre livre, Richard Tex,
11:33 vous écrivez "L'exercice de la peinture auquel j'avais consacré tous mes efforts jusque-là
11:37 m'apparaissait à un champ limité aux potentiels restreints,
11:40 l'envie d'explorer les ressources de la sculpture et de créer des installations,
11:43 vecteurs d'énergie nouvelle, s'imposait peu à peu à mon esprit,
11:47 exalté par la créativité ambiante tellement contagieuse.
11:51 C'est là où vous vous êtes dit "je vais poser mon pinceau
11:54 et je vais faire autre chose aussi que de la peinture".
11:57 - Oui, j'avais envie, j'ai découvert cette envie au fond de moi,
12:01 d'aller un peu plus loin, ma pensée, mes rêves,
12:05 mon expression était pariétale,
12:08 mais j'avais quand même envie de me saisir de la matière.
12:11 Le problème c'est que la sculpture, il faut de l'espace,
12:14 il faut de l'argent pour être sculpteur.
12:17 Je me souviens César il m'avait dit ça, il m'avait dit "bah dis donc,
12:19 moi si j'avais été peintre je serais resté peintre,
12:21 parce que tu rentres dans les emmerdements".
12:23 Il me dit "ah franchement", il avait pas tort César,
12:25 il faut de l'argent pour être sculpteur.
12:28 Je l'ai fait plus tard, je l'ai fait avec passion, je continue à le faire,
12:31 mais j'ai quand même, au fond de moi,
12:34 puis alors je vais vous dire, c'est la rencontre d'un tableau
12:37 d'Yves Tanguy quand j'avais 11 ans,
12:41 qui m'a donné une envie fulgurante de rejoindre ces rivages,
12:46 manteau, cet imaginaire haqueux, élastogénique.
12:50 Je savais pas qu'en voyant ça je développerais,
12:52 c'est ce que je fais en ce moment, une théorie sur l'élastogénèse,
12:56 et j'en ai même écrit le manifeste,
12:58 et je me suis aperçu que ça irriguait tout mon oeuvre,
13:00 pas simplement la peinture, mais évidemment la sculpture.
13:03 Et la peinture c'est tout de même le point incandescent,
13:07 le point d'origine du déploiement de mon oeuvre.
13:10 - Jean Frémont, j'ai envie de vous demander si aujourd'hui,
13:12 sans être trop nostalgique,
13:14 mais il y a un peu de nostalgie dans vos deux récits,
13:17 qu'on partage aisément, est-ce qu'aujourd'hui il y a toujours
13:20 cette créativité ambiante et contagieuse,
13:22 comme disait Richard Teixeira dans les années 80,
13:25 est-ce que ça existe toujours aujourd'hui à New York ou ailleurs ?
13:28 - Ah mais certainement, ça existe même dans beaucoup plus d'endroits.
13:31 Le monde s'est complètement ouvert,
13:34 il y avait encore dans les années 80 des catégories,
13:38 des écoles qui étaient censées se succéder l'une à l'autre, etc.
13:41 Aujourd'hui tout a explosé,
13:43 il y a des artistes dans le monde entier,
13:45 on les voit, on ne les voit pas tous,
13:47 mais ça s'est beaucoup plus ouvert,
13:49 il n'y a plus du tout les mêmes catégories.
13:51 Non, il ne faut pas être nostalgique, il n'y a aucune raison.
13:54 C'était une belle époque, mais celle-ci est belle aussi.
13:57 Simplement, voilà, aujourd'hui je suis un vieux monsieur, voilà.
14:00 Bon, alors on se retourne un petit peu vers ce qu'on peut,
14:03 mais il y a encore de l'avenir.
14:05 - Dans "La Blancheur de la Baleine", dont titre, vous l'avez dit, qui fait penser à Moby Dick,
14:09 vous écrivez sur Louise Bourgeois,
14:12 qui décidément vous inspire beaucoup.
14:14 Louise Bourgeois, née à Lyon, qui a étudié à la Sorbonne
14:17 et qui s'installe dans les années 40 à New York.
14:20 Dans votre récit, vous racontez notamment sa rétrospective au Centre Pompidou en 2008,
14:25 où vous rappelez que Louise Bourgeois est restée longtemps, sinon inconnue,
14:29 ou au moins méconnue.
14:30 Alors pourquoi Franco, ensuite américaine ?
14:33 Pourquoi est-ce qu'on ne la connaissait pas si bien ?
14:35 - Il faut dire qu'à cette époque-là, personne ne regardait vraiment le travail des femmes.
14:40 Louise Bourgeois est la première artiste femme à avoir eu une exposition au MoMA à New York.
14:45 Elle avait 70 ans, et c'était la première fois qu'une femme exposait au MoMA.
14:49 Les choses ont quand même fort heureusement beaucoup changé,
14:53 mais c'est la raison principale.
14:55 Donc à 70 ans, elle avait pratiquement exposé nulle part, dans une ou deux petites galeries.
15:02 J'ai fait sa première exposition en France et en Suisse, à Paris et à Zurich, en 1985, je crois.
15:11 Elle avait déjà 73 ans, quelque chose comme ça.
15:16 Et toute l'œuvre était là, dans l'atelier de Brooklyn,
15:20 il y avait toute l'œuvre depuis le début des années 40.
15:22 Tout était disponible.
15:24 - C'était une femme, et puis son mari était historien de l'art, ça aussi ça a joué ?
15:27 - Oui.
15:28 Alors elle connaissait tout le monde.
15:30 Elle connaissait tout le monde parce que tout le monde, c'est-à-dire les grands artistes,
15:33 tous les artistes émigrés à New York pendant la guerre, les surréalistes, etc.
15:37 Elle connaissait tout le monde parce que tout le monde venait voir son mari.
15:40 Et personne ne s'occupait de la personne qui avait fait cuire le rôti.
15:44 - Vous dites que son œuvre est un cas très particulier dans l'histoire de l'art contemporain.
15:49 Alors pourquoi ? Expliquez-nous, qu'est-ce qui fait que son œuvre est presque encore actuelle ?
15:55 En tout cas, elle parle à nous en tant que Français.
15:58 - C'est une œuvre qui s'est développée, qui a été reconnue tardivement on vient de le dire,
16:02 mais qui s'est aussi développée tardivement.
16:04 C'est-à-dire que dès que la reconnaissance extérieure est venue,
16:07 ça lui a donné une dynamique formidable.
16:10 Et je dois dire aussi, le veuvage l'a aidée à travailler.
16:15 D'un seul coup, elle s'est sentie complètement libre.
16:19 Son mari la soutenait beaucoup, mais en même temps, probablement, sa notoriété l'a bloquée.
16:26 En tout cas, elle s'est sentie tout à fait libre à partir de ses 70 ans à peu près.
16:32 Et elle a développé une œuvre complètement protéiforme,
16:36 qui allait dans tous les sens, qui était d'une modernité et d'une liberté incomparables.
16:42 Ce n'était pas du tout l'œuvre d'une vieille dame.
16:45 Vraiment, il y avait une fraîcheur et une jeunesse extraordinaires.
16:49 - On a encore des choses à découvrir d'elle aujourd'hui ?
16:52 - Ah oui, l'œuvre est très profonde, très importante,
16:56 et il y a encore beaucoup de choses qui n'ont pas été vues.
16:59 - Alors, dans "La Blancheur de la Baleine", vous nous racontez ses portraits, ses vies d'artiste.
17:06 Donc, Louise a lu votre livre, et voici ce qu'elle en retient.
17:10 - Bonjour, Le Beauclub.
17:12 J'ai été vraiment très touchée par le livre de Jean Frémont, "La Blancheur de la Baleine".
17:17 Dans ce livre, l'auteur dresse de beaux portraits d'artistes et d'écrivains.
17:21 On y croise Bernard Noël, Francis Bacon, David Hockney, mais aussi Paul Oster et Samuel Beckett.
17:28 J'ai été particulièrement marquée par le chapitre concernant Louise Bourgeois,
17:32 qui est une artiste que j'adore.
17:34 Alors, j'ai une question pour Jean Frémont.
17:36 Y a-t-il d'autres artistes qui souhaiteraient ajouter à cette galaxie d'aventuriers de l'impossible,
17:42 et donc en faire un prochain livre ?
17:44 - Jusqu'où va votre galaxie, Jean Frémont ?
17:48 - Oui, des textes, comme je l'ai dit tout à l'heure,
17:51 ce sont des textes qui n'ont pas été écrits directement pour ce livre,
17:54 mais à différentes époques, sur 25 ans.
17:56 Et il y en a encore évidemment beaucoup d'autres.
17:58 Oui, j'ai de quoi faire probablement deux ou trois livres,
18:00 mais je ne veux pas faire la même chose trois fois de suite.
18:02 Mais oui, il y a beaucoup d'autres artistes.
18:07 - Richard Texier, à quoi ressemblent vos ateliers quand vous êtes à New York ?
18:11 Vous nous l'avez dit, ce n'est pas évident de trouver un lieu, le bon lieu,
18:15 notamment lors de cette seconde installation au début des années 80,
18:18 avec cet adéquat incroyable.
18:20 Vous êtes avec votre ami Simon, vous arrivez à New York,
18:23 donc vous avez préparé cette fois-ci votre installation
18:25 pour que ça vous coûte le moins d'argent possible.
18:27 Vous attendez que la douane libère le matériel que vous avez envoyé,
18:31 et il ne se passe rien, vous ne trouvez pas d'endroit,
18:34 et là vous faites une rencontre incroyable.
18:36 - Oui, c'est le doigt de l'ange.
18:41 Et en effet, alors qu'on a compris qu'il ne faut jamais renoncer,
18:44 parce que j'avais décidé pour consoler Simon de consacrer mes ultimes dollars à un Tex-Mex,
18:49 il adorait ça, et nous voilà partis dans un Tex-Mex de Manhattan,
18:54 et en sortant, un orage gigantesque éclate,
18:59 et on reste à l'extérieur sous le dé,
19:01 vous savez la plupart des immeubles à New York ont un petit dé de toile,
19:04 et on attend là.
19:05 Et le dé d'à côté, on voit un gars qui charge des énormes mâles dans un van,
19:11 des caisses, et le pauvre gars glisse, tombe dans ce déluge,
19:17 une caisse s'ouvre, des appareils photos jaillissent et tombent dans le caniveau,
19:22 et comme un seul homme avec Simon,
19:25 on va aider ce gars à ramasser tout ce qui venait de s'éclater sur le trottoir,
19:31 et on charge le van.
19:33 Et le gars nous dit "si vous voulez, venez vous essuyer",
19:37 on était trempé évidemment,
19:38 et on monte dans son loft,
19:40 on voit un loft hallucinant d'un grand photographe de publicité au 420 West Broadway,
19:46 et on était sidérés, le loft vide.
19:51 Le gars nous entend, on lui raconte nos déboires,
19:54 on dit "tout comme lui, on quitte Manhattan",
19:56 et il nous tend les clés.
19:59 Et il nous dit "allez-y les gars,
20:02 montrez ce dont vous êtes capables, dédouanez vos caisses".
20:06 Je dois dire, pour être tout à fait franc,
20:10 et reconnaissant à la Providence,
20:13 que ça m'est arrivé des quantités de fois.
20:16 J'ai l'impression, depuis que je suis tout petit d'ailleurs,
20:19 alors peut-être que l'impression modifie le réel,
20:22 mais j'ai le sentiment qu'on m'aide, qu'on me surveille, qu'on me soutient.
20:27 Je dis ça avec prudence mais reconnaissance.
20:32 Parce que ça s'est tellement produit dans ma vie,
20:35 et singulièrement dans les ateliers nomades.
20:37 Parce que là vous êtes au bout du monde, vous êtes sans filet,
20:40 par rapport à votre travail, par rapport à cette aventure ouverte.
20:43 Il m'est arrivé des tas d'histoires un peu cheloues.
20:46 À Moscou ça a quand même été très compliqué,
20:50 les Chinois ont failli me mettre en taule,
20:53 et puis je ne souhaite à personne d'être oublié au fond d'une jôle chinoise.
20:57 Donc il m'est arrivé quand même des vraies aventures.
21:00 Mais au dernier moment il se passait toujours un truc qui me sauvait de la noyade.
21:04 - Cet aspect un peu de Providence, je ne sais pas comment le dire, de hasard,
21:08 Jean Frémont, vous l'avez retrouvé dans d'autres histoires, vous,
21:12 de vie d'artiste que vous avez connues ?
21:15 - Oui mais je crois qu'il y a quelque chose, c'est très juste que vous dites,
21:18 je crois qu'il y a quelque chose, au fond, voilà,
21:22 c'est le contraire de l'artiste maudit,
21:24 mais l'artiste maudit lui aussi il est toujours sauvé, d'une certaine façon,
21:29 ne serait-ce que par la postérité.
21:33 C'est ça, parce que ce sont des esprits ouverts,
21:36 et qui risquent tout d'abord.
21:39 Alors c'est quand on risque tout qu'on est sauvé par les cheveux, comme ça.
21:45 Et oui, on voit ça.
21:48 - C'est frappant, vous parliez du Manifeste de l'élastogénèse,
21:53 c'est un petit livre chez Fata Morgana de Richard Charteixi que j'ai lu,
21:57 et que je n'ai pas eu beaucoup le temps de lire le dernier,
21:59 parce que je l'ai eu hier, mais celui-là, celui de Fata Morgana, je l'ai bien lu.
22:02 C'est passionnant, il parle des formes, des vols des tourneaux,
22:06 des bancs de poissons, des choses comme ça.
22:09 Cette façon d'attraper des choses fugitives,
22:13 c'est ça aussi la chance, l'ange.
22:17 - Dieu aime les artistes et ceux qui les soutiennent, comme Jean Frémont.
22:22 - Jean Frémont, vous racontez dans votre livre
22:26 ces aventuriers de l'impossible qui passent évidemment leur temps à visiter ces ateliers.
22:32 Ils y sont tout le temps, auprès des artistes qui sont en train de créer,
22:35 ou alors les artistes eux-mêmes, et vous nous racontez notamment l'histoire de Jacques Dupin,
22:40 qui est votre ami, et qui a réussi, je vous cite,
22:43 "à cerner la singulière aventure de Giacometti".
22:46 Ça aussi, c'est pas commode.
22:47 Comment est-ce qu'il arrive, Jacques Dupin, auprès de cet artiste, d'Alberto Giacometti,
22:51 comment il arrive à être celui qui va écrire sur ses oeuvres et sur son travail ?
22:56 C'est le hasard ?
22:57 - C'est pas le hasard. Il travaillait à l'époque chez Christian Zervos,
23:01 qui était un éditeur, et c'est Zervos qui l'a envoyé chez Giacometti
23:04 pour prendre contact avec lui.
23:08 Et puis ensuite, Dupin est devenu le directeur des éditions MAG,
23:11 et MAG lui a commandé un livre sur Giacometti.
23:14 Mais là aussi, je raconte à quel point il ressentait tout ce qu'il avait écrit sur Giacometti
23:22 comme un échec.
23:24 Il était un jour arrivé chez Giacometti en disant "J'y renonce, j'y arriverai jamais".
23:28 Giacometti lui a piqué ses notes en disant "Donne-moi ça".
23:30 Il les a lues, et le lendemain, il a dit "Mais voilà, c'est exactement ça.
23:33 C'est ça que je veux, c'est ça que j'attends, c'est ça que tu dois faire.
23:36 Je veux personne d'autre".
23:38 - C'est la même situation. - Oui.
23:40 - On est à deux doigts d'abandonner, à deux doigts de se dire "On n'y arrivera pas,
23:43 c'est pas bien ce que je suis en train de faire, je suis en train de rater".
23:46 Et pour autant, en fait, on se trompe.
23:49 - Et chez Giacometti, c'est patent. Il tenait un discours de l'échec constant.
23:55 Mais il n'empêche que si quelqu'un, lui, dénigrait son travail sans arrêt,
24:00 si quelqu'un était de son avis, il le foutait à la porte.
24:03 - Donc c'est pas si simple. C'est juste la recherche d'un absolu qui est plus loin,
24:09 plus ambitieux. C'est pas simplement un petit jeu de fausse modestie, si vous voulez.
24:16 C'est pas ça l'enjeu. L'enjeu, c'est en effet de ne pas se satisfaire de ce qu'on a
24:22 parce qu'on veut mieux, autre chose.
24:26 Et ça, ça traverse un peu tous ceux qui sont dans ce livre. Bacon, c'était la même chose.
24:32 - C'est pas si évident d'écrire sur l'art, sur les œuvres de quelqu'un d'autre,
24:37 sur le travail de quelqu'un d'autre. D'ailleurs, Richard Tixé, ce qui m'a amusé dans votre récit,
24:43 c'est que vous ne vouliez pas écrire sur ce que vous dites, le cœur chaud de la création.
24:48 Vous dites "les tableaux suffisent à témoigner des champs magnétiques de l'esprit
24:52 et renseignent ceux qui savent regarder". Vous ne voulez pas écrire sur ce que vous faites.
24:56 Vous avez préféré nous raconter les coulisses.
24:59 - Non, d'abord, je ne me perçois pas encore comme un tartuffe. Je ne vais pas dire du bien de ce que je fais.
25:04 Mais c'est surtout que, en effet, c'est raconté par le petit bout de la lorniette,
25:08 c'est-à-dire les aventures, les seuls trucs que seul moi peux raconter d'ailleurs.
25:12 Ce que j'ai vécu, comment je t'ai... Après, la plupart, presque tous d'ailleurs,
25:17 ont abouti des grandes séries d'œuvres. Et je les délivre comme une sorte de journal de cette séquence
25:25 au bout du monde ou dans un phare ou dans un palais, peu importe.
25:29 Mais quoi qu'il en soit, ce n'est pas moi de parler du résultat.
25:32 Je ne peux parler que du chemin, que de la tentative et de ce qui m'est arrivé.
25:37 Aussi pour peut-être donner du courage aux autres artistes.
25:42 Parce qu'il y a des artistes, je me souviens de Pierre Soulages, quand il m'honorait de la visite à l'atelier,
25:47 il ne comprenait pas que je fasse ça.
25:49 Pierre me disait "mais l'atelier est un sanctuaire, mais qu'est-ce que tu vas chercher au bout du monde ?
25:53 Ce n'est que des embûches." En effet, il y en avait, mais aussi d'autres profits.
25:57 Et Pierre ne le comprenait pas.
25:59 Et si je pouvais... Bon, maintenant, aujourd'hui, j'étais l'un des premiers, si ce n'est le premier à...
26:04 Je ne vais pas théoriser, le mot est trop fort.
26:07 Mais en tous les cas, engager d'autres artistes à faire de même.
26:10 Parce qu'on y a des profits très grands.
26:13 L'immersion dans un monde et parmi des aides qu'on ne connaît pas apporte des solutions,
26:20 résout des péréquations, amène quelque chose dans votre oeuvre.
26:25 Alors le problème, c'est que ça ne dure pas longtemps, parce que ça dure quelques semaines, quelques mois,
26:29 mais au bout d'un temps, on voyage avec la machine.
26:34 C'est-à-dire que ces obsessions récurrentes voyagent avec vous.
26:38 - Justement, j'avais envie de vous poser une question sur la différence de vécu entre New York,
26:44 qu'on a décrit, cette effervescence, vous êtes presque poussé vers l'atelier
26:48 pour que vous puissiez créer tranquillement,
26:51 et cette expérience à Moscou, où ce Russe, Léonid Bayanov, vous invite
26:59 à la sortie de la fin de l'URSS à Moscou pour créer,
27:03 et là vous arrivez dans un endroit où on vous surveille, où vous vous sentez épiés,
27:08 où vous devez faire face à l'administration, à cet esprit, vous dites, conditionné par 70 ans de communisme.
27:15 Pour eux, la liberté d'expression, en quelque sorte, c'est la subversion,
27:18 et donc, vous n'êtes pas en situation de créer.
27:21 Qu'est-ce qui vous inspire dans cette aventure-là ?
27:24 - Ah oui, c'est le souffle de l'audace.
27:28 Ah oui, ça, ça me plaît. Et puis, travailler avec les matériaux,
27:31 vous savez, aller au bas de la rue, dans la droguerie du coin,
27:34 à Moscou, c'était un peu ça, trouver du matériel, c'était quand même très difficile.
27:38 Et rencontrer des êtres qui sont dans un autre état mental,
27:42 dans une autre situation aussi économique, partager avec eux, nouer des amitiés.
27:47 En fait, je suis assez inconscient, je ne pense pas aux dangers,
27:50 je pense à la nécessité, parce que tout ça me travaille,
27:54 et j'ai très envie de créer, de donner ma réponse,
27:57 je suis emporté par mon énergie, en fait, c'est le truc de l'idéaliste,
28:00 je jette ma flèche, je cours derrière.
28:03 - Ensuite, on ne va pas faire toutes vos aventures, il y en a beaucoup,
28:07 et elles sont passionnantes à lire, donc, dans Cosmos Ambulant, chez Galima, Richard,
28:11 si vous allez notamment à la Villanoa, et la Villanoa, ça nous refait penser à Giacometti,
28:16 Jean Frémont, bien sûr.
28:18 Vous avez traduit le grand livre du critique et historien d'art, David Sylvester,
28:23 sa monographie "En regardant Giacometti",
28:26 et vous avez aussi travaillé et traduit celle de Francis Bacon,
28:31 Francis Bacon à nouveau, du même David Sylvester.
28:34 C'était qui ce personnage, David Sylvester ? Quel regard il avait sur l'art ?
28:39 - Ah, c'était un personnage étonnant, Sylvester.
28:42 J'ai essayé d'en tracer un petit portrait, il avait une stature imposante,
28:48 il était fameux pour ses silences,
28:53 c'est quelqu'un qui vous regardait comme ça, longtemps, sans parler,
28:59 et qui lançait un truc, et qui attendait.
29:04 Il avait développé une intimité très grande, en particulier avec Giacometti et Francis Bacon.
29:11 Il a écrit des textes très sérieux, très profonds,
29:14 il a fait des entretiens avec beaucoup d'autres artistes,
29:18 américains et européens,
29:21 mais vraiment, les deux phares dans sa vie ont été Giacometti et Bacon,
29:28 et presque dans une forme de succession.
29:34 Évidemment, il a connu Giacometti avant Bacon,
29:37 et Giacometti est mort dans les années 60, 62, 63, je ne sais pas exactement,
29:42 et donc Sylvester a accompagné ensuite Bacon jusqu'à la fin de sa vie.
29:48 Il n'y en a pas beaucoup des gens comme ça, il n'y a pas de moule,
29:51 en tout cas s'il y en avait un, il est cassé.
29:57 Lui aussi, il est dans cette catégorie, au fond.
30:00 C'était un artiste à sa façon, en tout cas un aventurier de l'impossible à sa façon.
30:05 - D'ailleurs, il avait voulu être peintre, vous dites ?
30:07 - Il a eu l'intelligence, dit-il, moi je n'ai jamais rien vu de ce qu'il a fait comme peinture,
30:12 mais il a eu l'intelligence de reconnaître très vite qu'il n'était pas doué pour ça,
30:15 et il a eu une écriture aussi très ressassante,
30:21 un peu aussi comme Michel Léris, qui tourne autour de son sujet sans arrêt,
30:25 qui revient insistante, comme la manière de Giacometti d'une certaine façon.
30:30 - Sans être un tartuffe, Richard Tixier, comment on sait qu'on est fait pour être peintre ?
30:35 Comment on sait qu'on réussit ce qu'on fait ?
30:37 - Alors, il y a deux questions différentes. - Alors, dites-moi.
30:40 - La première, comment on sait qu'on est fait pour être peintre ?
30:46 C'est qu'aucune alternative ne se présente à vous.
30:51 Ce feu qui brûle en vous, il faut l'apaiser, l'éteindre, et l'éteindre, c'est travailler.
30:58 L'autre question, c'était comment on sait que le tableau est fini ?
31:02 - Que vous avez réussi, en tout cas, que ce que vous faites est réussi.
31:05 - Alors, c'est simple aussi, je n'ai jamais réussi.
31:08 J'ai toujours un profond sentiment d'échec,
31:12 et je recharge ma pile sur cet échec, pour rebondir sur un autre tableau.
31:20 Et ainsi de suite, jusqu'à la fin.
31:23 - Donc, c'est sans fin ?
31:25 - Vous savez, là, je comprends, c'est le temps qui reste, mais enfin, quand même, à priori, c'est sans fin.
31:32 - Vous racontez, Jean Frémont, dans votre ouvrage aussi, cette visite de la rétrospective Bacon,
31:40 justement avec David Sylvester, ce regard qu'on porte, et que lui portait, un regard particulier sur les œuvres,
31:46 une forme de danse, presque, devant les œuvres, pour être à la bonne distance, pour trouver le bon regard, justement.
31:53 - Oui, il aimait beaucoup, et c'est un exercice que partage par exemple David Hockney,
31:59 David Sylvester aimait beaucoup regarder les tableaux de très près et de très loin.
32:05 Et donc, je me souviens de cette visite de la rétrospective Bacon qu'il avait réalisée lui-même au Centre Pompidou,
32:13 et nous n'étions que tous les deux un jour de fermeture, et donc il me prenait par le bras, comme ça, et me faisait reculer,
32:19 et toute sa question, à propos de Bacon, était "est-ce que c'est d'abord un peintre ou un créateur d'images ?"
32:28 C'est-à-dire que de près, vous êtes dans la matière de la peinture, vous êtes dans l'abstraction, même s'il y a une figuration,
32:36 parce que voilà, on est tout près, et dès qu'on se recule, la touche disparaît et c'est l'image qui est forte.
32:44 Et chez Bacon, c'est une image d'un mythe, enfin c'est un théâtre, une catharsis, enfin vous voyez, bon.
32:53 Alors, sa question était toujours "en quoi est-il le plus fort, dans le jeu de la matière ou dans la construction de l'image ?"
33:03 C'est les deux, évidemment.
33:06 - Toutes ces questions, toutes ces réponses, on les retrouve, en tout cas, une partie dans votre récit,
33:10 "La blancheur de la baleine", Jean Frémont, aux éditions POL, Paul Otschakowsky, d'ailleurs, que vous connaissiez très bien.
33:17 Peut-être que ça fera d'ailleurs l'objet d'un prochain livre pour raconter, évidemment,
33:22 et d'ailleurs, vous serez aux 40 ans des éditions POL, ce sera le 11 mars prochain.
33:28 Merci beaucoup d'être venu échanger avec nous et avec Richard Texier, merci infiniment d'être venu dans le Book Club "Cosmos ambulant" chez Gaël Imard.
33:36 On revit avec vous tous ces ateliers nomades et cette vie passionnante d'artiste que vous menez.
33:43 Merci d'être venu dans le Book Club.

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