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00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'Occulture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
00:08 Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation à trois voix avec notre invitée.
00:13 Ce midi, elle est écrivaine.
00:15 Si elle a commencé par écrire de la poésie, ce sont ses romans qui font d'elle une autrice à temps complet.
00:21 Car depuis sa première publication en 2001, elle ne s'arrête pas et sort quasiment un nouveau roman chaque année.
00:27 Le dernier, objet de cette rencontre, est intitulé William, paru aux éditions Rivage.
00:32 Si j'ajoute qu'elle a étudié le théâtre élisabétain dans la langue de celui qui est l'auteur principal de cette période,
00:39 et qu'elle a même enseigné dans la ville où ce William est né.
00:43 Ce William, c'est donc William Shakespeare.
00:46 Bonjour Stéphanie Hocher.
00:48 Bonjour.
00:49 Bienvenue dans les midis de Culture et dans ce studio chaud.
00:52 Oui, il y a beaucoup de...
00:53 Il y a un problème de chauffage.
00:54 Un problème de chauffage.
00:55 On est vraiment dans le sud de la France.
00:56 On n'est pas le 19 avril en vente.
00:58 Il manque les grillons mais on est là.
01:00 Votre découverte de Shakespeare, Stéphanie Hocher, parce que c'est là le point de départ de ce roman.
01:05 Elle s'est faite assez tôt, à l'âge de 18 ans, c'est ça ?
01:08 C'est ça, puisque j'étais étudiante en anglais à la Sorbonne.
01:11 Et comme tous les étudiants, j'ai étudié chaque année une pièce, on va dire en profondeur, une pièce de Shakespeare.
01:20 Donc il y a eu plusieurs textes, plusieurs pièces étudiées.
01:25 Et puis à un moment, il a fallu choisir.
01:27 On va dire qu'on ne faisait pas que ça.
01:29 On étudiait plein d'autres choses.
01:30 On étudiait la civilisation anglaise, la politique anglaise, la phonétique, plein de choses très intéressantes.
01:35 Ou pas.
01:36 Mais en tout cas, au moment de choisir, j'ai décidé de m'orienter vers ce qui me paraissait à la fois le plus grandiose, le plus glorieux et le plus inutile.
01:45 C'est-à-dire les études...
01:47 Les études élisabethaines, c'est-à-dire cette période, cet âge d'or du théâtre en Angleterre.
01:54 C'est cette période qui voit advenir William Shakespeare.
01:58 Et on va dire par goût et par, je ne sais pas, par grande curiosité.
02:03 Vous dites les plus glorieuses et les plus inutiles.
02:06 Pourquoi inutiles ces Amina Elisabethan ?
02:09 Eh bien, j'avais conscience quand même qu'en choisissant d'étudier la littérature, précisément cette période-là, je n'allais pas trouver un travail.
02:19 Je savais que je n'allais pas...
02:22 Parce qu'il y avait déjà beaucoup de monde sur ce segment.
02:25 C'est-à-dire que je ne me destinais pas forcément à être professeure à l'université ou faire des recherches particulièrement poussées dans les études élisabethaines.
02:41 On est quand même du monde.
02:43 Et on va dire que c'était plutôt la beauté du texte et cette étrangeté aussi qui m'intéressait beaucoup.
02:50 J'étais très, très attirée par cette bizarrerie de cette époque et de ces textes qui m'attiraient tout en les trouvant difficiles.
03:00 Mais je trouvais que c'était intéressant.
03:03 Je savais parfaitement que je n'allais pas trouver un travail derrière.
03:06 C'est ce que je veux dire par là.
03:08 Ce qui est amusant, Stéphanie Ocher, c'est que vous travaillez d'abord les textes de William Shakespeare.
03:13 Et ensuite, presque par hasard, vous vous intéressez à sa vie.
03:18 Et c'est là que vous découvrez, en lisant un biographe, Bill Bryson, spécialiste de l'Angleterre,
03:23 qu'il y a 7-8 ans de la vie de Shakespeare où on ne sait pas ce qu'il a fait.
03:30 Absolument.
03:31 Quand j'étais étudiante, je ne connaissais absolument rien à la vie de Shakespeare.
03:35 Et on va dire comme tous les étudiants.
03:37 On ne présentait jamais la vie de l'auteur.
03:39 Comme si le nom suffisait. Et pourquoi pas ?
03:41 On peut très bien imaginer qu'on n'étudie que les textes des auteurs.
03:44 On ne s'était presque pas posé la question, même si on était allé à la Stratford-upon-Avon.
03:48 Et on avait travaillé dans le séminaire, dans sa ville même.
03:52 Là où Shakespeare est né.
03:53 Là où il est né, là où il a vécu, jusqu'à ses 23 ans environ.
03:57 Et on ne savait vraiment rien sur lui.
04:00 On ne se posait même pas la question.
04:02 Et puis, il y a une dizaine d'années, j'ai découvert le livre de Bill Bryson
04:06 qui s'intitule "L'antibiographie de William Shakespeare".
04:09 Et évidemment, j'ai tout de suite été attirée.
04:12 Puisque c'est resté un petit peu, on va dire, c'est pas un grand frère.
04:17 Mais on va dire, j'ai toujours aimé ce dramaturge, forcément.
04:20 Donc je me lance dans cette lecture.
04:22 Je découvre ce qu'on sait sur lui.
04:25 Je découvre ce qu'on suppute, ce qui est vraisemblable, ce qui est probable.
04:28 Et je découvre enfin cette histoire d'années perdues.
04:32 On va dire, c'est 7 ou 8 années avant son arrivée à Londres.
04:36 Qui sont un mystère total.
04:39 C'est-à-dire, il disparaît, en fait, il sort totalement de sa biographie.
04:42 On ne sait toujours rien.
04:44 On ne sait pas ce qu'il est devenu.
04:45 Alors, il y a plusieurs théories.
04:46 C'est ce qui est très intéressant aussi.
04:47 C'est que, on va dire, les spécialistes de la période se sont dit,
04:51 voilà, il est allé en Italie, puisque beaucoup de ses pièces se situent en Italie.
04:55 Ou alors, il aurait chassé le dain dans une forêt qui n'existait pas à l'époque.
04:58 Bon, bah, raté.
05:00 Il aurait peut-être tué un homme.
05:02 Bon, on n'a pas plus de preuves que ça.
05:03 Enfin, bref, il a peut-être été marin.
05:06 Beaucoup de termes dans ses pièces parlent de la mer, des marins, etc.
05:12 On a essayé de combler ce vide en relisant ses pièces, en relisant ses textes,
05:16 en se disant, ah, là, il y a peut-être une piste sur...
05:18 Bien sûr, c'est inévitable.
05:19 C'est très tentant de combler un vide et c'est naturel.
05:22 Mais on ne saura jamais, tout simplement, parce que les sources sont épuisées.
05:26 Qu'aujourd'hui, 5 siècles plus tard, c'est trop tard.
05:28 On ne saura jamais rien.
05:29 Et ce n'est pas des années qui sont n'importe quelles années.
05:31 C'est des années juste avant qu'il devienne ce qu'il était, c'est-à-dire William Shakespeare.
05:36 Il n'est que William, d'où le titre du livre.
05:39 C'est-à-dire qu'il n'est rien.
05:41 Il n'est qu'un petit provincial qui vient d'une famille plutôt bourgeoise.
05:48 Il habite à deux jours de voyage de Londres.
05:52 Rien dans sa vie ne lui permettrait facilement d'être comédien ou dramaturge.
06:00 C'est ça qui est très étrange.
06:01 Et il disparaît.
06:02 Vous souriez Stéphanie Hochet parce que c'est exactement ça qui a piqué la romancière que vous êtes.
06:07 Qu'est-ce que je peux imaginer, inventer, quels récits je peux construire à partir de ça ?
06:12 Absolument.
06:13 C'était presque mon devoir de romancière de combler ce vide.
06:18 Puisque la littérature sait ce que nous ne savons pas.
06:22 Et je pense qu'il n'y a par moment que les écrivains qui peuvent donner une vision et une histoire
06:32 quand il n'y a absolument plus rien et quand les historiens sont face à un vide total.
06:38 [Musique]
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07:28 - Birgit Minischmeier qui reprend dans cette chanson un sonnet de Shakespeare, le sonnet 116, publié en 1609.
07:38 La musique et la poésie de Shakespeare, puisque c'est d'abord ce qu'il va commencer par écrire Stéphanie Hochet,
07:45 avant de tomber dans le théâtre, c'est à ce moment-là que débute votre fiction, votre roman,
07:52 "Straten of Open Haven", je rappelle aux éditions RIVAGE, puisque c'est ce théâtre qui va le pousser à quitter,
07:59 en tout cas dans votre roman "Stratford Open Haven", c'est pas facile à dire.
08:06 Comment est-ce qu'il est piqué par cette folie du théâtre ?
08:10 - On ne sait pas, on ne sait pas trop.
08:13 Face aux sources, on sait que... On sait très peu de choses en réalité.
08:17 On sait quand il a été baptisé, on sait quand il s'est marié, donc il se marie très tôt, à l'âge de 18 ans,
08:22 et je commence le livre à ce moment-là, au moment du mariage.
08:24 - Il y a d'ailleurs beaucoup de fantasmes sur Shakespeare, sur le fait que ce soit véritablement lui l'auteur de ces textes, ça...
08:30 On a dépassé ce stade ?
08:32 - Heureusement, surtout ne donnons pas beaucoup de presse à ce genre de polémiques,
08:37 puisque ce sont des histoires totalement fantaisistes qui sont nées surtout au 19e siècle.
08:44 A l'époque de Shakespeare, tout le monde sait qui est William Shakespeare,
08:47 donc il est cité par ses contemporains.
08:50 - C'est un personnage fictif, c'est un fantasme.
08:53 - Voilà, alors si on veut entrer dans le complotisme, on peut très bien imaginer que ceci, cela,
08:58 mais on n'a aucune preuve de ce qui est avancé, c'est-à-dire toutes les théories qui diraient, par exemple,
09:02 que finalement ces pièces ont été écrites par Christopher Marlowe, qui meurt à 29 ans alors qu'ils sont contemporains,
09:08 et que Shakespeare écrit ces pièces bien après,
09:11 et que Marlowe aurait fait semblant de mourir pour écrire ces pièces,
09:14 ou alors que c'était une communauté d'aristocrates très discrets qui auraient écrit ces pièces à sa place.
09:21 Tout ça ne tient pas debout.
09:23 Enfin, c'est complètement... On pourrait s'interroger, pourquoi dire ça de lui ?
09:27 Pourquoi n'aurait-il pas été capable d'écrire ces pièces tout seul ?
09:31 Ben Jonson le cite, il en fait une citation en disant à quel point il l'admire et le jalouse en même temps.
09:38 On sait qu'il existait, il y a des preuves de son existence, aucun problème.
09:42 Mais effectivement, je prends l'histoire au moment de son mariage, c'est-à-dire, ça c'est des choses qu'on sait.
09:51 Et je vais dire au lecteur, voilà, on sait qu'il se mariait à 18 ans avec une femme plus âgée que lui,
09:55 qui est très intéressante déjà, elle a 26 ans, ce qui est très rare, un mariage de ce genre-là,
09:59 d'un jeune homme avec une femme quand même beaucoup plus âgée pour l'époque,
10:03 et une femme qui quand même venait plutôt d'un bon milieu,
10:06 donc fille de yeoman, c'est-à-dire de propriétaire terrien avec pas mal de biens,
10:12 on va dire que c'est un bon parti.
10:14 Donc il faut imaginer ce jeune Shakespeare qui avait peut-être 17 ans quand il l'a rencontré,
10:18 il a réussi à séduire cette femme et puis très vite, on va dire 6 mois après le mariage, arrive un premier enfant.
10:24 Et donc bon, je vous laisse sans déduire ce qu'il faut.
10:29 Ensuite arriveront les jumeaux, donc Judith et le fameux Hamnet avec un N,
10:34 et puis disparition de William.
10:37 On ne sait pas où, on ne sait pas pourquoi, on sait qu'il vivait avec son épouse, donc Anne Hathaway,
10:43 qu'il a probablement aimée, il y a un de ses sonnets qui fait allusion à Anne,
10:49 et il dit qu'elle est loin de toute N, donc "hate away", "hat away",
10:54 il adore les jeux de mots, il adore faire des allusions,
10:59 et puis il parle beaucoup de sa vie dans ses sonnets, on pourra y revenir éventuellement,
11:02 et puis voilà, il disparaît.
11:05 - Il disparaît, et vous, vous imaginez ce qui s'est passé, donc,
11:09 pourquoi est-ce qu'il disparaît, pourquoi est-ce qu'il quitte cette ville où il a grandi,
11:15 l'héritage qu'il va aussi avoir de son père, qui vous l'avez dit,
11:19 quelqu'un d'une bourgeoisie certaine, qui est bien installé dans cette ville,
11:24 ses trois enfants, son épouse, c'est le passage d'une troupe de théâtre dans la ville qui va le piquer,
11:30 et c'est là où il va se dire "moi je veux faire du théâtre, moi je veux aller à Londres,
11:34 jouer à Londres", alors qu'à l'origine il n'est pas du tout comédien.
11:37 - Nous en étions là, effectivement, son amour pour le théâtre,
11:40 alors c'est ce qu'on peut tous supposer, c'est qu'il était complètement fou de théâtre,
11:45 puisque sept ans plus tard, il devient comédien à Londres.
11:49 On va dire que tout le retenait loin de la scène de Londres,
11:52 c'est-à-dire qu'il était dans cette campagne, qu'il était marié avec des enfants,
11:58 qu'il n'était pas du milieu, c'était quand même important à l'époque d'être du milieu des comédiens,
12:01 parce que bon, ça c'est beaucoup plus pratique, et c'est surtout,
12:05 il faut voir que le métier de comédien est très mal vu.
12:08 Donc on va dire que c'est quelqu'un qui sort d'un milieu bourgeois,
12:11 d'un milieu où tout est fait pour qu'il reste sur place, avec une femme, des enfants,
12:15 on va dire un père à côté qui a l'air assez autoritaire,
12:18 qui a de l'influence, qui est important, qui a été maire de Stratford-Upon-Avon.
12:22 Et pourquoi le jeune Shakespeare est-il parti devenir comédien ?
12:26 On va dire que c'est très étrange, c'est qu'il avait forcément une passion pour ça.
12:30 Ce qui est intéressant, c'est qu'on sait qu'il y a une troupe de théâtre,
12:36 c'est la troupe des comédiens de l'arène,
12:38 qui s'arrête pas très loin de Stratford-Upon-Avon au moment où il part.
12:42 Et il y a un comédien qui en tue un autre, c'est l'heure d'une rixe.
12:46 Il y en a un qui se retrouve sur le carreau.
12:48 Et il manque un comédien, donc il y a cette troupe qui est encore une troupe prestigieuse.
12:53 Donc on peut très bien imaginer, ce qui est tout à fait vraisemblable,
12:56 - Ça c'est vrai, ça c'est la règle. - Ça c'est vrai, c'est tout à fait vrai.
13:00 On peut très bien imaginer, et là c'est ce qu'on ne sait pas,
13:02 mais on peut très bien imaginer, c'est ce qui est plaisant d'imaginer,
13:04 ce qui est presque cohérent d'imaginer, c'est ce que le jeune William a entendu parler de cette histoire,
13:09 et qu'il s'est proposé en disant "mais prenez-moi, prenez-moi absolument".
13:12 Seulement, lui, il n'a jamais été comédien, donc il a bien fallu qu'il apprenne le métier.
13:18 Donc il a appris forcément le métier dans une troupe, qu'il l'a formée.
13:21 Il a 22-23 ans, ce n'est pas un tout jeune homme pour être comédien.
13:26 Donc ça veut dire quand même qu'il a fallu déployer, on va dire,
13:30 beaucoup d'efforts pour devenir ce comédien qu'il sera plus tard à Londres.
13:34 Il faut voir qu'effectivement, il écrit de la poésie.
13:37 Il n'écrit pas de théâtre à ce moment-là, il n'écrit que de la poésie.
13:40 Surtout Vénus et Adonis, on sait qu'il va commencer à l'écrire à ce moment-là.
13:43 Le théâtre sera écrit beaucoup plus tard.
13:46 Mais ça veut dire que sa passion, c'est être comédien, avant tout.
13:51 Et c'est ce que vous inventez, ce que vous imaginez, effectivement.
13:54 Quelle galère il va rencontrer avec cette troupe de comédiens,
13:58 puisque ce qui est intéressant dans votre roman, Stéphanie Ocher,
14:02 ce sont aussi ces éléments historiques que vous nous racontez,
14:06 puisque vous nous recontextualisez dans cette époque-là.
14:11 La présence de la peste qui empêche la compagnie de jouer dans des grandes villes infectées,
14:15 la puanteur des tanneries, la violence, les rixes, les meurtres aussi.
14:19 Vous retracez toute cette époque de la fin du XVIe siècle.
14:22 C'est une époque que je trouve très attirante,
14:24 parce qu'on a beaucoup de mal à se la représenter aujourd'hui.
14:27 J'aurais tendance à presque la décrire comme une époque punk.
14:33 C'est-à-dire que quand les gens n'étaient pas d'accord,
14:36 que ce soit des dramaturges, que ce soit des comédiens,
14:39 ça allait jusqu'à la rixe, ça allait jusqu'à la bagarre.
14:42 Et on avait des couteaux.
14:44 Et c'est comme ça qu'il y avait des meurtres assez courants.
14:47 N'oublions pas que Christopher Marlowe lui-même,
14:49 le jeune dramaturge qui est la gloire,
14:53 le dramaturge glorieux à cette époque-là,
14:56 meurt à 29 ans lors d'une rixe dans une taverne.
15:00 Ça se bagarre de partout.
15:03 Voyager est dangereux.
15:05 Si vous voyagez, vous risquez de vous faire attaquer sans arrêt.
15:10 Évidemment, on va vous voler votre bourse,
15:13 on va vous tuer éventuellement, etc.
15:15 Tout est dangereux.
15:16 Vous arrivez dans des grandes villes,
15:18 effectivement, la peste est partout.
15:20 À ce moment-là précisément, quand il part,
15:22 il y a la peste à Londres.
15:24 Il faut savoir que la peste se déplace selon telle ou telle période.
15:28 C'est-à-dire que s'il y a la peste à Londres,
15:30 on peut imaginer que la troupe de théâtre va partir ailleurs dans l'Angleterre,
15:33 où la peste n'aura pas lieu encore.
15:35 Ce n'est pas comme le Covid où tout va très vite.
15:37 Donc c'est une époque qui nous surprendrait.
15:44 Parce qu'arriver même à Londres,
15:46 à mon avis, on serait presque choqué.
15:48 Bon, Londres est beaucoup plus petite.
15:50 Mais Londres est aussi effectivement nauséabonde.
15:53 Les tanneries, par exemple, utilisent des déjections de chiens.
15:57 On sait qu'il y a des odeurs absolument épouvantables dans la ville.
16:01 On jette ses détritus par la fenêtre.
16:04 Quand vous arrivez dans Londres,
16:06 ce sont des têtes coupées de criminels sur des pics qui vous accueillent.
16:11 C'est quand même impressionnant.
16:14 C'est toute cette atmosphère que vous nous racontez,
16:16 en nous plongeant dans cette vie réelle de Shakespeare,
16:19 puis la vie que vous avez inventée durant ces huit années.
16:22 Et puis il y a aussi dans ce roman,
16:25 une part autobiographique, Stéphanie Hochet.
16:27 Sur la forme, il y a trois actes dans votre livre,
16:30 comme au théâtre, divisé en chapitres.
16:32 Et cette double narration, ces aventures de William qui galère pour devenir comédien.
16:36 Et puis votre histoire personnelle,
16:38 qui commence aussi par une fuite.
16:41 Ça, c'est un des points communs avec le William que vous nous racontez.
16:45 Fuir pour s'éloigner de sa famille.
16:48 Oui, c'est ça.
16:50 Quand j'ai commencé ce livre, je me suis dit,
16:53 je pourrais écrire un livre historique,
16:55 mais je n'ai pas envie d'écrire un livre historique.
16:57 Je voulais expliquer pourquoi le personnage,
17:00 la figure de William Shakespeare,
17:04 comptait dans ma vie.
17:06 Pourquoi j'ai voulu maintenant parler de lui.
17:11 Et vous savez, quand vous avez affaire à un tel génie,
17:14 c'est très compliqué.
17:16 C'est écrasant.
17:18 Il faut quelque part y parvenir, il faut quelque part,
17:20 il y a des passerelles.
17:22 Et cette passerelle, la première passerelle,
17:24 ça a été sa fuite.
17:26 Ce que j'appelle une fugue.
17:28 On peut l'appeler comme on veut, mais en fait, une disparition.
17:30 Et cette disparition ne m'est pas étrangère.
17:32 Parce que personnellement, j'ai pratiqué beaucoup de disparitions,
17:34 effectivement, dans ma jeunesse.
17:36 J'ai fugué, oui, à plusieurs reprises.
17:40 Vous racontez notamment une fugue à 3-4 ans,
17:44 où le voisin ou le voisin qui va vous rattraper.
17:48 Et plus tard aussi, à l'adolescence,
17:50 vous partez, vous partez même rapidement ensuite de votre famille
17:52 pour faire des études ailleurs.
17:54 Oui, c'est ça.
17:56 La fugue de 3 ans, je ne pense pas être la première,
17:58 ni la seule.
18:00 Vous savez, les enfants ont de drôles d'idées
18:02 qui leur passent par la tête.
18:04 J'étais persuadée qu'il fallait que je vive ma vie
18:06 et qu'il était temps qu'il m'arrive des choses.
18:08 J'ai ouvert le portail,
18:10 et je suis partie.
18:12 Et des voisins m'ont retrouvée en cours de route.
18:16 Je crois que je voulais vraiment vivre ma vie.
18:22 C'était vraiment un truc...
18:24 Vous savez, cette espèce d'appel du désir de vivre.
18:26 C'était ça.
18:28 À 3-4 ans ?
18:30 Oui, à 3 ans.
18:32 Je crois que je ne suis vraiment pas la seule.
18:34 Vous savez, les gamins de 3 ans ont de drôles d'idées aussi.
18:36 Et puis après, à l'adolescence,
18:38 c'était pour tout autre chose.
18:40 J'ai eu l'occasion de fuir un milieu familial
18:42 que je trouvais particulièrement étouffant.
18:44 Il me mettait dans des situations intenables.
18:48 J'ai dû partir.
18:50 Et j'ai fugué à plusieurs reprises.
18:54 C'est ce qui fait que je me suis intéressée
18:56 à la transgression de William Shakespeare.
18:58 Je me suis dit que j'ai commis cette transgression-là
19:02 de quitter l'environnement familial.
19:04 C'est la première transgression dont je parle.
19:06 Ensuite, il y aura l'écriture.
19:08 Il y en aura plusieurs qui vont me toucher chez lui.
19:10 Justement, l'écriture,
19:12 puisque vous en parlez,
19:14 de cette vie intime
19:16 que vous racontez dans ce livre,
19:18 c'est la première fois que vous racontez
19:20 votre famille,
19:22 issue d'une classe ouvrière,
19:24 d'un milieu politique très engagé.
19:26 Vous êtes issue d'une famille communiste
19:28 qui, justement,
19:30 et là on voit le parallèle avec William Shakespeare,
19:32 c'est-à-dire que vous faites des choix décalés
19:34 par rapport à eux, qui ne sont pas acceptés.
19:36 C'est notamment de vouloir faire des études.
19:38 C'est aussi de pouvoir assumer
19:40 votre vie sexuelle,
19:42 votre homosexualité,
19:44 dans une famille qui apparaît ouverte,
19:46 de prime abord, si on peut dire,
19:48 mais qui ne l'est pas du tout.
19:50 Oui, c'est une grande déception.
19:52 Moi-même, je reconnais que j'étais totalement communiste
19:54 à l'âge de 15 ans.
19:56 J'ai un petit peu changé d'opinion
19:58 au fur et à mesure.
20:00 Je tiens à dire que je suis allée
20:02 à l'âge de 14 ans en RDA,
20:04 ce n'est pas courant.
20:06 En colonie de vacances en RDA.
20:08 J'ai compris deux ou trois choses.
20:10 Je parlais allemand assez bien à l'époque.
20:12 J'ai découvert deux ou trois choses
20:14 qui m'ont un peu étonnée, qui m'ont pas mal déçue.
20:16 J'étais très militante à l'époque
20:18 et j'en suis pas mal revenue.
20:20 Après, certains choix que j'ai faits,
20:22 ne seraient-ce que de faire des études,
20:24 c'était pris
20:26 étonnamment mal.
20:28 Quel genre d'études ?
20:30 Quand je vous disais
20:32 que je faisais des études totalement inutiles,
20:34 c'est ce qu'on m'est servi.
20:36 Je faisais des études inutiles.
20:38 Ce besoin de se casser ce moule,
20:40 ce n'était même pas un choix,
20:42 c'était une nécessité,
20:44 c'était inévitable.
20:46 Je parle aussi de mon cousin
20:48 qui a pratiqué la même transgression,
20:50 qui était la première personne
20:52 de ma famille à avoir le bac
20:54 et qui a été servi de modèle.
20:56 Je me suis un petit peu identifiée
20:58 avec ce qu'on m'a dit.
21:00 Je me suis un petit peu identifiée
21:02 à lui.
21:04 Lui a eu un destin tragique,
21:06 ce qui crée chez moi beaucoup d'anxiété.
21:08 Pour Shakespeare, le moyen d'être reconnu,
21:12 ça a été l'écriture.
21:14 Là aussi, il y a un parallèle avec
21:16 peut-être votre parcours.
21:18 Qu'est-ce que l'écriture, aujourd'hui,
21:20 vous permet, vous a permis de faire ?
21:22 J'imagine que ce n'était pas facile
21:24 de raconter sa vie,
21:26 surtout en la mettant en parallèle
21:28 avec Shakespeare, avec cette figure dont vous parliez.
21:30 Il ne faut surtout pas imaginer que c'est une tentative
21:32 de comparaison.
21:34 J'ai vraiment tenté de comprendre
21:36 qui était William en passant par moi.
21:38 Il est tellement lointain,
21:40 il est tellement difficile à saisir
21:42 qu'il fallait vraiment que je le rende familier,
21:44 que j'en fasse presque un cousin,
21:46 presque un camarade.
21:48 Pour ça,
21:50 il fallait que je trouve
21:52 les points de contact entre lui et moi.
21:54 Je suis passée par là
21:56 pour pouvoir le comprendre et qu'il devienne
21:58 un personnage de roman.
22:00 Il faut que ce soit un William qui soit incarné,
22:02 il ne faut pas que ce soit un William de biographie.
22:04 Pour l'incarner, il fallait que je le tire à moi,
22:06 comme il m'a tiré vers le haut,
22:08 je l'ai tiré à moi aussi.
22:10 C'est comme ça que je l'ai construit.
22:12 Il y a quelque chose de la psychanalyse
22:14 dans ce roman ?
22:16 Ou alors vous rejetez toute idée
22:18 de thérapie d'écriture ?
22:20 Je pense que c'est plus de l'analyse que de la thérapie.
22:22 L'analyse interroge.
22:24 Je passe mon temps à interroger ce qui s'est passé,
22:26 ce qui a pu se passer.
22:28 Parfois je dis au lecteur
22:30 "ça nous le savons, ça nous le savons pas, mais voilà ce que je vous propose".
22:32 C'est comme ça que je l'imagine.
22:34 De même que je m'interroge
22:36 aussi beaucoup sur l'écriture.
22:38 J'interroge toujours la forme.
22:40 Pour moi, l'analyse
22:42 c'est la question.
22:44 C'est socratique. C'est une question avant tout.
22:46 La thérapie, c'est une façon
22:48 d'être bien dans sa peau.
22:50 C'est pas que ça ne m'intéresse pas, j'aimerais bien être mieux dans ma peau.
22:52 Mais la thérapie, c'est une solution un peu toute faite.
22:54 Les mots anglais
23:00 sont pleins d'échos, de souvenirs,
23:02 d'associations.
23:04 Ils sont présents sur les lèvres des gens,
23:06 dans leur maison,
23:08 dans les rues, dans les champs,
23:10 depuis tant de siècles.
23:12 Et c'est là l'une des principales
23:14 difficultés qu'on rencontre aujourd'hui
23:16 dans leur écriture.
23:18 Qu'ils soient tellement chargés
23:20 de signification,
23:22 de souvenirs, qu'ils aient
23:24 contracté tant de mariages célèbres.
23:26 Comment pouvons-nous
23:28 combiner les mots anciens
23:30 dans des ordres nouveaux pour qu'ils
23:32 survivent, pour qu'ils créent
23:34 de la beauté, pour qu'ils disent
23:36 la vérité ?
23:38 Telle est la question.
23:48 Et notre invité jusqu'à 13h30 sur France Culture,
23:50 c'est Stéphanie Hochet pour son roman
23:52 "William" aux éditions
23:54 Rivage. On vient d'écouter la voix
23:56 de Virginia Woolf, traduit par
23:58 Anaïs Hiesbaird.
24:00 Stéphanie Hochet, elle représente quoi
24:02 pour vous, Virginia Woolf ?
24:04 Là encore, on est dans les romancières
24:06 anglaises qui vous ont inspiré,
24:08 qui vous ont donné
24:10 envie d'écrire des romans.
24:12 - Ah, merveilleuse autrice,
24:14 immense romancière,
24:16 que je ne cesse
24:18 de relire et de
24:20 faire lire, par exemple,
24:22 à mes étudiants
24:24 à Sciences Po, parce que je...
24:26 Je pense qu'il
24:28 faut continuellement faire partager
24:30 ses écrits. Alors,
24:32 c'est une autrice qui est très lue
24:34 aujourd'hui, qui est très admirée des romancières,
24:36 beaucoup pour ses essais féministes,
24:38 etc.
24:40 Pour moi, l'œuvre la plus
24:42 merveilleuse de Virginia Woolf, c'est "Orlando".
24:44 Et "Orlando"
24:46 commence justement à l'époque
24:48 de Shakespeare. Donc, c'est ce jeune
24:50 aristocrate, inspiré de
24:52 Vita Sackville-West,
24:54 qui est un personnage,
24:56 enfin un poète, qu'elle invente, comme ça,
24:58 qui avait cette capacité, effectivement,
25:00 à être un homme puis une femme,
25:02 quelques siècles plus tard.
25:04 Et cette histoire commence
25:06 au siècle élisabétain, et c'est
25:08 absolument merveilleux. En fait,
25:10 j'ai pensé à elle dans certaines descriptions
25:12 et qui sont
25:14 absolument
25:16 gigantesques
25:18 et d'une
25:20 foisonnante
25:22 superbement visuelle.
25:24 C'est un livre qui est
25:26 le contraire de ce qu'on imagine souvent
25:28 chez Virginia Woolf, qui est perçu souvent
25:30 comme une autrice un petit peu dépressive.
25:32 "Orlando", c'est le contraire de ça.
25:34 Alors, vraiment, si les gens veulent
25:36 lire, enfin, veulent s'initier
25:38 à Virginia Woolf, je propose toujours de commencer
25:40 par "Orlando". Donc, voilà,
25:42 ça nous met un pied directement
25:44 à l'étrier
25:46 de
25:48 son oeuvre.
25:50 - De Virginia Woolf ?
25:52 - Et de William, puisqu'on rentre
25:54 effectivement dans cette même période
25:56 avec ces romans-là. Vous avez, vous,
25:58 à chaque fois que vous attaquez,
26:00 si je puis dire, dans un roman
26:02 à l'Angleterre, le souci
26:04 de nous décrire très précisément
26:06 l'époque dans laquelle on se trouve.
26:08 On l'a dit avec, effectivement,
26:10 William, où vous nous racontez la fin de ce
26:12 XVIe siècle. Mais c'est aussi le cas, par exemple,
26:14 dans un roman anglais, paru en
26:16 2015, où là aussi, vous rendez hommage
26:18 à cette autrice avec une
26:20 intrigue qui se noue dans une atmosphère
26:22 particulière, puisqu'on est autour de la
26:24 Première Guerre mondiale, dans une Angleterre
26:26 qui est là aussi en bouillonnement,
26:28 une Angleterre tourmentée.
26:30 C'est ça aussi qui vous
26:32 meut, c'est-à-dire l'idée de décrire
26:34 pas un calme plat.
26:36 - Ah bah, surtout pas !
26:38 Il faut qu'il y ait
26:40 l'arrivée
26:42 de l'angoisse,
26:44 de quelque chose, d'un certain chaos.
26:46 Sinon, il n'y a pas de littérature, je pense.
26:50 C'est...
26:52 Oui, effectivement,
26:54 on va dire, la référence
26:56 à Virginia Woolf est totalement
26:58 évidente dans un roman anglais,
27:00 qui se situe, en fait, au moment
27:02 où elle commence
27:04 son journal.
27:06 Je me suis beaucoup inspirée de ce qu'elle disait
27:08 dans son journal. Alors, ce n'est pas elle, dans mon livre,
27:10 mais c'est un personnage qui vient de la même
27:12 culture, du même milieu.
27:14 Et c'était
27:16 aussi une façon de parler d'androgynie, parce qu'il y a
27:18 une histoire de jeune homme, en fait,
27:20 qui va être
27:22 un jeune homme "nurse",
27:26 qui va s'occuper d'un petit enfant, et qui va avoir
27:28 des qualités plus féminines que masculines,
27:30 et on va voir ce que ça va créer
27:32 dans un couple, en fait,
27:34 un couple bourgeois, et que ça va
27:36 montrer, en fait, les problèmes
27:38 qu'il y a dans ce couple.
27:40 Voilà,
27:42 Virginia Woolf a beaucoup, beaucoup conté,
27:44 et...
27:46 Elle parle d'ailleurs très, très
27:48 bien de William Shakespeare. Elle dit
27:50 que c'est, en fait,
27:52 le paroxysme du génie, tout simplement,
27:54 parce qu'il possède à la fois
27:56 un cerveau masculin et un cerveau féminin.
27:58 Pour elle, c'est le génie total.
28:00 Il est à la fois homme et femme, selon Virginia Woolf.
28:02 - Quand vous parlez
28:04 de ce théâtre élisabétain,
28:06 on a entendu Virginia Woolf parler
28:08 des mots anglais,
28:10 de leur association, des souvenirs qu'ils représentent...
28:12 Qu'est-ce que cette
28:14 langue a de plus
28:16 que le français, en tout cas dans
28:18 votre intérêt ? Comment est-ce que vous
28:20 considérez cette langue
28:22 dans l'art, au théâtre, évidemment, mais aussi
28:24 dans la littérature ? Qu'est-ce qu'il y a de plus
28:26 pour vous ?
28:28 - Ça va être compliqué !
28:30 Il y a une façon
28:32 de sonner une musique qui est
28:34 très différente.
28:36 Pour ce qui est des auteurs,
28:40 j'ai souvent fantasmé
28:42 d'être une romancière anglaise.
28:44 C'est raté !
28:46 J'avais tellement d'admiration pour les romancières
28:48 anglaises. Je trouvais qu'elles
28:50 ont pris tout de suite une place tellement
28:52 importante dans cette société-là.
28:54 Et...
28:56 Je les ai terriblement admirées.
29:00 Et puis, pour revenir au théâtre
29:04 de langue
29:06 anglaise, au théâtre dont nous parlons en particulier,
29:08 il y a cette époque
29:10 élisabethane, on va dire que le barde,
29:12 c'est William Shakespeare, mais il y en a d'autres.
29:14 Il y a une sorte de
29:16 liberté, d'audace,
29:22 un mélange à la fois de violence et de beauté,
29:24 de raffinement total.
29:26 C'est ce qui a fait que j'ai été
29:28 attirée par ce théâtre-là.
29:30 Le théâtre de Shakespeare, c'est ça.
29:32 C'est à la fois mélanger ce...
29:34 Vous prenez Titus Andronicus,
29:36 c'est de la violence et du sang.
29:38 Cette violence, on va la retrouver dans plusieurs pièces.
29:42 Les pièces historiques, on va la retrouver
29:44 dans Richard III,
29:46 dont je parle. On va la retrouver
29:48 dans beaucoup de pièces, mais on va retrouver
29:50 également, on va dire,
29:52 les mots, les phrases
29:56 les plus raffinées du discours amoureux.
29:58 C'est un mélange baroque,
30:00 c'est une invention
30:02 continuelle de la langue, à ce moment-là.
30:04 C'est ça qui est beau.
30:06 On part, on va dire,
30:08 le théâtre avant William Shakespeare,
30:10 c'est un théâtre un peu caricatural
30:12 où vraiment, on va montrer
30:14 Monsieur Viss, Madame Vertu,
30:16 etc. Donc là, on va
30:18 vraiment changer complètement de perspective
30:20 avec un théâtre qui est très inventif,
30:22 avec des personnages très incarnés.
30:24 C'est quelque chose qu'on ne voit pas beaucoup
30:28 dans le théâtre français,
30:30 même un peu plus tard.
30:32 C'est-à-dire que ce mélange des genres
30:34 est assez rare
30:36 dans le théâtre français. - Vous voulez dire un mélange des genres
30:38 entre la comédie et la tragédie,
30:40 ou un mélange au niveau de la construction des personnages
30:42 dans leur complexité ?
30:44 Parce que là, on pourrait penser à Molière, pour le coup,
30:46 comme un certain degré de complexité.
30:48 - C'est vrai, mais Molière est absolument gigantesque.
30:50 Ce qui fait que j'étais
30:52 plus attirée par ce théâtre
30:54 shakespearien,
30:56 c'est un théâtre ouvert à tous
30:58 et qui se présente comme ouvert à tous.
31:00 C'est-à-dire que le public, c'est un public populaire,
31:02 c'est le peuple, et c'est aussi l'aristocratie,
31:04 et c'est aussi la reine.
31:06 C'est un théâtre où on va mettre en scène,
31:08 par exemple, le langage, dans Shakespeare,
31:10 c'est aussi bien l'argot que
31:12 la langue la plus raffinée.
31:14 Ça va être
31:16 des obscénités et des choses raffinées.
31:20 Ça va être aussi une entrée
31:22 dans le discours
31:24 le plus pervers possible
31:26 pour obtenir le pouvoir.
31:28 - Voilà, c'est ça. Parce que ce que vous dites
31:30 sur le degré de complexité
31:32 ou le mélange entre les registres de langage
31:34 ou le côté populaire, on pourrait aussi le dire
31:36 de Molière. Il a joué
31:38 à la cour et il était aussi à jouer
31:40 avec une troupe ambulante jusqu'à ce qu'il s'installe
31:42 dans un théâtre.
31:44 La différence, c'est plutôt sur ce côté pervers,
31:46 sur ce rapport à la violence.
31:48 - Je trouve qu'en termes de langage,
31:50 on va plus loin chez Shakespeare.
31:52 Je trouve qu'il y a
31:54 un vocabulaire,
31:56 une audace
31:58 et des
32:00 histoires,
32:02 même sur la violence, ce qu'il va dire
32:04 de la violence, ça va être
32:06 extrêmement dérangeant. Même aujourd'hui,
32:08 on pourrait être parfois
32:10 choqués de ce qu'on peut voir.
32:12 C'est aussi pour ça qu'on est aussi attirés
32:14 par ses œuvres encore aujourd'hui,
32:16 que Richard III se joue absolument partout dans le monde.
32:18 Je ne pense pas que
32:20 Molière ait montré des telles
32:22 horreurs. - Oui, voilà, c'est ça. C'est dans
32:24 la violence qui est montrée et dans la perversion.
32:26 - C'est principalement ça.
32:28 - Stéphanie Hochet, on l'a dit,
32:30 vous avez quasiment, j'ai un peu
32:32 exagéré, peut-être publié un roman par an
32:34 depuis que vous publiez au début des années 2000.
32:36 Ce sont donc des romans, mais vous êtes
32:38 aussi essayée aux essais.
32:40 Et notamment des essais sur les
32:42 animaux. Il va falloir nous expliquer
32:44 cette passion pour les
32:46 animaux. Vous avez écrit deux
32:48 essais, "Éloge du lapin" en 2021
32:50 chez Rivage et "Éloge du chat"
32:52 en 2014.
32:54 Qu'est-ce qu'il y a de si
32:56 intéressant dans le personnage
32:58 animal dans la littérature ?
33:00 C'est notamment ça qui vous a intéressé.
33:02 - C'est un personnage
33:04 qui est un peu un impensé
33:06 en littérature. C'est-à-dire qu'il est présent
33:08 mais on commence à
33:10 discouvrir, on commence à écrire dessus,
33:12 à s'interroger beaucoup. Mais longtemps,
33:14 on a perçu l'animal comme
33:16 tellement secondaire, tellement
33:18 anecdotique,
33:20 que ça ne méritait pas tellement qu'on s'y attarde.
33:22 Et j'ai trouvé que, quand j'ai eu l'occasion
33:24 d'écrire un premier "Éloge"
33:26 sur le personnage du chat,
33:28 j'ai découvert
33:30 qu'il y avait,
33:32 on va dire, beaucoup à dire, bien sûr.
33:34 Mais c'est aussi que moi-même, j'ai trouvé
33:36 beaucoup de plaisir à en parler et que ça m'a permis
33:38 de développer une autre sorte d'écriture
33:40 qui était aussi un peu récréative
33:42 tout en exprimant des choses
33:44 très personnelles. Et puis,
33:46 ça m'a permis aussi d'ouvrir cette thématique
33:48 autour de l'animal qui
33:50 ensuite me fait écrire "L'animal et son biographe"
33:52 qui là est un roman, en fait,
33:54 sur des thèmes qui me sont proches.
33:56 Par exemple, cette fameuse distinction
33:58 "homme-animal" qui est un peu une obsession
34:00 philosophique en Occident,
34:02 surtout chez les Français,
34:04 et qui est sans arrêt remise en question
34:06 par l'avancée des sciences.
34:08 Et je me suis
34:12 donc intéressée
34:14 à ça, à notre fascination pour l'animal.
34:16 Voilà, prenez l'asco,
34:18 c'est toujours nous.
34:20 Comment est-ce qu'on arrive à avoir
34:24 cette fascination et en même temps accepter
34:26 ce qui se passe dans les abattoirs
34:28 aujourd'hui ? C'est quand même une interrogation
34:30 que j'ai un petit peu.
34:32 C'est une partie de vous qui est un peu engagée sur cette question-là ?
34:34 Oui, oui, je ne le cache pas.
34:36 C'est quelque chose sur lequel je milite beaucoup.
34:38 Et je suis contente
34:40 de voir que de plus en plus
34:42 de jeunes gens s'investissent
34:44 dans cette lutte
34:46 pour le bien-être
34:48 et l'existence même
34:50 des animaux. Et ça peut passer par la littérature, pour vous ?
34:52 Ah oui, bien sûr.
34:54 La littérature accueille, la littérature est capable
34:56 d'accueillir absolument tout.
34:58 Donc il faut tout traiter.
35:00 C'est ça qui est intéressant et surtout les sujets qui paraissent
35:02 anodins.
35:04 C'est très intéressant. "Éloge du lapin"
35:06 Si on veut
35:08 un sujet qui paraît à priori
35:10 anodin, allons-y sur le lapin.
35:12 Animal consommé, un peu méprisé,
35:14 oui, on le laisse dans les clapiers,
35:16 il est bête, etc. J'ai un autre point de vue là-dessus.
35:18 Et ça me permet de faire
35:20 un petit tour du côté de la littérature
35:22 qui en a quand même beaucoup parlé.
35:24 Il faut aller le chercher un petit peu dans les coins, un peu dans les marges
35:26 le lapin, mais on le trouve depuis au moins le Moyen-Âge.
35:28 Merci beaucoup Stéphanie Hochet.
35:30 On s'approche de la fin de l'émission.
35:32 Je rappelle le titre de votre dernier
35:34 roman "William" paru aux éditions
35:36 Rivage. Et pour finir
35:38 Stéphanie Hochet, nous avons choisi
35:40 deux chansons, l'une sur les lapins
35:42 ou l'autre sur les chats.
35:44 On clin d'œil donc à vos deux livres,
35:46 à vos deux éloges. Alors,
35:48 lequel choisissez-vous ? Laquelle
35:50 chanson souhaitez-vous écouter entre
35:52 une chanson sur les chats et une chanson sur les lapins ?
35:54 Bien sûr !
35:56 [Musique]
35:58 Les petits lapins rentrent au petit matin mais s'ils veulent rester sages. Les petits lapins ne vendent pas le matin chez les chasseurs de passage. Les petits lapins rentrent au petit matin et j'ai du mal à comprendre...
36:26 Tu ne peux pas me déposer chez moi, pourquoi tu ne veux rien entendre ?
36:31 Les petits lapins rentrent au petit matin, les petits lapins s'amusent.
36:38 Les petits lapins méfie-toi c'est malin, ça déjoue toutes les ruses.
36:47 Tout petit lapin, moi je ne comprends rien à ce que disent les âmes. Tout petit lapin, bien que je t'aime bien, il veut se quitter à l'aube.
37:01 Je suis douce, douce, mes ongles ne me touchent pas. Je suis tendre, tendre, mes ongles ne me croquent pas.
37:16 Les petits lapins chantés par Dany, c'est la chanson que vous avez choisie sans le vouloir.
37:21 Merci beaucoup d'être venu dans les Midi de Culture, un grand merci à toute l'équipe de cette émission.
37:26 Émissions préparées par Elsa Twendoy, Apolline Limosino, Cyril Marchand, Manon Delassalle, Théa Corlay et Zora Vignet.
37:33 Émissions réalisées par Louise André et la prise de son, ce midi c'est Florent Bujon.
37:37 A demain Géraldine ! A demain Nicolas !