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00:00 * Extrait de « La vie de la vie » de Jean-Michel Leprince *
00:19 En ce premier jour du mois de juin, le Book Club de France Culture poursuit sa mission
00:23 de vous donner envie de lire en explorant la littérature du monde entier en traversant
00:27 ce midi l'Atlantique pour découvrir ou redécouvrir un mouvement qu'on a parfois du mal à bien
00:33 définir, la beat generation.
00:35 D'où vient cette appellation qui sont ses fondateurs, Gingsburg, Kerouac, Burroughs,
00:40 ses écrivains voyageurs, quel était leur mode de vie aussi, quelles étaient les valeurs
00:44 défendues par les écrits de ses auteurs de romans et de poésie.
00:49 Vous l'aurez compris, nous avons un bon nombre de questions à poser à nos invités que
00:53 j'accueille dans un instant.
00:55 Comme tous les jours, nous avons sollicité bien évidemment la communauté du Book Club
00:59 sur notre compte Instagram qui a répondu comme tous les jours, présente, merci à
01:04 vous, elle nous accompagne aussi jusqu'à 13h30.
01:07 Bienvenue !
01:08 Pour moi la particularité de la beat generation c'est de vouloir explorer la liberté sous
01:12 toutes ses formes.
01:13 Ce souffle immense comme un solo de saxophone inépuisable, infini, qui embrasse tout, qui
01:18 passe d'une folie à une autre.
01:19 La liberté en liberté.
01:21 Nicolas Herbeau, France Culture, le Book Club, les écrits de ses auteurs, les écrivains,
01:50 le Book Club, #BookClubCulture.
01:58 Bonjour Etienne Appert.
02:02 Bonjour.
02:04 Vous êtes auteur et dessinateur, vous publiez une bande dessinée sur la beat generation
02:09 intitulée "Au crépuscule de la beat generation, le dernier clochard céleste", en référence
02:14 évidemment à un livre de Jacques Ayrault qu'on va y revenir, édition "La boîte
02:19 à bulles", BD dont vous avez réalisé le scénario, le dessin et la couleur, je tiens
02:24 à le signaler, dans votre BD librement inspiré et adapté des livres de Gilles Farset.
02:28 Vous dites que la beat generation se résume au départ à un trio d'amis, trois écrivains
02:34 incandescents.
02:35 Vous nous les présentez ?
02:36 Oui, alors effectivement à terme la beat generation c'est devenu un mouvement énorme
02:40 dont il est bien difficile de définir les contours.
02:42 Au départ, c'est une bande de trois copains qui n'ont pas tout à fait le même âge.
02:47 Il y en a un qui est un peu plus âgé qui s'appelle William Burroughs et puis deux
02:49 autres, Alan Ginsberg et Jack Kerouac, qui gravitent autour de l'Université de Columbia
02:54 à New York et qui, dès les années 40 en fait, on remonte vraiment très tôt dans
02:59 le siècle, vivent une vie effectivement centrée sur la liberté, ça a été dit
03:06 à l'antenne, la liberté dans tous les domaines.
03:09 Donc l'expérimentation dans tous les domaines, liberté sexuelle, expérimentation par les
03:13 drogues, recherche d'une nouvelle vision.
03:15 C'est des gens en même temps qui sont très nourris de littérature, qui ont un arrière
03:19 plan poétique très, très fort et qui expérimentent quelque chose qui est très peu courant en
03:24 Occident dans les années 40 et qui va devenir le modèle de vie dominant des années 60,
03:29 70 dans les contre-cultures.
03:30 Tout le monde va se mettre à la liberté sexuelle, etc.
03:32 Et la particularité de ce petit trio, c'est que les trois vont écrire dans les années,
03:38 en particulier dans les années 50, un livre culte, chacun.
03:40 Donc pour Ginzberg, ça sera Howl, un poème qui va vraiment ouvrir, qui va donner lieu
03:45 à un procès et va ouvrir de nouvelles portes.
03:49 - Réception difficile.
03:50 - Réception difficile, la fusillade de piscinité, etc.
03:52 Mais il va gagner le procès, ça va ouvrir la voie aussi à une liberté d'écriture
03:56 nouvelle.
03:57 Kierouac va écrire Sur la route, bien sûr, voilà.
03:59 Et William Burroughs publiera Le festin nu, qui est aussi culte et qui ouvrira tout une,
04:04 un coup punk, des portes jusque-là bien fermées.
04:08 - Leur point commun aussi, c'est le voyage, bien sûr.
04:10 Notre second invité va nous emmener sur les traces et sur la route de Jacques Kierouac.
04:14 Je l'ai tenté, je l'ai fait grâce à une lettre.
04:16 Bonjour Hugo Massé.
04:17 - Bonjour.
04:18 - Vous êtes éditeur chez Séguier où vous éditez, ça tombe bien, un récit que l'on
04:22 a longtemps cru perdu à jamais.
04:25 Lettre sur l'histoire de John Anderson, de Neil Cassady.
04:28 Qui est ce Neil Cassady ?
04:30 - Alors Neil Cassady, on le connaît avant tout comme le compagnon de voyage de Kierouac
04:36 dans ses pérégalations qui sont racontées dans Sur la route.
04:40 Donc c'est comme ça qu'on le connaît le grand public.
04:42 Il commence sa vie, il grandit à Denver en fait, dans l'ouest des Etats-Unis.
04:48 Il a une enfance très difficile, il perd sa mère quand il a âgé de 10 ans.
04:53 Après il est élevé par son père qui était barbier, coiffeur itinérant mais qui avec
04:58 la grande dépression devient un hobo, c'est-à-dire un vagabond qui voyage sur les trains de
05:04 marchandises et qui vit de combines, des fois de l'arcin.
05:09 Donc c'est une vie très difficile de vagabond, de petite délinquance, très jeune.
05:14 Il s'est inventé d'avoir volé plus de 500 voitures avant ses 18 ans.
05:18 - Et il y a cette rencontre à un moment donné.
05:22 - C'est une rencontre qui va se faire en 46 à New York au cours d'un voyage, d'une virée.
05:28 Et ils vont plus quitter pendant une dizaine d'années à peu près avec Kierouac et Ginsberg.
05:34 Ça va donner lieu à une énorme correspondance.
05:37 - Ils vont s'écrire de nombreuses lettres dont cette lettre sur l'histoire de Johan
05:42 Andersen.
05:43 Son ami Kierouac disait que cette lettre était un chef-d'oeuvre et qu'il avait même constitué
05:48 la base de son idée de la prose, sa façon d'écrire, elle vient de cette lettre de son
05:52 ami Cassady.
05:53 - Oui, parce qu'avant ça, Kierouac, quand il reçoit cette lettre, il vient de publier
05:59 l'année même en 1950 un premier roman qui s'appelle "The Town and the City" et qui est
06:06 d'une facture très classique finalement.
06:08 Et il n'est pas satisfait sur le plan artistique de ce qu'il a fait.
06:11 Il cherche un ton nouveau pour raconter les voyages qu'il a fait, les années qui ont
06:17 précédé avec Cassady et qui sont des virés complètement déjantés.
06:21 Et donc il est à la recherche de ça.
06:22 Ça fait trois fois, il y a trois fois, il a essayé de commencer son roman, il y a trois
06:25 versions précédentes, il n'y arrive pas.
06:27 Jusqu'à ce qu'il reçoive cette lettre et là c'est vraiment un déclic pour lui.
06:30 Et à partir de là, quelques mois plus tard, il se met à sa machine à écrire et en trois
06:38 semaines, il tape d'une traite le fameux rouleau sur la route en scotchant des feuilles les
06:43 unes avec les autres et ça a été en tout cas l'élément déclencheur parce qu'il
06:49 y avait dans l'écriture de Cassady ce côté première personne assumée, sans tabou.
06:54 Il écrit tout ce qui lui passe par la tête.
06:56 Si il se passe quelque chose, quand il est en train d'écrire, il le raconte aussi,
06:58 il le met, il l'intègre, il en fait un événement à part entière, un rebondissement.
07:02 Il y a aussi l'intrication des styles, donc c'est à la fois très drôle, il y a un
07:08 côté cartoon, un côté Buster Keaton, mais aussi une poésie élégiaque et des fois
07:13 des trouvailles complètement surprenantes à la Ginsberg avant-gardiste.
07:17 Donc c'est ce mélange de tout ça et la technique de l'écriture aussi d'une traite.
07:23 C'est la prose la plus dingue qu'il ait jamais vue, il dit du moins, de nature à
07:27 se faire retourner dans leur tombe.
07:29 Melville, Twain ou Wolf.
07:31 Neil Cassady qui va d'ailleurs inspirer le personnage de Sur la route, mais ça on aura
07:35 l'occasion d'y revenir.
07:36 On va d'abord écouter Alexandre qui nous raconte effectivement à quel point la présence
07:42 de Cassady est importante dans le roman de Jacques Kerouac, Sur la route.
07:47 Pour tous, Sur la route est le manifeste de la beat generation et Jacques Kerouac son
07:54 prophète.
07:55 On peut se demander si ce roman aurait vu le jour sans Neil Cassady.
07:59 Il est l'alpha et l'oméga du roman puisqu'il est présent littéralement de la première
08:03 à la dernière ligne.
08:04 Ça commence par « j'ai rencontré Neil pas très longtemps après la mort de mon
08:09 père » et ça se conclut par un poignant « je pense à Neil Cassady ».
08:14 Au-delà même de son omniprésence dans le roman, on peut parler de l'influence de
08:20 Cassady sur Kerouac.
08:21 Cassady est une source d'inspiration pour lui car c'est dans les lettres de Cassady,
08:25 plus particulièrement dans la lettre sur l'histoire de John Anderson que Kerouac
08:32 est allé chercher son style, ce souffle immense comme un solo de saxophone inépuisable,
08:37 infini, qui embrasse tout, qui passe d'une folie à une autre.
08:40 Neil Cassady qui est allé chercher Kerouac pour qu'il lui apprenne à écrire et qui,
08:45 ironie de l'histoire, devient celui qui lui inspirera son style.
08:49 Et pour avoir une idée de ce style, de cette spontanéité, de ce souffle qui ne retombe
08:53 jamais, de cette recherche sensible et sublime et spirituelle, il faut plutôt se plonger
08:58 dans la version originale de Sur la route.
09:00 Ce rouleau de 36 mètres de long, il y a de 125 000 mots, écrit en trois semaines, en
09:06 avril 1951, Kerouac s'affranchit des canons classiques pour écrire la liberté en liberté.
09:12 C'est ça le mouvement beat et c'est ça qu'on retrouve dans la lettre originale
09:16 de Cassady.
09:17 Alexandre, membre de notre communauté qui a quasiment tout dit, on pourrait presque
09:21 s'arrêter là mais non, on a encore des choses à vous raconter dans le book club.
09:24 Hugo Massé, Pierre Goulliel Mina qui traduit et préface la lettre que vous venez de publier
09:30 chez Séguier, dit que cette lettre, dans son intégralité, car c'est ça aussi l'intérêt
09:36 de l'objet littéraire que vous publiez aujourd'hui et on y reviendra sur son histoire, apporte
09:41 des lumières inespérées sur cette amitié entre les deux.
09:44 Vous l'avez dit, elle commence en 46, elle s'arrête en 57 au moment de la publication
09:49 de Sur la route.
09:50 Ils sont fâchés à ce moment-là ?
09:51 Oui, il semblerait que Cassady ait mal digéré la célébrité de Kierouac et le fait peut-être
10:01 de se voir en quelque sorte dépossédé de lui-même, de son histoire qu'il était lui-même
10:07 en train d'essayer de raconter.
10:08 Il écrivait son autobiographie et donc finalement Kierouac l'a peut-être un peu coupé l'herbe
10:13 sous le pied.
10:14 En lui volant peut-être ou en tout cas en utilisant ce qu'il lui racontait dans cette
10:19 lettre.
10:20 C'est le héros de Sur la route.
10:21 Etienne Appert, Alexandre disait il y a un instant qu'il y avait eu plusieurs versions
10:26 et plusieurs traductions notamment de Sur la route de Jacques Kierouac.
10:29 On parlait tout à l'heure du côté un peu scandaleux des écrits de Ginsberg, de la
10:35 mauvaise réception à un moment donné.
10:37 Ça a été la même chose pour Sur la route.
10:39 On a pris des précautions au moment où on a publié en 57 cette première version ?
10:44 Oui, je pense qu'on a quand même bien de la peine à s'imaginer le climat des années
10:51 40-50.
10:52 On insiste beaucoup aujourd'hui sur l'aspect excessif parfois des 68 heures, etc.
10:58 Mais sans se rendre compte des libertés qu'ils nous ont offerts.
11:02 Personne n'aurait envie de revenir dans le climat de censure, d'étroitesse d'esprit
11:10 qui dominait quand même très largement dans les années 40 et au début des années 50.
11:14 Et donc publier des textes libres comme eux y aspiraient, c'était scandaleux.
11:19 Et donc oui, effectivement, Kierouac, il a fallu qu'il fasse plusieurs versions.
11:25 Et puis aujourd'hui, on lit le rouleau d'origine et on ne comprend plus où était le problème.
11:29 C'est Gallimard qui l'a republié dans son intégralité en 2014.
11:33 Alors, on va revenir évidemment sur l'histoire de cette lettre avec Hugo Massé dans un instant.
11:38 D'abord, Étienne Appert, que signifie Beat Generation ?
11:42 Ça vient d'où ce terme si vous avez réussi à trouver son origine ?
11:47 Parce que même Kierouac, on va l'entendre dans un instant, il n'est pas certain.
11:50 Oui, alors il y a des discussions.
11:51 Alors on verra ce qu'il dit.
11:53 Mais le mot "beat" est utilisé à New York.
11:58 Il est utilisé par les gens de la rue pour dire "beat", ça veut dire "je suis fracassé, je suis à plat".
12:05 Donc c'est indécent, c'est d'être un être qui "beat", c'est un être qui est en contact
12:09 avec sa nullité d'une certaine façon.
12:13 Ce qui est déjà un peu provoquant par rapport à l'époque, à l'imaginaire de l'American Way of Life
12:18 avec des John Wayne à la mâchoire carrée, toujours triomphant.
12:20 Être "beat", c'est déjà être un peu rebelle, c'est assumer une part d'échec.
12:24 Il y a aussi le sens évidemment de la pulsation, du rythme.
12:27 On a entendu parler des solos de saxophones.
12:30 Et bien sûr, ça, c'est une source d'inspiration énorme pour tous ces auteurs.
12:33 Et puis le troisième sens qui apparaît plus tard, c'est le "BA".
12:38 Traduisons ça en français, qu'Heroic dit, mais "beat", c'est aussi la béatitude,
12:41 c'est la recherche de la béatitude.
12:42 C'est vous qui avez inventé ce terme-là, "beat" Jean-Roger?
12:59 J'ai entendu des vieux bonhommes dire ça, des vieux nègres.
13:04 Oui.
13:05 "Beat".
13:06 Dans le sens de "écrasé", "vaincu".
13:10 Oui.
13:10 "Pauvre".
13:11 "Pauvre".
13:13 Après ça, j'ai été dans la petite église de Saint-Jean-d'Acre.
13:16 Puis dès qu'où j'ai dit, "Ah ha, beat, béat".
13:19 "Béatitude".
13:22 Ça a changé de sens.
13:23 Alors, dans votre esprit...
13:24 "Beato" en italien.
13:26 "Beato".
13:27 "Beatifique" en français.
13:28 Mais est-ce qu'il n'y avait pas aussi le sens de "beat" de l'orchestre de jazz?
13:32 Oui, puis le sens de tout ça, puis de tout ça.
13:35 C'est moi qui fais ça.
13:36 Le drôme.
13:37 Hum hum.
13:37 "Tou-tou-tou-tou".
13:40 Et...
13:41 C'est pas important.
13:43 Le nom est pas important.
13:44 Mais vous dites que le nom est pas important, mais vous refusez d'être appelé un beatnik.
13:49 Vous n'êtes pas un beatnik.
13:49 "Beatnik", c'est un terme où j'avais un beau mot que celui-là.
13:57 "Dégrinateur".
13:58 "Dégrinating".
14:01 "Péjoratif".
14:02 "Péjoratif".
14:03 Alors "beatnik", c'est dégradant, mais "beat", c'est accepté.
14:07 C'est ça, la polysémie aussi de ce mot.
14:10 Oui, et puis je pense que ça dit quelque chose de l'ambiguïté à ce moment-là de Kerouac par rapport à sa propre célébrité.
14:15 Puisqu'on dit qu'Assadi s'était senti dépossédé, mais Kerouac a très mal vécu aussi la célébrité.
14:19 Il était très mal à l'aise.
14:20 Il se reconnaissait pas du tout.
14:22 Il était propulsé roi des beats.
14:25 Mais lui, ce dont il avait parlé, c'était d'une jeunesse dans les années 40.
14:29 Il se retrouvait porte-parole de jeunes de la fin des années 50 qui lui ressemblaient pas du tout.
14:33 Et lui, à la fin de sa vie, c'était un vieux réac qui se reconnaissait pas du tout du tout,
14:39 qui soutenait la guerre au Vietnam, qui était dans les jupes de sa mère.
14:41 Enfin, c'est très étonnant comme destin, en fait.
14:43 Et donc, il se reconnaissait pas du tout dans les beatniks.
14:46 C'est aussi un mode de vie, Hugo Massé, qu'on découvre dans cette lettre écrite par Neil Kassadi.
14:53 On l'a dit un peu, mais pauvreté, cet aspect un peu misérable avec les cheveux longs.
14:58 Et puis, ce mode de vie aussi, confronté à la violence, au bagarre, au vol.
15:03 Vous le disiez, Neil Kassadi, qui a volé combien ? 500 voitures ?
15:07 On retrouve tout ça et ça fait partie de cette identité.
15:12 - De cette identité, de cet imaginaire, en tout cas, qui a beaucoup été caricaturé après.
15:20 On a beaucoup associé ça au mouvement hippie.
15:23 Mais c'est vrai qu'en matière d'hédonisme, c'était des existences très dures.
15:29 Ce qu'on lit dans la lettre sur l'histoire de John Anderson, c'est que ça se passe en 45 à Denver.
15:34 Il fait très froid. C'est l'hiver.
15:37 Et le but de Kassadi, c'est de ne pas mourir de froid la nuit.
15:40 Donc, c'est où est-ce que je dors ce soir ? Comment est-ce que je me nourris ?
15:43 On est plus du côté du roman réaliste, naturaliste, que du côté du flower power hippie, c'est sûr.
15:53 - C'est aussi, Etienne Laperre, cet aspect biographique qui choque à cette époque-là.
15:59 C'est-à-dire qu'on décrit ce mode de vie rude.
16:05 - Oui, c'est vraiment la bi-generation qui introduit quelque chose d'une perméabilité complète
16:12 entre le réel, la vie des gens, ce qu'ils vivent et la fiction.
16:17 D'ailleurs, on voit bien que dans la discussion, on mélange complètement, naturellement,
16:20 l'histoire de Kassadi réelle et l'histoire de ce qu'il raconte, parce qu'il ne parle que de sa vie réelle.
16:25 Et ce qu'on a reproché à Howell de Ginzburg, s'il y a donné lieu à un procès,
16:28 c'est qu'il utilisait tout un vocabulaire qui, en fait, était le vocabulaire des gens de la rue.
16:33 Et ça a été toute une discussion dans le procès de dire, mais on a bien le droit, en littérature,
16:36 d'utiliser des mots vulgaires, puisque dans la rue, dans la vraie vie,
16:39 les gens ne parlent pas de façon poétique, comme des lettrés dans les salons.
16:44 - Le mouvement Beat qui s'est ensuite élargi, il y a eu un deuxième cercle qui s'est rassemblé
16:49 autour du trio dont on parle depuis le début de cette émission, avec Corso notamment, Gary Snyder.
16:55 Ce sont des poètes qui, aussi, il y a beaucoup de poésie, Ginzburg notamment, c'est comme ça qu'il est le plus connu.
17:03 Ce sont des écrivains qui ont aussi des délais avec la police.
17:08 Donc ils ont aussi un aspect un peu sombre, si je puis dire.
17:12 - Oui, c'est que ce sont des gens qui ne veulent pas obéir à la peur,
17:18 qui veulent éprouver le réel dans toutes ses dimensions.
17:20 Et donc, parfois, oui, ça les amène, surtout jeunes, dans leur jeunesse,
17:25 ils ont des côtés où ils fréquentent un peu des milieux par fascination et par circonstance aussi,
17:30 des milieux un peu de petits escrocs, tout ça.
17:32 Il y a des très jeunes, ils sont liés à des trucs qu'eux-mêmes ne sont pas,
17:36 ils ne vont pas faire des cambriolages ou des meurtres, mais ils sont très vite liés à des choses comme ça.
17:40 - La délinquance. - La délinquance, voilà.
17:41 Mais en même temps, tel que je le comprends, c'est une façon pour eux d'éprouver le réel au-delà des normes habituelles,
17:48 d'aller voir un peu, d'aller voir au marge, d'aller voir au marge.
17:51 Et c'est qu'une partie, quand même, de ce dont ils ont témoigné.
17:55 - Est-ce qu'ils ont conscience d'appartenir à un clan ?
17:58 Est-ce qu'au moment où les trois se lient d'amitié, écrivent, publient,
18:04 ils se disent "on fait partie de cette génération" ?
18:07 - Je crois qu'au début, dans les années 40, il y a vraiment cette envie-là de lancer un mouvement.
18:11 Après, je pense que ça dépend lesquels.
18:13 C'est un Kerouac qui se perçoit quand même plus comme un auteur, un grand auteur, tout ça,
18:17 que celui qui a vraiment la mentalité collective, c'est Ginzberg.
18:20 Ginzberg, très jeune, il a en tête que...
18:22 Lui, il a une vision vraiment politique, en fait.
18:24 Il a en tête qu'il faut lancer un mouvement qui fasse contrepoids à l'American way of life,
18:30 à la pensée macartiste, enfin, qu'il faut développer une contre-culture.
18:33 Lui, toute sa vie, il va se balader avec les manuscrits des copains.
18:37 Dès qu'une porte s'ouvre, il présente les manuscrits des copains,
18:40 en essayant de faire rentrer toute la bande avec lui.
18:42 Il est un peu unique de ce point de vue-là.
18:43 C'est pas lui qui invente le terme "beat generation",
18:45 mais j'ai l'impression que c'est quand même lui le fondateur du mouvement,
18:49 celui qui en a fait un collectif.
18:51 - Il aime bien aussi faire un peu d'auto-publicité,
18:54 c'est-à-dire que dans chaque préface, il renvoie un livre de l'autre.
18:57 Il y a une forme de solidarité, on peut le dire, entre eux.
19:00 - Oui, oui.
19:01 - Il y a aussi un aspect tout à fait politique,
19:03 dans ce que vous racontiez il y a un instant, Étienne Laperre,
19:05 c'est-à-dire que, par exemple,
19:07 Ginzberg va devenir une figure de la lutte contre la guerre au Vietnam.
19:12 Il y a le mouvement hippie qui rentre aussi, disait Hugo Massé,
19:15 même si Kerouac, il n'est pas tout à fait sur la même longueur d'onde.
19:20 Les idées politiques de ces écrivains, c'est quoi ?
19:23 Elles ne sont pas tout à fait claires, c'est un peu flottant ?
19:27 - Alors, ce qui est intéressant, oui, c'est qu'en ce sens,
19:28 ce n'est pas un mouvement, ils ne sont pas du tout d'accord entre eux,
19:31 du point de vue politique.
19:32 Il n'y a à peu près aucun rapport entre la pensée d'un Kerouac,
19:34 la pensée d'un Ginzberg ou d'un Burroughs, du point de vue politique.
19:37 Et ils sont tous ça.
19:38 C'est quand même intéressant de le noter.
19:40 C'est que c'est un mouvement qui échappe aux idéologies,
19:43 ce qui, dans cette période-là, est quand même rare.
19:45 Mais vous voyez, Ginzberg n'a pas sa carte au Parti communiste.
19:47 Il n'est pas...
19:48 Ce n'est pas quelqu'un qui va adhérer à une idéologie.
19:50 Fondamentalement, c'est des gens qui veulent être libres
19:52 et qui veulent chercher quelque chose de vrai,
19:54 qui se rapportent au fondement poétique du réel.
19:56 Et ils ne sont pas du tout à s'accrocher,
19:59 à se rassurer en adhérant à une idéologie plutôt qu'une autre.
20:01 Ce qui fait un mouvement, effectivement, avec plein de contradictions,
20:04 mais du coup, qui est très vivant.
20:05 - Avec un pning, notamment, du côté de Ginzberg,
20:08 qui va en Antikoslovaquie à l'époque,
20:10 pour se faire introniser roi de Mai,
20:13 et qui se dessine comme un anticommuniste,
20:17 mais aussi comme un anticapitaliste.
20:18 Et d'ailleurs, il se fera expulser par le régime communiste
20:21 dans les années 70, si je ne dis pas de bêtises.
20:24 On va écouter Benoît, qui lui, va nous parler de la Beat Generation.
20:28 Ce qui l'a le plus marqué, lui, dans ce courant, dans ce mouvement,
20:32 c'est évidemment la liberté et les voyages.
20:35 On écoute Benoît.
20:36 - Pour moi, la particularité de la Beat Generation,
20:41 c'est de vouloir explorer la liberté sous toutes ses formes.
20:44 Il y a d'abord la liberté de voyager,
20:46 de se déplacer d'un bout à l'autre des États-Unis,
20:49 que l'on retrouve dans "Sur la route" de Jacques Kerouac,
20:53 mais aussi dans "Un truc très beau qui contient tout" de Neil Kassady.
20:56 On sait que les auteurs de la Beat Generation
20:58 ont aussi voyagé en France, en Algérie et au Mexique.
21:02 Puis, il y a la volonté de créer une pensée,
21:05 la pensée beatnik, qui est ésotérique,
21:07 qui est basée sur la découverte, sur la différence,
21:10 sur l'ouverture d'esprit.
21:12 Enfin, il y a la liberté sexuelle,
21:14 qui est évoquée dans de nombreux ouvrages,
21:16 et notamment les relations homosexuelles,
21:19 que l'on retrouve dans un livre qui s'appelle
21:21 "Et les hippopotames ont bouilli vif dans leur piscine",
21:25 écrit à quatre mains par Jacques Kerouac et William Burroughs.
21:29 Je trouve que ces valeurs restent anticonformistes,
21:33 parce qu'il est très mal vu de vouloir se construire
21:36 à l'opposé d'une société qui vous a éduqués.
21:39 L'exemple marquant dernièrement,
21:42 c'est cette vague de grande démission durant le Covid,
21:44 qui était très mal acceptée,
21:46 et qui résonne particulièrement
21:48 avec la pensée de la Beat Generation,
21:50 et cette volonté de trouver un nouvel idéal.
21:54 - Nouvel idéal que Neil Kassady va peut-être trouver
21:57 dans cette amitié avec Jacques Kerouac.
22:00 Hugo Massé, vous avez raconté un peu son enfance de Neil Kassady,
22:05 jusqu'à sa rencontre avec Jacques Kerouac.
22:08 On l'a dit tout à l'heure, c'est lui qui vient voir Kerouac,
22:11 et qui vient prendre des conseils auprès de cet écrivain,
22:14 "Apprends-moi à devenir un écrivain".
22:16 - C'est ça, il frappe à sa porte
22:19 avec cette demande qui déstabilise un peu Kerouac,
22:23 mais ça va donner lieu à toute cette correspondance entre eux.
22:28 On parlait de l'histoire d'un mouvement,
22:29 c'est la République des Lettres aussi.
22:32 La correspondance de Kassady, de Ginsberg, Kerouac
22:35 ont été publiées, et on voit l'intensité des échanges,
22:39 comment leur correspondance a façonné
22:42 leurs oeuvres respectives également.
22:45 Donc, il y a cette volonté de Kassady de devenir écrivain également,
22:49 qui finalement ne se concrétisera pas de son vivant,
22:54 puisque son autobiographie sera publiée en 71,
22:58 et ses lettres, sa correspondance seulement en 2004 en anglais,
23:02 et traduite ensuite en 2014-2015 pour l'essentiel chez Finitude.
23:07 - C'est amusant, on parle souvent de roman d'apprentissage,
23:09 j'ai l'impression que c'est une sorte de relation épistolaire d'apprentissage,
23:13 puisqu'ils partent ensemble sur la route, sur les routes évidemment.
23:17 Il y a ce style aussi très important,
23:21 c'est Kerouac qui disait dans un entretien
23:23 "J'ai eu l'idée de la prose spontanée de Sur la route,
23:26 en comprenant comment ce bon vieux Neil
23:28 écrivait les lettres qu'il m'adressait toute à la première personne,
23:31 rapide, folle, confessionnelle, complètement sérieuse,
23:34 toute riche en détails."
23:35 On a l'impression qu'en l'écoutant,
23:38 qu'il lui rend hommage évidemment à Neil Kassady,
23:41 est-ce que c'est aussi un moyen peut-être de justifier
23:43 le fait d'avoir écrit Sur la route
23:47 en s'inspirant énormément de la vie de son ami ?
23:50 - Je pense qu'il y a une part de reconnaissance de la dette, clairement,
23:53 avec peut-être cette culpabilité de cette amitié
23:58 qui a tant compté pour lui et qui s'est délitée,
24:01 et peut-être quelques regrets aussi,
24:03 parce qu'il dit ça en 68,
24:06 donc ça fait déjà une dizaine d'années qu'il ne se parle plus vraiment.
24:10 Donc il y a peut-être ça qui a joué,
24:14 une espèce de nostalgie.
24:17 - Alors racontez-nous, Hugo Massé, comment est-ce qu'on a retrouvé cette lettre ?
24:21 D'abord, Kerouac et Ginsberg voulaient faire publier la lettre,
24:25 et puis à un moment donné, cette lettre disparaît, comment on explique ?
24:30 - C'est une histoire qui en elle-même est très romanesque,
24:33 qui pourrait donner lieu à un roman.
24:35 En fait, Ginsberg l'envoie...
24:38 Déjà, on ne sait pas bien, je n'ai pas bien compris s'il l'avait piqué sur le bureau de Kerouac,
24:41 ou si Kerouac lui avait donné à des seins.
24:44 Ensuite, Ginsberg l'envoie à un premier éditeur,
24:48 qui le propose à quelqu'un d'autre,
24:53 et c'est un enchaînement comme ça,
24:55 finalement, je pense que la lettre a fait autant de kilomètres que, pendant leur voyage,
24:59 d'Est en Ouest, la lettre se balade, et puis elle finit par être égarée
25:03 dans les archives d'un directeur de revue,
25:07 qui ne la publie pas, mais qui la conserve précieusement.
25:10 Et quand il décède, sa fille trouve dans une enveloppe Kraft
25:16 ses neuf feuillets recto verso,
25:20 et elle se rend compte, heureusement, de ce que c'est.
25:25 Et à partir de là, ça va être toute une autre partie de l'histoire qui commence.
25:29 Donc, la lettre est d'abord authentifiée,
25:32 ensuite, il y a une première tentative pour la vendre,
25:37 mais il y a un conflit juridique avec les successions de Kirouac et Cassady,
25:41 et finalement, ce sera, en 2017,
25:46 une entreprise,
25:49 pas une entreprise, une université américaine qui la rachète pour 200 000 dollars.
25:54 - Il y a aussi Ginzberg, qui est très présent dans l'histoire de cette lettre,
26:00 et de cette aventure, presque, de ce document original, Etienne Appert,
26:05 dans la BD que vous nous proposez, vous racontez votre rencontre avec Ginzberg,
26:10 en tout cas, peut-être votre narrateur.
26:13 Est-ce que vous en savez plus, vous, sur le rôle qu'a joué Ginzberg,
26:17 sur la non-publication, le sort lié à cette lettre ?
26:22 - Alors non, je ne connais pas l'histoire précise de la lettre,
26:25 mais ça illustre bien le rôle qu'il a joué.
26:30 Il était presque agent littéraire de tous les autres,
26:31 donc dès qu'il voyait un papier traîné d'un copain, il disait "mais c'est génial,
26:35 il faut que j'aille le proposer à tous les éditeurs de la place".
26:38 Donc il l'a fait pour Cassady, il l'a fait pour Kerouac, il l'a fait pour Burroughs,
26:43 il l'a fait énormément pour Corso, il l'a fait pour tout le monde,
26:47 il avait vraiment cette générosité.
26:49 - Vous, quand on disait tout à l'heure que vous l'avez publiée dans son intégralité,
26:54 c'est-à-dire quels sont les passages qui ont été redécouverts, en quelque sorte, Hugo Massé ?
27:00 - Donc il y avait effectivement quelques passages qui avaient été probablement recopiés par Kerouac,
27:04 au moment où il avait encore la lettre, et qui étaient connus, qui avaient été traduits.
27:11 Et je pense que ça représente, je ne sais pas, je dirais un tiers de la lettre,
27:14 donc il y a quand même une bonne partie qui est tout à fait inédite.
27:16 Et la perte était vraiment irréparable, et on a vraiment beaucoup de chance,
27:21 c'est un petit miracle qu'on puisse la lire en entier,
27:23 sachant l'impact qu'elle a eu sur Kerouac.
27:26 - Ça replace aussi Etienne Appert peut-être dans ce trio d'origine,
27:30 ça en fait peut-être un quatior, si je ne dis pas de bêtises,
27:33 avec Cassady qui prend avec cette lettre aussi une autre posture,
27:38 c'est lui aussi un authentique écrivain ?
27:42 - Oui, d'une certaine façon.
27:44 Il a un côté un peu, il est la mèche, l'étincelle qui allume la mèche
27:49 et qui fait exploser le mouvement beat, Cassady, il a un côté comme ça.
27:52 Il n'a sans doute pas la structure qui lui aurait permis de créer une œuvre durable,
27:57 mais il a le génie, et ça, ils sont tous très très admiratifs et reconnaissants à Cassady.
28:03 Donc c'est sûr qu'il a un rôle important dans ce mouvement.
28:07 - Dans votre bande dessinée, Etienne Appert, il y a celui dont vous parliez tout à l'heure,
28:13 celui qui est peut-être pour vous le plus important,
28:16 vous pouvez me le dire d'ailleurs, dans cette Beat Generation, c'est Sigginsberg.
28:21 Lui, c'est vraiment un poète.
28:23 Qu'est-ce qu'il a de particulier, de différent par rapport aux autres membres du mouvement ?
28:27 - Alors, ils sont tous d'une certaine façon poètes.
28:30 Jacques Kerouac publie Mexico City Blues, qui est vraiment reconnu.
28:35 Et Ginsberg a créé à l'université Naropa, aux États-Unis,
28:40 il a créé une école de poésie qui porte le nom de Jacques Kerouac,
28:45 parce qu'il considère qu'avant tout, Jacques Kerouac est un poète.
28:47 Et ils étaient tous à l'époque.
28:49 Mais il faut s'imaginer que la poésie aux États-Unis,
28:51 ça n'a rien à voir avec ce qu'on appelle poésie en France aujourd'hui.
28:54 Un poète en France, on a l'impression de quelqu'un qui baigne dans des salons littéraires,
28:58 qui est un peu souffreteux, je ne sais pas quoi.
29:00 Alors qu'un poète aux États-Unis, c'est une figure très, très importante.
29:04 C'est une figure un peu messianique, visionnaire, engagée,
29:07 qui arpente les routes américaines pour déclamer sa parole,
29:12 qui est sur tous les campus, tout ça.
29:13 Donc, un poète, c'est quelqu'un de public, de très connu.
29:15 Et donc, oui, Ginsberg était vraiment un poète.
29:19 Et c'est sûrement, je crois, vraiment le plus engagé de tous.
29:22 D'ailleurs, ça sera le gourou des hippies.
29:24 Ça sera le parrain des punks.
29:25 Enfin, il sera du début à la fin de sa vie.
29:29 C'est celui qui sera le plus dans le collectif.
29:32 - Avec aussi, vous l'avez dit, l'idée de l'oralité.
29:35 Ce fut d'ailleurs précisément le cas de Hall, son livre le plus connu, le plus mythique.
29:42 C'est un hurlement qui, on l'a dit, a causé cette révolution en quelque sorte.
29:47 Parce qu'il y a aussi beaucoup de violence.
29:48 On l'a déjà un peu dit, mais c'est un thème qui revient en permanence.
29:54 Les individus broyés, la colère aussi.
29:58 - Oui, mais c'est la reconnaissance de la violence de ce qui commençait à apparaître avec eux,
30:04 c'est à dire la société de consommation, l'American way of life.
30:08 C'est quand même intéressant parce que nous, on est plutôt au moment où cette société de consommation arrive à ses limites,
30:13 où tout le monde voit qu'on va dans le mur et dès les années 40 reconnaissent que ça ne va pas du tout.
30:18 En fait, c'est très violent.
30:20 Donc dans Hall, Ginsberg évoque le Moloch, qui est vraiment la figure d'une façon de penser qui broie les personnes, qui broie les âmes.
30:28 Et dès les années 40, ils sentent que cette société de consommation va vers le cauchemar climatisé, prophétisé par Henry Miller.
30:35 Et donc, effectivement, il y a un aspect où ils reconnaissent de la violence,
30:38 mais c'est une violence dont ils essaient, à laquelle ils essaient d'échapper pour retrouver une liberté, une candeur aussi.
30:44 Il y a vraiment une notion centrale pour une candeur d'oser vivre avec innocence l'expérience de la vie.
30:51 - Et la sincérité avec laquelle c'est raconté aussi, même dans ces lettres, Hugo Massé,
30:55 on vit presque en lisant avec cette écriture et ce style, ce qu'ont vécu ces auteurs là.
31:04 - C'est ça qu'a sa dit le génie pour transmettre à son écriture son énergie.
31:12 Donc c'est ça, il raconte qu'il écrit la lettre, il a écrit ça en trois après-midi et trois soirées sous amphétamine.
31:20 Il raconte ça à Ginsberg et Kierouac.
31:22 Et ça se sent. Et finalement, c'est ce que va récupérer un peu cette recette que Kierouac va récupérer.
31:29 C'est comment faire passer une énergie dans la langue et comment, finalement, par rapport à ce qu'on disait de la violence de la société.
31:39 C'est des livres très émancipateurs finalement, parce qu'ils arrivent à communiquer, à montrer aux lecteurs que oui,
31:48 comme Kierouac, Ginsberg, Cassady, on peut ne pas avoir beaucoup d'argent, pas du tout.
31:53 On peut avoir connu la prison, la psychiatrie, on peut être b*te, vraiment, comme on disait au début de l'émission.
31:58 Et l'aventure, elle est là, la littérature, elle est là.
32:02 Cassady parle de ses lectures, il est en prison, il est Proust, il est Céline, il est Melville.
32:06 Il paraît que c'est celui qui a le plus lu de toute la bande, alors qu'il n'a pas d'éducation.
32:10 Il y a un côté très émancipateur et c'est finalement, je pense, qui explique aussi toujours le succès de ces livres.
32:18 Toujours aujourd'hui, pour la nouvelle génération, au fil des générations, c'est un message qui reste d'actualité.
32:22 C'est que tout est possible. Il suffit de prendre la route, d'ouvrir un livre, de se mettre à sa machine à écrire.
32:29 Au bout de quelques temps, mes méditations et mes études vartent apporter leurs fruits.
32:35 Cela commença dès la deuxième quinzaine de janvier.
32:38 Par une nuit glaciale, dans la forêt, j'entendis presque une voix qui disait
32:43 "Tout est bien pour toujours, toujours, toujours".
32:47 Je poussais un hourra retentissant et les chiens se dressèrent en manifestant leur joie.
32:52 J'avais envie de hurler aux étoiles.
32:58 Je joignis les mains et priais "Oh, esprit serein et sage, toi qui sonnes le réveil,
33:04 tout est bien pour toujours, toujours, toujours. Merci, merci, merci. Amen."
33:11 Que m'importait d'être un produit de goule, de sperme, d'os et de poussière ?
33:15 Je me sentais libre, donc j'étais libre.
33:18 * Extrait de Clochard céleste de Gerouac, écrit par Benoît *
33:35 - C'est Jeune qui rêve de liberté, extrait des Clochards célestes de Gerouac, lu par Benoît.
33:40 C'est qui le dernier Clochard céleste, Etienne Appert ? Sous-titre de votre livre.
33:45 - Le sous-titre du livre, c'est un poète inconnu que Gilles Farset dit avoir rencontré
33:51 quand il a passé une semaine chez Ellen Ginsberg à la fin des années 80.
33:54 Il a déjà eu cette expérience en soi très marquante de passer pendant une semaine
33:58 d'être vraiment avec et chez le grand poète.
34:01 Et puis, il dit qu'il a rencontré là un poète qui s'appelle Hank et avec qui,
34:05 tous les matins, il a eu un échange.
34:07 Enfin, ce n'est pas vraiment un échange.
34:09 Il a écouté, enregistré ce poète et il a publié un livre qui s'appelle
34:13 La Joie qui avance chancelante le long de la rue aux éditions Malmström,
34:16 qui est vraiment un livre stupéfiant de monologue de ce grand poète qui, à mes yeux,
34:21 représente le mieux l'esprit de la Beat Generation.
34:24 - On retrouve Hank, évidemment, tout au long de votre BD.
34:26 Pour conclure, Hugo Massé, votre traducteur Pierre Guglielmina dit que
34:31 Neil Kassady est en quelque sorte un homme du 18e siècle. Pourquoi ?
34:36 - Alors, je pense que c'est pour deux raisons différentes.
34:38 D'un côté, il y a le médium, il y a la lettre, parce que le 18e siècle,
34:42 c'est le siècle de l'âge d'or de la littérature, du roman par lettres.
34:47 Il y a la Nouvelle Héloïse, il y a les lettres persan.
34:50 Voilà, donc il y a ce lien dans la forme.
34:55 Et ensuite, il y a la question du libertinage, peut-être le libertinage en tant que
35:00 indépendance, liberté de penser par rapport aux carcans religieux, idéologiques.
35:06 Et ensuite, le libertinage des corps, évidemment.
35:08 Donc voilà, le but, en tout cas, la raison d'être, ce qui poussait Kassady,
35:16 c'était la jouissance, c'était l'horizon de tout, finalement.
35:21 - Il faut découvrir Neil Kassady, que Kerouac appelle "Cody" dans ses lettres,
35:26 "Lettres sur l'histoire de John Anderson".
35:28 C'est aux éditions Séguier, édité par vous, Hugo Massé.
35:30 Merci beaucoup d'être venu dans Le Gonclobe.
35:32 Merci à vous et tienne à pied à votre bande dessinée sur la Beat Generation,
35:35 au crépuscule de la Beat Generation, le dernier clochard céleste,
35:39 et paru chez la boîte à bulles.
35:41 Merci à tous les deux d'être venus nous en parler.
35:43 Un mot sur la lecture de la Croix et du quotidien et de l'hebdomadaire.
35:48 Ça, c'est dès demain en kiosque, bien sûr.
35:49 Histoire de lire un dossier qui est à retrouver dans le journal jusqu'au 16 juin.
35:52 Et nous sommes partenaires pour explorer ce domaine de la lecture comme un moyen
35:56 d'accès au monde et à sa complexité.
35:58 On vient de le faire pendant 40 minutes.
36:00 Donc, on en parlera évidemment de ce partenariat, de ces questions avec les journalistes
36:05 de la Croix dès la semaine prochaine.
36:07 Dans un instant, l'épilogue du jour.
36:12 D'abord, Charles Dernzig qui clôture ses quadritèmes.
36:14 Nous sommes jeudi.
36:15 « Une chose qu'on ne vous dira jamais, c'est qu'Alfred Jarry était gay.
36:18 On ne l'a pas dit parce que cela ne se disait pas de son temps.
36:21 On ne l'a pas dit depuis parce qu'il a été capté par des anarchistes institutionnels,
36:27 tous plus hétéros les uns que les autres.
36:29 Ils se sont servis de lui en cachant soigneusement son goût qui, selon eux,
36:33 aurait constitué un démenti à sa pensée.
36:36 Et comment voulez-vous qu'un homophobe maniaque comme André Breton
36:39 admette ceci de Jarry ?
36:41 Je dois dire en passant qu'une des choses les plus amusantes du monde
36:44 est Breton, employé dans sa jeunesse par la maison Gallimard,
36:47 à travailler sur des manuscrits et le faisant s'occuper de Proust.
36:52 Devoir de l'argent à une tafiole.
36:54 Honte, dégoût, hétéroïsant Jarry.
36:57 Or, il y a dans Jarry quelque chose de très très gay,
37:01 c'est qu'il se moque des comédies de l'importance.
37:04 Tous ceux qui se croient importants sont tartinés de blagues par Jarry et bien des gays.
37:09 Nous en avons tellement souffert de ces haïsseurs pompeux.
37:13 Ce ne serait pas une preuve si Jarry n'était l'auteur du roman "Les jours et les nuits",
37:17 un roman opaque.
37:19 Et s'il l'est, c'est parce que Jarry s'est placé à une distance assez éloignée
37:24 de ce qu'il aspire à dire.
37:26 À le lire distraitement, on pourrait le prendre pour un livre anti-militariste.
37:31 C'est un livre sur l'homosexualité.
37:33 C'était difficile à écrire en 1896.
37:37 Jarry était gay, il ne l'a dit à personne, il a écrit ce papier-ph de roman
37:42 où quantité d'allusions passe.
37:44 Jarry s'approche au plus près possible de son sujet,
37:48 puis esquive dès qu'il pourrait s'arrêter et évoquer.
37:52 C'est ainsi qu'il écrit "Il n'y a qu'un juste à Sodome"
37:56 et ne poursuit pas.
37:57 Mais enfin, on ne peut pas dire qu'il n'en parle pas.
38:00 À l'époque, on disait volontiers "uranisme".
38:03 Et dans le roman, Jarry écrit "le mot adelfisme serait plus juste et moins médical d'aspect qu'uranisme".
38:10 Cela date d'un temps où le mot encore plus médical d'homosexualité n'avait pas encore traversé le Rhin,
38:16 où il avait été inventé très peu d'années auparavant.
38:20 Et cette scène de baiser dite "la bouche de plâtre devint de chair et rouge pour boire la libation de l'âme de sangle".
38:28 Sangle, le soldat sangle est le personnage principal.
38:31 Je pourrais citer quantité d'autres phrases homosexuelles allusives.
38:35 Voici une très belle scène de nage, oh les nageurs.
38:38 Valence se courba, et parmi ses muscles son dos sourit de neuf délicates vertèbres.
38:46 Sa poitrine dort très fauve, claqua doucement l'eau plate, et ses hanches s'entrevirent plus brunes depuis les côtés,
38:53 comme d'un faune qui ne serait pas intermédiaire entre l'homme et la bête, mais effaible athlète digne du métal.
39:02 Puis deux pieds droits s'écartèrent, divergente fuite de deux poissons de nacre, et sangle vit l'eau à travers les ongles.
39:10 Surgit l'argot, tout aussi métaphorique, mais plus direct que la langue littéraire.
39:15 Tu ne vas pas me dire que tu ne te fais pas doffer avec ton fouloir autour du cou, mademoiselle Tata.
39:21 Il s'en suit une rixe, une baïonnette tirée, un coup, un meurtre.
39:25 Et c'est déjà un peu le querelle de Brest de Jean Genet.
39:29 Le boucle est préparé par Auriane Delacroix, Zora Vignier, Jeanne Agra par Alexandre Halébégovitch et Didier Pinault.
39:34 Thomas Beau réalise cette émission et la prise de son ce midi.
39:36 Antoine Tropé, voici l'épilogue du jour.
39:39 Être bite, c'est déjà être un peu rebelle, c'est assumer une part d'échec.
39:42 Il s'est vanté d'avoir volé plus de 500 voitures avant ses 18 ans.
39:46 Il n'y arrive pas.
39:47 Fondamentalement, c'est des gens qui veulent être libres et qui veulent chercher quelque chose de vrai,
39:51 qui se rapporte au fondement poétique du réel, en fait, qui ne veulent pas obéir à la peur,
39:55 qui veulent éprouver le réel dans toutes ses dimensions.
39:57 Et donc, le but de Kassadis, c'est de ne pas mourir de froid la nuit, d'oser vivre avec innocence l'expérience de la vie.

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