• l’année dernière
Transcription
00:00 *Musique*
00:18 Si vous nous rejoignez sur France Culture, soyez les bienvenus.
00:21 Place aux livres comme tous les midi-places.
00:23 A tous les livres, le book club poursuit sa réflexion sur les genres littéraires.
00:27 Mais tenez, combien existe-t-il de genres littéraires ?
00:31 5, 8, 10 ?
00:33 Autant qu'on en invente ? Peut-être.
00:35 Alors il y a évidemment les grands classiques,
00:37 les genres narratifs, théâtral, poétique, épistolaire, argumentatif.
00:40 Et puis certains, certains ont inventé une autre catégorie, la littérature populaire.
00:45 Et je vous vois, certains, derrière vos transistors, faire l'amour, froncer les sourcils.
00:50 Mais puisque dans le book club, notre promesse c'est de vous donner envie d'ouvrir un livre,
00:55 tous les livres, posons-nous franchement cette question.
00:58 C'est quoi la littérature populaire ?
01:00 Un auteur ou une autrice populaire ?
01:02 Et bien on va le demander à nos invités et on l'a demandé aux membres du book club.
01:06 Je trouve cette question du rapport entre le nombre d'exemplaires vendus d'un livre
01:11 et sa qualité littéraire, je la trouve très intéressante.
01:15 C'est quoi une lecture populaire ?
01:17 Avant tout c'est une lecture et c'est ça qui compte.
01:19 *Musique*
01:20 France Culture, le book club,
01:22 Nicolas Herbeau.
01:24 Les voix de Marguerite et d'Aucélia, lectrice du book club, que l'on va retrouver au fil de l'émission.
01:29 Bonjour Aurélie Vallogne.
01:30 Bonjour Nicolas.
01:32 Vous publiez avec beaucoup de succès depuis quelques années déjà différents romans.
01:35 Et voici le dernier, aux éditions Fayard, "L'Envol".
01:38 C'est son titre qui résume peut-être votre parcours d'exilée de classe,
01:43 comme vous pouvez le qualifier vous-même.
01:45 Tout à fait, c'est mon roman, je dirais, le plus personnel.
01:47 Celui effectivement d'une trajectoire, d'une émancipation sociale.
01:51 Et je raconte le fait d'avoir grandi en région parisienne, en cité HLM,
01:56 et l'exil que cela peut être de trouver et de chercher sa place
01:59 quand on doit s'arracher à son milieu, à ses parents,
02:02 et ensuite trouver sa place dans la société, c'est pas toujours facile.
02:05 Vous allez nous dire si vous avez trouvé votre place.
02:07 Et on va aussi essayer de comprendre comment vous en êtes arrivée jusqu'à ce livre.
02:11 Vous allez dialoguer et échanger avec Michel Bussi.
02:14 Bonjour.
02:14 Bonjour.
02:15 Merci beaucoup d'être avec nous.
02:17 Vous aussi, vous vivez une sorte de conte de fées littéraires,
02:19 car depuis près de 20 ans maintenant, vous enchaînez les best-sellers,
02:22 au point d'être devenu aujourd'hui un des auteurs les plus français, les plus lus.
02:26 12 millions de livres vendus depuis 2011, édités dans 37 pays.
02:30 Est-ce que vous avez encore le vertige ?
02:32 Non, ça va, voilà, j'ai le vertige un peu comme Aurélie.
02:35 Je viens d'un milieu assez modeste, loin du milieu littéraire.
02:38 Mais bon, j'ai réussi à, je pense, rester à peu près le même.
02:41 J'espère, en tout cas, que j'habite toujours au même endroit avec,
02:43 et je fréquente toujours les mêmes gens.
02:44 Vous publiez en ce mois de mars un nouveau roman,
02:46 trois vies par semaine aux éditions Les Presses de la Cité.
02:50 Comment on vit ce rapport avec le public ?
02:53 Ça va être l'un des fêles rouges de notre émission.
02:56 Savoir qu'à chaque fois qu'un livre paraît, vous êtes désormais attendu.
03:00 Oui, enfin, c'est avant tout un privilège.
03:03 Il y a tellement d'auteurs qui écrivent un roman,
03:07 qui ne savent pas s'ils vont en écrire un second,
03:08 qui galèrent, évidemment, pour l'écrire, pour le faire éditer,
03:11 pour le promouvoir, pour avoir un peu de papier, un peu d'invitation.
03:14 Nous, on est des ultra-privilégiés.
03:16 Et bien sûr, il y a une attente terrible,
03:18 mais c'est une attente qui est bénie, qui est accompagnée.
03:22 Donc, non, non, on est des privilégiés,
03:27 une poignée de privilégiés dans des centaines de milliers d'écrivains en France.
03:30 Vous aussi Aurélie Vallone, vous êtes privilégiée ?
03:32 Absolument, c'est sûr.
03:34 Et c'est vrai que la relation qu'on peut avoir avec nos lecteurs,
03:36 c'est une relation de grande fidélité.
03:38 On est toujours surpris quand on arrive dans une librairie,
03:40 de voir, waouh, autant de monde s'est déplacé, mais juste pour moi.
03:44 Et ils nous disent des choses parfois vraiment magnifiques,
03:47 on fait partie de leur vie et ils font partie de la nôtre.
03:49 Donc, c'est vraiment une chance.
03:51 On en a dit un mot tout à l'heure avant d'entrer dans le studio,
03:53 mais c'est quand même plus facile d'aller voir un auteur et de lui dire
03:55 "j'aime ce que vous faites", plutôt que d'aller lui dire "votre livre est nul".
03:59 Ou "ça ne me plaît pas".
04:01 Oui, c'est assez rare que les gens fassent une heure et demie de file d'attente
04:04 pour simplement dire à l'auteur "vraiment, j'ai détesté votre livre et j'ai perdu mon argent".
04:08 Ça se dit un peu plus sur les réseaux sociaux,
04:10 dans l'anonymat d'un réseau social.
04:12 Moi, depuis 15 ans, je n'ai jamais vu quelqu'un en vis-à-vis me dire qu'il n'avait pas aimé mon livre.
04:18 - Pareil au religieux. - Oui, pareil.
04:20 - Alors, vous êtes tous les deux classés rangés,
04:22 je ne sais pas comment vous le considérez,
04:24 dans la catégorie de la littérature populaire.
04:26 Et c'est cette notion, cette étiquette qu'on a eu envie de questionner ce midi dans le Book Club.
04:30 Alors, on a demandé à notre communauté de lecteurs et de lectrices
04:32 ce qu'ils et elles pensaient de ces romandies populaires.
04:36 Et on va écouter Marguerite, lectrice et libraire.
04:40 - C'est quoi une lecture populaire ?
04:42 Avant tout, c'est une lecture et c'est ça qui compte,
04:44 puisque toute lecture est bonne.
04:46 Et populaire, ce n'est pas un gros mot,
04:48 c'est un mot au contraire à qui on pourrait redonner un peu d'éclat,
04:50 on pourrait dire que populaire.
04:52 C'est pour tous, c'est accessible et c'est très bien.
04:55 Quand on devient lecteur, si on l'est devenu par le biais de ce type de lecture,
04:59 c'est merveilleux, puisqu'on a le désir profond de revivre cette expérience,
05:04 c'est ça qui compte.
05:06 Et de mon point de vue, la mission du libraire,
05:10 c'est d'échanger et de permettre à ce lecteur de voyager dans son expérience de lecture,
05:16 peut-être d'aller ailleurs, peut-être d'aller plus haut,
05:20 mais surtout de continuer à avoir ce désir de l'expérience de lecture.
05:25 Ce qu'il faut comprendre, ce n'est pas qu'est-ce qu'il a lu ce lecteur,
05:29 c'est qu'est-ce qui lui a plu dans l'expérience de lecture.
05:32 Il s'est senti réchauffé, inquiété, interrogé,
05:36 qu'est-ce qui a bousculé son rapport au monde et qui fait qu'il veut retourner à la lecture.
05:41 Donc la base pour moi de toute mission de libraire,
05:44 c'est de ne jamais dénigrer une lecture, de ne jamais être condescendant,
05:49 et peut-être de temps en temps de faire l'expérience,
05:52 d'aller ouvrir un de ces livres à gros tirages qu'on n'a jamais le temps de lire,
05:55 parce qu'on sait qu'ils ne sont pas suffisamment bons pour nous,
05:58 mais de savoir ce que c'est, et ce que c'est que de devenir lecteur,
06:02 peut-être quand on n'a jamais pu l'être par ailleurs.
06:05 Une réflexion sur ce que vient de dire Marguerite ?
06:08 C'est hyper intéressant, je suis complètement d'accord avec elle
06:11 sur le rapport populaire, c'est souvent un peu méprisé.
06:15 Derrière on sent un mépris de classe.
06:18 Moi par exemple, quand j'étais petite dans ma famille,
06:20 clairement on me disait que j'étais trop misse prout prout,
06:23 trop littéraire, et maintenant que j'écris, j'entends que je suis trop populaire.
06:26 Donc chaque classe sociale a envie quelque part que les choses restent telles qu'elles sont,
06:30 pour protéger aussi ses intérêts, mais je pense que le rôle de la culture populaire,
06:34 c'est de rassembler tout le monde, sans exclure jamais aucun lectorat.
06:39 Et voilà, l'idée c'est vraiment de fédérer.
06:42 Michel Bussy ?
06:43 Oui, je suis d'accord, c'est compliqué, parce que même dans les propos très bienveillants de cette libraire,
06:47 il y a déjà, excusez-moi, une certaine condescendance,
06:50 c'est-à-dire que c'est ce type de littérature, on va emmener les lecteurs plus haut.
06:53 Comme quoi, on commencerait par la littérature populaire, et puis après on irait plus haut.
06:57 Mais qu'est-ce qui définit la littérature populaire ?
07:00 Définir la littérature populaire uniquement par le nombre d'exemplaires vendus,
07:04 et donc prétendre que c'est quelque chose de commercial parce qu'il y a un nombre d'exemplaires vendus,
07:09 je trouve que c'est ce qui ne va pas, parce qu'Aurélie comme moi,
07:13 on ne vendait pas de livres au départ, on n'est pas nés comme des produits commerciaux.
07:17 C'est d'abord parce que les lecteurs se sont emparés de nos livres,
07:20 absolument sans publicité, sans journaux, sans rien,
07:23 qu'à un moment donné on a été étiqueté populaire uniquement sur cette unique catégorie,
07:27 on vend beaucoup de livres.
07:29 On n'aurait sans doute pas vendu autant de livres,
07:32 nos mêmes livres ne seraient pas étiquetés catégorie populaire.
07:35 Le livre "L'Envol" d'Aurélie, j'ai lu avec beaucoup de plaisir, il traite du transfice de classe.
07:39 C'est un best-seller, donc populaire.
07:42 Mais ça ne serait pas un best-seller, je suis persuadé que "L'Envol" serait catégorisé
07:47 dans de la littérature difficile,
07:52 sur un thème de transfice de classe, etc.
07:54 En plus c'est un thème qui est très traité par la littérature blanche,
07:57 évidemment Annie Ernaud, Nicolas Mathieu.
07:59 Et moi honnêtement, en lisant le livre,
08:02 je suis incapable de faire une différence de style entre Annie Ernaud ou Aurélie Wallong.
08:06 Non, non, mais en termes de style, vos styles sont évidemment différents,
08:09 mais pour moi il n'y a aucune hiérarchie de style, c'est-à-dire
08:12 certains vont s'emparer des livres d'Aurélie
08:15 parce que dans l'intention d'Aurélie, il y a des choses qui vont parler,
08:18 notamment à ses classes populaires.
08:20 Dans le roman d'Annie Ernaud, elle va moins s'adresser à des catégories populaires
08:24 parce qu'il y a peut-être moins d'intrigues, etc.
08:26 Mais en aucun cas, on ne peut faire de hiérarchie littéraire entre les deux.
08:29 Il y a une intention qui peut être un tout petit peu différente,
08:32 et ça me gêne de dire une hiérarchie dans le populaire.
08:35 C'est pour ça que "L'Envol" est très intéressant,
08:38 parce que ça traite des catégories populaires, ça s'adresse aux catégories populaires,
08:41 mais je suis persuadé qu'Aurélie a un énorme avantage sur beaucoup d'écrivains
08:45 qui écrivent sur le transcript de classe,
08:47 c'est qu'elle est lue par les gens, enfin les deux catégories
08:50 - qui sont concernées. - qui sont catégories.
08:52 Ce qui est sans doute rarement le cas d'un certain nombre d'écrivains
08:55 qu'on va catégoriser non pas dans la catégorie populaire,
08:58 mais qui ne seront plus lues par un certain nombre de personnes.
09:00 - Ce que disait aussi Marguerite, c'est que toutes les lectures se valent,
09:03 même si peut-être la littérature populaire est considérée comme plus facile,
09:07 plus accessible, mais ce que vous dites aussi,
09:09 c'est que ça ne veut pas dire que cette littérature est réservée à ceux qui ne liraient pas.
09:13 Aurélie Vallone.
09:14 - Oui, c'est sûr, le rôle d'un livre, on cherche tous dans la lecture, un ami,
09:18 on cherche tous à mieux vivre,
09:20 il n'y a pas à dire "celui-ci vaut plus qu'un autre",
09:23 la compétition en termes d'auteur ou de littérature,
09:27 ou la comparaison, fait du mal, je pense, à la littérature en règle générale.
09:31 Donc on recherche du fond, on recherche de l'humanité, de la fraternité,
09:35 ce qui nous rassemble, et déjà le monde est assez compliqué,
09:38 on cherche toujours à nous diviser,
09:40 il faut voir un peu ce qui se passe sur les réseaux sociaux.
09:42 Donc pour une fois, on a la chance d'avoir des livres qui ont une popularité.
09:46 Popularité peut rimer avec qualité aussi.
09:49 Là ici, on est dans une belle maison de la radio,
09:52 France Inter, radio numéro 1 de France,
09:55 personne ne demande pourquoi.
09:57 Non, parce qu'ils font de la qualité, parce qu'ils sont fédérateurs.
10:00 Donc quelque part, moi j'ai envie de croire qu'un livre
10:03 peut toucher plusieurs classes sociales,
10:05 pour les mêmes raisons, on est tous humains.
10:07 - Alors justement, j'avais envie de vous demander,
10:09 est-ce que vous savez pour qui vous écrivez ?
10:11 Qui est le lecteur type ?
10:13 J'imagine que ça n'existe pas en vous posant la question,
10:15 mais est-ce que quand vous écrivez, vous vous dites "j'écris pour ces personnes-là" ?
10:18 - Non, en tout cas pas du tout.
10:20 C'est vrai que quand on écrit, on a une sorte d'instinct de se dire
10:24 "Tiens, quand j'écris quelque chose de drôle,
10:26 a priori les gens vont sourire, quelque chose de triste, les gens vont avoir la la".
10:29 Mais c'est cet instinct de ce que le lecteur va ressentir.
10:32 Mais j'ai l'impression que tout écrivain, quel qu'il soit,
10:35 même le plus polémique, le plus cynique des écrivains,
10:37 va écrire quelque chose de cynique, en disant "là je vais semer une colère, une révolte".
10:41 Donc il y a toujours ça.
10:43 Je ne pense pas qu'on écrive particulièrement...
10:45 Après, sur la littérature populaire,
10:48 c'est l'idée aussi qu'il n'y aurait pas une littérature commerciale,
10:52 parce qu'Aurélie, comme moi, comme tout écrivain,
10:55 il écrit de façon complètement artisanale et amateur.
10:57 C'est ensuite que le produit devient un produit commercial.
11:00 Mais la production elle est la même.
11:02 On fait la différence en disant "la littérature populaire c'est un peu le McDo,
11:05 et la grande littérature c'est le 5 étoiles ou le 3 étoiles".
11:09 Sauf qu'à mon avis la comparaison ne tient absolument pas,
11:11 puisque dans les deux cas, on a un être humain qui écrit de façon artisanale son livre,
11:17 et donc c'est comme si on comparait deux chefs cuisiniers
11:19 qui prenaient les mêmes ingrédients, qui avaient le même temps,
11:21 et qui composaient deux plats.
11:23 A aucun moment donné, on écrit moins vite,
11:25 on y met moins d'énergie, moins de cœur qu'un écrivain.
11:28 On n'est pas dans France, dans le cas où il y aurait comme ça,
11:31 des gens qui se réuniraient autour d'une table pour composer un produit commercial.
11:35 On écrit tous nos livres.
11:37 - Peut-être sur cette thématique-là, le seul reproche qu'on peut vous faire,
11:40 c'est d'en publier souvent, d'avoir des livres qui reviennent régulièrement,
11:43 quasiment un par an, et ça c'est peut-être le seul reproche qu'on peut vous faire ?
11:48 Aurélie Vallagne ?
11:49 - Oui, ça pourrait être un reproche.
11:51 Après en vrai, moi je déborde de créativité depuis toute petite,
11:54 et je ne savais pas quoi en faire de cette créativité-là.
11:57 Donc finalement, maintenant je sais que je peux la mettre au service aussi d'autres,
12:01 de se dire, je raconte des histoires qui partent d'injustice,
12:03 qui viennent toucher d'autres personnes.
12:05 Et effectivement, je ne m'économise pas du tout.
12:07 Pendant plus de neuf mois, je ne sors pas de ma grotte, je ne fais que ça,
12:10 je relis à voix haute, chaque mot est pesé, je ne laisse rien au hasard,
12:14 je l'accompagne après aussi quand je vais le lire dans la version audio.
12:17 Donc il y a un vrai accompagnement,
12:19 c'est même pour moi un épanouissement littéraire.
12:21 Et si je ne faisais plus rien, si je n'écrivais pas,
12:24 je serais moitié moins vivante.
12:27 - Ils sont difficiles ces neuf mois ?
12:29 - Non, ce n'est pas difficile du tout,
12:32 c'est une vraie plongée presque intimiste,
12:35 pas loin de l'égoïsme aussi, de se dire,
12:37 je vais en apprendre beaucoup sur moi et sur les autres.
12:40 Et parfois on rentre dans des situations presque de trance,
12:43 où quand on se relie, on se dit, oh là là, je ne savais pas que je savais ça,
12:47 que j'avais mis des mots comme ça dessus.
12:49 Donc non, ça ne peut pas être de la souffrance,
12:51 la vraie souffrance c'est de ne pas aimer son travail,
12:53 de ne pas se lever, de devoir y aller quand même pour payer son loyer.
12:56 - Michel Bussi ?
12:57 - Oui, sur la régularité, je ne sais pas, c'est un peu comme Aurélie,
12:59 moi j'étais publié, enfin plus tard, j'avais 40 ans,
13:02 donc j'avais 30 ans de créativité derrière moi,
13:04 j'ai encore plein d'histoires dans mes...
13:06 Et puis parfois j'écris plus qu'un livre par an,
13:08 parfois moins, mais elle a encore cette créativité,
13:11 enfin, on parle de Stimenon, il a dû écrire 400 livres,
13:14 et je pense qu'aujourd'hui tout le monde reconnaît
13:16 que c'est un génie de la littérature.
13:18 Donc je crois qu'il n'y a pas de règles,
13:20 il y a des prix Goncourt qui l'avaient écrit en moins de 28 jours,
13:25 donc toute la créativité est possible,
13:27 on peut écrire un livre en 15 jours, comme l'écrire en 10 ans,
13:30 et je ne pense pas que l'art est lié à un temps passé précisément.
13:34 Après, une nouvelle fois, c'est vrai qu'on peut peut-être critiquer,
13:37 faire une différence entre...
13:39 Comment dire ?
13:40 Quand on devient un écrivain populaire,
13:42 ou un écrivain connu,
13:43 effectivement il y a quelque chose de bankable
13:45 qui fait que, clairement, il y a un rendez-vous,
13:47 et il y a un process de création.
13:49 Mais c'est après, ce n'est pas au moment où on écrit en tout cas.
13:51 - Oui, c'est ça, ça c'est quelque chose qui vous échappe, en quelque sorte.
13:54 Alors ce qui est intéressant, c'est de revenir aussi sur votre parcours.
13:56 Michel Bussi, vous avez commencé à publier vos romans
13:59 chez un tout petit éditeur de Féquence,
14:01 si je ne dis pas de bêtises,
14:02 vous étiez professeur de géographie à l'université de Rouen,
14:06 et puis, 2011, les Nymphées à Noir,
14:09 et là, ça explose, il y a des prix,
14:13 donc le prix Polard, Michel Lebrun,
14:15 le Grand Prix Gustave Flaubert,
14:17 et vous devenez un éditeur très populaire,
14:20 au sens premier du terme,
14:22 et puis ensuite, est-ce que vous avez l'impression
14:24 qu'on vous a collé cette étiquette de populaire,
14:26 et que du coup, aujourd'hui, c'est difficile de vous en débarrasser,
14:28 ou alors vous n'avez même pas envie de vous en débarrasser ?
14:30 - Non, moi, je n'ai aucune envie de m'en débarrasser,
14:32 en plus, on ne va pas se plaindre,
14:34 on est invité dans tous les médias,
14:36 et je comprends que certains auteurs se disent,
14:39 encore eux, faites-nous un peu de place,
14:41 et voilà, on est ultra privilégiés là-dessus,
14:43 et c'est peut-être ça le fait qu'il y ait le problème,
14:45 qu'il faut peut-être aussi inviter d'autres personnes,
14:47 on est tous dans des maisons d'édition,
14:49 on connaît des collègues écrivains qui ont du mal,
14:51 effectivement, à faire connaître leurs livres,
14:53 mais ce n'est pas de notre fait,
14:55 c'est le fait, évidemment, des médias qui parlent
14:57 toujours des mêmes personnes, etc.
14:59 - Sur le côté de Book Club, il y a une grande variété.
15:01 - Oui, exactement, et jamais je ne reprocherai,
15:04 évidemment, aux médias d'inviter des auteurs inconnus
15:06 pour les faire connaître, c'est nécessaire et utile.
15:09 Après, sur l'idée de la popularité,
15:11 oui, c'est amusant, comme dit un peu Aurélie,
15:13 quand on débarque, on est adulé,
15:16 parce qu'on est celui que personne ne connaît,
15:19 on se dit "ah, ce n'est pas si mal ce qu'il écrit,
15:21 tu devrais lire, etc., c'est original",
15:23 et puis une fois qu'on devient très connu,
15:25 commencent un peu les critiques en disant
15:27 "ah, finalement, ce n'est pas si terrible",
15:29 ou "pourquoi ils vont alors que...",
15:31 mais c'est le jeu aussi de la critique
15:34 à partir du moment où on se place en haut,
15:37 et je trouve que ce n'est pas si gênant,
15:40 en tout cas, moi j'ai un...
15:43 Par exemple, quand on va sur les réseaux sociaux,
15:45 il y a toujours des critiques, beaucoup plus.
15:47 - Pour tout le monde.
15:48 - Bon, j'avoue que quand on écrit un livre,
15:50 une bonne critique, une critique avec quelqu'un
15:52 qui dit "j'ai adoré votre livre, j'ai vraiment aimé",
15:54 va chasser toutes les mauvaises,
15:56 parce que quelqu'un qui n'a pas rencontré mon livre,
15:59 ce n'est pas grave, il n'y a pas de souci,
16:01 par contre au moins j'ai écrit ce livre
16:03 pour cette personne qui l'a aimé.
16:05 - Oui, je suis complètement d'accord,
16:07 et tout ça rebondit d'ailleurs sur la question
16:09 "pour qui on écrit ?"
16:10 Moi j'écris d'abord pour moi, ça c'est évident,
16:12 il y a une question vitale, essentielle
16:14 que je me pose, et par l'écriture
16:16 je vais ressortir différent de ce processus dans le livre,
16:19 et derrière c'est sûr qu'on a envie
16:21 que quelqu'un s'en empare.
16:23 Quand on écrit un livre en pensant à des collégiens
16:26 et que derrière ils sont lus dans les collèges,
16:28 les profs s'en emparent,
16:30 et que derrière ça réveille des choses chez eux,
16:32 on sait pour qui, pourquoi et comment on écrit,
16:35 donc effectivement, cette partie de popularité
16:38 évidemment c'est un cadeau.
16:40 - Vous allez nous raconter dans un instant Aurélie Vallagne
16:42 comment vous en êtes arrivée à écrire ce nouveau roman
16:45 "L'Envol" et ce qu'il raconte dedans, évidemment,
16:48 parce qu'on a parlé de la publicité, de la communication,
16:50 évidemment du bouche à oreille,
16:52 aussi du travail des libraires,
16:54 mais ce qui fait surtout qu'un livre rencontre son public,
16:57 c'est ce qui est écrit sur les pages de ce livre.
17:00 Michel Bussi, vous dans votre nouveau roman
17:02 "Trois vies par semaine",
17:04 on est dans la vallée de la Meuse,
17:07 au cœur des Ardennes,
17:09 on va à Charleville-Mézières, chez Rimbaud,
17:11 et on retrouve une bonne partie de toutes vos intrigues
17:16 depuis que vous écrivez dans l'espace
17:19 qui n'est pas l'espace parisien,
17:21 si je puis dire,
17:22 qu'un espace autre,
17:24 qui est celui des régions françaises,
17:26 votre Normandie natale bien sûr.
17:28 Est-ce que ça, par exemple, vous êtes dit,
17:30 c'est une caractéristique pour plaire au plus grand nombre
17:33 ou est-ce que ça s'est imposé à vous ?
17:35 - C'est sûr que ce n'était pas une caractéristique
17:37 pour plaire au plus grand nombre.
17:38 Le premier roman, Normandie,
17:40 mon gros succès, c'est "Un avion sans aile",
17:42 ça se passe en partie à Dieppe,
17:43 c'est celui qui a été traduit en 37 langues.
17:45 Jamais quand je l'ai écrit en me disant
17:47 "Tiens, je vais mettre mon roman à Dieppe,
17:48 dans le quartier du Paulais",
17:49 je me suis dit, il y a des Coréens, des Brésiliens
17:51 et des Russes qui vont lire ça.
17:53 Je me suis dit, ça va intéresser uniquement
17:55 les Dieppois et encore ceux qui habitent le Paulais.
17:57 Donc bien entendu, on ne calcule pas ce genre de choses
17:59 quand on écrit,
18:01 encore moins quand on écrit un premier roman.
18:03 - Aurélie Vallogne,
18:05 on arrive dans "L'Envol",
18:06 "L'Envol" c'est l'un des livres
18:08 qui est peut-être le plus proche
18:10 de ce que vous avez vécu.
18:12 Vous dites que vous avez mis du temps,
18:14 en tout cas que vous avez pris le temps
18:15 avant d'écrire quelque chose de si personnel,
18:17 même s'il y a beaucoup de fiction.
18:18 Racontez-nous comment on en arrive
18:20 à ce roman-là.
18:22 - C'est un long chemin,
18:24 effectivement, moi je suis toujours plus projetée vers l'avenir
18:26 et celui-ci c'est la première fois où je me retourne
18:28 sur plus de 20 ans, si ce n'est pas 30 ans,
18:30 si ce n'est pas 40 ans,
18:32 et je me rends compte de petites injustices
18:34 que j'ai pu vivre,
18:36 de violences de classe,
18:38 quand je commence l'école et que j'ai la chance
18:40 de pouvoir plutôt bien y réussir
18:42 et ensuite faire une école préparatoire,
18:44 une grande école,
18:46 ensuite une grande école, etc.
18:48 On se prend dans la figure plein de choses
18:50 et on se dit "mais non, c'est moi qui suis parano,
18:52 personne ne pourrait vouloir être aussi méprisant et méchant"
18:54 et tout ça nous sépare de son milieu d'origine.
18:56 Donc c'est vrai que ça a été un...
18:58 J'ai fait ce bilan suite à une question d'un journaliste
19:00 qui s'appelle Adrien Dazély,
19:02 qui a écrit un livre qui s'appelle "Et tes parents, ils font quoi ?"
19:04 et dans lequel il a demandé mon témoignage
19:06 et celui de ma mère.
19:08 Et il disait "pour la première fois, je veux récolter la parole
19:10 de ces parents qui ont vu leurs enfants leur échapper,
19:12 cette déchirure de classe,
19:14 et comment eux l'ont vécu". Parce que les enfants ont toujours le micro,
19:16 et c'est encore le cas aujourd'hui, mais les parents non.
19:18 Et en lisant le livre d'Adrien Dazély,
19:20 je me suis rendue compte
19:22 de la violence de classe
19:24 qui existait et qui était perçue aussi
19:26 par mes parents et par tous ces parents-là,
19:28 et j'ai voulu donner la parole
19:30 à la fille qui a son propre moteur et sa vérité,
19:32 mais aussi à la mère
19:34 qui, elle, voit sa fille lui échapper,
19:36 elle ne peut plus l'aider. Dès la cinquième,
19:38 elle a arrêté l'école, elle est incapable de l'aider.
19:40 Et j'avais vraiment envie de ne pas juger,
19:42 de raconter ces deux vérités
19:44 sans jamais prendre parti, toujours en ressentant
19:46 une sincérité et une justesse,
19:48 et c'est cette partie-là, notamment,
19:50 d'une forme nouvelle que j'ai créée,
19:52 qui a été longue à accoucher,
19:54 parce que je n'avais jamais lu, il y a un double jeu,
19:56 on rentre par un chapitre,
19:58 et dans ce chapitre, on va entendre successivement
20:00 la voix de la mère et de la fille qui nous racontent
20:02 leur histoire commune, mais qu'elles n'ont pas vécu
20:04 de la même manière.
20:06 - C'est incroyable de se dire que
20:08 ça part d'une simple question
20:10 que vous n'étiez certainement
20:12 pas posée avant,
20:14 et qu'on en arrive presque à
20:16 quelque chose d'autre qu'un roman.
20:18 Michel Bussi, vous en parliez tout à l'heure,
20:20 cette idée de transfluche de classe,
20:22 d'analyse aussi sur
20:24 la vie qu'on a eue par rapport à celle
20:26 de nos parents, ça vous a intéressé, j'imagine ?
20:28 - Oui, complètement. Moi, j'ai un peu le même parcours,
20:30 peut-être, enfin, pas grandir en
20:32 HLM, mais c'est la même chose,
20:34 personne dans le monde de l'édition est
20:36 le seul qui lit, le seul
20:38 qui va réussir.
20:40 Même si je n'ai pas suivi le même parcours,
20:42 j'ai été à l'université, par les grandes écoles,
20:44 donc l'université, c'est un formidable creuset social
20:46 qui évite sans doute en grande partie
20:48 cette confrontation de classe,
20:50 parce que, heureusement, ça change
20:52 un petit peu, mais enfin, l'université, c'est quand même,
20:54 voilà, c'est... - C'est plus populaire !
20:56 - C'est ma pub pour l'université,
20:58 les étudiants, allez à l'université, si vous ne voulez pas
21:00 vivre ça, c'est très bien, réussis aussi
21:02 en passant par l'université,
21:04 et on n'a sans doute pas, effectivement,
21:06 ce corporatisme et cette compétition
21:08 qu'on a dans les grandes écoles, et dans
21:10 les prépas. Alors, sur le livre,
21:12 ça peut dire aussi quelque chose sur la littérature populaire,
21:14 la forme du livre d'Aurélie,
21:16 elle est originale, et
21:18 souvent, j'ai remarqué que dans la littérature populaire,
21:20 il y a aussi un affranchissement des règles,
21:22 il y a une originalité sur la forme,
21:24 sur le style, sur...
21:26 Moi, je viens du roman "Policier",
21:28 les romans "Policier", souvent populaires, sont
21:30 des auteurs qui travaillent beaucoup la forme,
21:32 des "Attaquisti", etc. étaient des gens
21:34 qui faisaient pratiquement des exercices de style,
21:36 et c'est peut-être souvent ça qui crée une rupture,
21:38 avec la littérature
21:40 un peu classique,
21:42 un peu traditionnelle, avec des critiques qui attendent
21:44 la littérature classique, et on a peut-être un petit peu de mal
21:46 en France à
21:48 classer ces audaces et stylistiques
21:50 et de formes
21:52 comme si la littérature était quelque chose de sacré
21:54 auquel il ne fallait pas toucher,
21:56 et je trouve ça un peu dommage, parce que
21:58 ça serait intéressant de prendre la littérature populaire
22:00 et de voir ces auteurs populaires, ce qu'ils ont apporté
22:02 sur la forme
22:04 et sur le style, ou la manière
22:06 de raconter. Et moi, je suis persuadé qu'Aurélie, elle s'est
22:08 dit "Je ne vais pas la raconter, mon transfixe
22:10 de face, comme le fait Nicolas Mathieu, comme le fait
22:12 Édouard Louis-Daute, je vais trouver ma
22:14 voix, et cette voix, c'est une voix originale".
22:16 Après, on aime ou on n'aime pas le roman,
22:18 on aime ou on n'aime pas le style, mais en tout cas, on doit reconnaître
22:20 que c'est une prise de risque dans la
22:22 forme. - La forme, c'est aussi celle
22:24 d'une fiction, évidemment, d'un roman,
22:26 et vous dites, parce que l'idée, c'était de ne pas
22:28 raconter simplement votre histoire, mais
22:30 une sorte d'histoire collective de toutes celles
22:32 et tous ceux qui ont réussi à gravir les chaînes sociales.
22:34 - Exactement, je voulais que ces deux personnages
22:36 soient plus grands et plus...
22:38 et que ça nous dépasse, en fait. Ce livre-là,
22:40 c'est aussi l'histoire de ma mère et de
22:42 moi, et ce livre existera encore
22:44 après nous, mais je voulais que la petite Lily
22:46 représente toutes les Lily.
22:48 Une qui peut être née au Cap-Vert, une qui peut
22:50 être venue d'Algérie,
22:52 c'est pas forcément
22:54 une Lily qui a grandi en cité HLM,
22:56 c'est toutes les Lily, et derrière,
22:58 on a aussi une maman,
23:00 donc là, Gabrielle,
23:02 qui n'a pas d'ambition grande pour sa
23:04 fille, mais qui fait
23:06 tout pour qu'elle réussisse, et donc c'est plus que ma
23:08 simple mère, c'est toutes ces mères-là qui se sont
23:10 sacrifiées et à qui on ne donne jamais de médaille.
23:12 - C'est amusant ce que vous dites, ce livre va rester
23:14 après nous. Ça fait partie de la réflexion de
23:16 Célia, notre lectrice, membre du
23:18 Book Club, on va écouter ce qu'elle nous dit.
23:20 - Je trouve cette question du rapport entre
23:22 la popularité, ou en tout cas
23:24 le nombre d'exemplaires vendus d'un
23:26 livre, et sa
23:28 qualité littéraire
23:30 particulière, je la trouve très intéressante.
23:32 Après cette question, elle m'interroge
23:34 également régulièrement de
23:36 savoir ce qui restera
23:38 de cette littérature
23:40 contemporaine, de ces phénomènes éditoriaux,
23:42 parce que la plupart de nos
23:44 classiques, aujourd'hui, sont
23:46 considérés comme difficiles à
23:48 lire, ou en tout cas moins faciles
23:50 d'accès, alors que c'était des phénomènes
23:52 littéraires souvent
23:54 très populaires, à
23:56 l'époque de leur parution, et
23:58 également snobés d'une
24:00 manière relativement similaire.
24:02 Je pense aux
24:04 romans parus sous forme de feuilleton
24:06 dans des journaux très populaires
24:08 au XIXe siècle.
24:10 Dickens est un des plus
24:12 grands exemples, mais on a Balzac en France
24:14 également, George Sand
24:16 et l'utilisation des coutumes
24:18 paysannes. Zola accusé
24:20 d'appauvrir la littérature par son
24:22 approche plus réaliste,
24:24 plus scientifique, ou plus proche de
24:26 nous, la question du genre en
24:28 littérature, et là on pense
24:30 à Stephen King, par exemple.
24:32 Est-ce que ça veut dire que ces
24:34 phénomènes littéraires sont nos futurs
24:36 classiques, et du coup, est-ce
24:38 qu'ils seront considérés comme
24:40 difficiles à lire plus tard ?
24:42 Auquel cas, est-ce que
24:44 cette difficulté est une simple question
24:46 de langue utilisée
24:48 qui continue de vivre, parce que la langue
24:50 est un outil vivant, et la langue de demain
24:52 n'est pas celle d'aujourd'hui ? Ou alors, ça
24:54 veut dire qu'on parle plus généralement
24:56 d'une simplification, voire
24:58 d'un appauvrissement, ou d'une standardisation
25:01 de la littérature ?
25:03 - Beaucoup de réflexions dans ce propos de Célia.
25:05 Je ne sais pas si je vous demande de répondre à la dernière question.
25:07 En tout cas, peut-être une réflexion.
25:09 - Non, non, c'est super
25:11 intéressant comme remarque. En fait, ce que je crois
25:13 c'est que par rapport aux grands romanciers du
25:15 19ème siècle, ils étaient des
25:17 romanciers populaires parce qu'il n'y avait rien d'autre.
25:19 Donc la littérature avait ce rôle
25:21 d'émancipation globale de la société
25:23 qu'elle a sans doute perdue en partie
25:25 parce qu'il y a d'autres médias aujourd'hui, il y a le cinéma, il y a la vidéo.
25:27 Et moi, si je me bac pour
25:29 être un écrivain populaire, c'est pour que cette
25:31 littérature, elle garde cette dimension d'émancipation.
25:33 C'est pas à me comparer au feuilletoniste du 19ème,
25:35 en tout cas, il y a cet espoir que, et on le voit
25:37 à chaque fois dans les salons, etc., que tout le monde
25:39 continue quand même de lire au maximum. Et je
25:41 me bats contre effectivement une forme de littérature
25:43 qui ferait perdre
25:45 à la littérature cette forme d'émancipation pour
25:47 la sacraliser et créer des frontières
25:49 artificielles entre une littérature qui serait
25:51 un produit bas de gamme
25:53 et une littérature qui serait réservée
25:55 à une forme d'élite instruite
25:57 et cultivée. - Vous dites par exemple qu'on n'a pas le droit
25:59 d'être éclectique en littérature alors que
26:01 c'est presque très bien vu
26:03 quand on va au cinéma de dire "j'ai été voir tel
26:05 film qui est un chef-d'oeuvre
26:07 et ce blockbuster américain
26:09 qui est formidable". On n'a pas le droit en littérature.
26:11 - Oui, c'est comme ça, je pense
26:13 qu'on est quelques-uns à se battre en disant
26:15 "mais non, soyez éclectique", au contraire.
26:17 Lisez de tout, lisez du Policier,
26:19 lisez du Feel Good, lisez des romans
26:21 difficiles, enfin voilà, lisez de tout,
26:23 c'est ça la littérature. D'ailleurs,
26:25 curieusement, les lecteurs qu'on rencontre, généralement,
26:27 sont des lecteurs très éclectiques.
26:29 - Oui. - Papesse de la littérature
26:31 populaire, Aurélie Vallone, c'est comme ça
26:33 qu'on vous surnomme. Et
26:35 Michel Bussy vient de dire le mot "Feel Good".
26:37 Vous n'en avez pas marre ? Qu'est-ce que vous en pensez, par
26:39 exemple, de cette expression "Feel Good" ? - Je l'ai pas dit pour
26:41 l'écrire. - Non, non, non, c'est moi qui rebondis.
26:43 - Je vais pouvoir vous dire aussi dessus,
26:45 effectivement, dans le Feel Good,
26:47 c'est une étiquette de plus.
26:49 Je pense que quand on est créateur ou artiste, on ne veut
26:51 pas d'étiquette, on veut être libre. En fait, Feel Good,
26:53 on entend comédie et il se trouve que si on lit
26:55 en vol, on va bien se rendre compte que ce n'est pas une comédie.
26:57 Donc, typiquement,
26:59 moi, je repense aussi au magazine
27:01 "Lire" qui avait adoré "Au petit bonheur la chance"
27:03 au point de le citer
27:05 parmi
27:07 les livres de l'année 2018.
27:09 Donc, j'étais très fière. Et puis, à la fin, je me suis
27:11 rendue compte qu'ils avaient créé une catégorie spéciale
27:13 pour moi. Ça ne pouvait pas être de la littérature française.
27:15 Ils l'ont mis en romance. Mais je ne fais pas non plus
27:17 de la romance. C'est l'histoire d'un petit gamin qui est abandonné
27:19 par sa mère et qui est élevé par sa grand-mère
27:21 sous fond d'avortement clandestin.
27:23 Donc, en fait, il y a un petit snobisme.
27:25 On essaye de vous laisser dans votre case
27:27 et à votre place. Et quand on a envie
27:29 de raconter les histoires qui nous touchent
27:31 et les faire avec le plus de sincérité et de justesse
27:33 possible, on refuse le mot
27:35 "feel good" qui est en plus très souvent attribué seulement aux femmes.
27:37 - "Je ne supporte plus l'élitisme littéraire
27:39 qui m'a beaucoup complexé" nous dit Sébastien
27:41 sur la page Instagram
27:43 du boucle. "La littérature est une ouverture
27:45 sur les autres et le monde, à le permettre
27:47 de s'instruire, de se divertir, de se cultiver
27:49 ou de s'évader, peu importe ce qu'on lit
27:51 à partir du moment où l'on prend plaisir à lire
27:53 la liberté de création permet
27:55 à tout un chacun de se retrouver dans un
27:57 livre, quel qu'il soit.
27:59 Flow, ajoute la littérature, a toujours été un
28:01 marqueur social et dans l'imaginaire populaire, quelque chose
28:03 qui ne nous concerne pas. Je considère
28:05 qu'il y a de la littérature plus exigeante et plus divertissante
28:07 cependant exigeante ne veut pas dire
28:09 qualitatif et divertissant
28:11 non plus. Et inversement
28:13 enfin voilà, il y a beaucoup de réactions comme ça
28:15 de tous nos lecteurs et lectrices sur la page
28:17 Instagram. Ça veut dire qu'on touche peut-être à
28:19 quelque chose qui
28:21 bouscule, en tout cas qui est à
28:23 bousculer. Michel Bussy
28:25 sur le genre particulier de votre livre
28:27 vous disiez "thriller",
28:29 "roman policier", "roman noir",
28:31 "polar", comment vous voyez ça et
28:33 qu'est-ce que vous voulez apporter avec
28:35 ce nouveau livre "Trois vies par
28:37 semaine" ? - Oui c'est aussi une catégorie
28:39 polar très large parce que
28:41 parfois on peut dire effectivement les tragédies grecques
28:43 c'est déjà du polar, Shakespeare c'est du polar
28:45 donc c'est très large à partir du moment où il y a
28:47 la vengeance, du meurtre. Donc effectivement moi
28:49 je m'inscris dans cette catégorie d'histoire
28:51 dite à suspens, c'est-à-dire c'est une histoire où effectivement
28:53 il y a un mystère au départ et
28:55 en plus de l'intrigue, en plus des personnages
28:57 on a envie de tourner les pages, on a la promesse
28:59 c'est le contrat passé avec les lecteurs
29:01 qu'il y aura une révélation surprenante
29:03 et que les mystères vont être
29:05 résolus de façon ingénieuse
29:07 et surprenante. Donc
29:09 c'est le code du roman policier,
29:11 d'un certain genre dans le roman policier
29:13 et une fois, ça c'est ma mélodie,
29:15 et une fois cette mélodie posée,
29:17 ce contrat avec le lecteur, et bien
29:19 j'ai l'impression d'écrire de la littérature
29:21 comme tout autre, c'est-à-dire je vais raconter
29:23 la guerre froide, je vais raconter
29:25 Charles de Villemézière, je vais partir en poésie
29:27 sur les marionnettes, bon.
29:29 Donc c'est une histoire comme une autre avec le même style
29:31 sauf qu'effectivement il y a une promesse
29:33 par le genre qui est
29:35 il y aura du suspens, vous aurez envie
29:37 de tourner les pages, pas seulement
29:39 parce que l'histoire va vous plaire mais aussi parce que
29:41 il y a des codes, ces fameux cliffhangers etc
29:43 qui font que
29:45 un mystère en entraîne l'autre.
29:47 Et j'adore ce genre-là mais c'est au ton de parler
29:49 tout à l'heure, c'est aussi quelque chose de
29:51 on est sur la forme, on accepte
29:53 ou pas cette forme. Certains adorent cette forme
29:55 de chapitre court
29:57 qu'on ne peut pas s'arrêter de lire, d'autres ne supportent
29:59 pas, enfin il y a plus de gens qui adorent
30:01 que de gens qui supportent pas mais je comprends aussi
30:03 qu'on puisse ne pas aimer être aussi pris par la main
30:05 parce que c'est aussi une façon de prendre le lecteur par la main
30:07 et de lui dire "Ah, je t'emmène au bord du précipice
30:09 et là, hop, je te lâche, je te lâche pas"
30:11 Bon, il faut aimer ce côté-là
30:13 et il y a effectivement des lecteurs qui préfèrent être
30:15 qui n'aiment pas être manipulés.
30:17 - Alors pour donner quand même un petit
30:19 indice sur l'intrigue, Michel Bussi,
30:21 on est dans les Ardennes du jeune Rimbaud
30:23 où est née aussi la victime de votre roman
30:25 le dénommé Renaud Duval
30:27 qui est né à Charleville-Mézières
30:29 et on va retrouver le cadrave
30:31 avec sur lui ses papiers
30:33 et trois permis de conduire
30:35 au nom de trois conducteurs différents
30:37 et là, c'est le début de l'intrigue
30:39 qui sont ces trois personnes ?
30:41 Est-ce que c'est la même personne ? Est-ce que ce sont des triplés ?
30:43 Est-ce que ce sont
30:45 de faux papiers ?
30:47 On se rend très vite compte que non
30:49 et ensuite, on est embarqué
30:51 dans votre roman
30:53 et on va un peu partout
30:55 quand notre lecteur disait "On découvre
30:57 des endroits aussi", c'est vrai que vous nous emmenez ailleurs.
30:59 - Oui, oui, ben moi je suis
31:01 géographe au départ
31:03 et effectivement, j'adore dans mes romans
31:05 commencer par l'histoire et ensuite me dire
31:07 où ça va se situer et effectivement
31:09 Charleville-Mézières, c'est une très jolie ville
31:11 où tout le monde ne se rend pas forcément
31:13 en vacances tout le temps et j'ai adoré par exemple
31:15 arpenter la Meuse, les Meandres,
31:17 les Ardennes franco-belges
31:19 et puis pour moi, dans la littérature
31:21 alors peut-être c'est une autre caractéristique
31:23 de la littérature populaire, c'est quand même l'évasion
31:25 c'est l'immersion. Moi, mes premières lectures
31:27 c'est quand même Jules Verne, Jacques London, Bob Morin
31:29 plein d'autres, c'est cette idée d'évasion
31:31 quand même, c'est l'idée qu'on est dans un endroit
31:33 et que par la littérature, on va
31:35 être en immersion ailleurs
31:37 et c'est vrai que sans doute que j'essaie de reproduire
31:39 ça dans mes romans et que souvent le lieu
31:41 j'écris sur les îles Marquise, sur la Réunion
31:43 sur plein de lieux très lointains
31:45 c'est vrai que mon absolu
31:47 c'est quelqu'un qui dans le RER ouvre un livre
31:49 et il est parti
31:51 aux îles Marquise, voilà. Un peu
31:53 à se le redouter, c'était le roman qui est sorti pendant le
31:55 confinement et c'est le roman grand format qui s'est plus vendu
31:57 pendant le confinement, je trouvais ça amusant que les gens confinés
31:59 chez eux lisent un livre qui se passe aux îles Marquise
32:01 et pour moi, la littérature
32:03 en général
32:05 c'est peut-être un plus de la littérature populaire
32:07 c'est aussi de se dire, je vais faire plaisir à mes lecteurs
32:09 pour l'emmener aussi
32:11 quelque part, je vais lui faire
32:13 un voyage
32:15 ce qui n'est pas nécessaire en littérature mais qui
32:17 peut être aussi un plus dans ce
32:19 cas d'une littérature, effectivement
32:21 de diversion. - Aurélie Vallogne, il y a moins
32:23 d'évasion peut-être dans ce roman-là
32:25 mais l'évasion ça a été aussi
32:27 source d'inspiration pour vous ?
32:29 - Oui, moi ce que je recherche surtout c'est
32:31 une justesse
32:33 moi j'ai toujours besoin que ça parte d'une injustice
32:35 que l'on peut voir dans ce réel commun que nous
32:37 partageons tous et derrière
32:39 effectivement, le lieu m'intéresse un peu
32:41 moins, je les cite assez rarement
32:43 ça se passe pas à Paris-même
32:45 ça se passe parfois en banlieue
32:47 ça se passe parfois au bord de la mer mais il faut
32:49 plutôt que ça serve les
32:51 personnages et le propos et
32:53 c'est vrai que moi j'ai pas du tout le
32:55 parcours de Michel
32:57 grand professeur
32:59 mais c'est vrai que moi ce qui m'intéresse
33:01 ce sont plutôt les émotions
33:03 que ça résonne en nous et
33:05 tout le monde puisse se dire "mais ça aussi je l'ai vu, ça aussi
33:07 je l'ai vécu" donc c'est plutôt l'universalité
33:09 des émotions que
33:11 j'essaye de mettre dans mes livres
33:13 - Un dernier mot, l'accessibilité à la
33:15 littérature et ça a été le cas pour vous
33:17 Michel Bussy, c'est aussi le livre de poche
33:19 qui fait de ses 70 ans cette année
33:21 c'est aussi à partir de ce moment-là
33:23 où ça a commencé à exploser, les ventes pour vous ?
33:25 - Oui, c'est quelque chose d'assez fascinant
33:27 le livre de poche c'est un exemple qui existe
33:29 pratiquement qu'en France, il n'y a pas ça
33:31 et c'est assez fascinant parce que nous qui vendons beaucoup de livres
33:33 de se dire qu'il y a des gens qui nous aiment et qui attendent
33:35 un an pour acheter le livre de poche
33:37 simplement parce que, effectivement, 22-23 euros
33:39 pour un livre c'est cher
33:41 et c'est assez fascinant parce que
33:43 nos ventes de poche sont souvent plus
33:45 importantes même que les grands formats
33:47 alors que ce sont des gens, maintenant on sait, ils nous connaissent
33:49 donc ils ont envie de l'acheter
33:51 donc ça prouve qu'il y a un modèle assez particulier
33:53 et puis on est tous nés du
33:55 livre de poche, à un moment donné
33:57 nos grands formats se vendaient un petit peu
33:59 mais c'est un livre de poche
34:01 qui à un moment donné fait décoller les ventes
34:03 c'est tous le même cas et ça, ça dit aussi
34:05 quelque chose, c'est-à-dire que forcément
34:07 les gens qui ont été nous chercher
34:09 c'est des gens qui ont entendu parler de nous
34:11 par le bouche-oreille, à un moment donné
34:13 ils n'ont pas commencé par mettre 22 euros
34:15 ils ont commencé par prendre un livre de poche
34:17 d'ailleurs souvent aussi en bibliothèque, il ne faut pas oublier
34:19 et après
34:21 ils vont effectivement
34:23 acheter ce produit qui est devenu un produit cher
34:25 mais qui est le grand format. - Merci beaucoup
34:27 Michel Bussi d'être venu dans le book club
34:29 pour nous parler de la littérature populaire
34:31 je le dis une dernière fois mais on a bien compris
34:33 durant toute cette émission que c'était aussi autre chose
34:35 3 vies par semaine vient de paraître aux presse
34:37 de la cité qui nous emmène dans les ordennes
34:39 et aussi en Tchécoslovaquie
34:41 alors pourquoi pas, il faut y aller et il faut se laisser
34:43 tenter. Merci Aurélie Vallogne
34:45 je rappelle le titre de votre nouveau roman
34:47 personnel mais c'est une fiction, je le rappelle
34:49 l'envol aux éditions Pafayard
34:51 Merci d'avoir accepté tous les deux cet échange dans le Beau Club.

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