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Art et designTranscription
00:00 *Musique*
00:11 12h-13h30, les midis de culture
00:15 Géraldine Mosnassavoy, Nicolas Herbeau
00:19 De la critique des entretiens, c'est le programme de votre nouveau rendez-vous culturel sur France Culture
00:25 Un rendez-vous en deux parties, à 12h50, la rencontre avec une personnalité qui façonne l'air du temps
00:30 Et nous sommes très heureux, oui très heureux d'ouvrir cette nouvelle saison d'entretien avec Philippe Catherine
00:35 Mais pour commencer, c'est le moment du débat critique, chaque jour, de critique pour analyser, commenter, s'enthousiasmer
00:42 Ou même se battre, j'espère qu'il y aura de la bataille autour de films, de jeux vidéo, d'essais, bref tout ce qui fait la culture
00:49 Et rentrée oblige, on commence avec l'incontournable, eh bien, rentrée littéraire
00:53 Oui, ils vont ouvrir le bal, merci à eux d'ailleurs d'être là pour cette toute première
00:57 Lucille Comot de France Culture, bonjour Lucille
00:59 Bonjour
01:00 On vous retrouve désormais tous les matins à 8h55 chez Guillaume Erner, bienvenue dans les midis de culture
01:05 Bienvenue aussi à Philippe Chevillet, bonjour Philippe
01:07 Bonjour
01:08 Chef du service culture au journal Les Echos
01:11 Et on commence avec un premier livre, L'amour de François Bégaudot
01:21 La première fois que Jeanne voit Piétro, c'est au gymnase où sa mère fait le ménage
01:27 Quand c'est le jour de nettoyer les gradins, la mère embarque sa fille, on n'aura pas trop de quatre bras
01:33 Jeanne y gagne 20 francs, ça fait un petit complément à sa paye de l'hôtel, et puis ça l'occupe
01:39 Un mercredi de février, leurs horaires coïncident avec l'entraînement de l'équipe de basket
01:45 Les semelles de caoutchouc grisent sur le parquet et l'échorte en nylon luise sous les projecteurs
01:51 Il est là, en débardeur rouge, ses cheveux noirs mis longs, sein d'un bandeau éponge
01:57 Paru aux éditions Vertical, ce court texte, j'ai pu lire dans la presse de 96 ou de 81 pages
02:04 Mais non, la vérité doit être diglée entre les pages, c'est 90 pages, pas 96, pas 81, 90
02:10 C'est un court texte de François Bégaudot qui suit l'histoire d'amour banale entre Jeanne et Jacques Moreau
02:17 sans coup de foudre ni clash, et qui tente de relever ce défi, comment raconter une histoire sans histoire
02:24 Alors Lucille Comodre, défi relevé ?
02:26 Oui, défi relevé, avec plein de problèmes, comme souvent la littérature de François Bégaudot, elle accroche
02:33 Il y a toujours quelque chose qui est impressionnant, parce que je pense que c'est un grand écrivain, notamment de la synthèse
02:39 On va en parler, c'est assez évident, et en même temps, de la démesure
02:45 François Bégaudot, il met beaucoup de lui à chaque fois dans ses livres, et ça se voit beaucoup
02:50 Par exemple, appeler un livre "L'amour" avec cet article défini, on n'a même pas besoin de l'ouvrir
02:56 et de voir la tranche de ces petites 80 pages, on se dit qu'il y a quelque chose de l'ambition, légèrement démesurée
03:03 Surtout avec un titre comme ça !
03:05 Oui, c'est ça, c'est exactement ça, et quand on regarde la quatrième de couverture, on voit qu'il est né en 71
03:10 le livre commence en 71, il y a quelque chose qui est très proche de lui, ça se sent
03:15 Pour autant, ce n'est pas un livre autobiographique, on a entendu le début dans la lecture que vous en avez faite
03:20 ça commence presque comme à Ragon, la première fois que Bérénice vit Aurélien, qu'Aurélien vit Bérénice
03:27 Sauf que là, il y a déjà une espèce de fausse route, et c'est un côté un peu malin, c'est-à-dire que les deux prénoms
03:32 qu'on entend d'abord, c'est Jeanne et Pietro, et en effet, il ne sera pas question d'une histoire d'amour entre Jeanne et Pietro
03:37 ça part d'un renoncement, ça part d'un vide, une histoire d'amour qui n'aura pas lieu, mais de Jeanne et Jacques
03:42 presque le même prénom, dans une France moyenne, dans un moment un peu moyen, le début des années 70
03:48 une histoire qui n'a rien d'incroyable, il n'y a pas de relief, il n'y a pas d'événement incroyable dans cette histoire d'amour
03:55 tout va très vite, ça ressemble beaucoup, je pense que tout le monde y a pensé aux années d'Annie Ernaud
04:00 c'est-à-dire un livre qui entend parler d'une génération, qui caractérise très fortement et très rapidement une génération
04:06 et qui balaye comme ça toute une vie, une vie entière, une vie modeste
04:10 C'est vrai qu'il y a des moments à la fois très lents, on se demande comment en 90 pages il va pouvoir raconter l'amour
04:15 et puis tout à coup, ça s'emballe un petit peu
04:16 Je ne trouve pas qu'il y a des moments très lents, je trouve que c'est assez constant sur un truc de synthèse
04:21 vraiment l'art de la synthèse, ça passe par la sandette, tout ça est très sec, c'est très sec
04:27 Il y a des accumulations, il y a des éllipses qui sont spectaculaires
04:32 Moi je trouve ça assez beau, je pense que ça pose plein de problèmes parce qu'on peut très vite dire
04:37 mais alors vu qu'on parle de genre modeste, on fait une petite forme, sauf que petit et modeste je pense que ce n'est pas du tout la même chose
04:44 Je pense qu'il se dit beaucoup de choses justement sur la modestie dans ce livre de François Bégaudot
04:50 Vous Philippe Chevillé, est-ce que vous avez été emporté ou plutôt étonné que l'amour, un titre aussi ambitieux, couvre seulement 90 pages ?
05:00 Non, moi j'ai été séduit, je n'aime pas beaucoup l'écrivain
05:05 Donc les autres livres, vous voulez dire l'homme, l'écrivain ?
05:09 L'écrivain, je suis impressionné par son côté prolifique, 18 romans, 20 essais, 11 pièces de théâtre et j'en passe, des scénarios
05:19 Il a une passion de l'écriture, c'est certain, mais je trouve que ces livres sont souvent assez confus, qu'il met plein de choses dedans, que c'est un peu académique
05:27 Là on a une forme, et c'est pour ça que je redoutais la lecture, une forme qui est l'épure, ce qui est le plus difficile, ce qui est un piège absolu
05:34 Et je pense qu'il a réussi cette épure, d'abord parce que ce récit qui couvre 50 années, on y croit, ce couple est incarné
05:46 Deuxièmement parce que l'histoire de la société française qui nous raconte, mais pas trop, par petites touches, les références, il n'y en a pas trop non plus
05:55 Et je pense que ça donne une bonne image de ce que peut être une vie de rien, comme dirait la chanson de Julien Clerc, pour une famille française comme ça
06:05 Et puis je pense qu'il a évité la condescendance, moi je trouve qu'il a évité ça
06:14 Vous dodennez, je suis plutôt d'accord avec Philippe Chevier, je ne trouve pas ça condescendant, je trouve qu'il n'y a pas de jugement
06:21 Il s'est tenu, et en plus il aurait pu aussi, de sa personnalité engagée, faire une leçon politique ou un manifeste, et pas du tout, d'ailleurs les personnages sont assez peu politiques
06:35 C'est intéressant parce que Lucie disait tout à l'heure qu'il met de lui, peut-être un peu trop, je ne sais pas, et vous qui n'aimez pas l'écrivain, est-ce que ça vous a gêné ?
06:43 Ou du coup vous lui donnez peut-être un bon point même carrément
06:45 Oui je lui donne un bon point avec cette dimension supplémentaire qui est d'ailleurs un côté assez malin, c'est pour ça qu'on peut aussi se dire que c'est fabriqué, mais c'est très bien fabriqué
06:55 C'est-à-dire que l'émotion arrive dans les dernières pages, et c'est toujours très efficace, surtout sur un livre court, où on a eu un récit qui est intéressant, mais qui est effectivement une vie qui est quand même totalement passionnante
07:09 On est pris par les personnages et à la fin il y a cet élément où ils sont à la fin de leur vie et là l'amour arrive, et ça c'est joli, c'est plutôt sincère, et donc moi j'ai été séduit, sans être totalement emporté, mais séduit par le livre
07:26 Lucie Lecomo, donc vous dodeliniez sur le côté condescendant, moi j'aimerais que je revienne sur cette idée d'épure, c'est-à-dire qu'à la fin il réussit quand même, François Begodeau, effectivement à susciter de l'émotion
07:38 Par contre il y a quelque chose qui a retenu mon attention, c'est qu'il dit "je voulais raconter l'histoire banale vécue par tout le monde", l'histoire d'amour banale vécue par tout le monde
07:46 Alors là je ne sais pas de qui il parle, du coup il arrive à une forme de stéréotype de l'amour que je ne trouve pas très fort, sauf à cause de cette fin justement
07:55 Oui, moi je pense que la question ce n'est pas tant de qui il parle que d'où on parle, c'est-à-dire d'où ça parle dans le livre
08:01 Et là je ne suis pas tout à fait d'accord avec Philippe parce que je trouve que c'est un peu compliqué parfois la posture du narrateur, c'est-à-dire qu'il y a cette sécheresse, cette espèce de manière de laisser couler, de laisser passer le temps
08:11 Mais évidemment c'est une construction, et parfois le narrateur est franchement présent, parfois il y a ce fameux narrateur omniscient du grand roman naturaliste
08:21 Qui est en fait traditionnellement, historiquement, dans la littérature, quelqu'un qui juge, quelqu'un qui regarde ses personnages vivre depuis le haut
08:28 Et ça arrive parfois je trouve, dans le livre, par exemple via un des trucs vraiment du grand roman du 19ème siècle qui est l'indirect libre, c'est-à-dire les effets de mention, cette manière d'intégrer dans la littérature la parole d'autrui
08:43 Là en l'occurrence, la parole des petites gens, il y a des petits moments où ça grince un tout petit peu
08:48 On ne sait pas exactement pourquoi ça nous gêne, il faut travailler un peu, essayer de comprendre comment fonctionne le style de Begodeau
08:54 Qui à mon avis hésite en permanence entre la posture à l'ancienne, où évidemment il y a du surplomb, et puis quelque chose de politiquement engagé, où on laisserait couler comme ça la parole de l'autre
09:06 Moi je trouve que c'est compliqué, il s'en sort bien parce que c'est vraiment un petit malin
09:10 Oui ça fait vraiment malin
09:12 Oui bien sûr c'est malin
09:14 Philippe, je voulais dire peut-être un dernier mot sur ce style indirect libre, moi ça m'a beaucoup désarçonné, cette manière d'écrire, j'ai eu du mal à me mettre dedans, je me demandais qui parlait justement
09:22 Oui alors, il y a aussi l'élément, évidemment quand on raconte une histoire d'une famille banale et qu'on connaît Begodeau, on se dit que ça va peut-être être une étude sociologique
09:34 Et c'est quand même une fiction, donc il y a un petit entre deux qui fait qu'on se demande si c'est de la non-fiction par moment, ou de l'essai non-fiction, mais ça tient à son sujet
09:46 Et encore une fois, je pense que les petits moments où, moi j'ai pas été mal à l'aise parce que je trouvais qu'il s'arrêtait juste avant, on a l'impression que c'est quand même très travaillé
09:56 Et encore une fois, il a trouvé la formule finale qu'on ne révélera pas, mais qui je pense déclenche une part d'enthousiasme chez ceux qui adorent le livre et qui méritent d'être en tout cas appréciés
10:10 Comme vous ne l'avez pas dit, on a envie de le découvrir du coup
10:12 Oui c'est vrai, on a envie de le découvrir, donc voilà pour l'amour de François Begodeau, c'est aux éditions Vertical, on continue avec Trust d'Hernan Diaz, grand roman américain paru en 2022 aux Etats-Unis
10:22 Et on continue avec Politzer traduit par Nicole Richard pour les éditions de l'Olivier
10:26 Benjamin Rask ayant bénéficié de presque tous les avantages depuis sa naissance, l'un des rares privilèges qui lui avait été refusé était celui de connaître une ascension héroïque
10:39 Son histoire n'était pas marquée par la résilience et la persévérance, ce n'était pas la légende d'une volonté inflexible se forgeant une glorieuse destinée à partir de simples vêtilles
10:52 Jusqu'à 13h30, les midis de culture, Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy
10:59 Quatre récits pour une même histoire, celle de Benjamin Rask, un stratège génial de la finance qui fait fortune durant la grande dépression des années 30 aux Etats-Unis
11:08 Et qui se marie avec Hélène, fille d'aristocrate, couple fantasmé par la haute société
11:13 Sauf qu'Hélène va sombrer peu à peu dans la folie, à travers ces quatre récits, ce texte d'Hernand Diaz-Strauss découvre autant les pouvoirs de l'argent que ceux de la fiction
11:22 Alors comment se gagne l'argent et comment se raconte surtout, se mythifie l'argent, Philippe Chevillé ?
11:29 Oui alors, moi en tant que journaliste des échos, on peut penser que c'est du pain béni d'avoir un roman financier
11:35 Pas vraiment, parce qu'en fait, comme on a beaucoup de récits de sagas financiers et économiques qui sont racontés dans le journal
11:42 Moi j'ai plutôt envie d'emmener le lecteur vers d'autres choses, d'autres voies
11:46 Mais quand il y a un bon roman financier, évidemment je ne passe pas à côté, celui-là est assez remarquable
11:50 Hernand Diaz, dont c'est le deuxième roman seulement, qui est argento-américain et qui vit à New York depuis 1999
11:56 A défini son livre en disant que c'est un livre sur la richesse et le capitalisme
12:01 C'est assez bien défini
12:03 C'est un peu court
12:04 C'est un peu court, mais c'est vrai qu'on a...
12:06 Outre-vaste
12:07 Pas mal quand même
12:09 Oui mais c'est trop peu en dire par rapport à ce qu'il écrit
12:11 Absolument, absolument
12:13 Et il a choisi une période qui est celle de l'explosion du capitalisme financier
12:18 Qui couvre donc les grandes crises
12:20 Et ce personnage est un genre d'archétype, et c'est un peu une fable
12:25 Qui représente à la fois l'idéologie capitaliste américaine
12:28 Et à travers un personnage emblématique
12:31 Donc ce personnage de Benjamin, il ne s'intéresse à rien
12:36 Il est issu d'une grande famille de l'industrie du tabac
12:40 Et donc il n'est passionné que pour les mathématiques
12:43 Le reste, il s'en fiche
12:44 Et tout à coup, il va se rendre compte que les mathématiques, ça l'amène à s'intéresser
12:48 À quand même gérer la fortune familiale, aux actions
12:51 Et il va se rendre compte qu'il a du flair
12:53 Il a tellement de flair qu'il va bâtir une fortune
12:55 Et qu'il va même passer au travers de la crise de 1929
12:57 Au point qu'on va l'accuser d'avoir lui-même provoqué cette crise
13:00 Dans cette première partie, qui est écrite dans un style proche d'Henri James ou d'Edith Wharton
13:06 On a le personnage féminin qui arrive assez vite
13:10 Et qui est assez fascinant
13:11 Parce qu'elle lui ressemble d'une certaine façon
13:14 Elle est assez taiseuse, elle est étrange, mystérieuse
13:17 Il y a une vraie histoire d'amour entre eux
13:19 On ne comprend pas très bien exactement comment ça se passe
13:22 Et elle est fascinée par les arts
13:23 Et puis, on arrive au bout de ce que vous racontez
13:25 C'est-à-dire, elle sombre dans la folie
13:27 Et on arrive au bout de 100 pages
13:28 Et on se dit, qu'est-ce qu'ils vont nous raconter après ?
13:30 Est-ce qu'on va suivre la famille jusqu'en 2023 ?
13:34 Et pas du tout
13:35 L'histoire nous est racontée sous quatre angles différents
13:37 Avec des protagonistes différents
13:38 Et là, on tombe à chaque fois dans une version
13:41 Qui nous permet de corriger l'image du financier
13:44 Qui permet aussi de la démultiplier
13:46 Qui permet aussi de démultiplier le personnage féminin
13:49 Et c'est un élément aussi important que la description du capitalisme
13:53 C'est que c'est un livre aussi féministe à la fin
13:55 On ne peut pas trop en dire
13:56 Parce qu'au fond, le livre nous conduit en plusieurs parties
13:59 À une révélation finale
14:01 Que je me garderais bien de donner
14:03 S'il vous plaît
14:04 Et donc, à ce mélange de fables
14:06 Avec ce personnage, ce caractère de financier
14:08 Sous plusieurs facettes qui évoluent
14:10 Suivant les versions
14:12 Et cet exercice virtuose littéraire
14:14 Qui expose un peu aussi les codes du roman américain
14:17 Dont on a l'habitude
14:18 Avec les ateliers d'écriture
14:20 Avec certes, le roman choral
14:22 Mais qui est...
14:23 Là, vraiment, on est dans une...
14:25 À la fois de par le style
14:27 Et de par l'effet que ça produit
14:29 Et de ce que ça raconte
14:30 On est dans un grand roman américain
14:31 Un des grands romans de la rentrée
14:32 Qui a eu prix Pulitzer d'ailleurs
14:34 Lucie, moi personnellement, j'ai été...
14:36 Il faut le dire quand même
14:37 C'est un livre incroyable
14:38 C'est-à-dire que vraiment, on ne le lâche pas
14:40 Les quatre types de récits sont...
14:43 Sont hyper bien racontés
14:44 Enfin, on a envie d'aller à chaque fois plus loin
14:46 On aimerait presque en avoir deux autres de plus
14:48 Oui, c'est-à-dire que c'est un livre qui réussit
14:50 À être théoriquement extrêmement riche
14:52 C'est-à-dire d'un point de vue de la littérature
14:54 On va en parler pendant beaucoup plus longtemps
14:55 Que ce qu'on est en train de faire maintenant
14:56 Et qui est en même temps...
14:58 En effet, ce qu'on appelle un "page-turner"
15:01 C'est-à-dire qu'en effet, il y a un vrai effet de suspense
15:03 Il y a un vrai travail avec le rythme
15:05 Et un plaisir de la fiction qui n'est jamais démenti
15:08 Moi, ce qui m'intéresse beaucoup
15:10 C'est ce que vous disiez tout à l'heure, Philippe
15:11 C'est que ce n'est pas du tout un roman choral
15:13 C'est-à-dire que ces quatre parties-là
15:14 Elles ne travaillent pas de cette manière-là
15:15 Elles travaillent vraiment les unes contre les autres
15:17 Alors que dans le roman choral, le principe
15:19 C'est que chaque personnage informe la fiction
15:21 D'une manière ou d'une autre
15:22 - Et tout le monde s'accorde
15:23 - Voilà, exactement
15:24 Enfin, plus ou moins
15:25 Mais en tout cas, tout est au même niveau
15:26 Là, rien n'est au même niveau
15:28 Et d'ailleurs, quand on l'ouvre, c'est très étonnant
15:30 Parce qu'on ne comprend pas la nature du rapport des parties
15:32 On voit bien qu'il y a des dates différentes
15:34 Qu'il y a des auteurs différents
15:35 Des titres différents
15:36 Des genres différents
15:37 Mais la question de l'enchassement
15:38 Ou de la mise côte à côte de ces parties-là
15:41 Elle reste un mystère tout du long
15:44 Et en fait, ce mystère, il est pas seulement abstrait
15:47 C'est un personnage
15:48 C'est en effet le personnage dont vous parliez
15:50 Qui est le personnage féminin
15:51 Qui est sans doute un des plus grands personnages
15:53 De cette rentrée littéraire
15:54 Non, dans ce que j'ai pu lire en tout cas
15:56 Et qui, en lequel elle est vrillée tout le temps la fiction
15:59 C'est-à-dire que c'est son mystère à elle
16:01 Son espèce de vide
16:03 Qui est aussi un trop-plein
16:04 Parce qu'elle est remplie de son histoire familiale
16:06 Qui, en permanence, vient questionner
16:08 A la fois ce qui se passe dans le livre
16:10 Et puis le livre tout entier
16:11 C'est-à-dire qu'on ne sait jamais ce qu'on est en train de lire
16:13 On ne sait jamais où est la vérité
16:15 Est-ce que vraiment, c'est même ça qu'on cherche ?
16:17 C'est assez impressionnant
16:18 Du coup, les quatre récits, si je vous suis bien
16:21 Ils se déroulent tous sur la même période ?
16:23 Ou est-ce qu'on avance justement au fur et à mesure
16:25 Comme le disait Philippe ?
16:27 C'est encore plus compliqué que ça
16:28 C'est-à-dire qu'il y en a qui ne sont pas tous écrits à la même période
16:31 Ils n'émanent pas tous du même auteur
16:33 Ça c'est dans le sommaire
16:34 Et la nature de leur authenticité n'est pas la même
16:38 C'est vraiment compliqué
16:40 Mais il ne faut pas trop rentrer dedans
16:41 Parce que justement, il y a toute une partie de l'intérêt du livre
16:43 Tient au mystère de ce...
16:45 Il faut se laisser porter
16:46 Mais ce qui est intéressant aussi, Philippe Chevillier
16:48 C'est qu'on voit bien comment Hernandiaz
16:50 Essaye aussi parfois de mimer l'art décrit
16:53 Par exemple, une autobiographie
16:55 Quand il y a le personnage principal qui raconte sa vie
16:59 Et qui laisse des phrases en suspens
17:01 Et qui dit "énumérer certains de mes exploits"
17:04 "Je", il laisse en suspens quand il dit
17:06 "Parler de l'amour fabuleux avec ma femme"
17:08 On voit bien que du coup, il y a quelque chose
17:10 On voit bien comment se construit aussi un mythe
17:12 Comment se construit une fiction autour d'un personnage
17:14 Autour de la finance, dans la finance
17:16 Oui, tout à fait
17:17 Et on a en plus quatre styles différents
17:20 La deuxième partie justement
17:22 Qui n'est pas très bien écrite
17:23 On se dit "mais qu'est-ce qui se passe ?"
17:25 C'est très drôle d'ailleurs
17:26 On comprend très vite pourquoi
17:28 Et d'une certaine façon, c'est aussi...
17:30 On revient toujours à ce perpétuel questionnement
17:35 Du mensonge, de la fake news
17:37 Puisque c'est aussi un roman sur la façon
17:39 Dont on réécrit l'histoire
17:41 Sur la question de la confiance justement
17:43 En trust
17:44 Voilà, parce que trust, il y a deux sens
17:46 Il y a le sens des intérêts communs
17:48 Dans un groupe, dans une compagnie
17:50 Et puis la confiance au cours
17:52 Et on voit qu'on peut à la fois
17:54 Par le biais du roman
17:56 Écrire peut-être de la fiction
17:59 Écrire une histoire qui était peut-être plus proche de la réalité
18:01 Qu'une biographie qui est censurée par son auteur
18:05 Et après, il y a l'enquête aussi
18:07 L'enquête journalistique
18:09 Ou l'enquête qui permet de réaccorder
18:11 On en revient aussi aux gens eux-mêmes
18:13 Qui se confient
18:15 Enfin, moi j'en dis beaucoup là
18:17 Mais personne ne va comprendre s'il n'a pas lu le livre
18:19 De toute façon, vous devez bientôt vous arrêter
18:21 Donc, c'est vrai que
18:23 Ce qui m'intéressait aussi
18:25 C'est ce pouvoir de la fiction
18:27 Puisque en plus, Hernan Diaz, il joue de ça
18:29 Puisque la première partie, on peut le dire
18:31 Puisque c'est marqué tout de suite
18:33 Il est signé du nom d'un auteur fictif
18:35 Donc on est sans arrêt dans le vrai-faux
18:37 Et dans la fiction en miroir
18:39 Un livre à lire absolument trust
18:41 Dernan Diaz est aux éditions de l'Olivier
18:43 Et c'est traduit par Nicole Richard
18:45 On finit ce tour d'horizon
18:47 Evidemment non exhaustif de la rentrée littéraire
18:49 Avec le livre de Panaiotis Pascot
18:51 La prochaine fois que tu mordras la poussière
18:53 Disponible aux éditions Stock
18:55 Je crois qu'il va bientôt mourir
18:59 Il me l'a dit douze fois
19:01 Tu sais, je vais bientôt mourir
19:03 Mais je ne le croyais pas
19:05 Parce qu'il aime créer du frisson
19:07 Il aime ajouter à son charisme avec des annonces dramatiques
19:09 Sauf que je l'ai vu s'essouffler de plus en plus vite
19:11 J'ai vu son regard se perdre souvent dans le vide
19:13 Pas en mode réflexion, en mode bilan
19:15 Premier livre du chroniqueur humoriste Panaiotis Pascot
19:17 Texte à la première personne
19:19 Qui revient sur la découverte de son homosexualité
19:21 Sa dépression
19:23 Surtout la relation avec son père
19:25 C'est un livre qui ne fait pas rire
19:27 C'est même un livre douloureux, Philippe Chevillé
19:29 Ah oui, ça pour sûr, il est douloureux
19:31 C'est un livre qui ne fait pas rire
19:33 C'est même un livre douloureux, Philippe Chevillé
19:35 Pour sûr, il est douloureux
19:37 Ce qui est fascinant, c'est que c'est vraiment, pour moi, le symbole du cliché
19:45 Qui est celui du clown triste
19:47 On sait bien que les comiques, pour la plupart, ne sont pas très drôles
19:49 Ils racontent tous cette histoire de gens qui, dans la rue, les agressent
19:53 En leur disant "fais-moi rire, raconte-moi une blague"
19:55 "Raconte-moi une blague"
19:57 Là, on est vraiment dans la situation où Panaiotis Pascot
20:01 Ce jeune et brillant humoriste
20:03 Sur scène, il présente une face un peu solaire
20:07 Avec quelques taches de mélancolie tout de même
20:09 Et là, c'est la face lunaire, la part sombre qui est révélée
20:13 Dans cette autofiction, où il évoque à la fois
20:15 Cette relation fusionnelle d'amour-haine avec son père
20:19 Son homosexualité mal assumée, enfin qu'il a eu du mal à assumer, intermittente
20:25 Même qu'il le rejette, il y a des phases de détestation
20:29 Et puis des phases intéressantes de l'hétérosexualité en retour
20:33 Et puis des tendances suicidaires
20:35 Et moi j'avoue que j'ai pas, à part les grandes autofictions
20:39 Enfin si on va chez Angot, Ernaud, Claudie Zingard, etc
20:43 L'autofiction commence à me fatiguer
20:47 Ah bon ? Étonnant !
20:49 Et pourtant, là, j'ai été touché par ce livre
20:55 Parce que je le trouve très sincère, émouvant, plutôt bien écrit
20:59 J'avais un petit peu peur parce que c'est un...
21:03 Justement, il pratique le sol en scène
21:06 Et donc des punchlines, des aphorismes, il n'y en a pas trop
21:10 Ça coule un peu de source
21:13 Et il y a un côté qui est assez fascinant je trouve
21:15 Parce que c'est à la fois très cash, parce qu'il raconte tout
21:17 Et en même temps assez pudique
21:19 Donc voilà, j'étais...
21:21 Lucille Redaudline de la Salle
21:23 C'est le mot pudique, je crois
21:25 Beau goût de l'image
21:27 Non, c'est pas forcément ça
21:29 Moi je trouve que c'est plutôt un bon livre
21:31 Et j'ai eu vraiment très peur
21:33 C'est-à-dire qu'au début, je trouvais ça vraiment un peu recouvert de clichés
21:36 Je trouve qu'il faut écarter à la fois l'image publique de cet homme
21:40 Qu'on a vu par ailleurs beaucoup à la télévision
21:42 Et il faut aussi se frayer un chemin entre beaucoup de formules un peu clichées
21:46 Moi, cette articulation un peu fondamentale dont vous parliez
21:49 Entre la découverte de son homosexualité
21:51 Et donc tout le questionnement sur sa virilité
21:53 Ce que c'est qu'être un homme
21:55 Et le prétexte, entre guillemets, même si c'est une chose de littérature
21:57 De la mort du père
21:59 Je trouve ça un petit peu artificiel
22:01 Et je trouve pas que ça s'articule toujours très bien
22:03 Est-ce qu'il y a des problèmes de sujet aussi ?
22:05 C'est-à-dire qu'il y a trop de problèmes à gérer en même temps
22:08 Ça pourrait être le même, disons
22:10 Mais on voit même dans la forme que c'est pas le même
22:13 Parce que quand il parle de son père
22:15 Il y a des espèces d'accès de lyrisme très clichés
22:17 Que je trouve pas très bien écrits
22:19 Alors que quand il parle en effet très concrètement
22:21 Par exemple de sa vie sexuelle
22:23 De la manière dont il donne rendez-vous à des garçons
22:25 Comment ça se passe, etc.
22:27 Là, il y a quelque chose d'une singularité
22:29 Qui justifie, disons, le projet autobiographique
22:31 Je suis vraiment beaucoup moins sûre du montage
22:33 Et je pense qu'il y a un problème d'édition aussi
22:35 Il faut le dire parfois
22:37 Quand on a l'impression qu'il y a une bonne matière
22:39 Qu'il y a quelque chose, mais que c'est brut
22:41 Et que c'est à la fois peut-être un peu la force du livre
22:43 Et puis bon, ça aurait peut-être été bien de le travailler
22:45 - Mais aussi sur un nom, c'est-à-dire
22:47 - Oui, bien sûr, il aurait fallu travailler ce truc
22:49 La temporalité, la manière d'alterner les chapitres
22:51 La figure du père, comment elle est amenée
22:53 Je trouve que c'est pas assez travaillé
22:55 - C'est vrai qu'il y a beaucoup de choses dans ce livre, comme le disait Géraldine
22:57 Peut-être le plus marquant aussi
22:59 C'est comment il arrive à raconter sa dépression
23:01 Qui va très loin, vous le disiez
23:03 Quasiment jusqu'au suicide, Philippe Chevrier
23:05 - Tout à fait, c'est une partie moi
23:07 Qui m'a touché, comme la partie d'ailleurs
23:09 Je trouve que Lucie les sévère
23:11 Sur la partie paternelle
23:13 Parce que je trouve que la fin est assez jolie
23:15 Sur son père
23:17 Et en plus je pense que
23:19 C'est impossible de séparer
23:21 Pas l'homme de l'artiste
23:23 Mais de séparer l'écrivain de l'humoriste
23:25 - Bien sûr, ça c'est sûr
23:27 - Le texte de ce livre est presque un prolongement
23:29 De son spectacle, son seul en scène qui s'appelait "Presque"
23:31 Où il commençait effectivement
23:33 A amorcer cette réflexion
23:35 Tout commence par "Je n'arrive pas à embrasser une fille"
23:37 Et la fin du spectacle
23:39 Donne plus qu'une piste de résolution
23:41 A ce problème
23:43 Qui pose le stand-up
23:45 Et là, tout à coup, il y va franco
23:47 C'est-à-dire que vraiment
23:49 Il dévoile tout
23:51 Moi je me suis posé la question
23:53 Finalement, pourquoi il le fait ?
23:55 Est-ce qu'il le fait pour lui ?
23:57 C'est-à-dire qu'en gros, j'ai l'impression de lire sa psychanalyse
23:59 Mais parfois je me suis demandé
24:01 Si je ne me sentais pas hors
24:03 Que vraiment il me parlait
24:05 Mais que j'aurais pu ne pas écouter
24:07 Ça ne changerait pas grand-chose à son texte
24:09 - Moi je pense qu'il veut vraiment
24:11 Que ce soit pour lui
24:13 Et pour être un homme entier
24:15 Et pour être un artiste entier
24:17 Ce qu'il montre sur scène
24:19 Il y a des choses qu'il ne peut pas montrer
24:21 Ou qu'il n'arrive pas à montrer
24:23 Et qu'avec le livre, il arrive à compléter
24:25 Alors ça serait intéressant de savoir
24:27 Que les fans qui le trouvent amusant
24:29 S'ils lisent le livre
24:31 Est-ce qu'ils vont s'effondrer ?
24:33 - Je crois qu'il y a des bons retours
24:35 Jusqu'ici
24:37 Et que c'est pas mal dévalisé
24:39 - Est-ce qu'il faut afficher cette partie ?
24:41 Comme si vous étiez une spécialiste des humoristes
24:43 - Allez-y !
24:45 - Est-ce qu'il faut raconter cette partie très sombre ?
24:47 Pour ensuite, comme le disait Philippe
24:49 Être un artiste entier
24:51 Se sentir libéré
24:53 Et pouvoir être encore plus drôle sur scène
24:55 - Je ne sais pas s'il le faut
24:57 - Quel est le rôle de ce livre ?
24:59 - En fait, il y a quand même toute une tradition
25:01 Dans le spectacle de stand-up
25:03 Notamment le spectacle américain
25:05 De mise à nu
25:07 De l'obscénité et des humoristes
25:09 Je ne me souviens plus du titre
25:11 L'auteur c'est Guillaume Aurignac
25:13 Qui parlait des premiers humoristes
25:15 Notamment Lenny Bruce
25:17 Et de cette manière de se mettre en scène
25:19 Dans un spectacle de stand-up
25:21 Dans la plus grande noirceur
25:23 Et à quel point la question de la honte, de l'obscénité
25:25 Du rire et de l'exposition
25:27 Ça fait partie intégrante
25:29 De l'histoire même du stand-up
25:31 Et de ce point de vue, le livre est un prolongement
25:33 De sa démarche
25:35 Il n'y a pas de contradictions
25:37 Je trouve que même dans la manière d'écrire
25:39 Il y a de la punchline
25:41 C'est-à-dire du bon mot
25:43 Quelque chose de cette intention stylistique
25:45 Et que ça fonctionne bien
25:47 Ce n'est pas un problème de trop ou pas trop
25:49 Je trouve que c'est même presque là
25:51 Qu'on voit le plus la noirceur, le cynisme
25:53 Une certaine manière
25:55 De montrer la douleur
25:57 Je trouvais ça assez convaincant
25:59 - Un dernier mot Phil, je vais y aller très rapidement
26:01 - Très rapidement
26:03 - Un de ses confrères, Panaïotis Pascot
26:05 Avait dit que le stand-up
26:07 C'est de la poésie marrante
26:09 Là c'est plutôt de la poésie non-marrante
26:11 - Non-marrante, on va rester sur ce terme
26:13 Panaïotis Pascot, la prochaine fois que tu mordras
26:15 La poussière, merci à tous les deux
26:17 Philippe Chevillier, on peut vous lire dans les échos
26:19 Lucille Commont, on peut vous écouter tous les jours
26:21 Sur France Culture à 8h55
26:23 Titres, références, auteurs, maison d'édition
26:25 Vous saurez tout en allant sur le site
26:27 De France Culture à la page
26:29 De l'émission "Les Midis de Culture"
26:31 de culture.