Auteur de "Istanbul, dernier arrêt, 4 ans dans les prisons turques" (éditions Stock), Fabien Azoulay, est l'invité de RTL Matin.
Regardez Le débat du 02 octobre 2023 avec Yves Calvi et Amandine Bégot.
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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 7h - 9h, RTL Matin.
00:05 Bonjour Fabien Azoulay.
00:09 Bonjour.
00:09 Merci de prendre la parole ce matin sur RTL à l'occasion de la sortie de votre livre
00:13 "Istanbul, dernier arrêt quatre ans dans les prisons turques" aux éditions Stock.
00:16 Tout est dans le titre et pour ma génération le calvaire que vous avez vécu nous ramène à ce film incroyable
00:21 Midnight Express sauf qu'ici tout est vrai et ça n'est pas du cinéma. C'est un cauchemar qui commence le 25 septembre
00:27 2017 à Istanbul. Vous débarquez avec l'objectif de vous faire greffer des implants capillaires
00:31 ce que tout le monde fait à l'époque d'ailleurs et arrivé à votre hôtel vous récupérez à la réception un colis commandé depuis Israël.
00:37 De quoi s'agit-il exactement ?
00:39 C'est un stimulant sexuel
00:41 que j'avais commandé depuis Israël et comme j'allais rester à Istanbul deux mois
00:47 je l'utilisais, oui c'est vrai, mais
00:50 c'était un produit qui était soi-disant sur le site web pas interdit en Turquie.
00:57 Donc je l'ai commandé en toute bonne foi avec ma carte de crédit et en mon nom.
01:01 Dans le hall de votre hôtel vous êtes immédiatement arrêté ?
01:04 C'est ça. Quand je suis arrivé à l'hôtel pour récupérer mon paquet
01:08 et aller dans ma chambre, j'ai ouvert le paquet et je me suis retourné. La police a dit
01:16 "vous êtes sous arrestation".
01:18 Que vous disent les policiers turcs ? Vous comprenez que c'est en lien avec le produit que vous avez commandé ?
01:21 Ou d'une certaine façon vous n'y croyez pas ?
01:23 Je comprends mais je leur dis que c'est pour moi.
01:27 J'insiste, vous ignoriez vraiment que ce produit était devenu illégal ?
01:32 Complètement. Le produit était devenu illégal à partir de
01:37 juillet 2016 et le policier me le dit d'ailleurs
01:41 dans le fourgon.
01:44 Alors les policiers vous emmènent à l'aéroport et vous pensez que l'histoire va se terminer ainsi
01:48 avec un renvoi aux Etats-Unis puisque vous êtes franco-américain je le rappelle ?
01:51 C'est pas du tout ce qui se passe.
01:53 On m'interroge pendant des heures, on me gifle, on essaie d'extort,
01:58 de prendre des informations qui ne sont pas vraies et donc je continue à expliquer.
02:04 Dès ce premier interrogatoire vous êtes l'objet de violences physiques de la police turque ?
02:10 Oui.
02:11 Comment on encaisse ?
02:12 Parce que vous n'avez pas été préparé à ça ?
02:14 Non, c'est un choc pas possible surtout qu'ils parlaient mal anglais.
02:19 Moi je ne comprends pas le turc donc c'était vraiment...
02:22 Je me disais mais comment je vais faire ?
02:26 Je vous cite "Il y a quelques heures encore j'étais un homme qui a réussi,
02:30 j'étais ce New-Yorkais qui ne travaille plus parce qu'il peut se le permettre,
02:32 j'étais ce citoyen franco-américain libre, j'étais ce garçon gai, gentil mais sûr de lui, j'ai 43 ans et ma vie vient de s'écrouler."
02:39 Que vous disent les autorités judiciaires ?
02:42 Vous voulez dire les policiers qui m'ont arrêté ?
02:47 Ils me disent "Pour qui tu travailles ? Pour qui tu travailles ?"
02:50 Et je leur dis "Mais je travaille pour moi, j'ai mes spas, tout est là, je leur montre et ils ne veulent rien entendre."
02:57 Mais ils vous prennent pour un trafiquant ?
02:59 Oui.
03:00 Ici la justice ne marche pas bien, elle boite, ici les juges sont emprisonnés, remplacés, les avocats menacés.
03:05 "La nuit n'a jamais été aussi obscure" nous écrivez-vous.
03:10 Ça va durer quatre ans.
03:11 Où est-ce qu'on trouve la force pour tenir ?
03:16 L'amour de mon frère.
03:18 J'ai un système de soutien d'amis à travers le monde qui m'ont vraiment soutenu pendant ces quatre ans,
03:26 qui m'ont envoyé des lettres, des colis, des livres qui m'ont permis de cultiver un peu la patience que je n'avais pas auparavant.
03:34 Donc les premiers moments c'était difficile, on a l'impression que le temps s'est cristallisé, s'est arrêté.
03:40 Et puis au fur et à mesure, on s'y fait.
03:43 Alors on va vous balander dans différentes prisons, alors que vous espérez en permanence qu'il va y avoir une solution d'une façon ou d'une autre,
03:50 et que vous ne resterez pas quatre ans en prison là-bas.
03:53 Quelles ont été vos conditions de détention ?
03:55 Qu'avez-vous vécu ?
03:56 Alors dans la première prison dans laquelle j'ai été, c'était absolument...
04:02 Je découvrais cet univers.
04:03 Je n'avais jamais été confronté à des terroristes, des violeurs d'enfants, des trafiquants d'hommes, des trafiquants d'armes.
04:11 Et j'étais complètement... Je me dis "mais c'est pas possible, je suis dans un film, ou dans un cauchemar".
04:15 Je me réveillais.
04:16 Et en fait, plus le temps passe, plus je me dis "non, non, c'est bien ma réalité".
04:21 C'est bien qu'après mon agression, j'ai commencé à dormir avec un couteau sous mon oreiller.
04:27 Et à partir de ce moment-là, je me disais "mais c'est juste pas possible".
04:33 Alors vous avez vécu quelque chose d'épouvantable, c'est que vous avez été bouillanté par un des garçons qui vivait avec vous dans votre prison.
04:40 Oui. Alors il venait à peine de rentrer dans la cellule.
04:45 On était entre 50 et 60 personnes dans chaque cellule.
04:48 Au cri de Alah Akbar.
04:49 Au cri de Alah Akbar.
04:52 Il sait que vous êtes juif ?
04:53 Il a dû savoir par l'un des co-détenus qui ont dû lui dire.
04:57 Avec un nom tel que le mien, quand vous êtes avec beaucoup de Maghrébins, vous n'avez pas besoin de mentionner que vous êtes juif.
05:04 Ils le savent.
05:05 Et donc les nouvelles vont vite en prison.
05:09 Et donc deux jours après son arrivée dans la cellule, un matin, il me met bouillante avec cette...
05:17 Il avait une carafe d'eau bouillante, une bouilloire, il me la jette dessus en criant "Ah voilà".
05:25 Vous avez cru mourir dans ces différentes prisons et dans ces différents lieux ?
05:28 De souffrance peut-être d'ailleurs, tout simplement.
05:32 On passe par tellement d'émotions, la tristesse, l'incompréhension, la rage, le pourquoi, la résignation.
05:41 Mais j'ai cru mourir plusieurs fois.
05:45 Mais aussi, je me disais il faut que je tienne parce qu'il y a mon frère dehors qui se bat comme personne.
05:52 Et ça, ça me portait quelque part.
05:53 En tout cas, votre frère et l'avocate Karl Motton menaient un combat hallucinant pour vous sauver.
05:58 Comment allez-vous aujourd'hui ?
06:00 Bien mieux.
06:02 La reconstruction est quand même difficile, mais je vais quand même bien mieux.
06:05 Je n'ai plus peur pour mes jours.
06:07 Merci beaucoup Fabien Azoulay d'avoir été avec nous.
06:09 [SILENCE]