« L’expression « Le grand soir » - La Chronique linguiste de Laélia Veron
Dans le titre « Le Grand dimanche soir » se cache une expression révolutionnaire : « Le Grand Soir » :, celui de la Révolution. L’expression cristallise, au tournant XIXe-XXe, l’imaginaire anarchiste et la peur de la classe bourgeoise…. Référence : l’historienne Aurélie Carrier.
Retrouvez toutes les chroniques linguistes de Laélia Veron dans « Le grand dimanche soir » sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-linguiste-de-laelia-veron
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Transcript
00:00 - C'est un testo avec nous, avec ce jeu, on a créé de l'espace de cerveau disponible, Fred, vous voyez, pour y mettre à présent peut-être un peu de savoir.
00:07 Et là, Elia Veyron, elle est linguiste et stylisticienne du Grand Dimanche Soir.
00:12 Et là, Elia, quand vous êtes parmi nous, vous vous penchez sur des paniques culturelles.
00:17 - Oui, merci, Charline. Alors, quand on parle de panique culturelle, aujourd'hui, on parle souvent de paniques qui vont monter en épingle des éléments marginaux.
00:26 Mais il y a eu dans l'histoire des peurs profondes et concrètes de la classe bourgeoise, et notamment la peur d'un moment de la journée.
00:32 La peur du soir, la peur du Grand Soir.
00:35 Parce que le Grand Soir, c'est une expression métaphorique qui renvoie à la fin du vieux monde capitaliste.
00:40 Après avoir bien bataillé durant la journée, on arrive au Grand Soir de la victoire de la Révolution.
00:46 Alors, est-ce que vous aviez vu qu'il y avait une petite référence révolutionnaire blottie dans le titre de l'émission, le public, vous l'aviez vu ?
00:52 - Ah, c'est ça !
00:55 - Ah, c'est plus ce que c'était, hein ! Tout le monde n'a pas répondu.
00:57 Bon, l'expression "le Grand Soir" s'est popularisée à la fin du XIXe siècle, au moment de la montée en puissance du mouvement ouvrier,
01:03 avec les grèves, les manifestations, mais aussi des attentats comme ceux de l'organisation anarchiste, la Bande Noire.
01:10 On aurait retrouvé dans leurs papiers cette mention du "Grand Soir", et l'expression est reprise avec terreur par Albert Bataille,
01:17 le chroniqueur judiciaire d'un journal, quel journal ?
01:20 - Le Figaro ! - Mais le Figaro, bien sûr !
01:22 - C'était facile.
01:24 - Le Grand Soir, comme l'a montré l'historienne Aurélie Carrier, est une expression qui va à la fois porter l'imaginaire anarchiste
01:29 et cristalliser la panique de la classe bourgeoise, qui a bien failli craquer.
01:33 Mais au fur et à mesure que les années passent, et qu'on croit de moins en moins à la révolution,
01:38 l'expression est employée de manière de plus en plus désabusée.
01:41 Par exemple, dans la chanson des Restos, les Restos du Coeur, Goldman oppose l'idée de Grand Soir,
01:46 qui est rangée du côté du baratin et de l'idéologie, je cite, à celle de charité.
01:50 "Je te promets pas le Grand Soir, mais juste à manger et à boire."
01:53 Et nous alors ? Et le titre de l'émission ? Ce titre, le Grand Dimanche Soir, mélange deux types de discours aux registres différents.
02:00 Un registre conventionnel, qui renvoie aux émissions politiques traditionnelles du dimanche,
02:04 Charlie en avait parlé la semaine dernière, Dimanche en politique ou le Grand Jury,
02:08 et un registre moins conventionnel, le Grand Soir.
02:11 C'est le principe de l'ironie, qui ne se réduit pas à l'antiphrase, au fait de dire l'inverse de ce qu'on pense,
02:16 mais qui joue sur le fait de dire sans dire vraiment, ou en disant autre chose en même temps.
02:22 Ça crée un discours qui peut toujours nous échapper.
02:24 Tu entends le Grand Dimanche Soir, tu penses à Anne Sinclair ou même à Michel Drucker,
02:28 et tu te retrouves avec Charline et avec l'anarchiste Ravachol.
02:31 Pour finir, ce qu'on peut se demander à propos de cette ironie de notre titre, le Grand Soir,
02:36 c'est si elle va contribuer à la folklorisation assez inoffensive de l'imaginaire révolutionnaire,
02:42 ou si elle va planter une graine de satire qui peut mettre le feu aux poudres, à vous de le dire.
02:46 Laélia Véran, merci Laélia.
02:49 Merci beaucoup.
02:51 (Applaudissements)