• l’année dernière
Retour sur l’histoire du mot « progrès » et sur la manière dont il a été mobilisé et contesté politiquement à l’aide d’autres mots comme « décroissance ». Référence : François Jarrige, « On arrête (parfois) le progrès »

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Amusant
Transcription
00:00 encore classe. Et le mercredi, c'est le langage. Car le langage c'est politique.
00:06 Vous savez, il faut parfois pouvoir lire entre les lignes. Il faut parfois lire entre les
00:11 signes aussi. Donc on salue l'Académie d'Orléans qui nous prête régulièrement le mercredi
00:16 Léa Eliaverron, maîtresse de conférence, linguiste, je vous en prie, prenez le micro.
00:22 C'est tellement la petite qu'elle déroule tout le CV. C'est vraiment pour nous mettre un vernis France Culture au cas où il faudrait faire un virage à l'étage du dessous.
00:32 Allez on y va. Merci Charline. Alors, nous vivons une période apaisée, le journal nous l'a rappelé.
00:37 Nous sommes dans les 100 jours d'apaisement annoncés par Macron. Vous aviez oublié non ?
00:41 Est-ce que vous vous rappelez aussi le mot d'ordre qu'il avait annoncé pour ces 100 jours ?
00:46 Personne n'écoute notre bon président ici alors que c'est dans la loi.
00:49 Je ne suis pas Macron parce qu'il est beaucoup trop intelligent pour moi en particulier.
00:52 Rappelez-le-nous, c'était travail, ordre, progrès. Il existe d'ailleurs un parti gouvernemental, Territoire de Progrès, et sur le site de ce parti, vous trouverez une petite vidéo dans laquelle Olivier Dussopt répète non-stop le mot progrès.
01:05 Le progrès, le progrès économique, le progrès social, le progrès technologique ou encore le progrès scientifique.
01:10 Pourtant cette idée de progrès n'est pas donnée pour tout le monde. Le pouvoir est de défendre l'idée d'un progrès qui bénéficie à chacune et à chacun. C'est la raison d'être du Territoire de Progrès.
01:17 Moi ça m'angoisse un peu tous ces progrès donc on va se détendre.
01:20 Personne n'a craqué, personne n'a craqué.
01:23 Voilà, ça va mieux. Et je vous propose de revenir sur l'histoire du mot progrès et de ses mobilisations politiques de gauche et de droite peut-être.
01:29 Alors, progrès signifiait originalement mouvement en avant et il a d'abord été lié au domaine militaire, c'est conquérir un terrain.
01:35 Puis il a désigné l'accroissement, l'amélioration d'un phénomène. Et à partir du 19ème siècle, il a fortement été lié à l'accroissement, à l'expansion de la production industrielle.
01:44 Et de là, on peut pointer plusieurs ambiguïtés du mot.
01:47 Tout d'abord, progrès a une forte connotation positive. Progresser c'est bien, c'est aller vers le mieux.
01:52 Et ensuite, il a pris un caractère assez inéluctable. C'est le sens de l'expression qui est apparu fin 19ème.
01:57 On n'arrête pas le progrès. De toute façon, il faut bien aller de l'avant, c'est le progrès.
02:01 Et cette idée d'un progrès en marche s'est imposée et très présente de nos jours.
02:05 On le voit par exemple dans le nom de certaines créations techniques.
02:08 L'iPhone 14 après l'iPhone 13, la 5G après la 4G et avant la 6G. Il y a eu un avant, il y aura un après.
02:15 On va forcément continuer à progresser et ça peut se chiffrer.
02:18 Mais ce que montre l'historien François Jarif dans un livre qui s'appelle "On arrête parfois le progrès",
02:23 c'est qu'on peut contester cette vision du progrès comme positif, linéaire, inéluctable.
02:28 Et ces contestations existent depuis longtemps, mais elles se sont développées dans la vie politique européenne,
02:33 surtout depuis les années 1970, et elles se sont cristallisées autour de nouveaux mots politiques.
02:39 Est-ce que vous voyez lesquels un mot important dans l'écologie pour contester cette vision chiffrée du progrès ?
02:44 La décroissance.
02:45 La décroissance, tout à fait.
02:46 Devenue titre d'une revue édité depuis 2004.
02:49 Et c'était pensé, comme le disait François Jarif, comme un mot obus, un mot provocateur
02:54 qui devait servir à dévoiler les impensées du terme de progrès ou de croissance,
02:58 la croissance étant souvent vue comme la quantification du progrès.
03:01 Mais le mot décroissance, lui aussi, a été critiqué parce qu'il n'arrivait pas totalement à éradiquer
03:06 sa propre connotation négative avec l'idée de régression, le préfixe privatif des décroissances.
03:12 Aujourd'hui, il me semble que la bataille sémantique passe dans la manière de nommer la position de l'autre par rapport au progrès.
03:18 Macron avait cherché à ridiculiser les opposants à la 5G en les traitant d'amis,
03:22 qui voulait s'éclairer à l'Empaulil.
03:24 On entend même parler d'Ayatollah Verse ces temps-ci.
03:26 Et dans le camp adverse, celles et ceux qui contestent ces innovations techniques parlent d'excès, de surconsommation, de surproduction.
03:33 Mais l'enjeu majeur est peut-être de se demander de quel progrès on parle.
03:37 On a tendance depuis le 19e siècle à corréler le progrès technique à tous les autres progrès.
03:42 Mais un progrès dans un domaine peut être un recul dans un autre.
03:45 Un progrès technique, c'est l'exemple le plus évident, peut être une régression environnementale ou sociale.
03:49 De même, un progrès pour certains n'est pas forcément un progrès pour tous.
03:53 Et le progrès d'Olivier Dussopt n'est pas forcément le nôtre.
03:56 Laëlia Veyron, merci chère Laëlia.
03:59 On vous retrouve aussi sur Twitter, vous êtes très très active.
04:03 Ou elle progresse.
04:04 Ou elle progresse.
04:05 En tout cas, vous excellez.
04:07 Surtout quand je partage les vidéos d'Alex Vizorek.
04:10 Qu'est-ce qu'on apprend des choses dans cette émission, c'est incroyable.
04:13 Le mercredi, c'est vraiment le jour de l'apprentissage.

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