En français, on peut exprimer la tendresse ou la familiarité par l’intonation, le choix des mots, les suffixes, la réduplication… Mais selon les contextes, la familiarité peut devenir infantilisante et se transformer en enjeu de pouvoir. Référence : M. Plénat
Retrouvez toutes les chroniques linguistes de Laélia Veron dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-linguiste-de-laelia-veron
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AmusantTranscription
00:00 et une linguiste atterrée est parmi nous. Elle co-signe le tract Gallimard des linguistes
00:06 atterrées. D'ailleurs on en parlera demain. L'un d'eux sera invité à vos côtés.
00:10 C'est aussi une stylisticienne atterrée dont la plume reste néanmoins aérienne.
00:15 Oh putain, c'est beau comme du Bruno Le Maire. Tout ça pour vous lancer ma chère Laëlia Veyron.
00:20 Merci Charline. Aujourd'hui je vais vous parler de tendresse, de tout ce qu'en linguistique on
00:24 désigne par un mot en hypo mais pas hypolyte, pas... Qu'est-ce que t'avais dit ?
00:28 Hypoglycémie. Mais comme hypochoristique. Ça vient du grec "hypokoristikos" qui signifie
00:34 caressant. Arrête de rire. Ça désigne tout ce qui signifie une intention tendre,
00:38 une familiarité affectueuse. Comment est-ce qu'on exprime l'affection en français ? Ça peut passer
00:43 tout simplement par l'intonation et Juliette est spécialiste. Oh voilà, elle le fait tellement bien.
00:49 Mais nous avons énormément de ressources lexicales. Nous avons les mots doux bien entendu, on transforme
00:54 souvent les noms d'animaux en noms caressants. Mon chat, ma caille, mon grand loup, ça fait un peu
01:00 19e siècle. Même un nom de légume peut être affectueux. Mon chou. Et en réalité vous prenez
01:05 n'importe quel mot, tant que vous ajoutez le possessif et l'intonation ça peut devenir un mot doux.
01:10 Regardez Douli qui vous appelle "mes petits culs" par exemple. Après "mon navet" ça le fait moins.
01:14 Ah si, mon petit navet. Je suis sûre ici, je suis sûre que vous avez vos petits noms persos.
01:20 Je suis sûre, par exemple je sais pas, ma petite symphonie, ma grosse raclette.
01:26 Vous vous ferez rire ? Non.
01:28 Mais la créativité lexicale hypochoristique ne s'arrête pas au choix du mot. On a aussi ce qu'on appelle la réduplication.
01:35 Réduplication ça veut dire répétition. Et en français ce qui est assez fou c'est que le simple fait de répéter
01:40 une syllabe sans rien ajouter, ça change la signification du mot. Par exemple "fifille"
01:45 apostrophe affectueuse, plutôt que "fille guéguerre", c'est plus petit, ça amoindrit la portée du mot "guerre".
01:50 Oh une petite guéguerre. La valeur affectueuse de la réduplication elle est très présente aussi dans les surnoms.
01:55 Ça a été étudié en linguistique par Marc Plenat. Chacha pour Charline, Juju peut-être, pour vous deux.
02:00 Donc pour exprimer la tendresse on a l'intonation, le choix des mots, la réduplication, mais aussi l'ajout de suffixes.
02:06 Vous savez ce qui est rajouté à la fin du mot. Ça fonctionne très très bien pour marquer son rapport à l'autre.
02:11 Il y a des suffixes en français qui ont une connotation négative, vous voyez lesquels ?
02:15 Par exemple en "-as", "blonde" c'est neutre, "blondasse" c'est moins neutre.
02:18 "Vinasse", "gauchiasse", on l'entend beaucoup, "journalope", ça fait pas sympa en tout cas.
02:27 Les suffixes mélioratifs eux vont souvent exprimer l'affection par l'idée de diminution de petitesse.
02:32 C'est les suffixes en "-ette", "-serette", "-choupinette", "-charlinette", "-bichette", comme dit souvent Juliette.
02:36 Mais est-ce que ça marche à tous les coups ? Est-ce que ces mots vont toujours exprimer une familiarité affectueuse ?
02:42 Et non car tout dépend, comme souvent, du contexte de qui le dit, de qui le reçoit.
02:46 Si vous jouez avec votre chien dans un parc et qu'un inconnu vous dit "alors on lance la baballe pour le chien-chien",
02:51 vous allez vous dire "mais qu'est-ce qu'il me veut celui-là, pourquoi il me parle comme si j'avais deux ans ?"
02:55 Et c'est le problème de la familiarité.
02:57 Suivant le contexte et les relations entre interlocuteurs et interlocutrices, elle peut devenir infantilisante.
03:02 Surtout quand elle n'est pas réciproque. C'est quelque chose qu'on connaît bien les filles, les filles-filles.
03:06 Être appelée "ma petite", par exemple, dans un contexte professionnel, ça peut être plus crispant que caressant.
03:11 Si Ramzy, notre rédac' chef, m'accueillait en me disant "alors ma petite, on a préparé sa crocro",
03:17 je ne le prendrais pas très bien. Mais Ramzy ne ferait pas ça, il va plutôt dire "pas trop longue ta chronique".
03:21 Bisous Ramzy.
03:22 L'emploi des formes hypocoristiques peut donc être aussi bien une forme d'affection qu'une forme de prise de pouvoir sur l'autre
03:27 ou de contestation du pouvoir de l'autre.
03:29 Quand Charline vous alliez avec Guillaume dans la matinale interpellé par exemple Gérald Darmanin en la plan GG,
03:35 vous imposiez une familiarité dans un cadre inattendu.
03:38 Ca fait partie de la démystification de la figure du ministre par l'humour politique.
03:42 Une sorte de petit retour au réel.
03:44 Tout ça nous montre à quel point un mot, ou en l'occurrence même un suffixe, une intonation, une syllabe,
03:48 a des potentialités qui peuvent toujours être réactualisées suivant les contextes.
03:52 Et c'est pour ça que le discours reste un lieu de négociation permanente,
03:56 que ce soit vers la tendresse ou vers la lutte.
03:58 Là, Elia Veyron, merci.
04:00 Alors si je puis me permettre, je pense qu'il existe des suffixes dialectiques.
04:03 Parce que par exemple, à Bruxelles, on ajoute "e que" pour dire la tendresse et le petit.
04:09 Par exemple Juliette, comme j'aime bien Juliette, je dis Juliette que.
04:13 Vous voyez ?
04:13 Tout à fait.
04:14 Alors c'est bien.
04:15 Et après...
04:16 Alors que vous, elle en a pas pour vous.
04:17 Non c'est pas ça.
04:18 Elle en a pour moi.
04:20 Parfois c'est difficile, c'est moins heureux à prononcer.
04:23 La Elia, la Elia que.
04:25 C'est parce que ça finit par une voyelle.
04:26 Donc comme le suffixe commence par une voyelle, c'est plus difficile de faire la jonction.
04:30 C'est comme les réduplications, ça marche pas à tous les coups.
04:32 Chacha, Juju, mais Maman, Marina, pour Rich.
04:35 C'est pas si quelqu'un dit ça.
04:36 Et Marina e que, ça marche moins bien.
04:38 C'est bizarre.
04:39 Marina que, ouais.
04:40 On enlève le A.
04:41 Voilà.
04:42 Allez, allez, allez.
04:43 Ça y est, là vraiment, on fait n'importe quoi.
04:45 Et pourquoi pas l'écriture inclusive ?
04:47 On en parlera demain, on en parlera demain, bien sûr.
04:50 Merci beaucoup, la Elia Veyron.
04:51 Je profite de parler de Bruxelles.