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L’opposition rhétorique entre l’ordre et le désordre est une opposition traditionnelle. Mais qui la mobilise, et dans quelle perspective ? Quelles sont alors les définitions de ces mots ? Référence : la sociologue Danièle Linhart.

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Amusant
Transcription
00:00 docteur. Docteur, alors c'est la linguistique, la stylistique, maîtresse de conférences à l'université d'Orléans.
00:05 Laëlia Véron, je pense que l'actualité vous fournit un magnifique sujet aujourd'hui, on vous écoute.
00:10 Oui merci Charline, je voulais vous parler de l'opposition
00:12 ordre-désordre, une opposition rhétorique traditionnelle en politique avec le gouvernement qui se pose en garant de l'ordre
00:19 et qui accuse l'opposition de faire du désordre.
00:22 C'est pas nouveau, on la voit souvent cette opposition, on peut se rappeler de De Gaulle contre la Chianlie par exemple.
00:26 Et Macron lui a déclaré en Conseil des ministres à propos de la France insoumise, je cite
00:31 "ils veulent saper nos institutions et délégitimer les tenants de l'ordre responsable,
00:35 puis en face il y a nous, nous serons le dernier rempart face à la violence et à l'anarchie".
00:40 Donc là vous avez une belle image épique de la France comme ville fortifiée à défendre avec les deux camps face à face,
00:45 les attaquants qui veulent tout détruire, donc le camp du désordre, contre les gouvernants qui protègent le camp de l'ordre.
00:51 Et Macron a insisté, il a répété cette opposition dans son discours sur le plan haut en opposant, je cite
00:57 "l'ordre raisonnable aux violences qui risquerait de nous faire revenir à l'état de nature".
01:01 Alors là il y a une petite référence, est-ce que vous la voyez l'état de nature ?
01:04 Il est cultivé notre président Rousseau.
01:07 Alors en l'occurrence Hobbes, Rousseau il va trouver ça très bien l'état de nature,
01:10 donc Hobbes c'est l'idée que l'état de nature est un état de violence dans lequel tout le monde s'entre-déchire,
01:15 l'homme est un loup pour l'homme et pour dépasser ça on a besoin d'un état au sens institutionnel du terme,
01:20 d'un ordre étatique qui pour Hobbes sera toujours meilleur quel qu'il soit que l'état de nature.
01:24 Donc c'est vraiment l'image de l'ordre.
01:26 Face à cette rhétorique, pour les opposants, deux stratégies possibles.
01:30 Première stratégie c'est essayer de revendiquer le désordre,
01:33 de retourner la connotation négative des mots qui expriment le désordre en connotation positive.
01:38 C'est ce que fait le slogan par exemple "tout cramé devient vital"
01:40 qui va associer la destruction au désordre, non pas à la mort mais à la vie.
01:44 Et est-ce que vous connaissez le détournement toto de la chanson "Vive le vin" ?
01:48 Le détournement quoi ?
01:50 En mode toto, c'est comme on appelle les totos en manif en mode gaucho.
01:53 C'est "Vive le vin, vive le vin, vive le vandalisme"
01:57 Voilà joli !
01:59 Je vous apprends des slogans et des petites chansons.
02:02 Alors question, cette revendication du désordre, est-ce que c'est une stratégie efficace ?
02:06 L'idée c'est de susciter l'adhésion et la ridiculisation,
02:09 mais ça peut aussi susciter soit la peur, soit le discrédit,
02:12 ça dépend à quel point le désordre a été concret ou pas généralement.
02:16 Autre stratégie possible, retourner l'accusation de désordre.
02:19 Libération a titré récemment "Macron, son désordre, nos idées".
02:23 On retrouve l'idée de camp face à face, mais cette fois-ci le désordre du côté de Macron
02:28 et les idées, donc la construction, pour ses opposants.
02:31 Et c'est aussi la rhétorique mobilisée par les politiques Aurélien Pradié ou Ruffin
02:35 qui accusent tous deux Macron d'être l'homme du désordre, du désordre social,
02:39 disait Ruffin, alors qu'il y aurait tant à construire l'école, l'écologie.
02:42 Donc dire que Macron incarne le désordre, c'est l'accuser d'attiser le climat de violence
02:47 pour ensuite se poser en rassembleur, c'est ce que dit Ruffin avec son image du pompier épiromane
02:51 et c'est aussi ce que vous disiez Charline dans un de vos billets, si j'ai bien écouté,
02:54 Macron président du chaos.
02:56 Mais on peut peut-être se demander si cette question du désordre, ce n'est pas une simple stratégie ponctuelle,
03:01 mais plus fondamentalement le principe même du néolibéralisme,
03:05 casser l'ordre, compris cette fois comme des cadres qui permettent une certaine sécurité,
03:09 donc une certaine capacité à construire, à se projeter, pour aboutir à une précarisation.
03:14 Au travail, c'est une expérience que beaucoup vivent, qui a été étudiée notamment par la sociologue Danielle Linhart,
03:19 subir des réformes permanentes, ça crée de l'instabilité, de l'incertitude et donc du désordre.
03:25 Mais dans la rhétorique néolibérale, ces cadres-là qui sont détruits ne vont pas être présentés comme de l'ordre,
03:30 mais comme des freins.
03:31 Et l'instabilité ne va pas être présentée comme du désordre, mais comme une possibilité de liberté de création.
03:36 Donc on retrouve toujours ces mêmes oppositions conceptuelles, mais inversées,
03:40 suivant les positionnements politiques de chacun, l'ordre, le désordre, la contrainte, la liberté.
03:44 Et pour finir, je voudrais vous rappeler un slogan anarchiste qui revendique l'ordre,
03:49 qui revendique l'ordre et non pas le zbeul, est-ce que vous le connaissez ? Non ?
03:52 C'est "l'anarchie, c'est l'ordre, moins le pouvoir".
03:55 Actuellement, on a plutôt l'impression d'avoir le pouvoir, moins l'ordre.
03:59 - Laëlia Veyron, merci pour cette géante démonstration !
04:02 Nous restons quoi ? Nous restons quoi ?
04:06 Merci Laëlia ! Vous pouvez baladodiffuser, partager bien sûr cette chronique sur l'ordre et le désordre.
04:12 Et le désordre n'est pas forcément négatif donc...
04:14 - Bah non, c'est justement ça. Comme d'habitude, ça peut toujours être retourné.

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