En France on associe le corps mince au corps de la réussite...
Retrouvez toutes les chroniques de Marie Misset dans « Jusqu'ici tout va bien » sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/
Retrouvez toutes les chroniques de Marie Misset dans « Jusqu'ici tout va bien » sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/
Category
😹
AmusantTranscription
00:00 Pourquoi les gros sont nuls ? Alors pour y répondre à cette question, nous sommes avec
00:04 Aline Thomas, fondatrice de l'association La Grosse Asso et réalisatrice du documentaire
00:08 Grosse, le poids de la réussite, où sont interviewées une petite dizaine d'artistes
00:12 obèses qui sont sortis de l'invisibilisation en dépit de toutes les statistiques.
00:16 C'est des artistes formidables, des artistes de talent, des artistes humains, des personnes
00:18 drôles.
00:19 Voilà, donc il y a Marine Bousson dedans.
00:20 Je disais plus ou moins pour ça, mais merci, ça fait plaisir.
00:23 Bonjour Aline.
00:24 Bonjour.
00:25 Aline, déjà quand on dit les gros sont nuls, on parle de qui ? C'est qui les gros dans
00:28 cette histoire ?
00:29 Les gros, on va dire que selon leur IMC, ce sont toutes les personnes qui ont un IMC
00:35 supérieur à 25, c'est-à-dire environ 8 millions de personnes en France.
00:40 Et à quel niveau s'exprime cette nulité ? Est-ce que c'est au niveau scolaire, à
00:44 l'embauche, selon les promotions au travail ?
00:47 Alors déjà, spoiler alert, les gros ne sont pas nuls.
00:49 Je commence par ça quand même.
00:51 Les gros ne sont pas nuls.
00:53 J'ai été nulle plein de fois dans ma vie, mais ça n'a rien à voir avec le fait que
00:55 je sois grosse.
00:56 En revanche, je l'ai cru très longtemps, parce qu'en France, on associe le corps
01:02 mince au corps de la réussite.
01:04 Et donc, dès qu'on a un corps plus gros que la moyenne, ou en tout cas plus gros que
01:09 le standard, on est considéré comme non-volontaire, non-performant, incapable de gérer ses émotions,
01:18 et donc forcément pas performant pour la société.
01:20 Donc c'est comme si notre corps gros était une accumulation de mauvais choix, au vu de
01:25 tous.
01:26 En tout cas, il y a des statistiques.
01:27 On va écouter un extrait de votre documentaire "Grosse, le poids de la réussite", Aline
01:31 Thomas.
01:32 Plus vos contours sont larges, et plus vous disparaissez aux yeux de la société.
01:35 Pendant de longues années, j'ai accepté de me conformer à une société qui tolère
01:41 que les femmes grosses aient huit fois moins de chances d'être embauchées.
01:44 Une société où les professeurs sont moins exigeants avec les enfants en surpoids.
01:51 Une société où, indépendamment des origines sociales, les gros ont moins de chances d'obtenir
01:57 un diplôme universitaire.
01:58 Une société où une personne sur cinq préfère souffrir de dépression plutôt que d'être
02:04 obèse.
02:05 C'est par exemple un des vrais chiffres, la phrase qui dit que les professeurs sont moins
02:11 exigeants avec des enfants qui sont en surpoids.
02:13 Oui, les professeurs sont moins exigeants avec les enfants qui sont en surpoids.
02:16 Alors, il faut que j'explique ce chiffre.
02:18 En fait, on ne peut pas parler de grossophobie.
02:20 Le fait de stigmatiser les personnes grosses, ça s'appelle la grossophobie.
02:22 C'est une discrimination comme le racisme ou le sexisme ou l'homophobie.
02:26 Et on ne peut pas dissocier la grossophobie d'une discrimination sociale.
02:32 Il faut savoir que seuls 7% des gros sont cadres.
02:34 Et derrière cette discrimination des enfants gros, qui sont plus représentés dans les
02:39 catégories sociales populaires, on est moins exigeant avec les enfants qui sont issus de
02:47 catégories sociales populaires.
02:48 Donc en fait, les chiffres, il y a un double problème qui se retrouve ici.
02:53 Si je résume, on est un petit peu à la mi-temps de cette question qui fâche, pourquoi les
02:58 gros sont nuls ? Il y a 8 millions de personnes qui sont concernées, plus le reste du monde
03:02 qui pensent qu'elles sont nulles parce que la réussite est associée à la minceur.
03:06 Aline, vous parlez de discrimination, mais est-ce qu'il n'y a pas une réalité parfois
03:09 derrière les préjugés sur les problèmes de santé, le manque de volonté, un certain
03:13 laisser-aller ?
03:14 C'est marrant parce que dès qu'on parle de grossophobie, la première chose dont on
03:18 nous parle, c'est que dès qu'on lutte contre la grossophobie, c'est comme si on faisait
03:22 la promotion de l'obésité.
03:24 Personne ne fait la promotion de l'obésité, personne ne dit que c'est formidable d'être
03:29 gros et obèse.
03:30 Et forcément, il y a des obèses qui sont en mauvaise santé, il y a des obèses qui
03:32 sont en bonne santé.
03:33 En revanche, rien ne justifie qu'une personne soit discriminée.
03:37 Et en fait, on sait aujourd'hui que la discrimination, et en l'occurrence la discrimination médicale,
03:42 a des conséquences sur la santé des personnes.
03:44 Et c'est là-dessus qu'il faut vraiment travailler, je pense.
03:46 Et il n'y a pas de l'autocensure, parfois, chez une personne en surpoids, qui se dit
03:51 de toute façon "je suis une lutte", qui adopte les préjugés qu'on a sur elle ?
03:54 Bien sûr, parce qu'à partir du moment où on est conditionné, dès l'enfance,
03:57 à croire qu'on a un corps de l'échec et qu'on est incapable, évidemment qu'il
04:01 y a des endroits auxquels on n'essaie même pas d'accéder.
04:05 Il y a vraiment un plafond noir grossophobe.
04:07 De grossophobie internalisée, parfois aussi ?
04:10 De grossophobie intériorisée, évidemment.
04:12 Quand quelqu'un représente un gros ou une grosse qui réussit, notamment dans le monde
04:15 anglo-saxon, je pense à Adele ou à l'actrice australienne Rebel Wilson qu'on a pu voir
04:18 dans plusieurs films, on leur en veut quand ils maigrissent.
04:21 C'est réel, Adele, quand elle a maigri, il y a eu vraiment des mouvements de haine
04:26 à son encontre.
04:27 Est-ce qu'il n'y a pas aussi la peur d'être trop visible, finalement, pour ceux qui réussissent,
04:30 de devenir des étendards malgré eux ?
04:32 Il y a peut-être ça, mais je pense aussi qu'à partir du moment où on considère
04:38 qu'être grosse, c'est être en échec, dès qu'on réussit, on n'a plus envie
04:41 qu'on nous traite du gros de service.
04:43 Et puis très souvent, les personnes qui réussissent et qui maigrissent, on leur en veut parce
04:47 qu'il y a tellement peu de représentations de personnes grosses en réussite qu'on
04:51 a besoin de voir un chemin.
04:54 Là où il y a une image, là où il y a une réussite, il y a un chemin, en fait.
04:58 Justement, dans votre documentaire, il y a huit femmes grosses qui sont épanouies,
05:01 qui ont réussi.
05:02 C'est quoi les clés derrière les témoignages que vous avez réunis ?
05:05 Les clés, je pense que déjà, chacune a fait un travail immense sur elle-même.
05:11 C'est-à-dire prendre conscience de sa grossophobie intériorisée, réfléchir à comment on a
05:15 grandi, ce qui nous a structurés, conditionnés.
05:22 Et puis ensuite, c'est une volonté de faire.
05:25 Pour la majorité, elles ont un rêve, on avait un rêve, on a voulu accéder à notre
05:29 rêve.
05:30 Même si c'était un peu difficile, on est passé par le trou de souris.
05:33 Marine, une conclusion ?
05:34 Oui, pourquoi les gros sont nuls ? En fait, pour moi, la conclusion, c'est que ce n'est
05:37 pas les gros qui sont nuls, c'est le regard que pose la société sur les gros qui est
05:41 nul, en les dévalorisant et en leur favorisant le manque de confiance qu'ils ont en eux.
05:45 Je vous donne un exemple concret.
05:46 À France Inter, ils ne m'ont pas fait confiance.
05:48 Ils se sont dit « Marine, juste pour la présentation ». Non, il faut qu'elle soit
05:51 toi.
05:52 Donc ils m'ont collé Maya et Marie.
05:53 En gros, s'il y a des gros qui nous écoutent, croyez en vos rêves.
05:56 Merci Aline Thomas d'être venue nous parler.
06:00 Retrouvez en podcast Tête, Question, Kiffa.
06:01 Je rappelle que vous êtes fondatrice de La Grosse Asso et l'autrice du documentaire
06:06 Grosse, le poids de la réussite.