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AmusantTranscription
00:00 Dans mon imaginaire, ça représentait vraiment une voie difficile et aventureuse.
00:06 Je m'imagine des lignes que j'aurais envie de grimper ou de parcourir.
00:09 En Rolling Stone, c'était vraiment le cas.
00:11 Bonjour Francis Métivier.
00:20 Bonjour.
00:23 Vous êtes docteur en philosophie, professeur au lycée et à l'université de Tours,
00:34 grand amateur de rock et créateur de Rock & Philo, des conférences-concerts où vous
00:38 expliquez des idées philosophiques par des morceaux de rock que vous interprétez sur
00:42 scène.
00:43 Je vous cite « Le message des pensées de Pascal et celui de « Smells like teen spirit
00:47 » de Nirvana sont semblables.
00:48 Le moi est haïssable.
00:50 Comme Together des Beatles n'est pas sans rappeler l'idée du rassemblement comme prémisse
00:53 du contrat social selon Rousseau ». La phrase que personnellement je n'avais jamais prononcée
00:57 auparavant.
00:58 D'abord, Francis Métivier, une question s'impose.
01:00 Comment vous avez eu l'idée de mêler philosophie et rock & roll ? Parce que pour moi, les
01:05 liens que vous faites ne sont pas du tout évidents et en même temps, ça m'intrigue
01:08 énormément.
01:09 Vous êtes professeur, je l'ai dit.
01:10 L'idée de base, c'était d'enseigner la philo différemment ?
01:12 Il y a eu deux étapes.
01:14 La première étape, c'était le lycée où je faisais du grec, où on traduisait des
01:18 textes de Platon.
01:19 J'écoutais beaucoup Dylan et les Beatles et pour moi, c'était les mêmes messages
01:22 dans des modes d'expression très différents mais la même contestation.
01:25 Et puis, la deuxième étape, ça a été un jour, il y a une quinzaine d'années, où
01:29 à 8h du matin, les élèves scientifiques du fond de la classe dormaient alors que
01:34 j'essayais de leur expliquer le scepticisme antique.
01:36 Je voulais les réveiller mais pas de façon trop brutale.
01:40 J'ai pensé au Stairway to Heaven de Led Zeppelin qui commence par un petit air de
01:44 flûte qui réveille gentiment et puis ça monte en puissance.
01:47 Ça devient ensuite le gros solo du guitariste.
01:50 C'est une chanson, si on regarde bien les textes, sur le scepticisme.
01:53 C'est un jeune homme qui cherche la vérité, qui cherche des signes dans la nature, voir
01:57 si les oiseaux ne délivrent pas un message.
02:00 Il ne trouve pas la vérité.
02:01 C'est le matérialisme qui finit par gagner mais cette recherche de la vérité un peu
02:07 innocente persiste.
02:08 Et les élèves du fond de la classe, d'un mètre 90, 120 kilos, s'étaient réveillés
02:14 grâce à Led Zeppelin et j'avais pu enfin leur expliquer le scepticisme antique.
02:18 A 9h05 ils étaient à nouveau rendormis mais ça avait marché pendant trois quarts d'heure.
02:24 Je me suis dit, autant systématiser la démarche, expliquer une idée philosophique par un morceau
02:30 rock ou pop.
02:31 - Et vous êtes devenu leur prof préféré j'imagine ?
02:33 - Ben ouais !
02:34 - Charles Diboulos, toutes les voix en montagne portent un nom.
02:39 La voix que vous avez empruntée début 2022 en solo s'appelle donc la Rolling Stones.
02:43 Elle a, je crois, été ouverte en 1979 par des alpinistes slovaks.
02:47 Alors je dis je crois mais bon je l'ai lue.
02:50 C'est marrant d'ailleurs qu'elle porte un nom de groupe de rock parce qu'on imagine
02:53 que là-haut c'est vraiment le silence absolu.
02:54 Mais il y a quoi comme bruit quand on grimpe ?
02:56 - Dans le massif du Mont Blanc, généralement il n'y a absolument aucun bruit.
03:01 Quand on grimpe on est dans le calme absolu à part le bruit de nos crampons sur le rocher
03:05 ou de nos piolets qui frottent la roche ou la glace.
03:08 Il y a très peu de bruit.
03:09 - Mais ça ne fait pas peur ce silence là ?
03:11 - En fait quand on est alpiniste il faut aimer le vide.
03:14 Donc le silence c'est le vide aussi.
03:17 Il faut accepter surtout quand on est en solo, il faut accepter qu'il n'y ait aucun bruit,
03:20 qu'on soit seul avec nous-mêmes et qu'il faille grimper pour aller au sommet.
03:24 - Et vous me disiez que vous écoutiez de la musique aussi.
03:25 - Et j'écoute de la musique de temps en temps.
03:27 C'est vrai que j'adore ça.
03:28 - Vous avez même précisé des trucs ringards.
03:30 C'est ce que vous avez précisé.
03:31 - Oui des trucs ringards, c'est vrai.
03:32 Absolument.
03:33 - Et on parlait des Rolling Stones.
03:34 Francis Smétivier, j'ai lu que dans ce titre.
03:36 * Extrait de la chanson "Give Me Shelter" de the Rolling Stones *
03:45 - Donc cette chanson c'est "Give Me Shelter" des Rolling Stones.
03:48 J'ai vu que vous y voyez des liens avec la vision qu'avait Diderot de la guerre et de la paix.
03:53 C'est-à-dire si vous pouviez parler au plus inculte de tous vos élèves, c'est-à-dire moi.
03:57 - D'accord.
03:58 Diderot dans son article de l'encyclopédie sur la guerre considère que la guerre, la
04:04 violence ne constitue pas la nature humaine.
04:06 Il se différencie de Hobbes ou de Freud pour qui l'homme est naturellement violent.
04:11 Mais pour Diderot, l'homme est foncièrement gentil.
04:14 Et la guerre est une expression de la dépravation causée par la société qui rend finalement
04:20 l'individu mauvais.
04:21 La guerre est un ensemble de crimes tout à fait artificiels qui sont l'expression d'une
04:29 dépravation.
04:30 Par rapport à ça, l'illustration de la chanson des Stones qui délivre un message assez identique
04:37 met en avant cette horreur très artificielle, très arbitraire et très injuste de la guerre
04:41 par des mots qui sont intenses.
04:43 Viol, crime, l'image de l'enfant qui se retrouve face à un fusil.
04:48 Et puis cet appel, "Gimme shelter", "donne-moi un refuge", "aide-moi à retrouver ma bonne
04:54 nature humaine", un petit peu à la Rousseau.
04:56 Le rock permet d'illustrer par l'exemple les idées générales des philosophes.
05:04 D'ailleurs, en parlant de rockers, c'est vraiment les rockers qui vous inspirent.
05:07 Vous avez écrit une tribune dans Libération à la mort de Johnny Hallyday en 2017.
05:11 Vous voyez dans son titre "L'envie d'avoir envie" un écho à la philosophie de Schopenhauer.
05:16 Oui, parce que Schopenhauer dit que plus on satisfait le désir et plus le désir s'amenuise.
05:21 On est blasé, on est lassé.
05:23 On a beau augmenter les doses, finalement on arrive toujours à une limite et on est
05:29 blasé.
05:30 La chanson de Johnny, je ne sais pas si Johnny a lu Schopenhauer, mais c'est l'idée que
05:35 c'est quelqu'un qui a trop joui, qui a trop vécu de satisfaction, qui est blasé de tout.
05:42 Il réclame d'avoir faim pour qu'ensuite on lui offre un festin.
05:45 Il réclame l'obscurité ou la pauvreté pour qu'ensuite il puisse apprécier le peu de
05:52 richesse qu'on peut avoir.
05:53 Ça me rappelle Edlinger qui disait finalement "en haut du sommet on apprécie les choses
05:57 simples, juste un sandwich ça suffit".
05:59 Donc c'est un peu ça, on peut associer finalement l'escalade à cette association rock et philosophie.
06:06 Si on cite, là il va y avoir le bac bientôt, si on cite dans sa copie du bac Johnny Hallyday
06:13 en disant "c'est comme Schopenhauer".
06:14 Vous pensez qu'on a des bonnes notes ?
06:15 Non, il ne faut pas dire que c'est comme Schopenhauer.
06:17 On peut au bac, et ça se fait depuis Rock'n'Feel, on peut vraiment citer les Pixies, "Where
06:27 is my mind" pour illustrer la question du doute chez Descartes.
06:30 Ça matche assez bien.
06:32 C'est habituel en philosophie de prendre des œuvres d'art pour illustrer des idées.
06:37 Sauf que là l'œuvre d'art dont on se sert c'est une chanson rock ou une chanson pop.
06:42 Charles Duboulos, Clovis Paulin, avec qui vous avez gravi en 2023 les Grandes Jaurasses
06:47 dans les Alpes après 5 jours d'efforts, en plein hiver, pour ceux qui ne connaissent
06:50 pas c'est quand même très difficile, il a déclaré "Il n'y a pas un instant où tu ne
06:54 fais rien, cette cordée c'est comme un groupe de rock, on marche ensemble, chacun amène
06:58 sa force, sa compétence".
06:59 Vous êtes d'accord avec lui ? Quand on grimpe ensemble il faut accorder son rythme à celui
07:03 des autres, on devient forcément dépendant ?
07:04 C'est très symbolique, mais à partir du moment où on s'encorde avec quelqu'un, que ce soit
07:10 un compagnon de cordée très fort de notre niveau qui s'est entraîné toute l'année
07:13 ou par exemple en tant que guideau de montagne, un client qui pourrait être néophyte avec
07:17 qui on va faire une marche sur le glacier, on est complètement dépendant l'un de l'autre.
07:21 Et en fait, l'un sans l'autre, on n'est finalement rien.
07:24 C'est-à-dire que moi si je marche avec un client, même s'il est beaucoup moins fort
07:26 que moi sur un glacier et que je tombe dans une crevasse, mon client dans tous les cas
07:30 va me retenir parce qu'on est encordé, on est encordé loin, il se passe ce lien-là.
07:34 Donc en fait il a complètement raison Clovis, on est obligé de donner le meilleur de nous-mêmes
07:39 pour donner le meilleur de la cordée.
07:40 Ça, ça fait aucun doute.
07:42 C'est assez fort de s'encorder avec quelqu'un en montagne.
07:45 Et enfin, Francis Métivier, vous êtes un prof de philo qui fait du rock ou un rockeur philosophe ?
07:49 Les deux.
07:50 Mais ça dépend des périodes.
07:52 En ce moment, c'est plutôt la musique.
07:54 La philo, je l'enseigne.
07:55 On arrive à la fin de l'année, je suis un peu en roue libre.
07:58 Il faut que je reprenne, je vais commencer un livre cet été.
08:01 Mais là, je suis d'abord musicien en ce moment.
08:04 En tout cas, merci à vous de nous avoir initiés au rock philosophique.
08:07 Votre Rock'n Philo existe donc en livre et c'est aux éditions Gélue.
08:11 Merci beaucoup.