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Transcription
00:00 Thomas Hill.
00:02 Bonjour Yvan Jablonka.
00:04 On est très heureux de vous recevoir dans Culture Média sur Europe 1
00:07 pour cette passionnante enquête musicale, historique et sociologique
00:12 sur le mythe Jean-Jacques Goldman,
00:14 un livre que vous ouvrez sur un moment de télé.
00:17 Nous, ça nous intéresse toujours.
00:19 Ici, nous sommes le 6 mars 1982.
00:21 L'émission s'appelle "Champs-Elysées" animée par un certain Michel Drucker.
00:25 C'est un fils de la chanson française et du rock'n'roll,
00:28 Monsieur Jean-Jacques Goldman.
00:30 Problème, problème, problème.
00:42 Oui, il faut revenir sur moi. Dans ces cas-là, je suis habitué.
00:44 L'autre jour, vous savez, Isabel Depardieu.
00:46 Je suis là. Il y a un petit problème.
00:48 Il faut me faire signe. Je ne suis pas dans la lumière.
00:50 Ça ne fait rien. La prochaine fois, je la mettrai dans ma lampe de poche.
00:53 Quelle est la bonne caméra ? C'est là.
00:55 Il y a un petit problème. Oui, il y a un petit problème.
00:57 Qu'est-ce qu'on fait dans ces cas-là ?
00:59 Qu'est-ce qu'on fait ?
01:01 Qu'est-ce qu'on fait dans ces cas-là ? On meuble.
01:03 C'est ce que fait Michel Drucker.
01:05 Pendant 4 minutes à peu près, il meuble.
01:07 C'était une belle performance.
01:09 C'était une des toutes premières apparitions à la télé de Jean-Jacques Goldman.
01:11 Ça démarre par un pain technique.
01:13 Il sort de là et il se dit "ma carrière est fichue".
01:17 C'est un des plus célèbres plantages de la télévision.
01:20 Il démarre tout juste de sa carrière.
01:23 Ça fait 10 ans qu'il essaye de percer en se frottant à tous les genres musicaux.
01:26 Enfin, il est invité à la plus grande émission de l'époque.
01:30 Et puis, ça plante la musique par pas.
01:32 Et d'une certaine manière, c'est un symbole.
01:34 Parce que c'est la fin des années difficiles.
01:36 Et c'est le début d'une décennie miraculeuse.
01:38 Et à l'époque, il était encore vendeur dans un magasin de sport ?
01:42 À l'époque, il est à la boutique de ses parents.
01:45 Une boutique de sport à Montrouge.
01:47 Il corde les raquettes de tennis.
01:49 Il vend des après-ski.
01:51 Et comme il le dit, il était heureux comme ça.
01:54 Il aurait peut-être voulu s'agrandir plus tard avec son frère.
01:57 C'est ça aussi Jean-Jacques Goldman.
01:59 C'est une modestie et le sentiment qu'il n'était pas né pour être cet hyperstar.
02:04 Et ce mythe qu'il est devenu par la suite.
02:06 Et il n'y croyait pas lui-même.
02:08 Et quelques mois plus tard, il décollera enfin grâce à cette même chanson
02:11 qu'il avait entonné dans Champs-Elysées.
02:14 * Extrait de « Le monde reviendra » de Jean-Jacques Goldman *
02:30 C'est quoi cette chanson ?
02:31 « Il suffira d'un signe ».
02:34 Biberonné au Goldman.
02:36 Je trouve ça incroyable cette énergie, cette puissance qui se dégage de cette chanson.
02:41 Comme dans les suivantes, quand la musique est bonne.
02:43 C'est toute une époque.
02:46 Mais c'est aussi nos années Goldman qui reviennent avec leur capacité d'émotion intacte.
02:51 Leur puissance.
02:52 Je trouve que c'est vraiment émouvant.
02:54 Vous dites que votre livre, ce n'est pas une biographie de star,
02:57 ni une mine de révélations sur l'homme secret, comme on peut le voir parfois.
03:01 Comment on peut le décrire alors ce livre ?
03:03 D'abord, c'est une enquête d'historien.
03:06 Je suis historien et je m'intéresse à cet objet nouveau qu'est la pop culture.
03:11 Et à un de ses grands représentants, Jean-Jacques Goldman,
03:14 qui a inventé le pop-rock à la française.
03:17 Je suis historien et c'est important de rappeler que
03:20 Jean-Jacques Goldman est devenu un être d'histoire, notre histoire.
03:25 On ne peut pas l'oublier.
03:26 Il est toujours bien vivant et malgré tout, vous n'avez pas cherché à le rencontrer.
03:29 Pourquoi ?
03:30 Je lui ai écrit, par courtoisie.
03:32 Et aussi pour lui demander certaines de ses archives.
03:35 J'ai essayé de rencontrer certains de ses proches.
03:38 Mais personne n'ignore sa position.
03:41 Le retour à l'anonymat.
03:42 C'est quelque chose aussi qu'il faut respecter.
03:45 Inversement, Goldman, ça fait partie de notre histoire.
03:48 Et moi, mon devoir d'historien, c'est évidemment de raconter cette histoire.
03:53 Et je voudrais ajouter que mon livre, c'est aussi une autobiographie collective.
03:57 Une autobiographie collective, ça veut dire que je parle de lui, de son parcours, de son œuvre.
04:02 Mais je parle aussi de nous.
04:04 Les années Goldman, au-delà des années Goldman, les années 80, 90, SOS Racisme, Les Restos du Cœur,
04:11 il y a aussi toute une épopée qui nous mène jusqu'à aujourd'hui,
04:14 c'est-à-dire ce que j'appellerais la Nation Goldman.
04:17 Et on va continuer à en parler, à tenter de percer le mystère.
04:20 Jean-Jacques Goldman, Culture Média, revient dans un instant.
04:23 - Et vous aussi, j'en suis sûre, de l'autre côté de la radio, comme dans ce studio,
04:42 vous avez envie de chanter.
04:44 Culture Média, aujourd'hui, consacrait l'une des personnalités préférées des Français.
04:48 On parle de Jean-Jacques Goldman, grâce à votre invité, Thomas Hill,
04:51 l'historien Ivan Jablonka, auteur de Goldman aux éditions du Seuil.
04:55 - Oui, et pour mieux comprendre Goldman, j'ai bien envie de vous faire écouter du Michel Berger.
05:00 - "Seras-tu là ?"
05:02 [Musique]
05:11 - "Seras-tu là ?" vous dites que c'est la chanson qu'il aurait aimé écrire,
05:15 et que pour lui, Berger a vraiment révolutionné la chanson française.
05:19 C'est un peu grâce à Berger qu'il s'autorise finalement à chanter lui-même en français.
05:23 - Oui, je suis content que vous fassiez ce lien, parce que Goldman a toujours, toujours rendu hommage
05:27 à ce grand aîné qui était pour lui Michel Berger.
05:31 Il y a une évidente ressemblance dans les mélodies, en tout cas dans les premières chansons,
05:36 avec ce piano insistant, un peu mélancolique.
05:39 Il y a aussi une ressemblance dans les thèmes, le mal-être, l'homme fragile qui trouve pas bien sa place,
05:45 la nature amoureuse, la bonne musique, où la musique est bonne, enfin, bon.
05:49 Et puis, on le voit, par exemple, pour moi il y a un hommage évident,
05:52 c'est le fameux "Je te donne" de Jean-Jacques Goldman en 1985,
05:56 à mon avis est un hommage à une chanson que Michel Berger écrit quelques années plus tôt
06:03 pour Elton John et France Gall, qui s'appelle "Donner pour donner".
06:08 Et dans cette chanson, qui est un autre duo franco-anglais, "Je te donne",
06:12 bien sûr, un duo franco-anglais comme on sait,
06:14 dans cette chanson de 1980 pour France Gall et Elton John,
06:17 "Donner pour donner", on entend six ou sept fois le refrain "Je te donne".
06:22 Et pour moi, il y a un hommage de l'élève au maître.
06:25 - Vous parlez du fait qu'il n'était pas forcément toujours bien dans sa peau,
06:29 Jean-Jacques Goldman, pas trop sûr de lui.
06:32 Ce qui est amusant, c'est que dès le début de sa carrière d'ailleurs,
06:34 il se dit démodé, aussi bien dans le style musical qu'en termes vestimentaires, par exemple.
06:40 - Ce qui est incroyable, parce que dès qu'il arrive sur les plateaux vers 1981-82,
06:47 c'est lui qui démode les autres.
06:49 Et tout à coup, les Stone & Chardin, les Karen Sherry,
06:52 enfin pardon de citer leur nom, deviennent instantanément ringards.
06:55 - Pourquoi ?
06:57 - Parce qu'ils sont dans la variété des émissions des Carpentiers.
07:02 - Les paillettes, les couleurs, il arrive très sobre.
07:04 - C'est les années disco.
07:06 - Le son Goldman est déjà complètement prêt.
07:10 Il est là avec cette puissance rythmique, la guitare, pas loin du hard rock,
07:14 dont il a été là aussi un héritier, des solos de batterie insistants,
07:19 comme on voit là-bas par exemple.
07:22 Donc le son Goldman est prêt, et en même temps, il est dans un non-look
07:27 qui a frappé les contemporains.
07:29 Il est là, c'est le gars, il sort de son magasin.
07:32 Il est avec son petit jean, sa petite chemise blanche.
07:35 - C'est un vendeur de guitare, tu pourrais le croiser.
07:38 - C'est ça, et il accepte cette simplicité, c'est même une normalité revendiquée,
07:43 alors qu'il est aussi le chanteur des minorités, de la singularité,
07:48 parce qu'on sera jamais des standards, c'est ça qu'il nous dit.
07:51 - Il ne se met pas dans un personnage, même avec son nom d'ailleurs.
07:55 Il a refusé de changer son nom, Jean-Jacques Goldman, on lui a proposé.
07:59 - Oui, alors ça ne faisait peut-être pas très rocker,
08:02 et on sait que Johnny Hallyday, ce n'est pas son vrai nom,
08:05 et que ce nom-là fait plus américain.
08:07 Jean-Jacques Goldman n'a pas changé de nom par fidélité à son histoire,
08:11 parce qu'il accepte sa judéité, et la judéité irrigue, à mon sens, son œuvre,
08:16 et aussi son engagement sous la forme d'un franco-judaïsme républicain.
08:21 Et puis il y a aussi le fait qu'il est comme ça, il est né comme ça,
08:24 il a grandi comme ça, et il ne va pas changer pour nous.
08:27 - Vous parliez du rock, et de son côté même inspiré du hard rock,
08:30 et pourtant il était totalement refusé à entrer dans cette catégorie des rockeurs,
08:36 on ne le considérait pas du tout comme un rockeur à l'époque.
08:39 - Et surtout il était jeté de partout, on l'a oublié maintenant
08:42 qu'il est personnalité préférée des français depuis au moins 12 ans,
08:45 et comme je le montre dans mon livre, depuis en fait 20 ans.
08:48 Mais on a oublié à quel point il a été une sorte de loser professionnel.
08:52 Dans les années 70, c'était échec sur échec,
08:55 il s'est frotté à tous les gens, et puis ça ne marchait pas.
08:58 Et le pire c'est que la nouvelle chanson française démarrait sans lui.
09:02 C'était Renaud, c'était Ygelin, c'était Michel Berger qu'on a cité,
09:06 c'était Cabrel, et Jean-Jacques Goldman, il était en train de gratter sa guitare dans sa cave.
09:10 Ça ne marchait pas.
09:12 Et puis le déclic grâce à une espèce d'écosystème en lien un peu avec les années Mitterrand,
09:19 Jack Lang, les radios Libres, la bande FM,
09:23 et puis c'est la Goldmania et là ça explose.
09:26 - Alors justement, vous parlez de Mitterrand, c'est aussi le portrait d'une époque que vous faites,
09:31 et son côté politique même, vous parlez de ses opinions politiques.
09:35 Il y a une chanson qu'on va écouter et qui transpire finalement la politique,
09:40 c'est la chanson des Restos du Cœur bien sûr. Écoutez.
09:44 * Extrait de « Restos du Cœur » de Jean-Jacques Goldman *
09:57 Une chanson qu'il a écrite assez rapidement, je crois en une semaine, vous nous l'a raconté,
10:01 et puis vous parlez d'un bout de phrase dans cette chanson, « Je te promets pas le grand soir ».
10:05 Et c'est ça qui vous amène à parler de ses engagements politiques, Jean-Jacques Goldman.
10:09 Pas de grand soir, pas de révolution, une forme de refus même des extrêmes.
10:14 Pour vous, il était du centre, Jean-Jacques Goldman, du centre gauche.
10:18 - Je dirais social-démocrate.
10:21 Ce qu'on appelle en France la deuxième gauche pour l'opposé à la gauche plus marxiste,
10:26 plus revendicatrice et révolutionnaire.
10:28 Et là je crois qu'il faut évidemment évoquer la lutte fratricide entre deux gauches,
10:34 l'extrême gauche d'un côté, la social-démocratie plus réformiste de l'autre.
10:38 Et ce qui est fou, c'est que cette frontière passe au sein même de la famille Goldman,
10:42 puisque son demi-frère Pierre, Pierre Goldman,
10:45 qui a défrayé la chronique judiciaire dans les années 70,
10:48 était lui un gauchiste de choc.
10:50 Alors on sait que les deux frères, évidemment ils ont grandi ensemble, ils s'appréciaient,
10:55 mais politiquement, ils n'avaient rien à voir.
10:58 Et cette pensée entre gris clair et gris foncé que Jean-Jacques Goldman élabore dès les années 70,
11:04 c'est une manière de nous appeler au pragmatisme, à la nuance.
11:08 C'est tout le contraire du grand soir et on l'entend dans cette fameuse chanson.
11:11 On va continuer à parler de ce livre, Yvan Jablonka, Goldman, c'est aux éditions du Seuil.
11:15 Et puis on va continuer à parler musique, si on repart avec Jo-Ym qui arrive dans un instant.