Zoom - Judikael Hirel - Insécurité : La guerre civile à bas bruit

  • l’année dernière
Judikael Hirel est journaliste et vient de publier un livre édifiant : "Concorde rouge - Dans la peau d’une victime d’agression". Le 13 novembre 2017, l’auteur rentre du travail en métro. A la station Concorde, il est attaqué violemment après avoir défendu une jeune femme agressée sexuellement. Assommé par derrière et frappé au visage, il a la mâchoire brisée, les dents cassés, le nez totalement détruit. Quatorze fractures au total. Judikael Hirel écrit : "Ma tête s’est émiettée, une gueule cassée façon puzzle. Il aurait suffi d’un coup de pied en plus pour que j’y laisse ma peau. Mon agresseur avait clairement la volonté de me tuer". Le journaliste évoque avec beaucoup de pudeur les longs mois de douleur et de reconstruction, les accès de colère contre l’inhumanité de la RATP, le peu de réaction des autres voyageurs au moment de l’agression ou encore la lenteur de la justice.

Judikael Hirel raconte ce parcours de combattant que vivent tant de victimes (30 victimes d’agression par heure en France !) mais il mène aussi une large réflexion sur l’insécurité qui explose et qui est devenue un fait de société. Il rappelle notamment que ce sont les femmes qui, souvent dans l’indifférence des pouvoirs publics, sont surexposées à la violence.

La force du livre est le refus de s’apitoyer et la volonté de raconter cette guerre civile à bas bruit qui s’installe et qui touche chacun d’entre nous.

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00:00 Chaque don compte. Pour nous aider à franchir avec succès cette période difficile, financez
00:10 TBL maintenant.
00:11 Financer TBL, c'est essentiel.
00:13 Jédicaël Hyrel est journaliste, il a travaillé à l'aide de Madaire Lepointe, il collabore
00:42 aujourd'hui au Figaro, il vient d'écrire un livre touchant et totalement d'actualité,
00:47 on le verra, "Concorde rouge dans la peau d'une victime d'agression".
00:50 Une histoire simple mais édifiante sur les fléaux de l'insécurité et de la violence
00:55 Jédicaël Hyrel.
00:56 Bonjour.
00:57 Bonjour.
00:58 Merci d'être à TBL.
00:59 J'ai dit une histoire simple, j'aurais pu dire presque banale, car ce que vous racontez
01:03 finalement peut arriver à tout le monde.
01:06 Mais si vous me permettez, je vais vous laisser la parole pour commencer par le commencement,
01:10 pour comprendre le titre de l'ouvrage, il faut être en 2017, se replonger un 13 novembre
01:16 2017 à 19h30 dans le métro parisien pour rentrer du travail.
01:21 Tout simplement, et place de la Concorde, effectivement à l'époque je travaillais
01:24 à Madaire Lepointe et tous les jours je travaillais à l'ouest de Paris pour aller à l'est
01:28 de Paris, un grand classique francilien, donc de traverser la capitale dans les deux sens
01:32 par le métro, au sous-sol c'est plus rapide, et mon métro passait par Concorde qui est
01:36 la correspondance la plus classique, c'est une grande grande station au sous-sol sous
01:39 la place de la Concorde, il faut imaginer des nombreux couloirs, des centaines de mètres
01:42 de long, mais beaucoup de monde puisque c'était l'heure de pointe, et donc là j'étais
01:45 dans la première rame du métro, un bon parisien stressé au moins dans la première rame
01:49 pour descendre plus vite, pour gagner deux minutes, pour arriver un peu plus tôt, avoir
01:52 sa correspondance, et monter dans cette rame quelques sessions plus tôt, un jeune homme
01:56 un peu bizarre, j'avais repéré d'emblée, habillé en noir des pieds à la tête, les
01:59 cheveux à 2 mm, surtout une grande bouteille de bière à la main, une grande bouteille
02:03 d'un litre donc impossible à rater, et qui parlait tout seul.
02:05 Et arrivé à la station Concorde, je descends, ce garçon de 25-26 ans descend devant moi,
02:11 et une jeune femme descend devant nous, et après il y a un grand escalier au bout du
02:14 quai qui monte pour aller prendre la correspondance, osensiblement il regarde la jeune fille,
02:19 et excusez-moi du terme, il lui met une grande main aux fesses en montant l'escalier, en
02:22 étant derrière elle, évidemment en arrivant en haut elle se retourne, elle proteste, "ça
02:26 va pas, qu'est-ce que vous faites ?" et ils ont commencé à s'embrouiller assez
02:29 rapidement, et vu l'état du jeune homme qui était à la fois goguenard et méché,
02:33 je me suis... j'ai pas réfléchi en fait, ayant vu ce qu'il s'était passé, je me
02:37 suis juste dit, si je n'interviens pas, ça va mal se passer, parce qu'il a la bonne
02:40 tête pour passer d'une première violence, une agression sexuelle de base, à quelque
02:45 chose d'encore plus agressif, donc je me suis juste mêlé, comme on dit, calmement,
02:50 sans chercher la bagarre, en disant à ce garçon "vous savez très bien ce que vous
02:52 avez fait, ça suffit, maintenant on s'en va", et donc j'ai commencé à partir avec
02:56 la jeune femme, il s'est mis tout de suite en garde, en posant sa bière pour me dire
03:00 "tu veux te battre, tu veux te battre", avec un fort accent des pays de l'Est, ce
03:03 qui ne m'intéressait pas vraiment, me battre avec quelqu'un de bourré dans le métro
03:06 en rentrant du travail, bon, ça ne fait pas très envie, et donc je suis parti avec cette
03:09 jeune femme, et puis je me suis dit, comme il nous a doublé en m'insultant, à faire
03:12 classer encore un qui se décourage dès qu'on s'en mêle, parce que ça m'était déjà
03:16 arrivé comme ça d'intervenir sans jamais rajouter de la testostérone et de la testostérone,
03:20 et à chaque fois l'agresseur ou le casse-pied de service qui insultait quelqu'un, qui embêtait
03:24 une demoiselle, part, parce qu'en général ils sont plutôt lâches, ils ont leur gâche,
03:29 leur désir, donc ça en reste là, et ça se finit bien.
03:32 Bon là, en l'occurrence, j'avais mal jugé la situation, puisque j'ai appris par la
03:35 suite, puisque je n'en ai aucun souvenir, qu'il s'était embusqué dans un couloir
03:38 latéral, il avait mis sa capuche, il est revenu de par derrière moi, et comme me l'a
03:42 décrit la jeune femme plus tard, il a littéralement sauté en l'air avec son poing et sa bouteille
03:45 pour me frapper à la tempe, donc il m'a, au sens propre, explosé à la tempe, donc
03:49 j'étais KO directement.
03:50 Tout ce dont je me souviens très bien en revanche, c'est d'avoir vu rouge et noir,
03:53 et après plus rien, et après une fois que je suis tombé au sol, il ne s'est pas arrêté
03:57 là, il m'a explosé, il m'a émietté le visage à coups de pied, il a vraiment cherché
04:00 à me tuer, il faut être sincère, ça n'est pas passé très très loin, et ce qui m'a
04:04 sauvé c'est finalement que la jeune femme s'est couché sur moi pour me protéger
04:07 en appelant au secours, et qu'elle a pris quelques coups de pied que je n'ai pas pris
04:10 dans la tête, sinon nous n'aurions pas cette conversation.
04:12 Voilà, c'est clair que vous êtes victime d'une agression, alors rappelons-le quand
04:16 même, on est en pleine heure de pointe.
04:18 19h30.
04:19 Pour les non-parisiens, sur une ligne, une station globalement plutôt calme, en ce qui
04:26 concerne la violence, pas les vols, mais en ce qui concerne la violence, votre agresseur
04:29 il est de type caucasien, il est drogué, et vous prenez la défense d'une jeune femme,
04:34 et pour cela, il cherche clairement, il a la volonté de vous tuer.
04:38 Clairement, je pense qu'il voulait me tuer, je l'avais vexé, je l'avais mis en mauvaise
04:41 humeur, il n'était pas en très bon état, je pense, mentalement parlant, et d'un point
04:44 de vue éthylique aussi, et il a cherché à me tuer, il n'y a pas d'autre mot.
04:47 Ce qui est le plus sidérant, c'est quand même qu'à cette heure-là, 19h30, en pleine
04:50 heure de pointe, quand je suis intervenu, et après ce qui s'est passé avec cette jeune
04:53 femme, je ne suis sans doute pas seul à l'avoir vu, personne n'est intervenu.
04:56 Quand je me suis fait agresser deux minutes plus tard, personne, mis à part elle, n'est
04:59 intervenu.
05:00 Parce que les gens, finalement, au début sont sidérés, il y a vraiment un effet de sidération,
05:04 le cerveau humain n'arrive pas à comprendre immédiatement que ce qu'il voit est réel.
05:07 Donc ça, je peux comprendre à un moment où on met du temps à réaliser la chose.
05:10 On l'a bien vu récemment avec cette histoire d'agression au couteau à Annecy, les gens
05:14 initialement ne réagissent pas.
05:15 Après, il y a ceux qui baissent la tête et qui continuent parce qu'ils n'ont surtout
05:18 pas envie d'avoir des ennuis.
05:19 Et puis parfois, ce n'était pas mon cas, il y a ceux qui filment, mais ça c'est une
05:22 tendance plus actuelle.
05:23 Mais en tout cas, moi, personne n'a aidé cette jeune femme, elle ne m'a aidé.
05:27 On reviendra sur cette question-là, parce qu'elle est importante sur l'attitude des
05:30 gens autour.
05:31 Dans les premières heures après l'agression, on le voit bien dans l'ouvrage, vous l'écrivez,
05:36 vous avez totalement quand même sous-estimé l'ampleur de vos blessures au visage.
05:40 Il faut le dire, 14 fractures au visage, mâchoire brisée, dents cassées, nez détruit.
05:46 Vous avez d'ailleurs cette phrase qui est assez drôle, c'est malheureusement drôle,
05:51 "ma tête s'est émiettée".
05:52 Oui, effectivement, quand je suis arrivé deux jours plus tard, parce qu'il fallait
05:55 laisser reposer un peu tout ça comme c'était un peu en vrac, à l'hôpital épicé-salpétrière,
06:00 l'interne qui m'a accueilli a eu une phrase qui m'a beaucoup marqué, qui m'a dit, ça
06:04 m'a marqué mon épouse aussi à vrai dire, "si il n'y avait pas l'époux, votre visage
06:07 tomberait".
06:08 Donc c'est vrai que le visage était entièrement émietté, mais sous la peau.
06:11 Spontanément, en sortant du métro, je pensais avoir le nez cassé, et puis voilà, pas bien
06:14 grave.
06:15 Et en sortant des urgences, j'étais toujours dans ce déni, et mon épouse, elle a beaucoup
06:18 plus rapidement compris que c'était grave et que ça n'était pas passé loin.
06:20 Mais après, peut-être qu'en positivant, en disant "sœur, et puis le pire", on avance
06:24 aussi en tant que victime.
06:25 Il va y avoir un long parcours de reconstruction dans tous les sens du terme d'ailleurs.
06:30 Ça va être ce que vous appelez le "temps de la douleur".
06:33 Vous le dites là encore, je suis devenu un survivant.
06:35 La douleur, c'est ma meilleure amie, je suis devenu un survivant.
06:38 Oui, parce qu'en fait, c'est un peu paradoxal.
06:41 Au-delà de se dire qu'on a eu la chance par rapport à des situations pires, parce
06:43 qu'il y a des gens qui vont garder des séquelles permanentes, qui vont avoir des handicaps,
06:46 ou qui vont tout simplement mourir sous le coup, ce qui aurait très bien pu arriver,
06:51 le fait d'avoir mal, ça veut dire que vous êtes vivant.
06:52 Moi, j'ai un petit peu mal au quotidien, toute la partie gauche du visage a une sensibilité
06:57 relative et m'envoie des mauvais messages.
06:59 Donc en moyenne, ça lance, je l'explique en souriant, c'est un peu comme avoir une
07:03 rage de dents et une gueule de bois en permanence.
07:05 C'est gérable.
07:06 C'est une douleur qui reste basse, qui peut se stopper assez facilement, qui ne vous
07:09 coupe pas entièrement socialement.
07:10 Donc je suis un survivant, mais c'est plutôt une bonne chose à mes yeux.
07:13 Ça veut dire que je suis vivant et que tous les matins, je me dis "merci mon Dieu, je
07:17 suis vivant, j'ai une famille qui m'aime, je peux vivre ce qui se passe et je suis toujours
07:21 là pour en parler".
07:22 Donc chaque jour est une chance à mes yeux.
07:23 C'est pour ça que je parle de survivant.
07:25 - Et vous dites, toujours avec beaucoup d'humour, vous dites "j'ai été éparpillé façon
07:29 puzzle".
07:30 Bon ça, c'est du haut-diar, mais...
07:31 - J'adore dire.
07:32 - Voilà, c'est du haut-diar.
07:33 Vous parlez de gueule cassée, ça nous ramènera plutôt à la Première Guerre mondiale.
07:37 Il y a toujours cet humour et cette distanciation.
07:40 C'est quoi qui vous fait tenir à ce moment-là ? Vous avez peut-être évoqué votre métier,
07:46 votre famille, vos croyances.
07:48 - C'est un tout, effectivement.
07:50 Il y a une part de foi.
07:51 Ma communauté, ma paroisse m'a très bien soutenue.
07:54 Mes amis ont été géniaux.
07:55 J'en ai découvert quelques autres que j'avais perdus qui sont revenus à ce moment-là.
07:58 Mon épouse et mes enfants ont été d'une patience et d'une gentillesse totale parce
08:01 que quand on a mal, on est vraiment très désagréable, croyez-moi.
08:03 - Vous dites que c'est très désagréable d'ailleurs.
08:04 - Oui, la douleur quand vous arrêtez effectivement les produits pour avoir moins mal, vous n'avez
08:10 pas de très bonne humeur quand même, ça c'est clair.
08:12 Donc ça je le confesse.
08:13 Mais mes collègues du bureau ont été super, on a mis un avocat à ma disposition.
08:17 Par rapport à la victime Lambda, j'ai eu beaucoup de chance.
08:20 J'étais très bien entouré.
08:22 Après je suis peut-être têtu à la base et je pars du principe qu'on avance.
08:25 Donc c'est pas marche ou crève, mais presque.
08:27 Donc du coup c'est vrai que ça s'est bien passé.
08:29 Je ne pense pas que toutes les victimes s'en sortent aussi bien.
08:32 J'aimerais que ça soit le cas, je leur souhaite, parce que malheureusement il y a beaucoup
08:35 de victimes au quotidien.
08:36 Mais être bien entouré, ça aide énormément.
08:37 - Pourquoi vous avez mis 5 ans pour raconter cela ?
08:39 - C'est une bonne question.
08:42 D'abord le Covid est passé par là.
08:43 Donc ça nous a tous mis un petit peu entre parenthèses pendant un certain temps et j'ai
08:47 fait partie des heureux gagnants de cette sympathique maladie, donc j'étais un peu
08:49 fatigué quand même.
08:50 Mais après, c'est en voyant la multiplication des agressions, je pense.
08:55 Et à un moment j'ai eu l'impression, déjà j'étais en colère après cette agression
08:59 parce que, pour un tas de raisons différentes, mais j'avais l'impression qu'on ne s'intéressait
09:03 pas aux victimes.
09:04 Mais là, je ne sais pas, un effet divers de plus, ou une discussion, et j'en ai eu
09:08 marre.
09:09 En fait je me suis dit "mais les victimes n'existent pas, on ne parle jamais que des
09:12 agresseurs, on ne parle que de ça, la situation ne bouge pas".
09:15 Au bout de 5 ans j'avais l'impression qu'il ne s'était absolument rien passé sur le
09:17 sujet pour la défense des victimes, à la fois pour éviter qu'il y en ait, qu'il
09:22 y en ait plus, et à la fois pour en prendre soin une fois qu'on n'a pas réussi à
09:25 l'éviter.
09:26 Je me suis dit que la meilleure façon d'attirer l'attention sur le sujet, étant journaliste
09:30 et être victime d'une agression en défendant une femme qui se faisait agresser, ça me
09:34 donnait non pas une légitimité mais une fenêtre de tir pour aller un peu bousculer
09:38 les, ce que j'appelle les séquences de communication des spin doctors et politiques,
09:42 et leur dire "mais ça serait bien de parler des victimes, on n'en parle pas aux élections
09:46 présidentielles, au débat de la présidentielle on n'a pas parlé, aux élections autres
09:50 et diverses et variées on n'en parle pas non plus, au quotidien on a beaucoup d'annonces
09:53 mais j'entends jamais parler des victimes, je me suis dit pourquoi ne pas mettre un petit
09:57 grain de sable dans la machine pour dire vous savez on est nombreux finalement, c'est
10:01 pas le premier parti de France mais c'est même beaucoup plus que ça.
10:03 Il y a 150 000 agressions par an en dehors de la sphère familiale en France, ça veut
10:08 dire plus de 300 par jour, ça veut dire plus d'une par minute finalement, c'est absolument
10:13 gigantesque et si vous rajoutez les dommages collatérales que représentent les proches,
10:16 ça fait un nombre de français qui sont directement concernés par une agression violente, je
10:21 parle pas d'un vol de sac à main ou de téléphone comme il peut encore y en avoir d'autres et
10:24 c'est encore plus conséquent en termes de chiffres et finalement c'est un peu sous
10:29 la moquette j'ai l'impression.
10:30 Donc ce livre c'était vraiment pour dire, il y a une sorte de guerre civile à bas bruit
10:34 en termes d'agressions, les agressions sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus
10:38 violentes et quand on commence à creuser, on se rend compte qu'en première ligne on
10:42 retrouve les femmes, les agressions violentes 70% vont concerner des femmes, les agressions
10:47 sexuelles 95% vont concerner des femmes et ça ne dérange apparemment personne qu'au
10:51 quotidien une femme intègre à sa vie quotidienne le fait d'avoir peur de se faire agresser
10:56 sur le chemin du travail ou dans la rue et moi ça me paraît juste inacceptable dans
10:59 le 1923 de penser que toutes les femmes autour de moi ou ont été agressées ou ont peur
11:04 de se faire agresser et mettent en place des stratégies pour éviter que ça arrive.
11:07 Parlez de la charge mentale des femmes au quotidien, peur au ventre souvent.
11:12 Des centaines de personnes sont venues en discuter avec moi après, ça libère la parole
11:15 de l'agression, ils ont été agressés dans ces conditions là, beaucoup de consoeurs,
11:19 d'amis ou même des inconnus sont venus me dire "moi aussi j'ai peur pour telle raison,
11:22 il m'est arrivé telle chose, j'évite de mettre des talons dans le métro parce que
11:26 le bruit va attirer un prédateur, quand je m'assois dans le métro je m'assois à tel
11:29 endroit" ou carrément "je ne prends plus du tout le métro ou les transports en commun,
11:33 je prends mon vélo ou ma voiture et je préfère avoir les bouchons plutôt que de rencontrer
11:36 un prédateur potentiel".
11:37 C'est sidérant toutes les techniques de contournement mises en place mais ce qui est sidérant surtout
11:42 c'est qu'en tant qu'homme je n'avais jamais entendu parler, parce que j'ai eu
11:45 cette agression quand j'avais 45 ans, en 45 ans ça ne m'était jamais venu à l'esprit
11:48 que mon épouse ou des amis avaient ce genre de mode de pensée et pourtant c'est intégré
11:53 à leur quotidien.
11:54 Et ça, c'est pas banal, c'est normal et si c'est normal c'est un problème.
11:58 Depuis 5 ans vous avez eu le temps aussi de réfléchir à ces événements, est-ce que
12:02 tout d'abord vous avez, avant de reparler de cette question de colère qui m'intéresse
12:05 aussi, douleur et colère, inhérente à ces 5 années et qui réapparaissent dans l'ouvrage,
12:11 est-ce que vous avez des nouvelles de cette jeune fille ?
12:13 On s'est recroisés, je l'ai retrouvée via les réseaux sociaux parce que le soir
12:18 de l'agression elle avait voulu m'accompagner et elle avait voulu témoigner pour expliquer
12:21 pourquoi j'avais été agressée et malheureusement elle n'y avait pas été autorisée parce
12:25 qu'elle n'était pas de la famille donc après on s'était perdu de vue.
12:27 J'ai retrouvé son nom, du coup je l'ai contactée via les réseaux sociaux et on
12:31 s'est revus.
12:32 Ce qui m'intéressait surtout, ce qui m'intéressait surtout c'était de savoir si elle allait
12:35 bien parce que moi finalement j'étais KO donc je n'ai rien vu de mon agression
12:39 mais ce n'est pas très agréable de voir quelqu'un se faire littéralement démonter
12:42 la tête en sens propre à côté de soi.
12:43 Donc je voulais surtout être certain que cette jeune femme, qui avait été courageuse,
12:48 ne vivait pas mal la chose et ne s'en voulait pas.
12:51 Parce que le problème, il y a un très bon documentaire d'ailleurs sur Youtube qui
12:54 en parle qui s'appelle "Coupable d'être victime", c'est que quand on est victime
12:57 on se sent coupable d'avoir été agressée.
12:58 C'est un peu une inversion de la charge de la preuve, la victime se sent coupable.
13:02 J'avais peur qu'elle se sente coupable que j'ai été agressée en prenant sa défense
13:06 alors que c'est un choix que j'assume entièrement et je refais exactement le même choix dans
13:08 la même situation.
13:09 Mais ce n'était pas le cas heureusement, donc elle l'avait intégrée, elle avait
13:13 avancé là-dessus.
13:14 Et c'est à cette occasion, en la revoyant, que j'ai appris que c'était en fait elle
13:16 qui avait pris ma défense quand moi j'ai des chaos, que personne ne m'avait jamais
13:19 dit.
13:20 Je ne la savais absolument pas.
13:21 Est-ce qu'on a retrouvé votre agresseur par contre ?
13:22 Pas du tout.
13:23 Pas du tout ?
13:24 Non, non, il est parti en courant quelques secondes après que la jeune femme soit mise
13:27 sur moi et a crié.
13:29 Il a foncé dans ce couloir de métro.
13:31 On m'a expliqué que trois messieurs avaient cherché à le rattraper en courant mais n'avaient
13:34 pas pu.
13:35 Donc il a disparu.
13:36 Plus tard, la police a fait son travail, il a recherché apparemment.
13:39 Moi j'ai regardé les fichiers de police, je ne l'ai pas reconnu dans les personnes
13:41 fichées.
13:42 Et l'affaire a été classée, ça en est resté là.
13:44 Vous êtes le seul qui a rendu ta punité à nouveau ?
13:46 Entièrement.
13:47 C'est ça qui me gêne vraiment, c'est qu'en termes d'impunité, je sais qu'elle existe
13:50 parce que cet individu a agressé une femme devant moi puis elle a voulu me tuer.
13:53 Et il est en liberté totale, il n'est pas condamné pour ça.
13:56 Il y en a combien des comme ça ? Donc c'est ça qui est un peu agaçant quand même.
13:59 L'impunité, ça existe effectivement.
14:01 Et ce sentiment d'impunité lui a sûrement donné encore plus de force pour la prochaine
14:05 agression qu'il commettra.
14:06 Alors il y a la douleur, on en a parlé.
14:08 Il y a la colère, vous l'avez évoqué.
14:09 Les agacements, mais vraiment la colère.
14:12 Quand on lit l'ouvrage, le terme de colère est pas impropre.
14:15 Tout d'abord, à l'égard des voyageurs, vous en avez parlé, qui n'ont pas bougé,
14:19 manque de courage, volonté de ne pas avoir de problème.
14:21 J'ai envie de vous dire que, faire l'avocat du diable, mais quand on paie un ticket de
14:24 métro 2 euros pour se déplacer, c'est pas pour vivre le Far West non plus.
14:28 Ah non, c'est clair, ça ne devrait pas arriver.
14:29 En fait, quand on prend le métro, on ne demande pas simplement la régularité des
14:33 métros qui arrivent à l'heure et dans lesquels on peut respirer.
14:35 On aimerait bien aussi arriver vivant d'un point A à un point B, si possible avec toutes
14:38 ces affaires dans ses poches.
14:39 Mais ce n'est pas toujours le cas.
14:41 Et là, effectivement, la RATP sur ce point-là, je me suis un peu énervé contre eux dans
14:44 le livre, je ne le regrette absolument pas, parce qu'après cette agression, d'une part
14:47 je n'ai eu aucune nouvelle.
14:49 Vous vous êtes agressé, vous vous dites inhumain.
14:51 Ah oui, non mais ce n'est pas humain.
14:53 C'est 14 fractures à la tête, quasiment mort.
14:54 On prend vos coordonnées quand vous vous réveillez, on me demande mon nom et mon prénom
14:57 que j'étais bien incapable de donner à ce moment-là pour être sincère.
14:59 Et après, silence radio.
15:02 Je me suis dit, est-ce que c'est pareil pour toutes les victimes ?
15:04 J'ai appris par la suite qu'il y avait maintenant une politique pour rappeler les
15:07 victimes d'agressions sexuelles dans les transports en commun, en tout cas pour la
15:10 régie parisienne, pour les régies de province, je ne sais pas, mais je suppose que ça évolue
15:13 aussi.
15:14 Mais ça serait peut-être bien de rajouter une petite touche d'humanité juste pour
15:16 rappeler les victimes d'agressions au moins conséquentes, pas des choses avec juste des
15:20 insultes ou des mauvais mots, pour savoir comment les gens vont.
15:23 Est-ce que ça va ? Est-ce que vous avez besoin d'un psy ? Est-ce que vous avez besoin d'accompagnement
15:26 ? Est-ce qu'on peut vous aider à porter plainte ?
15:27 Ce n'est pas grand-chose, mais c'est une petite touche d'humanité.
15:30 Et vu le nombre de victimes qu'il y a, je pense que ce n'est pas inutile.
15:32 Pour évoquer que l'A.R.A.T.P.
15:33 bien évidemment, et pas seulement P.T.R.
15:35 en région Île-de-France ou tous les autres réseaux dans les grandes villes, rien que
15:41 pour l'A.R.A.T.P.
15:42 vous dites en 2021, il y a eu 122 170 personnes qui ont été victimes de vols ou de violences
15:46 au sein de ce réseau.
15:47 Mais encore, je vais me faire l'avocat du diable.
15:51 Est-ce que c'est facile dans ces conditions de se transformer en assistante sociale ou
15:55 médicale ? Je vous provoque.
15:57 Non, je ne pense pas.
15:58 Je ne pense pas.
15:59 Mais si c'est une question d'argent, il faut poser la question.
16:01 Si la sécurité des gens est juste une question d'argent, mettons cet argent.
16:05 Je pense qu'on est tout à fait capable de dépenser stupidement de l'argent en France
16:08 dans des sommes assez conséquentes.
16:09 Pourquoi pas de temps en temps le dépenser intelligemment ?
16:12 Après, je sais bien qu'une régie de transport francilienne qui est la plus grande de France
16:16 dépend des financements qu'on lui donne pour travailler et que l'argent ne tombe
16:19 pas du ciel non plus.
16:20 Mais ce que j'ai pu voir dans les enquêtes d'opinion que j'ai eu la chance de consulter
16:24 sur ce qu'en pensent notamment les femmes dans les transports en commun parisiens, 43%
16:28 des femmes prennent les transports parce qu'elles n'ont pas le choix.
16:30 5% ne les prennent plus.
16:31 Et leur première requête, ce n'est pas de la vidéosurveillance, même si c'est
16:35 utile pour avoir une preuve à postériori.
16:36 C'est de la présence.
16:38 Je ne dis pas la présence automatiquement d'hommes surarmés un peu partout sur les
16:42 quais, mais de la présence humaine.
16:44 Parce que la présence humaine, que ce soit des personnes simplement sur les quais ou
16:47 des agents de sûreté un peu plus qualifiés et pouvant vraiment intervenir, ça dissuade.
16:52 Ça dissuade vraiment.
16:53 Ce qu'il faut, c'est des gens.
16:54 Et il y en avait dans le temps.
16:55 Il y en avait dans le temps.
16:56 Sur les quais, bien évidemment.
16:57 Sur chaque quai.
16:58 La question qui se pose aussi, c'est de se dire, il y a quand même des systèmes de
17:04 vidéosurveillance.
17:05 Vous avez des images.
17:06 On sait que c'est important.
17:07 On voit bien dans l'affaire de Bordeaux, ce sont les images qui permettent aux gens
17:11 de comprendre l'ampleur de la violence aujourd'hui dans notre pays.
17:15 Il y a cinq ans, cette violence existait.
17:17 Elle existe au quotidien, vous le rappelez, des centaines de fois.
17:20 Ces vidéos-là ne vous ont pas aidé à retrouver l'agresseur ?
17:24 Non.
17:25 C'est vrai qu'on est dans une société de l'image.
17:26 Le cas de Bordeaux est explicite.
17:28 D'un côté, on ne devrait pas voir cette image parce qu'elle relève de la vie privée
17:32 et d'une caméra de surveillance de vie en maison.
17:34 Et encore plus quand les visages ne sont pas floutés et en plus il y a un enfant.
17:37 De l'autre, on ne les aurait pas vus.
17:39 On n'aurait pas entendu parler de ce fait divers plus qu'un autre.
17:42 Donc c'est un peu paradoxal.
17:43 Ce n'est pas bien de la diffuser mais en même temps c'est ce qui permet d'en parler.
17:46 Donc je ne sais pas comment habiteront entre les deux.
17:48 Mais en tout cas, c'est ce qui permet de faire qu'une agression ressort du lot et peut-être
17:51 peut changer les choses pour montrer qu'en fait, ça se banalise.
17:54 Après, c'est des questions de politique ou de politicaille, excusez-moi, mais ça ne
17:59 m'intéresse pas.
18:00 Ce qui m'intéresse c'est comment vont les victimes, comment éviter qu'il y ait des
18:02 victimes et comment éviter qu'un agresseur se trouve sur le chemin des victimes parce
18:05 que le meilleur des agresseurs c'est celui qu'on ne croise pas.
18:07 Donc les images elles existent ?
18:09 Les images à l'ARATP elles existaient.
18:11 Donc moi je suis allé immédiatement, comme j'ai un vernis juridique, je suis allé porter
18:14 plainte avec mes 14 fractures au commissariat pour avoir une réquisition des images par
18:19 la police puisque c'est la marche à suivre.
18:21 Vous portez plainte, la police réquisitionne les images et après elles sont donc sauvegardées
18:25 par la régie.
18:26 Normalement, ça serait bien qu'elle le fasse elle-même mais ce n'est pas le cas même
18:28 si elle a constaté des agressions.
18:29 Après, ce qui est vrai c'est que dans mon cas, les images étaient pitoyablement mauvaises
18:33 en termes de qualité.
18:34 C'est juste de façon floue et pixelisée, un homme avec une capuche en train de frapper
18:38 quelqu'un dans un couloir, filmé d'en haut.
18:40 Je vous défie de reconnaître qui que ce soit, le moindre téléphone, même un vieux
18:43 Nokia prendrait une meilleure image.
18:44 Ça a peut-être changé depuis ?
18:45 Il faudrait que ça change mais je pense que les caméras sont quand même, même si on
18:48 a 50 000, assez anciennes.
18:50 Vous me direz qu'entre 2017 et 2023, il n'y a pas de progression dans la qualité des
18:55 images ?
18:56 Pas à ma connaissance.
18:57 Je crois qu'on est en train de lancer un plan de renouvellement ou d'optimisation
18:59 de la qualité des images des caméras de surveillance du métro.
19:02 J'espère que ce sera le cas mais après c'est bien d'avoir des images, encore
19:06 faut-il en faire quelque chose, c'est-à-dire les stocker parce qu'aujourd'hui on est
19:08 dans une époque numérique.
19:09 Donc il faut pouvoir garder ces images un certain temps et un certain poids pour pouvoir
19:13 les utiliser si besoin pour défendre les victimes, pour avoir des éléments de preuve.
19:16 Dans tous les chiffres que vous donnez, on voit bien évidemment que ce sont, et vous
19:19 l'avez dit, les femmes qui sont surexposées à la violence.
19:21 Comme vous avez regardé pendant votre convalescence énormément Netflix, vous dites aux femmes
19:25 "Attention, Paris, c'est pas Emilie, une Paris".
19:28 Non, il y a un gros décalage entre l'image… Je suis ravi pour Paris.
19:32 Pour l'image mondiale que la série "Emilie, une Paris" a donné de Paris.
19:36 Mais malheureusement l'image est très très fausse et il n'y a pas que les touristes
19:39 japonais qui sont très déçus en arrivant à Paris.
19:42 C'est sûr qu'il y a beaucoup de sujets de réflexion sur l'état de Paris mais
19:45 la violence, l'insécurité et les vols sont quand même en première ligne.
19:48 C'est la plus mauvaise des surprises.
19:50 On parlait encore hier, j'étais à discuter avec un chauffeur de taxi, parce que c'est
19:53 une bonne source pour discuter, qui me disait qu'il était avec une jeune personne brésilienne
19:58 qui justement travaillait pour Netflix, c'était un hasard, mais c'est le cas, qu'il
20:01 venait faire des repérages pour Netflix, qu'il venait des favelas et il lui parlait
20:05 avec sa dame, il lui parlait des favelas, il lui dit "mais c'est dangereux, vous
20:07 allez pas me croire, j'ai jamais été agressé sur une favela parce que j'en viens, là
20:11 à Paris, je me suis fait agresser au bout d'une journée".
20:13 Le thème de l'insécurité refait actuellement débat, on a parlé des événements de Bordeaux
20:19 mais c'est quotidien.
20:20 Le chef de l'État, dans un moment de lucidité, a parlé de processus, ça peut arriver, de
20:26 processus de décivilisation, ça lui a d'ailleurs été amèrement reproché.
20:29 On était en 2017, la situation est devenue quasiment incontrôlable et vous posez la
20:33 question à haute voix, à quel moment notre pays a-t-il franchi cette frontière entre
20:37 l'acceptable et l'inacceptable ? Vous posez la question parce que vous avez un élément
20:41 de réponse.
20:42 À partir du moment où on a décidé, pour des raisons politiques, de considérer que
20:48 des faits divers ne font pas un fait de société.
20:49 J'étais encore sur un plateau il n'y a pas longtemps avec un chroniqueur qui expliquait
20:54 que l'histoire de Bordeaux était un fait divers isolé et qu'il avait été récupéré
20:59 et instrumentalisé politiquement.
21:01 Cette grille de lecture fait qu'à chaque fois on discrédite ou en tout cas on néantise,
21:06 pour faire un peu Sartre au passage, la situation des victimes.
21:09 En prenant une grille de lecture typiquement politique et en prenant chaque fait de façon
21:14 séparée, on évite de vouloir voir, c'est un peu comme une toile en pointillisme, il
21:19 y a un tas de petits points mais on refuse de reculer un petit peu pour voir le dessin.
21:23 Et on se contente de chaque point, on les envoie.
21:25 Ce n'est qu'un fait divers de plus.
21:27 Sauf que quand on regarde de plus près les faits divers de plus, il y en a des centaines
21:30 de milliers, des centaines de milliers de victimes, et que ces victimes, contrairement
21:34 aux agresseurs qui vont passer à autre chose ou à une autre agression, elles vont rester
21:37 victimes pour la vie.
21:39 Jusqu'à ce que mort s'en suive.
21:40 Cette grand-mère agressée à Bordeaux, malheureusement elle se rappellera jusqu'à sa mort.
21:44 Cette jeune fille qui va devenir une femme, elle se rappellera toute sa vie et ça va
21:47 la structurer.
21:48 Et c'est très compliqué.
21:49 Il va falloir penser à ces gens-là parce que c'est un vrai traumatisme.
21:52 Donc les agresseurs c'est une chose, mais les victimes c'est une autre.
21:55 – Quelles sont pour vous, vous êtes journaliste, vous avez été un journaliste qui s'est
21:59 occupé des questions de société aussi.
22:00 Quelles sont les pistes pour établir un peu de quiétude dans notre pays ?
22:06 Parce qu'on voit bien que cette violence est en explosé, que ce n'est plus une vue
22:09 de l'esprit.
22:10 Ce n'est pas un sentiment.
22:11 – Non, ce n'est pas un sentiment d'insécurité qui m'envoie aux urgences, ça c'est clair.
22:14 Contrairement à ce que peut penser M. Dupond-Moretti, l'insécurité elle existe et il faut la
22:18 gérer et pas se dire qu'on ne la gère pas parce que ça fréjure des extrêmes.
22:21 Au contraire ne pas régler la question qui peut faire le jeu des extrêmes si on sait
22:24 que ce soit le sujet.
22:25 Je pense qu'il y a deux aspects différents.
22:27 Le premier c'est un peu de choisir d'être le pèlerin des cathédrales.
22:31 C'est-à-dire que quand on voit une situation, on ne se pose pas de questions, on intervient
22:36 et espérons que ça se passe bien.
22:37 Ça suppose peut-être de se mettre parfois en danger, mais plus il y a de gens qui interviennent
22:41 et moins le danger est important.
22:42 Quand une personne intervient, elle se met en danger.
22:44 Quand il y a cinq ou six personnes qui interviennent, c'est entièrement différent.
22:47 Donc si le courage pouvait être contagieux et que chacun se dise qu'il appartient à
22:50 chacun de penser à tous, parce qu'on est dans une société très individualiste, ça
22:53 serait pas mal.
22:54 Donc peut-être que cette petite graine qui a été plantée par Henri Annecy peut grandir.
22:58 Ce serait une bonne chose.
22:59 La deuxième, c'est encore une fois, c'est d'éviter que des agresseurs rencontrent
23:03 des victimes potentielles.
23:04 Et à partir du moment où vous n'avez pas de place en prison, pas de politique d'application
23:08 des peines parce que finalement en dessous d'un certain niveau de peine, vous ne pouvez
23:11 pas aller en prison parce qu'il n'y a pas de place, et pas de place en hôpital psychiatrique
23:14 non plus, évidemment des agresseurs vont rester dans la rue.
23:17 Et donc on va les recroiser et au bout de X victimes, comme c'est le cas à Bordeaux,
23:22 on va se dire "ah effectivement on va trouver une place".
23:23 Ça serait peut-être bien d'agir aussi sur ce plan-là.
23:25 Il y a un dernier acteur, vous venez de l'évoquer, un instant, que vous mettez en cause dans
23:31 votre livre.
23:32 Ceux d'en passant, vous n'avez pas poursuivi la RATP.
23:34 Vous en avez pu ?
23:35 Non, j'aurais pu effectivement poursuivre la RATP.
23:36 Parce que vous n'êtes pas procédurier ?
23:37 Voilà, c'est ça.
23:38 Je me suis dit que ce n'était pas le bon chemin, qu'écrire un livre pour essayer
23:41 de faire bouger les choses, c'était plus utile que de faire un procès pour gagner
23:43 de l'argent.
23:44 Alors, autre mise en cause dans votre livre, c'est la justice.
23:49 Certains dénoncent son laxisme, bien évidemment.
23:51 Vous, vous dénoncez sa lenteur.
23:53 Vous avez vécu directement cette lenteur, vous-même noyé dans les procédures.
23:58 Oui, parce que le parcours victimaire, en fait, on découvre, c'est un peu comme de
24:01 rentrer dans une vie parallèle, devenir une victime d'agression.
24:03 Jusqu'à maintenant, vous avez une vie normale, et puis vous prenez le couloir de gauche,
24:06 et tout d'un coup c'est différent.
24:07 Et dans ce parcours, moi j'ai découvert l'hôpital, j'ai découvert les urgences,
24:10 j'ai découvert aussi la douleur, ça c'est pas très agréable.
24:12 Ou la qualité de l'hôpital public, puisque la chirurgie qui m'a été faite était d'une
24:16 très bonne qualité.
24:17 Et finalement, c'est l'État, c'est nous tous qui avons payé ce genre de choses, donc
24:19 merci.
24:20 Mais j'ai aussi découvert que la justice vous emprisonne dans le passé, en quelque
24:24 sorte.
24:25 C'est par des petites choses, c'est pas toujours des gros choses.
24:26 Dans mon cas, ce n'est que subjectif et personnel, mais j'ai attendu trois ans pour avoir une
24:30 expertise judiciaire.
24:31 Trois ans pour rencontrer un médecin expert qui puisse justifier ou mesurer l'étendue
24:36 des dégâts que j'avais subis, de façon permanente, pour après envisager une compensation,
24:41 qui n'apprend pas à se faire une commission, pour une compensation financière.
24:43 Et pourquoi trois ans pour une expertise judiciaire ? Parce que, comme on dit, il y a des médecins
24:46 qui les uns après les autres ont refusé de prendre mon cas.
24:49 L'État ne paye pas, ne paye pas en temps et en heure.
24:52 Donc finalement, on a des médecins experts auprès du tribunal, qui sont chargés d'aller
24:55 voir des victimes, mais qui ne vont pas le voir parce qu'ils ne vont pas être payés
24:58 et pas être payés assez vite.
24:59 Mais à un moment, pendant ce temps-là, la victime, elle attend son expertise pour après
25:03 se passer devant un tribunal et surtout passer à autre chose, refermer le dossier.
25:06 Et à cause de la lenteur de la justice et du manque de budget sur certaines petites
25:10 instances, de cette absence vide dans les rouages, on fait vivre les victimes dans le
25:13 passé pendant des années.
25:14 J'ai dit tout au long de l'entretien, vous avez vécu le temps de la douleur et celui
25:19 de la colère.
25:20 J'ai retenu ces deux termes-là.
25:21 Comment allez-vous déjà ? Est-ce que la douleur s'est estompée ?
25:23 Elle est raisonnablement présente, donc elle est tout à fait gérable.
25:27 Mais franchement, être vivant, c'est pas mal.
25:28 J'apprécie tous les jours.
25:29 Merci mon Dieu, c'est très bien.
25:30 Et la colère, est-ce qu'elle était atténue par la rédaction et la parution de ce livre ?
25:34 Est-ce que c'était aussi le moyen ?
25:35 Non, sincèrement non.
25:36 La colère, elle avait été la plus forte quand on m'avait remis une médaille en disant
25:40 que personne n'intervient jamais, c'est pour ça qu'on m'en décore, parce que ça m'énervait
25:43 pour mes concitoyens de me dire "mais c'est quand même pas normal d'être le seul à
25:46 intervenir".
25:47 Mais la colère, elle sera toujours présente tant que je n'aurai pas vu des choses bouger.
25:49 Parce que c'est bien, grâce à ce livre, j'ai pu être reçu par différents...
25:52 Parce que le livre, il fait bouger un peu les choses.
25:54 Voilà, ça fait du bruit, c'est bien, ça fait parler.
25:56 Il y a des hommes qui ont pris conscience de ce que vivait leur conjointe.
25:59 Il y a des femmes qui m'ont remercié en disant "c'est bien d'en parler, de mettre le sujet
26:02 sur la table parce qu'il y a un vrai problème et que tout le monde nous prend pour des folles,
26:05 soyons sincères".
26:06 Et en revanche, moi ce que j'attends après, c'est que les politiques bougent.
26:08 Et ça, c'est plus compliqué de faire bouger les politiques.
26:10 Il faut une grosse dose de bruit médiatique pour qu'un politique se dise "tiens, il va
26:14 falloir que je m'occupe vraiment de la question".
26:15 Et pour l'instant, je n'ai pas l'impression que la question de l'insécurité et des victimes
26:19 soient vraiment traitées.
26:20 On en parle, on passe à autre chose.
26:21 Pas la prochaine présidentielle, 2027, peut-être ?
26:24 J'ai comme un doute.
26:25 Concorde rouge dans la peau d'une victime d'agression.
26:28 Cet ouvrage, il est au Cherche-Midi, mais il est surtout sur la boutique TVL.
26:32 Vous le retrouvez bien évidemment sur TVL.fr à la rubrique "boutique".
26:35 Et vous pouvez vous procurer cet ouvrage.
26:37 Judith Kael Hirel, merci.
26:38 Merci à vous.
26:40 Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org
26:43 ♪ ♪ ♪

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