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00:00 Je suis Sarah Rigaud, je suis la directrice éditoriale des Escales.
00:03 Je suis très heureuse de vous présenter notre rentrée littéraire
00:06 qui, cette année, est une rentrée de découverte
00:08 avec trois premiers romans
00:10 et donc la découverte de trois voix de femmes.
00:13 Deux premiers romans français et un premier roman étranger.
00:17 Et on va commencer avec le premier roman français
00:19 qui s'appelle "Combien de lunes" de Laura El Maki.
00:23 Laura El Maki, vous la connaissez peut-être
00:25 parce qu'elle est journaliste sur France Culture, sur France Inter.
00:29 C'est aussi l'autrice de la série de livres "Un été avec".
00:33 Elle a par ailleurs écrit de nombreuses biographies
00:37 des Sorbonthées de H.G. Wells aussi.
00:39 Donc elle a écrit beaucoup de livres,
00:41 mais "Combien de lunes", c'est vraiment son premier roman
00:44 et c'est une entreprise complètement romanesque
00:47 dans lequel on est plongé dans un petit village
00:51 en France vraisemblablement, mais on ne sait pas exactement où.
00:54 En tout cas, ce qu'on sait, c'est qu'on est à la campagne.
00:57 Et quand le livre commence, on suit une jeune fille qui court.
01:01 Elle s'appelle Anna et elle court pendant la nuit
01:04 parce qu'en fait, elle vient de passer sa première nuit d'amour
01:06 avec son petit copain.
01:08 Elle a découché, elle veut pas que ses parents
01:10 se rendent compte de ce qu'elle a fait,
01:11 et donc elle court dans la nuit pour rejoindre sa chambre.
01:14 Donc elle arrive chez elle, elle se met au lit,
01:16 et là, elle attend le matin.
01:18 Et en fait, le matin ne vient jamais
01:21 parce que la nuit ne va pas se lever.
01:24 Et donc le village va se retrouver plongé complètement
01:27 dans l'obscurité.
01:28 Et on va suivre 4 personnages, dont cette jeune fille, Anna,
01:33 mais aussi une femme qui s'appelle Etel,
01:35 qui a quitté la ville, on ne sait pas tellement pourquoi.
01:37 On ne sait pas pourquoi elle a atterri dans ce village,
01:39 elle est assez mystérieuse.
01:41 On va aussi croiser un homme qui s'appelle Jocelyn.
01:44 Alors lui, c'était un petit peu l'enfant chéri du village.
01:46 Il était extrêmement beau jusqu'au moment
01:48 où il a eu un accident qu'il a complètement défiguré
01:51 et depuis, il est confit dans l'amertume.
01:54 Et puis on va rencontrer un petit garçon qui s'appelle Gautier,
01:56 qui est un petit orphelin extrêmement fantasque.
01:59 Et en fait, cette nuit qui ne finit pas
02:01 avec cette espèce de lune omniprésente dans le village
02:05 va être comme une sorte de projecteur sur eux.
02:08 Ils vont être un peu comme des insectes
02:11 qui sont pris dans de l'ambre.
02:12 On va les voir, on va pouvoir les examiner
02:14 sur toute leur couture
02:15 et en fait, comprendre qui ils sont,
02:18 quels sont leurs rêves, pourquoi ils sont là,
02:21 quels sont leurs espoirs les plus fous.
02:23 Donc en fait, paradoxalement,
02:24 cette nuit ne va rien cacher, mais va tout dévoiler.
02:28 Donc c'est un roman qui est un petit peu étrange,
02:31 un petit peu onirique,
02:33 qui est extrêmement poétique.
02:35 Et vous verrez quand vous le lirez qu'on a vraiment travaillé
02:39 à aérer le texte le plus possible
02:42 pour que vous puissiez vraiment savourer chacune de ses phrases.
02:46 C'est un travail extrêmement minutieux,
02:48 vraiment proche de la poésie.
02:51 Et en même temps, paradoxalement,
02:53 on n'est pas du tout dans un livre qui est évanescent
02:56 ou insaisissable,
02:57 puisque on est ancré dans cette campagne
03:00 qui est extrêmement rude, qui est extrêmement âpre
03:03 et qui nous ramène sans cesse au réel.
03:05 Donc on a une sorte de mélange, en fait,
03:08 entre grande délicatesse et ruralité très âpre.
03:12 À un moment, d'ailleurs, pour nous parler de cette campagne,
03:16 Laura El Maki dit, c'est un pays où les vieux se tuent,
03:19 que ce soit au cidre ou aux poutres des planches.
03:22 Je pense que ça pose un peu le décor.
03:24 Et on est extrêmement contents que Serge Joncourt
03:28 ait aussi été sensible à la plume de Laura El Maki.
03:34 Et après, on va passer à notre 2e roman,
03:37 2e roman français, qui est complètement différent.
03:40 Là, il s'agit de "Sous les strates" de Louève.
03:42 Donc là, vraiment, autant avec Laura,
03:44 on est dans l'imaginaire, dans la poésie.
03:47 Ici, avec Louève, on est dans quelque chose de beaucoup plus concret.
03:50 C'est un roman extrêmement autobiographique.
03:52 C'est quelque chose qui est tout à fait assumé
03:55 de la part de l'autrice,
03:57 dans lequel elle nous raconte son parcours,
04:00 enfin, à travers son double fictif qui s'appelle "Lin".
04:04 Donc Lin, elle a été adoptée au Vietnam
04:06 quand elle était tout bébé par des parents blancs français.
04:10 Elle grandit dans le sud de la France, dans une petite ville,
04:13 et elle nous raconte, en fait, ce que c'est que de grandir
04:16 quand on est sans cesse renvoyé au fait qu'on est autre,
04:20 où on ne ressemble pas aux autres.
04:21 On est tout le temps renvoyé à cette altérité,
04:23 que ce soit de la part des élèves, des profs,
04:26 mais aussi de ses parents, en fait.
04:27 C'est un racisme qui n'est pas forcément malicieux
04:30 ni mal intentionné, mais il est quand même là.
04:32 Donc comment on fait quand on est sans cesse renvoyé à ça ?
04:35 Et comment on fait aussi
04:36 quand on vit dans une société ultra-capitaliste
04:40 dont on n'a pas forcément envie de respecter les règles ?
04:43 Comment on trouve son chemin ?
04:45 Et comment, dans une société extrêmement normée
04:47 et aussi de façon sexuelle,
04:50 comment on se trouve ?
04:52 Comment on se trouve quand on n'a pas envie d'être hyper-capitaliste
04:55 ni hyper-hétérosexuel ?
04:57 Donc c'est vraiment le parcours de Linn.
05:01 Comment on fait pour trouver sa place,
05:02 qu'elle nous raconte dans "Sous les strates" ?
05:04 Et en creux, elle nous raconte ses deux mères,
05:07 sa mère adoptive, Françoise, qui a grandi dans les Vosges,
05:10 dans un milieu extrêmement modeste
05:12 et qui est un transfuge de classe,
05:14 qui a aussi vécu toutes les luttes pour le féminisme des années 60.
05:17 Donc on a vraiment son point de vue à elle.
05:20 Et de l'autre côté, on a le point de vue de sa mère biologique,
05:24 Minh, qui est restée au Vietnam,
05:25 qui nous raconte pourquoi et comment
05:27 on peut en arriver à laisser un enfant à l'adoption
05:30 et de quoi est fait son quotidien.
05:32 Donc ce livre, c'est un roman extrêmement fort
05:35 qui parle de thématiques qui sont très actuelles,
05:37 dont on parle beaucoup,
05:39 qui est aussi extrêmement personnel
05:42 et porté par Louève, qui est quelqu'un
05:44 qui a une grande présence dans les réseaux sociaux.
05:46 Elle a un Instagram qui s'appelle "la charge raciale",
05:49 qui est très suivi par des personnes
05:51 comme Rokhaya Diallo, Virginie Despentes.
05:53 Donc elle va bénéficier d'une forte plateforme médiatique.
05:59 Et c'est un livre qui est très fort, très personnel,
06:04 et qui aussi peut potentiellement être lu
06:06 par des lecteurs peut-être plus ouverts,
06:08 peut-être un peu plus jeunes
06:09 que pour des lecteurs de littérature habituelle,
06:12 qui se retrouveront dans les questionnements de l'Inne.
06:16 Et ensuite, on va passer à notre 3e roman.
06:19 Alors ça, c'est notre roman étranger
06:22 qui s'appelle "Les champs d'amour" de Wood Place,
06:24 le 1er roman de Honoré Fanon Jeffers.
06:27 Alors ce livre, c'est un grand roman
06:30 à tous les sens du terme.
06:32 Grand roman parce qu'il retrace 300 ans d'histoire américaine
06:38 à travers l'histoire d'une famille noire qu'on va suivre,
06:42 et grand aussi parce qu'il fait 912 pages.
06:45 Mais ne prenez pas peur,
06:48 c'est un livre qui est extrêmement lisible
06:53 et qu'on ne peut pas s'arrêter de lire.
06:54 Donc quand on rencontre une jeune fille qui s'appelle Hayley,
06:59 on va la suivre de son enfance à l'âge adulte,
07:02 elle est la petite dernière d'une famille bourgeoise,
07:04 son père est médecin, sa mère est enseignante,
07:07 et ils habitent à la ville dans le Nord.
07:10 On est aux Etats-Unis aujourd'hui,
07:12 mais on parle quand même du Nord en opposé avec le Sud,
07:15 et de la ville,
07:16 parce que la famille d'Hayley vient de la campagne.
07:18 Et tous les étés, la mère prend Hayley et ses 2 soeurs sous le bras,
07:22 elle remplit la voiture,
07:23 elle prenne les sandwiches aux poulets frits,
07:25 tout ce qu'il faut pour faire les longues heures de route,
07:28 et elle les emmène à Wood Place.
07:31 Et Wood Place, c'est le berceau de leur famille.
07:33 C'est là où Hayley va retrouver sa grand-mère,
07:35 son grand-oncle, ses tantes, ses oncles,
07:38 et cette terre qui l'ancre et qui a ancré sa famille.
07:42 Et dans cette terre, quand elle retrouve sa famille,
07:45 elle va aussi retrouver ses ancêtres,
07:47 qui vont nous donner les fameux "champs d'amour",
07:49 d'en parle le titre,
07:51 qui vont venir un petit peu rythmer la vie de Hayley.
07:54 On va avoir des chapitres qui vont venir scander sa vie,
07:57 qui vont s'intercaler entre sa vie,
07:59 et qui vont raconter comment la famille d'Hayley
08:02 est devenue la famille d'Hayley.
08:03 Donc ça commence au moment où les Etats-Unis
08:06 n'étaient pas encore les Etats-Unis.
08:07 On va suivre un homme autochtone qui s'appelle Mikho,
08:10 qui a un petit lot peint de terre.
08:13 Il s'installe, et puis il va voir arriver les colons blancs.
08:17 Il va voir ensuite arriver les personnes venues d'Afrique
08:19 qui vont être mis en esclavage.
08:21 Et il nous raconte comment toutes ces différents peuples
08:24 se sont mêlés.
08:26 Certaines fois, ce sont des mariages un peu d'amour,
08:29 d'autres fois, pas du tout.
08:31 Il y a des histoires d'une grande violence.
08:33 Et tout ça nous explique comment, dans la famille de Hayley,
08:36 on peut avoir un frère blanc et un frère noir,
08:39 on peut avoir des Noirs qui ont l'air d'être blancs,
08:41 mais qui, en fait, se revendiquent Noirs.
08:43 Et tout ce paradoxe
08:45 dont est fait les Etats-Unis d'aujourd'hui,
08:47 parce que finalement, ce que nous...
08:50 La question que Hayley se pose, c'est comment on se construit
08:54 quand, en fait, le sang de nos ancêtres
08:55 a irrigué la terre sur laquelle on est.
08:57 Donc c'est ce qu'elle va essayer de faire.
08:59 Elle va essayer de savoir si elle va suivre le trajet
09:02 de sa soeur aînée, qui est devenue accro au krach,
09:05 ou s'il va suivre, au contraire,
09:08 le parcours de son autre soeur,
09:10 qui, elle, est devenue une brillante médecin.
09:12 Et en fait, la façon pour elle de trouver son chemin,
09:16 c'est d'étudier, justement, ses ancêtres,
09:18 ses fameux ancêtres de Woodplace,
09:20 de comprendre comment la famille est devenue
09:23 ce qu'elle est aujourd'hui.
09:25 Donc c'est vraiment 300 ans d'histoire américaine,
09:28 comme je le disais,
09:30 mais on n'est jamais dans la démonstration.
09:32 On est vraiment dans l'émotion.
09:34 On est avec Hayley, on est aussi avec ses ancêtres,
09:38 toujours dans une expérience extrêmement humaine,
09:40 ce qui rend la lecture incroyablement bouleversante
09:44 et en même temps presque à la limite du voyeurisme
09:45 parce qu'on est vraiment dans leur vie
09:47 et donc on comprend ce qu'ils vivent.
09:50 Et c'est un livre qui a eu un très grand succès aux Etats-Unis,
09:56 aussi bien critique,
09:58 c'est un des 5 meilleurs romans de l'année
09:59 pour le New York Times,
10:01 mais aussi commercial.
10:02 Et je crois que c'est parce qu'il y a ce côté incroyablement humain
10:05 qui fait que ce livre, les 900 pages,
10:08 on les lit avec plaisir
10:10 et aussi parce qu'il y a cette alternance
10:12 entre le passé et le présent qui vient rythmer
10:14 et qui donne une lecture très dynamique.
10:16 Et je dois aussi saluer le travail des traducteurs pour ce livre
10:20 parce que ça a été un travail monumental.
10:22 C'est Philip et Emmanuel Aronson, c'est un couple de traducteurs.
10:25 Lui, il est américain et il a grandi en Caroline du Nord,
10:28 donc il connaît très bien le sud des Etats-Unis,
10:31 il connaît très bien cette histoire,
10:32 il connaît très bien le vernaculaire de cet endroit
10:35 et ils ont fait un travail absolument magnifique.
10:39 Donc c'est...
10:40 Vous le lirez, mais c'est vraiment un grand, grand coup de coeur.
10:44 Donc voilà, merci pour les escales.
10:47 (...)