• il y a 2 semaines
Transcription
00:00Bonjour tout le monde, on fait l'habituelle blague, Frédéric, François, équipe historique
00:08du Tripod qui va vous présenter notre entrée littéraire de janvier, sachant que comme
00:14d'habitude, elle est monstrueusement volumineuse puisqu'il y aura deux titres.
00:19Après, c'est toujours un exercice bizarre de résumer un livre en quelques mots ou quelques
00:26minutes.
00:27Là, ça l'est d'autant plus que les deux livres qu'on va vous présenter viennent
00:30de très loin.
00:31On va aller vite, évidemment, c'est les contraintes de l'exercice, mais je voudrais
00:37finalement, si j'avais une chose à vous faire retenir de cette présentation, c'est
00:41cette sensation de temps.
00:42Parfois, des livres naissent au bout d'un très très long cheminement.
00:47Là, on a affaire à deux auteurs, je ne sais pas s'il y a des titres qui vont apparaître
00:51à l'écran, mais c'est deux romans de Laure Limongy au Neurodame et Raphaël Melz qui
00:57étaient passés juste avant.
00:58C'est deux petits livres, c'est 140 pages pour l'un, 250 pages pour l'autre, mais
01:05c'est 25 ans d'écriture à chaque fois et ça n'arrive pas souvent.
01:10Alors, Laure Limongy, je la connais moins parce que c'est le premier livre qu'on publie
01:16d'elle, qu'elle était précédemment publiée notamment par Grasset, mais c'est un sacré
01:21parcours d'écriture.
01:22J'y reviendrai pour conclure.
01:23Je vais quand même commencer par le livre de Raphaël Melz parce qu'il a cette qualité
01:29rare.
01:30C'est une portion minoritaire des ouvrages qu'on peut conseiller comme ça en aveugle.
01:35Après de Raphaël, c'est ça.
01:37Vous avez quelqu'un qui rentre dans la librairie, vous ne le connaissez pas, ou vous entendez
01:41juste la sonnette de la porte et vous n'avez pas encore levé la tête, vous savez que
01:45vous pourriez conseiller ce livre à n'importe qui.
01:49Alors, Raphaël Melz, vous le connaissez peut-être sans le savoir parce qu'il est très doué,
01:57il fait des choses très différentes.
01:58Il a fait un essai sur la roue, par exemple.
02:00Il a fait un scénario de BD qui s'appelait « Des vivants » qui a été primé en
02:03Goulême.
02:04Et puis, il a aussi parfois des fantaisies littéraires qui lui font changer de nom.
02:09Et il est l'auteur d'un livre qui s'appelle « Paresse pour tous » sous le nom d'Adrien
02:14Kleinth.
02:15C'est quelqu'un de très protéiforme, je dirais.
02:18Et en même temps, c'est une œuvre littéraire qu'il a commencée il y a très longtemps.
02:23Raphaël a commencé par la revue.
02:25Il avait une revue qui s'appelait « Le Tigre », pour ceux qui s'en souviennent.
02:28Mais dès ses premiers livres, je dirais que ses textes sont hantés par un questionnement
02:33qui est assez péricain.
02:34Et Pérec est un auteur qui compte beaucoup pour lui, qui est celui de la disparition.
02:39Et « Après » est un texte qui parle de la disparition, mais surtout de la réapparition.
02:46C'est un roman extrêmement simple où vous allez avoir dans les premières pages le portrait
02:53d'une famille presque nucléaire, enfin toute banale.
02:57Un homme, une femme, deux enfants.
02:59Une grande douceur qui s'installe.
03:02Et dès les premières pages, je ne vous trahis rien du livre, il va y avoir un accident et
03:07le père va décéder.
03:08Mais ça, c'est que le point de départ parce qu'après, il se passe quelque chose d'assez
03:14extraordinaire qui est la réapparition de ce personnage qui va venir réhabiter la maison,
03:21un peu comme une présence spectrale, c'est-à-dire que personne ne le voit et lui, il voit tout.
03:26Et quand je dis « il voit tout », je pourrais dire « il ressent tout », c'est-à-dire
03:30que ses cinq sens sont encore actifs et le temps du roman va être juste le temps de
03:35la disparition progressive de ses cinq sens.
03:37Le goût d'abord va disparaître et puis progressivement le toucher, l'ouïe et finalement
03:45ça sera la vue.
03:46Et ce temps-là va correspondre à un temps de deuil.
03:49Raphaël, c'est quelqu'un qui travaille énormément, son écriture, le temps de gestation
03:55d'un roman, je parlais de temps tout à l'heure, c'est en règle générale trois, quatre
04:01ans pour lui.
04:02C'est un livre qu'il a écrit en cinq semaines, pour des raisons très intimes que je ne vais
04:06pas évoquer ici.
04:07Mais quand je disais que cette question de la disparition hante un peu son œuvre depuis
04:12toujours, elle a trouvé son point de cristallisation cette année.
04:16La conviction que j'ai, c'est que ce roman qui se lit en une heure à peu près, en plus
04:20la mise en page, c'est une mise en page tripode, il y a des bobles en tournant, c'est un livre
04:25qui se lit très facilement et très vite, je pense qu'il fait partie de cette catégorie
04:30de livres qu'on n'oublie pas.
04:32C'est-à-dire que non seulement tout le monde peut le lire, mais je crois que tout le monde
04:35a envie d'offrir un livre comme ça après.
04:38François, en parlant la première fois où il a lu, il y a une forme de lumière et de
04:44douceur dans ce texte qui, bizarrement, fait quelque chose qui n'est pas du tout triste,
04:49même s'il est très poignant dans son sujet.
04:51Oui, c'est exactement ça.
04:52Quand Frédéric nous a envoyé le texte lecture de l'équipe, ce qui a été très touchant,
04:59c'est que Raphaël te l'a envoyé presque en disant « j'ai écrit ça, mais c'est presque
05:02un accident ». Parce qu'il ne travaille pas comme ça d'habitude non plus, ça a été
05:08un surgissement ce texte-là.
05:09Il y a toute l'humilité de l'auteur qui croit que la valeur de ce qu'il écrit est
05:13proportionnelle au temps qu'il y met.
05:17Il avait écrit ce texte tellement rapidement et malgré lui presque, il était surpris.
05:21En fait, il n'avait pas de plan, le texte s'est imposé à lui naturellement, qu'il
05:26en était très déstabilisé.
05:27Et ça aussi, c'est touchant.
05:28Quand vous recevez un texte, vous savez quand c'est juste ou pas.
05:31C'est pareil quand vous ouvrez un SP, vous savez en quelques phrases s'il y a une musique
05:38ou pas, qu'elle soit pour vous ou pas.
05:39Et ce texte, dès les premières pages, on sent qu'il y a une vérité, qu'il y a quelque
05:44chose qui ne triche pas.
05:45Et malgré cela, l'auteur est douté.
05:48Et aujourd'hui encore, ce week-end, on a eu un échange où j'ai été obligé de lui
05:52rappeler ça tellement pour lui, le livre est là, il est imprimé, mais il ne sort
05:57qu'en janvier.
05:58Et tant qu'il n'a pas eu la confirmation de la valeur de ce qu'il a fait, il continue
06:03à douter et à croire que ce texte ne vaut peut-être pas grand-chose.
06:06Et c'est exactement le contraire.
06:08De toute façon, il n'y a pas grand-chose à dire de plus sur « Après », donc on
06:12va s'arrêter là.
06:13Tu me dis combien de temps il nous reste ? On est dans les tempos ? Bon, super.
06:19Et on va aller sur quelque chose de beaucoup plus farfelu.
06:21Je dis farfelu, mais il ne faut pas le prendre pour une moindre valeur.
06:28Laure a mis aussi beaucoup de temps à écrire ce texte, mais le sujet en est tellement joyeux
06:34que forcément, on l'aborde avec un sourire un peu plus grand.
06:37Laure Limongi, d'abord, c'est une incroyable actrice.
06:43Je pense qu'elle fait partie de ces auteurs un peu voraces qui ne font pas de distinguo.
06:50Elle a été éditrice.
06:52Vous la connaissez peut-être comme l'éditrice d'Hélène Bessette, par exemple.
06:56Elle a été enseignante.
06:57C'est l'une des premières personnes à avoir créé, sinon peut-être même la première,
07:02un master de création littéraire.
07:04Elle a dirigé pendant très longtemps celui du Havre.
07:06Elle est évidemment écrivaine depuis très longtemps.
07:12Avant, un culte, il y avait Al Dente, il y a eu les éditions Léocher.
07:16Et il n'y a pas de frontière chez elle entre tout ça.
07:19Elle a été aussi performeuse.
07:22En ce moment, elle fait des prescriptions littéraires.
07:24Elle accueille les gens avec des blouses.
07:26Elle leur demande ce qui ne va pas dans leur vie.
07:28Et à la fin de la séance, elle leur prescrit une ordonnance littéraire où elle leur dit
07:35« Pour que ça aille mieux, vous devriez lire ça, ça ou ça trois fois par jour,
07:38s'il vous plaît. »
07:39Il y a cette forme de générosité en elle et ça se retrouve dans ce livre.
07:43L'invention de la mer, vous voyez, on a pris volontairement une image assez ludique.
07:50Le point de départ du livre est tout simplement merveilleux,
07:53mais au sens presque fantastique du terme.
07:56On est à peu près dans un siècle.
07:58On n'est pas en 2024, mais plutôt en 2123.
08:03L'espèce humaine avait un tel problème avec son environnement,
08:06la raréfication des ressources, la pollution,
08:09qu'elle a décidé, pour assurer les conditions de sa survie,
08:12de s'hybrider avec des espèces animales mieux armées qu'elle.
08:16Assez rapidement, on s'est aperçu que ce qui avait de plus d'efficaces pour survivre,
08:20c'était plutôt les espèces aquatiques.
08:23Et donc, ils ont réussi à créer ce qu'on appelle des chimères,
08:26des êtres humains qui se sont hybridés, pour qui avec un poulpe,
08:30pour qui avec un cachalot, etc.
08:33Et en 2123, on se retrouve, et c'est comme ça que commence le roman,
08:39au milieu d'une émission littéraire à la radio,
08:42avec une présentatrice qui s'appelle Violetta, qui est une femme-poulpe,
08:47et qui va nous présenter ces deux auteurs de cette séance,
08:52qui sont une femme-cachalot et un homme-grabe.
08:58Et ce livre, il faudrait presque qu'on vous l'ouvre pour vous montrer le travail aussi sur la maquette,
09:03est d'une jubilation absolue.
09:04Donc là, je dirais, par rapport au discours que je tenais sur après,
09:08que vous pouvez confier à l'aveugle, à n'importe quel lecteur,
09:12là, ça demande quand même un rapport à la littérature déjà un peu plus intense,
09:15il faut pouvoir jouer avec les codes littéraires, avoir un certain sens de l'humour.
09:20Mais ce livre est inclassable pour moi, c'est-à-dire qu'il relève à la fois du roman,
09:25de la SF, de la poésie, de l'essai,
09:28parce qu'il se trouve que le compagnon de l'or,
09:31j'espère qu'elle ne m'en voudra pas de révéler, je ne crois pas que ce soit un scoop,
09:35mais elle vit avec un ingénieur agronome qui est spécialisé en ressources halieutiques.
09:40Donc le roman est truffé de références scientifiques sur l'état des ressources océaniques,
09:46de réflexions sur le devenir de nos océans.
09:49Voilà, pour moi, ça a été un puits sans fond, il y a plein de notes de bas de page.
09:53Vous pouvez à la fois rêver, prendre conscience,
09:57vous éveiller politiquement à un danger qui est celui qu'on vit,
10:01et en même temps partir d'un grand éclat de rire assez permanent,
10:04parce que de temps en temps, vous prenez subitement conscience
10:07que c'est un poulpe qui est en train de vous parler.
10:10Voilà, c'est très beau, c'est très généreux,
10:11c'est une main tendue à une forme d'optimisme, ce qui n'est pas trop à la mode en ce moment.
10:17Et je pense que c'est un texte qui fera du bien à plein de gens
10:20qui n'auraient jamais imaginé lire de la SF,
10:23qui n'auraient jamais imaginé lire de la poésie,
10:25qui n'auraient jamais imaginé lire un livre de sciences humaines,
10:28ou un essai scientifique sur l'état des océans.
10:34Et c'est tout ça à la fois, plus je ne vous parle pas de la romance,
10:37parce que l'homme crabe, par exemple, va vivre une histoire d'amour incroyable.
10:43Et tu te retrouves à envier cet homme, à dire « mais pourquoi ce n'est pas moi l'homme crabe ? »
10:48Et c'est vrai, c'est vraiment ça, c'est un roman qui a de l'esprit,
10:51parce qu'elle joue avec les codes littéraires,
10:54mais dans le beau sens du terme, elle ne se regarde pas du tout à écrire.
10:58Et par exemple, la femme cachalot raconte l'extinction de son espèce,
11:05puisque voilà, c'est ça.
11:07Mais du coup, vous avez Moby Dick du point de vue du cachalot aussi.
11:11Et ça change la donne.
11:12Quand on a Moby Dick qui commence à parler du point de vue cachalot,
11:17ça fait partie des trouvailles de l'or.
11:19Pareil sur l'homme crabe, qui est slammeur, lutteur, performeur.
11:25Ça change la vision de la littérature et de la mer.
11:31Ça me fait penser à une phrase de Moby Dick qui est très belle.
11:33De mémoire, en anglais, ça donne « Eat it well, you panthéiste.
11:38Souviens-toi sans bien, toi qui es panthéiste. »
11:41C'est un roman panthéiste aussi,
11:42c'est-à-dire qu'il a une manière de dissoudre les frontières
11:45entre l'humain, le vivant, le minéral, l'aquatique.
11:49Ça pourrait être un grand bordel.
11:51Et en fait, c'est un grand chant.
11:52C'est très harmonieux.
11:54Ça termine par des poèmes olfactifs.
11:56Parce qu'effectivement, quand on est animal,
11:58on a un rapport au réel qui est un peu plus subtil sur certains sens.
12:03C'est une mine inépuisable.
12:04C'est-à-dire que je dirais qu'en rapport qualité-prix,
12:08ce livre est assez imbattable.
12:10Vous pouvez le lire dix fois et ne pas l'épuiser.
12:14Voilà, je pense qu'on a épuisé notre temps par contre.
12:17Merci.
12:17Les livres sont à disposition si vous avez besoin de SP.
12:21Bon courage parce que vous êtes encore un peu au début de la journée.
12:24Merci beaucoup.

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