Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Baisse de popularité dans les sondages, casserolades à chacun de ses déplacements ou encore marionnettes
00:05 à son effigie brûlée lors des dernières manifestations.
00:08 Pourquoi la figure du président suscite-t-elle autant de colère voire de haine ? Pour en
00:14 parler, nous sommes en compagnie de trois macronologues.
00:17 Je vous les présente immédiatement.
00:19 Brice Tinturier, bonjour.
00:21 Bonjour Guillaume Erner.
00:22 Vous êtes directeur général délégué d'Ipsos et on va voir avec vous dans quelle mesure
00:28 la popularité d'Emmanuel Macron se distingue de celle de ses prédécesseurs.
00:33 Comment elle dessine le portrait d'un président ? Roland Gori, bonjour.
00:37 Bonjour Guillaume.
00:38 Vous êtes psychanalyste, professeur émérite de psychologie et vous avez consacré plusieurs
00:44 ouvrages au pouvoir.
00:45 Je cite celui qui évoque immédiatement Emmanuel Macron, « La nudité du pouvoir, comprendre
00:52 le moment ». Macron, c'est aux éditions des Liens qui libère.
00:55 Et puis enfin ici dans ce studio, Corinne Laïc, bonjour.
00:59 Vous êtes journaliste au quotidien L'Opinion et on vous doit président cambrioleur au
01:03 sujet d'Emmanuel Macron.
01:05 C'est un livre que vous avez publié chez Fayard en 2020.
01:09 Emmanuel Macron fut très populaire au moment de la campagne présidentielle, de sa première
01:15 campagne.
01:16 Et puis comment les choses se sont-elles déroulées par la suite ?
01:19 Très vite, au début de son quinquennat, est apparu l'étiquette « Président des
01:24 Nations », provoquée par la mise en place de sa politique de baisse des impôts sur
01:31 le capital et les revenus du capital, plus une énorme erreur qui consistait à diminuer
01:39 les APL de 5 euros.
01:40 Et ça l'a marqué.
01:42 Ses propres conseillers disent qu'il s'agit d'un tatouage et on se défait difficilement
01:47 des tatouages.
01:48 Après, il a réussi à remonter la pente, ce qui est assez exceptionnel.
01:52 À la fin de l'année 2017 et puis courant 2018, est montée effectivement une haine
02:01 qui lui est personnellement adressée et qui va trouver sa pleine expression au moment
02:06 de l'affaire des Gilets jaunes.
02:08 Il faut toutefois préciser que la haine que déchaînent les présidents de la République,
02:12 de la Ve République n'est pas nouvelle.
02:14 De De Gaulle à Macron, tous l'ont subi à des degrés, sous des formes diverses.
02:20 Ce qui caractérise la haine que suscite Macron, c'est plus sa personne que des questions
02:26 politiques.
02:27 Sarko-facho, c'était, ont contesté radicalement la politique de Nicolas Sarkozy, jugée beaucoup
02:35 trop à droite.
02:36 Je ne reviendrai pas sur le général De Gaulle.
02:39 C'était à chaque fois des clivages idéologiques et politiques avec Emmanuel Macron.
02:44 La nature est un peu différente.
02:46 Il est davantage sociologique, il est censé incarner une France du haut versus une France
02:51 du bas.
02:52 Et puis sa personnalité, son parcours, son comportement, il faut bien le dire, avec ses
02:57 petites phrases nourrissent également cette haine.
02:59 Brice Teinturier, qu'est-ce que vous observez dans les différents sondages ? Tout d'abord
03:04 pour essayer d'objectiver les choses, si vous deviez comparer la popularité ou l'impopularité
03:10 d'Emmanuel Macron par rapport à celle de ses prédécesseurs.
03:13 Alors aujourd'hui, le chef de l'État est à 28% de jugement favorable dans notre baromètre
03:18 Ipsos-Le Point.
03:19 Ça le situe très au-dessus de François Hollande.
03:23 On a oublié à quel point François Hollande était rejeté.
03:25 Mais ça le situe par exemple en dessous de Nicolas Sarkozy.
03:28 Mais ce qui caractérise sa popularité, ce n'est pas le niveau global.
03:32 C'est l'intensité du rejet au sein de deux familles politiques, les sympathisants
03:37 de la France insoumise et les sympathisants du RN.
03:39 Vous voyez, on est à 79% par exemple de jugement défavorable chez les sympathisants de la
03:45 France insoumise.
03:46 Mais c'est dont 60% de jugement très défavorable.
03:50 Donc les jugements très défavorables emportent massivement sur les jugements plutôt défavorables.
03:54 Et c'est la même chose, en plus accentuée encore, chez les sympathisants du RN.
03:58 Et ça, les prédécesseurs d'Emmanuel Macron ne l'avaient pas.
04:02 On avait un système plus stable avec un rejet par exemple à gauche ou à droite pour Nicolas
04:06 Sarkozy ou pour François Hollande.
04:08 Mais on n'avait pas cette intensité de rejet dans certaines familles politiques.
04:13 Aujourd'hui, au PS et chez les LR par exemple, ces sympathisants expriment du rejet d'Emmanuel
04:21 Macron, mais pas de la haine, pas de la détestation à ce point.
04:24 Et je reprends effectivement ce qui a été dit.
04:26 C'est à la fois une détestation qui s'ancre dans la personne, mais également dans le
04:31 contenu d'une politique.
04:32 Et à la périphérie du système, les deux dimensions sont extrêmement fortes.
04:37 Avec un reproche d'arrogance de quelqu'un qui ne comprendrait pas comment vivent les
04:42 Français.
04:43 Et puis un reproche également sur le contenu de la politique, qui serait l'expression
04:47 d'une classe sociale.
04:48 Ce n'est même pas bourgeoisie contre prolétariat.
04:51 C'est véritablement ceux d'en haut, une forme de technocratisme qui s'exprimerait
04:56 dans le contenu de la politique et dans la personne d'Emmanuel Macron.
04:59 Et c'est ça qui nourrit cette détestation profonde chez les sympathisants, notamment
05:03 FI et RN.
05:05 Mais pourtant, on se souvient, un brise teinturier, Nicolas Sarkozy, lui aussi suscitait beaucoup
05:11 de critiques.
05:13 François Hollande, c'était un peu différent.
05:15 Mais Nicolas Sarkozy, il y avait également des manifestations dirigées contre sa personne.
05:20 En quoi y a-t-il un phénomène selon vous différent avec Emmanuel Macron ?
05:24 Vous avez raison de souligner que pour Nicolas Sarkozy, il y avait aussi une dimension personnelle.
05:29 Les sympathisants de gauche, j'ai envie de dire, vomissaient littéralement Nicolas
05:34 Sarkozy.
05:35 Ils voulaient toucher non seulement le contenu de sa politique, mais également de mettre
05:38 le pays en tension, d'avoir une forme de dureté, d'arrogance.
05:43 À droite aussi, on avait des critiques à l'égard de la personne de Nicolas Sarkozy
05:48 et de la façon dont il exerçait la fonction présidentielle.
05:50 Donc les deux dimensions, politique et de personnalité, ont toujours coexisté quand
05:56 on atteint des niveaux de rejet aussi forts.
05:57 Là, ce qui caractérise simplement Emmanuel Macron, c'est encore une fois l'intensité
06:03 chez certaines familles politiques de la détestation.
06:07 Et ça, on ne l'avait pas malgré tout à ce point.
06:10 Mais c'est aussi parce qu'on est dans un système maintenant de fameuse tripartition
06:14 où vous avez un bloc central qui lui exprime son mécontentement et puis deux ailes politiques
06:20 qui vont au-delà du mécontentement et de la colère, qui vont jusqu'à une forme
06:24 de détestation voire de haine.
06:25 Corine Laïc ?
06:26 Oui, je pense que la différence entre Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron tient au parcours
06:31 et à la personnalité d'Emmanuel Macron.
06:35 Emmanuel Macron parle bien anglais.
06:37 Nicolas Sarkozy parle mal, voire pas du tout anglais.
06:41 Et ça a l'air d'une anecdote.
06:44 Mais ça fait la différence dans la mesure où il y en a un auquel les gens peuvent relativement
06:49 s'identifier.
06:50 Nicolas Sarkozy a su parler à un certain moment aux classes populaires.
06:56 Emmanuel Macron, non.
06:58 Emmanuel Macron, il est étiqueté par son parcours.
07:02 Inspection des finances, commission Atali, banquier d'affaires.
07:06 Il pense France du haut.
07:08 Il est optimiste.
07:09 Et dans un pays qui est décliniste.
07:13 D'ailleurs, il faut souligner qu'au début de son élection, le sentiment décliniste
07:16 de la France avait réussi à diminuer un petit peu.
07:18 Et puis évidemment, après, ça s'est dissipé.
07:20 Donc, c'est vraiment...
07:21 Il faut faire la différence entre le message et le messager.
07:26 Et le messager Macron, quoi qu'il dise, est considéré comme ne comprenant pas la France
07:32 qui a des fins de mois qui commencent le 9 du mois.
07:35 La France qui a des difficultés.
07:36 Et dans les qualitatifs que les sondeurs recueillent, ça revient de manière extrêmement forte
07:42 et extrêmement puissante.
07:43 Donc, il y a vraiment un clivage sociologique, un clivage de classe.
07:47 Davantage que pour Nicolas Sarkozy, qui s'exprime pour Emmanuel Macron, qui en plus, à l'autre
07:53 côté, fort en thème, l'homme qui a tout réussi, qui a fait de brillantes études,
07:59 qui joue bien au tennis, qui joue du piano, etc.
08:02 - Roland Gori, je me tourne vers vous.
08:05 Vous êtes psychanalyste.
08:06 Le fait qu'il y ait de la haine vis-à-vis de cet homme, un homme lointain, je veux
08:13 dire, le fait d'avoir de la haine vis-à-vis d'une image, vis-à-vis d'une représentation,
08:19 vis-à-vis d'un homme public.
08:20 Est-ce que ça suscite justement chez le psychanalyste que vous êtes ?
08:24 - Oui, alors écoutez, c'est le citoyen qui va s'exprimer, je dirais, plus que le psychanalyste.
08:31 Je crois qu'il y a déjà tout ce que vos invités ont évoqué, à savoir qu'Emmanuel
08:37 Macron illustre d'une certaine manière le représentant des élites technocratiques
08:44 qui ont fait scission avec le peuple.
08:46 Et je crois qu'il est extrêmement important de prendre très au sérieux une de ses dernières
08:50 phrases lorsque, et d'ailleurs j'avais publié une tribune dans le temps que vous avez cité
08:55 dans tout à l'heure, où il voyait le peuple comme une foule émeutière.
09:00 C'est totalement méconnaître ce que constitue le peuple.
09:03 C'est un corps politique constitué dans le creuset d'une histoire de lutte sociale,
09:09 de révolte.
09:10 Et je crois que c'est un point qui est extrêmement important.
09:13 Et puis, il y a un deuxième point également.
09:16 Bien sûr, c'est son style, on l'a dit, un style un peu de… tant lubriste, tant illimité.
09:22 Il ne respecte pas les classes d'âge, comme le reconnaissait d'ailleurs Brigitte Macron.
09:25 Il ne respecte pas également les corps intermédiaires.
09:29 Mais il y a essentiellement aussi la manière dont il a conquis le pouvoir.
09:34 Et je voudrais quand même faire allusion à ce qu'a dit Pristin Thurier en parlant
09:38 d'intensité, d'instabilité, quant aux réactions qu'il suscite.
09:43 L'instabilité, elle est propre à la manière dont certaines personnes, le disait Machiavel,
09:50 conquièrent le pouvoir par chance, d'une certaine manière, face à une faillite de
09:53 la parole politique.
09:54 C'était le cas en 2017.
09:56 Et ils volent, je dirais, pour conquérir ce pouvoir, mais ont beaucoup de difficultés
10:02 à s'y maintenir.
10:03 Et donc, c'est tout à fait normal qu'un leader politique, on peut dire providentiel
10:09 ou charismatique, ait quelques difficultés à se maintenir au pouvoir parce qu'il doit
10:13 sans cesse faire la preuve de sa compétence.
10:16 Mais j'aimerais quand même, Roland Gori, avoir un mot du psychanalyste que vous êtes.
10:23 Parce que le fait d'haïr quelqu'un que vous connaissez, c'est quelque chose qui,
10:28 en tout cas, est une expérience que l'on peut faire.
10:32 Mais le fait de détester une image, c'est déjà quelque chose de plus compliqué.
10:37 Le fait de détester une image ou un homme politique au point, par exemple, de s'en
10:42 prendre à son neveu, pour vous, qu'est-ce que ça signifie ?
10:45 Si vous voulez, je condamne toutes les violences, quelle qu'en soit la source, si j'ose
10:53 dire, et l'occasion.
10:54 Maintenant, vous avez évoqué les passions tristes.
10:57 Comme vous le savez, c'est un concept de Spinoza qui, effectivement, définit la haine.
11:00 Je crois qu'il a profondément une tristesse, aussi une tristesse du peuple de ne pas être
11:05 entendu.
11:06 Souvenez-vous également de la réaction de Laurent Vergé lorsqu'il dit « Quand on
11:11 veut renouer le dialogue avec quelqu'un, on ne lui donne pas une gifle ».
11:15 Bon, c'est exactement pourtant ce qu'a fait Emmanuel Macron.
11:17 Donc je crois qu'on est du côté plutôt du « en même temps », et on y reviendra
11:21 certainement, du « en même temps » qui montre, si vous voulez, une contradiction
11:26 entre ce qu'il dit et ce qu'il fait.
11:28 Une contradiction entre le texte de sa rhétorique politique et puis, en marge, les petites
11:34 phrases qui sont totalement discordantes par rapport au texte.
11:38 Donc lorsque vous plongez des individus dans la discordance, la contradiction comme ça,
11:44 vous les affolez et ils réagissent violemment.
11:47 Ça me paraît tout à fait légitime, d'une certaine manière.
11:51 Mais Brice Tinturier, là aussi, ce qui vient d'être dit sur Emmanuel Macron pourrait
11:58 être dit de manière différente, mais en tout cas pourrait s'appliquer à des présidents
12:03 aussi différents.
12:04 Je ne sais pas, Valéry Giscard d'Estaing, qui lui aussi était jeune lorsqu'il a été
12:10 élu, extrêmement brillant, probablement peu proche des gens, même si ensuite il s'est
12:16 attaché à faire de l'accordéon et à faire un certain nombre de choses qui prouvaient
12:20 qu'il pouvait entrer dans les familles françaises.
12:24 Qu'est-ce qui, justement, dénote chez Emmanuel Macron, selon vous, par rapport à cette galerie
12:29 de portraits ?
12:30 Alors, le parallèle avec Valéry Giscard d'Estaing paraît être le plus juste.
12:34 C'est là où il y a le plus, effectivement, d'affinité.
12:37 Mais le terme, à mon avis, qui explique le mieux le rejet d'Emmanuel Macron, c'est
12:42 l'arrogance.
12:43 C'est véritablement ce que ressentent les Français, ce sentiment qu'Emmanuel Macron,
12:48 lui-même, a le sentiment d'avoir toujours raison.
12:50 Et c'est ça qui se transforme ensuite en ressenti de mépris.
12:54 C'est l'idée que si vous n'êtes pas d'accord avec lui, eh bien c'est que vous
12:59 êtes irresponsable.
13:00 Rhétorique, car réutilisé, Emmanuel Macron, au moment de la réforme des retraites.
13:04 Et ça, c'est à proprement parler, insupportable pour les Français, parce qu'il ne s'agit
13:08 pas simplement d'un désaccord politique, sur le fond, c'est vraiment l'expression,
13:14 et je pense qu'aucun autre président de la République n'a appelé ça, c'est vraiment
13:16 l'expression d'une forme d'arrogance pour les Français.
13:20 Vous n'avez pas compris, vous ne comprenez pas, je vous explique et moi j'ai raison.
13:25 Et c'est ça qui cristallise ce niveau de rejet et de haine, au-delà des explications
13:31 sociologiques, politiques qu'on a avancées jusqu'à maintenant.
13:34 C'est vraiment cette dimension-là, je crois, qui est au cœur de la détestation
13:38 d'Emmanuel Macron.
13:39 Mais alors, ça aussi, c'est quand même étrange, Brice St-Hurier, parce qu'un président
13:42 de la République, a priori, c'est quelqu'un qui doute peu ou doute peu en public, et
13:48 si on prend la galerie de ses prédécesseurs, ils n'ont généralement pas brillé par
13:53 les doutes qu'ils pouvaient exprimer à cet égard.
13:55 En un sens, tant mieux, puisque un politique, j'imagine, doit avoir des doutes, mais en
14:00 privé.
14:01 Oui, bien sûr, vous exprimez une politique, vous conduisez une politique, vous pensez
14:05 que cette politique est la plus adaptée ou la meilleure, mais vous pouvez expliquer
14:09 que vous considérez que cette politique est la bonne en l'argumentant, sans pour autant
14:14 immédiatement expliquer que si vous n'êtes pas d'accord avec cette politique, vous
14:19 êtes un irresponsable.
14:20 Et ça, je crois qu'on ne l'avait jamais poussé à ce point.
14:23 Ça échappe même, me semble-t-il, à Emmanuel Macron.
14:26 C'est très naturel pour lui de penser ça, et c'est ce que les Français identifient
14:30 tout de suite, que fondamentalement, ils les considèrent comme des irresponsables s'ils
14:35 ne sont pas d'accord avec sa politique.
14:37 Et là, on a une espèce de noyau qu'on ne trouvait pas, malgré tout, ni avec François
14:42 Hollande, bien entendu, ni même avec Nicolas Sarkozy, qui encore une fois était aussi
14:46 très rejeté par les sympathisants de gauche, mais pas avec ce sentiment que Nicolas Sarkozy
14:51 les méprisait fondamentalement.
14:53 Corine Laïc.
14:54 Sur la question du doute, j'ai fait une interview d'Emmanuel Macron quand il était
14:59 ministre de l'économie, et je lui ai posé la question du doute.
15:03 Et il m'a répondu que bien sûr qu'il doutait, parce que s'il ne doutait pas, ça voulait
15:09 dire qu'il était complètement irresponsable, mais qu'en même temps, quand on est un
15:14 homme politique, on ne peut pas afficher ses doutes, sinon on n'inspire pas confiance
15:18 aux personnes qui vous ont élus.
15:19 Et c'est vrai que ce qu'il affiche, c'est une assurance que Pristin Thurier qualifie
15:24 d'arrogance, mais qui est pour lui une espèce de… Il est en permanence en train de chercher
15:30 la réassurance de ce qu'il croit avec la confrontation avec le point de vue des autres.
15:35 C'est-à-dire qu'il a besoin de se convaincre que ce qu'il pense est juste, et donc il
15:40 est dans cette espèce d'interrogation.
15:41 C'est pour ça qu'il passe énormément de temps à consulter des personnes de son
15:47 répertoire auxquelles il envoie des messages, qui lui répondent.
15:51 Il veut être sûr de prendre la bonne décision.
15:53 Souvent, à la fin, la bonne décision, c'est celle qu'il a prise dès le début.
15:56 Mais il a besoin de se la faire reconfirmer par ses consultations permanentes.
16:01 Et il a besoin aussi de la confronter.
16:03 C'est pour ça qu'il aime bien aller au-devant des personnes quand il est sur le terrain,
16:07 de la faire confronter à la réalité que les gens lui opposent.
16:11 - Corine Laïc, journaliste au quotidien, l'opinion, le psychanalyste Roland Gori et
16:17 le directeur général délégué d'Ipsos, Brice Tinturier, on se retrouve dans quelques
16:21 minutes pour évoquer l'image, la représentation d'Emmanuel Macron, voire aussi les conséquences
16:30 politiques de cette représentation.
16:33 En attendant, il est 8h sur France Culture.
16:35 La raison d'une obsession, d'une obsession anti-Macron, on en parle en compagnie de la
16:46 journaliste Corine Laïc.
16:48 Vous écrivez pour le quotidien l'opinion et on vous doit président cambrioleur aux
16:52 éditions Fayard, le psychanalyste Roland Gori à qui on doit notamment la nudité
16:57 du pouvoir comprendre le moment Macron aux éditions des Liens qui libèrent et Brice
17:02 Tinturier, le directeur général délégué d'Ipsos.
17:05 Brice Tinturier, si l'on devait désormais s'intéresser aux attributs, à la représentation
17:11 d'Emmanuel Macron en termes de sympathie, de compétence et par exemple, je ne sais
17:17 pas, les comparer à ce que Marine Le Pen là aussi suscite en France pour prendre les
17:25 deux finalistes de l'élection présidentielle.
17:28 Que diriez-vous ? Que disent les sondages ?
17:30 Ce que les enquêtes montrent, c'est qu'on a vraiment deux figures totalement inversées
17:35 entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
17:37 Les catégories sociologiques où l'une et l'autre ont du soutien ou du rejet sont
17:44 totalement opposées.
17:45 Par exemple, les cadres soutiennent quand même assez fortement Emmanuel Macron, 40%
17:50 portent un jugement favorable.
17:52 Ce n'est pas du tout le cas pour Marine Le Pen où là on est qu'à 27%.
17:56 Inversement, vous avez près d'un ouvrier sur deux, 46% qui portent un jugement favorable
18:02 sur Marine Le Pen, ce qui n'est absolument pas le cas pour Emmanuel Macron.
18:06 Et je pourrais multiplier les indicateurs, que ce soit par exemple le niveau de revenu
18:11 du foyer, totalement linéaire dans la popularité d'Emmanuel Macron.
18:16 Plus vous avez des revenus élevés, plus vous soutenez le chef de l'État.
18:19 Ce n'est pas le cas évidemment avec Marine Le Pen.
18:22 Donc on a là vraiment deux figures opposées et qualitativement, autant Emmanuel Macron
18:28 a donné le sentiment aux Français qu'il avait très fortement la capacité à présider
18:34 au moment de la campagne présidentielle, l'étoffe d'un président, ce n'était
18:37 pas le cas de Marine Le Pen, autant Marine Le Pen donne le sentiment de mieux comprendre
18:42 les Français, de davantage vouloir améliorer, changer les choses en leur faveur.
18:48 Alors je vais vous embêter, Brice Naturier, dans ces conditions, l'arbitrage, si on
18:53 a affaire ou bien à une personne qui semble empathique, c'est en tout cas ce que l'on
19:00 pourrait tirer comme conclusion de cette représentation de Marine Le Pen.
19:03 Et de l'autre côté, quelqu'un de compétent, il vaut mieux un président compétent ou
19:07 empathique ?
19:08 Écoutez, le premier tour d'élection présidentielle a permis malgré tout de trancher.
19:13 Pour les Français, il valait mieux avoir un président qui avait l'étoffe d'un
19:17 président, qui était capable notamment d'affronter des crises graves et ça a donné l'avantage
19:22 à Emmanuel Macron.
19:23 Mais malgré tout, au premier tour, l'avantage était de 4 ou 5 points au maximum.
19:30 Et puis ce qu'il faut avoir à l'esprit aussi, c'est que Marine Le Pen est empathique
19:34 dans certaines catégories de la population, mais elle suscite quand même un très fort
19:37 rejet dans d'autres.
19:38 Il y a toujours un Français sur deux qui considère qu'elle est un danger pour la
19:43 démocratie, qu'on ne peut pas lui confler les clés du pays.
19:46 Donc oui, il y a de l'empathie et c'est tout le travail de Marine Le Pen que d'essayer
19:50 de se désextrémiser, mais il y a encore aussi beaucoup de rejet à son égard.
19:54 Et un épisode comme celui de la réforme des retraites, est-ce qu'il témoigne dans
19:59 l'opinion d'une baisse du niveau de compétence d'Emmanuel Macron parce que la réforme
20:04 est refusée par les Français, parce que selon l'opposition, d'autres réformes étaient
20:08 possibles ou bien est-ce qu'il marque encore le sillon d'un président compétent ?
20:13 Ce n'est ni la marque d'une compétence ou d'une incompétence.
20:18 C'est plutôt pour les Français qui s'opposent à cette réforme, la marque, pardonnez-moi
20:23 l'expression, mais d'une obstination pour eux, d'une obstination d'Emmanuel Macron
20:27 à vouloir imposer sa grille de lecture.
20:29 Alors le Bloc central partage cette grille de lecture, il ne faut pas l'oublier non plus,
20:33 mais vous avez des oppositions extrêmement puissantes sur le fond de la réforme des
20:37 retraites et bien évidemment aussi sur la manière dont cette réforme est passée.
20:41 Corine Laïc, dans "Les raisons de la détestation d'Emmanuel Macron", il est souvent évoqué
20:47 son arrogance, une arrogance qui pourrait par exemple transpirer de ses petites phrases,
20:54 par exemple, pour trouver du travail, il suffit de traverser la rue avec une redite de cette
21:00 phrase.
21:01 Il y a quelques jours, Emmanuel Macron était en train de visiter une usine qui embauchait
21:06 et il a expliqué qu'il était possible de trouver du travail en une heure, immédiatement,
21:14 en raison des niveaux d'embauche suscités par cette usine.
21:19 Pourquoi ce type de phrase selon vous ?
21:21 Emmanuel Macron est quelqu'un qui renonce rarement, il n'abandonne jamais et donc quand
21:27 il est persuadé d'une vérité, il pense qu'elle est bonne à dire.
21:31 Cela lui a pas trop mal réussi pendant sa première campagne en 2016-2017 parce qu'il
21:36 a creusé le sillon avec la langue de bois traditionnelle des politiques, il a montré
21:41 qu'il était différent des autres et même quand il prononçait des propos qui pouvaient
21:45 arracher certaines oreilles, il en était crédité.
21:48 Vous prendrez par exemple cet échange qu'il a à Lunel avec deux manifestants qui viennent
21:53 lui reprocher le prix de son costume et il leur répond "le jour où vous travaillerez,
21:59 vous pourrez vous aussi vous payer un costard en substance".
22:01 Il y a des sondages qui ont été faits par l'équipe de campagne de Macron à ce moment-là
22:05 et qui montrent que ça a été bien reçu par l'opinion.
22:07 Donc ce qui a été bien reçu par le candidat, après, ne peut ne plus l'être quand on
22:14 est président.
22:15 Un président ne devrait pas dire ça.
22:18 Le titre d'un célèbre livre et Emmanuel Macron a mis du temps à prendre conscience
22:24 qu'il ne pouvait pas tout dire même si factuellement on peut dire qu'il suffit
22:28 de traverser la rue pour trouver du travail pour dire ce que les économistes ou les observateurs
22:33 du monde du travail disent, à savoir qu'il y a des tensions de recrutement et que les
22:36 chefs d'entreprise ont besoin de manœuvres et qu'il est donc beaucoup plus facile de
22:39 trouver du travail aujourd'hui qu'il y a quelques années.
22:42 Est-ce que c'est une communication délibérée le fait de continuer à lâcher des petites
22:48 phrases parce que j'imagine qu'auprès des partisans d'Emmanuel Macron, ça peut
22:52 aussi renforcer le socle ?
22:54 Il en a répudié certaines.
22:56 Il a dit que les Français qui ne sont rien, ils regrettaient de l'avoir dit.
23:00 Il a assumé qu'il suffit de traverser la rue pour trouver du travail.
23:04 Donc il est conscient, je pense qu'il est conscient du problème.
23:07 Je pense qu'il y a des moments où il ne peut pas s'empêcher de dire ce qui est
23:12 le fond de sa pensée.
23:13 Jean Lemarie, qu'est-ce qui relève finalement là-dedans du fond et qu'est-ce qui relève
23:17 de la forme ? C'est ça aussi la question quand on parle de ce que dit Emmanuel Macron
23:22 et de la manière de le dire.
23:24 Oui, c'est la manière de le dire.
23:25 Une fois de plus, si un économiste fait un savant raisonnement sur le problème des
23:29 tensions de recrutement, si on dit qu'il est difficile de réformer en France parce
23:34 qu'on a une tradition révolutionnaire, qu'on est capable de réformer que pendant
23:38 les crises, c'est les Gaulois réfractaires.
23:40 Mais il y a deux choses qui jouent.
23:43 Il y a la manière de dire les choses pour un fond similaire et il y a le locuteur.
23:49 Emmanuel Macron est un messager, je l'ai dit tout à l'heure, qui en lui-même est
23:55 une sorte d'irritant.
23:56 Et je voudrais vous raconter une petite anecdote qui n'en est pas vraiment une, qui est
24:01 au moment de la crise des Gilets jaunes le 4 décembre.
24:04 Il se rend au Puy en Velay pour, après ce qui s'est passé le 1er, où la préfecture
24:08 a été incendiée et il a failli être lynché par certaines personnes, ce revendicat des
24:15 Gilets jaunes.
24:16 Il rentre à Paris, il reçoit Richard Ferrand à l'époque président de l'Assemblée
24:22 nationale et il lui dit qu'est-ce que je dois faire ? Est-ce que je dois parler ? Est-ce
24:25 que je ne dois pas parler ? Et Ferrand, lui un franc parlé, lui dit tu la fermes.
24:30 Tu la fermes parce que ton silence est supérieur à ta parole.
24:34 Et pendant plusieurs jours, Emmanuel Macron se tait parce qu'il est un irritant.
24:39 - Alors un irritant avec des réactions parfois violentes, vous venez de les évoquer, Corine
24:46 Laïc.
24:47 Roland Gori, vous qui êtes psychanalyste et professeur émérite de psychologie, dans
24:52 la nudité du pouvoir, comprendre le moment Macron, vous revenez sur un certain nombre
24:55 de théories du pouvoir.
24:57 Vous revenez sur Durkheim notamment.
25:00 Vous évoquez la notion de charisme chez Weber.
25:04 Et on voit bien que dans toutes ces théories, dans toutes ces représentations du pouvoir,
25:09 il y a un rapport ambivalent au pouvoir.
25:12 Est-ce qu'Emmanuel Macron n'est pas justement en train de faire les frais de ce rapport
25:17 ambivalent au pouvoir ?
25:18 - Oui, vous avez parfaitement raison.
25:22 Il y a une relation d'ambivalence avec le pouvoir et en particulier dans notre Vème
25:29 République où il y a presque une relation d'amour-haine avec ce que peut représenter
25:34 le président de la République.
25:35 Mais je voudrais revenir quand même sur ce point.
25:37 C'est quand même une affaire aussi de parole et d'écoute.
25:40 C'est-à-dire qu'on n'a pas l'impression qu'Emmanuel Macron écoute le peuple.
25:46 Les gens le disent.
25:47 Il ne nous écoute pas.
25:49 Et je ne sais pas si vous vous souvenez, la plupart des dialogues qu'il entretient avec
25:54 les participants au moment des débats, il les écoute et puis il a un geste de la main
26:00 comme s'il les repoussait où il dit non.
26:02 Il ne commence pas par dire non, je vais vous expliquer.
26:05 C'est-à-dire qu'en gros, il a la vérité.
26:08 Il s'adresse à un peuple ignorant.
26:10 Je crois que ça, il y a effectivement là quelque chose qui mobilise, si vous voulez,
26:15 la colère.
26:16 Parce que la haine, c'est finalement un affect d'une certaine manière de rejet de quelque
26:23 chose qui nous rend passifs.
26:25 Et lorsqu'il a des petites phrases, elles ont été évoquées tout à l'heure, qui
26:29 sont extrêmement importantes comme celles à la gare Saint-Lazare où il dit « Il y
26:34 a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien », c'est un point très important.
26:38 Les gens l'entendent.
26:39 Ils sont provoqués.
26:40 Provoqués, ça veut dire qu'ils sont appelés à dire quelque chose.
26:44 « Vos carrés, c'est la parole », c'est la voix.
26:46 Donc si vous voulez dire à des gens, finalement, « Si vous ne réussissez pas, vous n'êtes
26:51 rien », c'est les nier.
26:52 Et à ce moment-là, la haine est une façon de se réapproprier une visibilité, une présence
26:58 en disant « Si, j'existe ».
26:59 Donc c'est ce point-là qui est extrêmement important.
27:02 Ces petites phrases, pour moi, elles sont l'équivalent de l'absurde, ce qu'ils
27:06 disent de la vérité d'un texte qui, par ailleurs, est un texte de rhétorique et de
27:11 propagande.
27:12 - Mais alors, ce qui complique les choses, Roland Gori, quand on prend par exemple les
27:17 textes que Freud a consacrés au pouvoir moïse et le monothéisme, par exemple, il y a dans
27:22 la représentation que Freud se fait du pouvoir dans « Le meurtre du Père » par la horde
27:29 primitive, tout ce qui est en jeu dans, justement, l'ambivalence vis-à-vis du pouvoir, une
27:35 ambivalence qui, évidemment, est différente dans le cadre de la Ve République, avec tous
27:43 les mécanismes que vous évoquez, mais il y a aussi ce rapport très particulier au
27:49 pouvoir.
27:50 Qu'est-ce que vous en faites ?
27:51 - Oui, mais je dirais que vous évoquiez, bien sûr, l'homme moïse et la religion monothéiste
27:58 ou Totem et Zetabou, où les fils, finalement, mangent le père d'une certaine manière,
28:04 intériorisent le père.
28:05 Je dirais qu'Emmanuel Macron, il ne se laisse pas manger si facilement.
28:08 Il a un certain style, un style, effectivement, ça a été évoqué, d'arrogance, un style
28:13 très prétentieux, un style, il est quand même…
28:16 - Moïse aussi était très arrogant et prétentieux.
28:19 - Oui, mais il y a plusieurs Moïses.
28:21 Si vous référez au texte de Freud, il y a au moins deux Moïses.
28:25 - Oui, parce que Freud remet en cause le judaïsme de Moïse.
28:30 Mais justement, si on fait le parallèle, le fait qu'il y ait une volonté à la fois
28:37 de rendre le roi sacré et de le sacrifier parce qu'il est sacré, ça, c'est un mécanisme
28:42 qu'on connaît bien, je crois, en France depuis quelques siècles.
28:45 - Oui, mais peut-être que justement, Emmanuel Macron a cette particularité à la fois
28:54 d'avoir une rhétorique sur le caractère sacré du pouvoir, et là, il a des références
28:59 majeures à Kantorowicz, à Machiavel, etc.
29:02 C'est vraiment quelqu'un à ce niveau-là qui a une certaine culture de philosophie
29:07 poésique, bien évidemment, et en même temps, par ses petites phrases, s'il vous
29:11 plaît, il enlève le caractère sacré.
29:13 Et c'est cette contradiction, je crois, j'insiste beaucoup là-dessus, c'est la
29:17 contradiction à l'intérieur même de la parole.
29:20 Et entre la parole et ses actes, c'est cela qui provoque une haine peut-être inégale
29:27 par rapport à ceux qui l'ont précédé.
29:29 C'est cela qui me paraît extrêmement important.
29:31 - Jean Le Marais.
29:32 - Est-ce que ce n'est pas inhérent à la manière aujourd'hui de faire de la politique,
29:36 autrement dit, conserver comme Emmanuel Macron le prophèse à caractère sacré au pouvoir,
29:43 à son incarnation, et en même temps se rendre accessible dans la vie de tous les jours,
29:46 dans les rencontres qu'on évoquait à l'instant avec Corrine Leïc ?
29:48 - Corrine Leïc, qu'est-ce que vous en pensez ?
29:50 - Oui, je pense qu'Emmanuel Macron, il faut bien se rappeler qu'il a lui-même théorisé
29:55 le fait que les Français avaient tué le roi et que ça avait créé un grand vide,
30:00 que seul De Gaulle et Bonaparte étaient parvenus à occuper, et lui peut-être.
30:07 Donc il a absolument pris conscience de la dimension sacrée du pouvoir, il l'a nourri
30:13 par ses visites, par ses références, Jeanne d'Arc, Villers-Cotterêts, etc.
30:18 - La cour du Louvre.
30:19 - Et il est un homme de son temps, c'est-à-dire que c'est un homme qui va au contact direct,
30:24 qui parle, qui communique, qui est présent sur les réseaux sociaux.
30:27 Donc il se veut une sorte de De Gaulle 2.0 et l'alliance n'est pas toujours facile
30:34 à faire.
30:35 - Brice Tinturier, le fait également de s'en prendre à une personne, le fait que les opposants
30:40 s'en prennent à une personne plutôt qu'à une politique, le fait pour Emmanuel Macron
30:45 d'avoir tenté, je ne sais pas quel terme employer, je vais d'ailleurs vous laisser
30:50 le nommer, mais d'avoir essayé de recomposer la vie politique française, est-ce que tout
30:57 ça n'explique pas aussi l'hostilité qu'il suscite ?
31:02 - Je crois que dans l'hostilité qu'il suscite, et au-delà de toutes les raisons qu'on a
31:07 déjà évoquées, qu'il y a chez Emmanuel Macron la volonté de transformer le pays.
31:13 Le mot de transformation était un mantra du macronisme, plutôt que réforme, et de
31:18 transformer la manière de faire de la politique.
31:21 Et que là, vous avez aussi un point dur qui joue fondamentalement parce que des Français
31:27 ne veulent pas de cette transformation d'abord, et puis d'autres considèrent que la façon
31:31 dont Emmanuel Macron la conduit n'est absolument pas celle qu'ils souhaiteraient.
31:35 Et si vous y ajoutez ensuite les dimensions personnelles qu'on a évoquées, vous avez
31:40 une sorte de cristallisation du rejet qui peut se faire, et qui engendre des formes,
31:46 à partir de là, de violences physiques tout à fait inadmissibles, mais qui sont réelles,
31:51 et on le voit de plus en plus, pas seulement d'ailleurs à l'égard d'Emmanuel Macron.
31:54 Mais je voudrais revenir juste sur un point, qui est cette idée du sacré du président
31:58 de la République, avec des expressions qui continuent à circuler, l'onction du suffrage
32:03 universel, comme si on était dans une forme de sacralisation.
32:06 Moi je crois que c'est justement ça qui n'existe quasiment plus dans notre démocratie,
32:11 et que les Français refusent cette idée qu'il y aurait une part sacrée qui échapperait
32:18 au peuple lui-même, qu'une fois que le roi, comme on dit, aurait été élu, et bien
32:23 il aurait cette espèce de majesté qui perdurerait.
32:27 Ce n'est plus comme ça que ça fonctionne.
32:28 Pour les Français, il faut retremper en permanence sa légitimité dans une relation
32:34 avec le peuple, qui doit être une relation beaucoup plus profonde, beaucoup plus authentique,
32:39 non pas de doute permanent, mais de respect et d'écoute.
32:42 Je reprends ce que disait Roland Gori, qui me paraît très juste, et ce que nous voyons
32:46 dans nos enquêtes, ce sentiment qu'ont les Français qu'Emmanuel Macron ne les comprend
32:50 pas et ne les écoute pas.
32:52 - Mais alors ça c'est intéressant, Brice Tinturier, parce que dans le même registre,
32:57 vous dites voilà, les Français ne veulent plus cela, mais on se souvient, il n'y a pas
33:02 si longtemps, de présidents qui ont été largement critiqués pour ne pas avoir été
33:08 considérés à la hauteur de leur mission, ou justement le sacré était foulé au pied.
33:14 - Le président normal ! - Le président normal, le président je ne
33:18 sais pas, en scooter, le président, enfin, voyez quoi !
33:21 - Oui bien sûr, mais le procès qui était fait à François Hollande était un procès
33:26 en illégitimité d'abord.
33:27 C'est ça qui a structuré, dès le début de son mandat, une très grande partie des
33:33 critiques.
33:34 Et ensuite sont venus les critiques que vous évoquez sur la façon d'incarner ou de ne
33:38 pas incarner la fonction présidentielle.
33:40 Mais on peut incarner la fonction présidentielle en exprimant de leadership, et c'est ce qui
33:45 faisait défaut à François Hollande selon les Français.
33:48 On peut incarner la fonction présidentielle avec aussi une forme de dignité, et c'est
33:53 ce qui faisait défaut à Nicolas Sarkozy selon les Français.
33:57 Mais cette affaire de leadership et de dignité de la fonction présidentielle, ce n'est pas
34:02 une affaire de sacré ou de sacralisation.
34:04 Moi je crois qu'on est toujours en retard avec cette fausse idée qui continue à circuler
34:10 que les Français voudraient un monarque républicain.
34:12 Ils ne veulent pas un monarque, ils veulent un président qui ait du leadership, de la
34:17 dignité, de l'écoute et une capacité à prendre des décisions.
34:20 Jean Lemarie.
34:21 Est-ce que pour vous, sur ce plan, Emmanuel Macron est anachronique ?
34:25 Je pense qu'il a une conception, effectivement, quand il théorise les deux corps du roi,
34:32 Kantorowicz, etc., qui ne correspond plus à la réalité, mais il n'est pas le seul
34:35 à l'avoir.
34:36 Je crois que ce stéréotype est partagé par énormément de gens dans le système politique,
34:41 que les Français seraient toujours en attente d'une forme de monarque.
34:45 Donc il n'est pas le seul.
34:47 Et je crois que c'est aussi ce qui fait que les Français, par moments, expriment une
34:51 telle rancœur à l'égard d'Emmanuel Macron, c'est qu'ils lui dénient justement ce
34:56 qu'Emmanuel Macron pensait être le cœur du pouvoir, cette capacité à incarner une
35:01 forme de sacré.
35:02 Roland Gori.
35:03 Qu'est-ce que vous en pensez ?
35:04 Alors je suis en partie d'accord avec Pristen-Thurillier.
35:08 C'est-à-dire que je crois qu'effectivement, il y a – je dirais – une erreur dans
35:13 la stratégie d'Emmanuel Macron que de considérer que – il l'a dit, il l'a déclaré à
35:18 un nouvel observateur – que de considérer que la démocratie a une incomplétude, incomplétude
35:25 qui est saturée au moment, effectivement, napoléonien, gaulliste.
35:30 On entend, si j'ose dire, les points de suspension macroniens.
35:35 Je crois que c'est une erreur parce que justement, c'est cette incomplétude, ce
35:38 que Macron appelle l'incomplétude, qui est le vide au cœur du pouvoir démocratique,
35:44 qui spécifie la démocratie.
35:46 Justement, la démocratie, il y a quelque chose qui est de l'ordre d'un vide que
35:51 collectivement nous avons, si j'ose dire, à élaborer, à gérer.
35:56 Après, là où je suis partiellement d'accord avec Bristain Thurayet, c'est que je pense
36:02 que par rapport au sacré du pouvoir, il y a une ambivalence.
36:06 C'est-à-dire qu'en même temps que la démocratie requiert d'une certaine manière
36:12 un dialogue collectif qui permet de s'opposer par des arguments sans s'exterminer, en
36:19 même temps, il y a un peu cette nostalgie des rois Thomatures qui guérissaient par
36:25 les écrouelles.
36:26 Donc, si vous voulez, je crois que psychologiquement parlant, il y a la présence de ces deux positions.
36:33 Corine Leïc, un mot de conclusion.
36:36 Je voudrais démacroniser le sujet parce qu'il me semble que quand Emmanuel Macron parle
36:41 du peuple et de la foule, allusion à Victor Hugo, souvent la foule trahit le peuple.
36:45 Il veut parler du fait que le peuple est incarné par ses représentants et donc il pose le
36:50 problème non pas de la crise de la démocratie, mais la crise de la démocratie représentative.
36:55 Puisque, comme le dit Prisse-Tinturier, il ne suffit plus de voter tous les cinq ans
37:00 pour quelqu'un et qu'il faut en permanence prouver sa légitimité.
37:04 Et c'est aussi ça qui se joue aujourd'hui, au-delà de sa personnalité et de tout ce
37:09 qu'on a pu dire sur ses comportements.
37:10 Ça veut dire que finalement, un autre serait confronté aux mêmes difficultés selon
37:16 vous, Corine ?
37:17 Aux mêmes difficultés.
37:18 Dans la retraite, il est évident que quiconque aurait voulu imposer aux Français de travailler
37:21 deux ans de plus se serait heurté exactement aux mêmes difficultés.
37:25 Après, l'expression peut être différente suivant les personnalités, mais sur le fond,
37:29 la problématique demeure la même.
37:30 Un mot de conclusion, Prisse-Tinturier ?
37:32 Oui, tout à fait.
37:34 Pour rebondir sur ce que Corine Lalique vient de dire, je pense que le cœur du rejet, c'était
37:38 le cœur de la réforme.
37:39 Après, la façon dont elle a été conduite est venue ajouter et cristalliser d'autres
37:43 dimensions qui étaient déjà présentes.
37:45 Mais un autre qu'Emmanuel Macron serait confronté aux mêmes difficultés dans un
37:49 système instable de tripartition et d'extrême polarisation non seulement des sentiments,
37:55 mais aussi des logiques politiques.
37:57 Le mot de la fin, Roland Gori ?
37:59 Alors, je ne suis pas tout à fait d'accord.
38:02 C'est-à-dire l'allusion à Victor Hugo, c'est aussi les Chants du Crépuscule où
38:06 il disait « Hier, vous étiez une foule, aujourd'hui, vous êtes un peuple ». Après,
38:10 justement, les Trois Glorieuses de 1830.
38:13 Et aussi insister sur la contradiction des discours d'Emmanuel Macron qui, en 2019,
38:21 avait refusé l'option hypocrite, disait-il, de reculer l'âge de départ à la retraite.
38:26 Donc, c'est cette contradiction qui produit cette passion triste dont vous parliez.
38:30 Mais Corine Lalique, justement, il y a beaucoup de discours, beaucoup de débats sur la notion
38:40 même de la Ve République.
38:41 Est-ce que, justement, l'exemple d'Emmanuel Macron ne va pas conduire à vouloir réformer
38:47 cette constitution qui semble être, eh bien, aujourd'hui, arrivée à une certaine limite
38:54 dans l'exercice du pouvoir ?
38:55 Je ne sais pas si c'est la constitution qu'il faut réformer.
38:58 C'est plus la pratique des institutions.
39:00 On le voit avec les tentatives plus ou moins réussies d'Emmanuel Macron de créer ce
39:07 Conseil National de la Refondation, d'essayer d'une manière ou d'une autre d'utiliser
39:13 le référendum, justement, pour relégitimer la démocratie représentative.
39:18 Mais l'idée de réformer la constitution, qui est un grand classique du débat public,
39:25 je pense que c'est plus un moyen technique qu'un objectif final.
39:30 Merci à tous les trois, Corine Lalique.
39:33 On vous retrouve dans les colonnes de l'Opinion.
39:35 Président cambrioleur, c'est le livre que vous avez publié aux éditions Fayard.
39:39 Brice Tinturier, directeur général délégué d'Ipsos.
39:42 Et Roland Gori, on peut notamment lire « La nudité du pouvoir, comprendre le moment ».
39:48 Macron aux éditions Des Liens qui libère dans quelques instants le 8h45.
39:54 Dan Lorchoin, Le Point sur l'actualité.