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00:00 * Extrait de « Les Matins de France Culture » de Guillaume Erner *
00:06 Il y a 5 ans, tout le monde s'en souvient, brûlait Notre-Dame de Paris.
00:11 Un événement qui a suscité une intense émotion collective comme rarement en France
00:15 et qui laisse des traces au-delà de sa reconstruction.
00:19 Bonjour Nathalie Hennig.
00:20 Bonjour.
00:21 Vous êtes sociologue, directrice de recherche au CNRS et vous publiez un ouvrage original.
00:27 Un ouvrage collectif qui s'intitule « Notre-Dame des valeurs, retour sur une émotion patrimoniale ».
00:32 Vous avez fait collaborer différents sociologues, différents professionnels des sciences humaines.
00:38 Il y a aussi des intermèdes qui nous sont offerts par des personnages politiques par
00:44 exemple avec différentes citations de la manière dont ils ont accompagné cet incendie,
00:51 cet événement.
00:52 Mais tout d'abord le titre, qu'est-ce que ça veut dire Notre-Dame des valeurs ?
00:54 Ça veut dire que pour comprendre l'émotion intense qui s'est déployée à ce moment-là,
01:00 je pense qu'il faut passer par la question des valeurs parce qu'une émotion c'est
01:05 le signe que quelque chose a été touché, qu'une valeur a été touchée, que ce soit
01:09 positivement ou négativement.
01:11 Et là bien sûr c'est négativement.
01:12 Et donc l'émotion est vraiment le signe des valeurs.
01:15 Et donc on a essayé de comprendre avec ce petit collectif que j'ai constitué autour
01:20 des réactions, de l'analyse des réactions à l'incendie.
01:23 On a essayé de comprendre les raisons de l'émotion.
01:26 Émotions qui nous sont totalement familières parce que nous-mêmes les avons éprouvées
01:29 mais dont on n'a pas forcément la clé, la raison.
01:32 Et la raison elle passe par la question justement des valeurs que j'essaye d'étudier dans
01:38 ma sociologie des valeurs.
01:39 Oui parce qu'au fond il y a une forme de mystère là-dedans, Nathalie Hénig.
01:43 J'ai par exemple l'affiche qui a été rédigée par Marie-Lise de Saint-Salvi et
01:49 qui évoque le fait que cet incendie est un drame.
01:54 Or pourquoi est-ce un drame alors même par exemple qu'il n'y a pas eu de mort, il
01:59 n'y a pas eu de blessés dans cet incendie.
02:02 Alors pourquoi ce rapport à l'événement ?
02:04 D'abord c'est ce que Pierre Nora appellerait un événement monstre.
02:08 C'est-à-dire un événement parmi les événements.
02:10 Et ce qui définit un événement c'est que ça fait date.
02:14 Et tout le monde se souvient de ce qu'il faisait ce 15 avril au soir.
02:18 Donc c'est vraiment plus qu'un drame un événement.
02:22 Mais pourquoi est-ce qu'on peut en parler comme quelque chose de dramatique ?
02:26 C'est que même s'il n'y a aucun être humain qui a été touché, Notre-Dame est
02:31 investie d'un statut que j'ai appelé un objet-personne.
02:35 C'est-à-dire il y a des catégories d'objets qui sont traités comme des personnes, qui
02:39 sont perçus comme des personnes.
02:41 Donc ça peut être des reliques parce qu'elles portent la trace d'une personne humaine.
02:45 Ça peut être des fétiches qui agissent comme une personne.
02:48 Ils nous émeuvent par exemple, ils nous font agir.
02:51 Et puis ça peut être des œuvres d'art qui sont typiquement des objets-personnes.
02:55 Or Notre-Dame est un objet-personne parce que c'est à la fois une relique de ceux
03:01 qui y ont travaillé.
03:02 C'est un fétiche parce qu'elle nous fait agir, elle nous fait aller vers elle, elle
03:06 nous fait pleurer, etc.
03:07 Et c'est aussi une œuvre d'art.
03:09 Et en plus elle contient des reliques, des fétiches et des œuvres d'art.
03:13 Donc c'est vraiment un objet-personne au carré et face à un objet-personne, on vit
03:17 toute atteinte à cet objet comme une forme de blessure.
03:20 Et d'ailleurs c'est dit dans les propos qu'on a étudiés, blessure, souffrance,
03:26 etc.
03:27 C'est vraiment vécu comme une atteinte à une quasi-personne humaine.
03:31 Moi je pensais que les sociologues travaillaient sur la sécularisation, le fait que le sacré
03:38 était justement de moins en moins présent sous sa forme religieuse.
03:43 Or Notre-Dame est un édifice religieux.
03:46 Est-ce qu'il n'y a pas là une contradiction ? Cette émotion suscitée justement par
03:50 l'incendie d'une cathédrale ?
03:51 C'est une question qui est vraiment au cœur de ce qu'on a pu étudier.
03:55 C'est-à-dire qu'il y a une tension quasi permanente dans les propos qui ont été tenus
03:59 que ce soit par les prélats, que ce soit par les hommes politiques ou les citoyens
04:04 ordinaires.
04:05 Il y a tout le temps une tension entre la question de savoir si Notre-Dame appartient
04:09 aux catholiques, est un objet de culte, relevant d'une dimension mystique, spirituelle,
04:15 transcendantale, etc. ou bien si c'est un objet non pas de culte mais de culture, c'est-à-dire
04:21 qu'elle appartient au patrimoine.
04:23 Et là ce sont plutôt des valeurs de type authenticité, beauté, rareté, ancienneté,
04:29 etc. qui vont être mobilisées.
04:30 Et il y a des querelles.
04:32 On les voit pas forcément dès le premier soir parce que le premier soir on est plutôt
04:36 dans l'unanimité de la déploration.
04:40 Mais très vite, par exemple, les prélats vont exprimer leur indignation face au fait
04:45 qu'on pourrait considérer que Notre-Dame c'est avant tout un objet de patrimoine,
04:50 alors que pour eux, évidemment, elle est un objet de culte.
04:52 Et puis très vite on va voir des hommes politiques, notamment Jean-Luc Mélenchon
04:57 dont j'analyse une déclaration, expliquer que même des athées laïcs n'ayant rien
05:05 à voir avec le catholicisme peuvent légitimement se sentir bouleversés par cet incendie parce
05:12 que c'est un objet patrimonial qui renvoie à des valeurs civiques, qui représente
05:16 la nation, l'humanité, etc.
05:18 Oui parce qu'au fond il y a eu très peu de voix discordantes, il y a eu une ou deux
05:22 voix de personnes qui d'ailleurs ont été unanimement condamnées et qui ont expliqué
05:28 que finalement c'était des histoires du passé et que tant mieux, Notre-Dame était
05:34 aujourd'hui détruite et qu'on pouvait avancer.
05:36 Oui alors elles étaient totalement exceptionnelles ces voix discordantes.
05:41 Très marginales.
05:42 Voilà, très marginales.
05:43 Le soir même il y a eu vraiment une unanimité dans la déploration et c'est ce qui se
05:48 passe lorsque l'on pleure une personne défeinte ou gravement blessée.
05:54 Une unanimité qui consiste à rappeler que Notre-Dame est une valeur au sens d'un bien,
06:02 c'est-à-dire un objet auquel a été attribué de la valeur, au sens de importance, grandeur.
06:08 Donc la valeur c'est le premier sens du mot valeur.
06:10 Le deuxième sens c'est un objet, une valeur est un objet auquel on attribue de façon
06:15 consensuelle et stable de la valeur et ça c'est ce qui aura été rappelé de façon
06:22 répétitive toute la soirée en disant c'est un joyau, c'est un bien de l'humanité,
06:27 etc.
06:28 Et puis il y a aussi le troisième sens du mot valeur qui sont les principes au nom
06:31 desquels on attribue de la valeur à quelque chose qui du même coup devient une valeur
06:35 et donc ces principes, et c'est là que les controverses vont se manifester.
06:40 Est-ce que c'est un principe de valeur culturelle, spirituelle ? Est-ce que c'est
06:44 un principe de valeur patrimoniale avec l'ancienneté, la beauté, l'authenticité ? Et les controverses
06:50 vont éclater le soir même.
06:52 Lesquelles justement ?
06:53 Alors la première controverse c'est celle relative aux dons.
06:58 On se souvient qu'il y a eu des déclarations le soir même de milliardaires expliquant
07:03 qu'ils vont donner beaucoup d'argent et faisant une sorte de sur-enchaire dans le
07:07 montant des dons qu'ils vont affecter à la reconstruction de Notre-Dame.
07:10 Et là très vite il y aura une controverse sur est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux aider
07:15 le petit patrimoine religieux de nos campagnes ? Est-ce que ces dons ne vont pas être payés
07:22 de fait par les français du fait de la défiscalisation des dons ? Et finalement est-ce que les bénéficiaires
07:27 des dons ne seront pas plutôt les donateurs que les donataires puisque c'est leur réputation
07:32 de grands entrepreneurs qui vont en bénéficier ? Est-ce que c'est la charité individuelle
07:39 ou l'impôt public qui doit payer la reconstruction ? Et là on retrouve une vieille opposition
07:44 entre la droite et la gauche.
07:45 Donc ça, ça va être un élément de controverse.
07:47 Un autre élément, et c'est très amusant, il y a un chapitre consacré à ça dans le
07:51 livre, c'est la question des selfies.
07:53 Parce que évidemment des gens se prennent en selfie devant Notre-Dame en feu, notamment
07:58 Jacques Lang qui fait l'objet d'une bronca très ironique.
08:01 Et là, une fois que les selfies sont postées sur les réseaux sociaux, arrive toute sorte
08:08 de moqueries, d'ironie, etc. disant "mais enfin, pour qui vous vous prenez ? Est-ce
08:13 que vous croyez vraiment que votre tête en premier plan c'est important alors que Notre-Dame
08:16 est en train de brûler ?".
08:17 Donc il y a tout un débat autour des selfies.
08:20 Et puis très vite aussi, il va y avoir des débats sur par exemple dans quel matériau
08:27 la charpente doit-elle être reconstruite ? Est-ce que c'est en bois ?
08:31 Ou est-ce que c'est en acier ou en béton ?
08:34 Et là, on éclaire ces débats d'experts à la lumière de cette sociologie des valeurs
08:40 puisqu'on voit que derrière les discussions sur le bénéfice de tel ou tel matériau,
08:45 ce sont des valeurs qui sont en jeu.
08:47 Oui, parce que le fait de considérer que cet événement est un drame alors même que
08:52 Notre-Dame va être reconstruite.
08:55 Notre-Dame, c'est la même ou ça n'est pas la même après sa reconstruction, Nathalie
08:59 Henick ?
09:00 C'est la vieille histoire du vaisseau d'Argos.
09:02 Une fois qu'on a remplacé toutes les planches du vaisseau, est-ce que c'est toujours le
09:05 même vaisseau ?
09:06 C'est toute la question de l'authenticité.
09:09 Et cette question de l'authenticité, elle va se jouer, et c'est un autre élément
09:12 de controverse, autour de la reconstruction de la flèche.
09:16 Puisqu'il y aura ceux qui veulent la reconstruire, ceux qui ne veulent pas la reconstruire parce
09:22 qu'ils estiment que la vraie authenticité de Notre-Dame, c'est Notre-Dame du temps
09:27 où elle a été édifiée sans la flèche.
09:29 Et d'autres vont dire qu'il faut suivre la loi, c'est-à-dire la charte de Venise,
09:35 qui impose aux responsables du patrimoine de reconstruire un objet abîmé dans le dernier
09:40 état connu avant l'accident.
09:41 Et c'est en effet ce qui va être retenu au terme d'énormes débats, débats notamment
09:47 juridiques lors du vote de la loi de juillet 2019, puisqu'il y a eu une loi d'exception
09:52 qui a été votée autour de Notre-Dame.
09:55 Et on consacre dans le livre un chapitre aux discussions sur cette loi.
09:58 Et donc cette question de l'authenticité, elle revient tout le temps.
10:02 Mais l'idée de la moderniser, c'est-à-dire de considérer qu'un geste architectural
10:06 supplémentaire pourrait justement apporter une trace de ce qu'a été notre époque
10:12 pour les siècles futurs, comment la sociologue que vous êtes l'observe-t-elle Nathalie ?
10:17 C'est une idée qui relève manifestement d'un total manque de connaissances de la
10:25 législation patrimoniale, puisque ça va à l'encontre de ce que je viens de dire
10:28 sur la charte de Venise.
10:31 Et c'est quelque chose qui pourrait s'appliquer pour un bâtiment ordinaire, mais qui pour
10:36 un bâtiment patrimonial, surtout patrimoine de l'humanité, comme c'est le cas de
10:40 Notre-Dame, n'est pas adéquat, évidemment, en tout cas d'un point de vue juridique.
10:45 Et on voit cette question de la modernité, c'est très paradoxal.
10:48 On est allé de découverte en découverte en écrivant ce livre, notamment la découverte
10:52 que la question de la modernité, elle est avancée par les responsables de l'Église,
10:57 paradoxalement, et non pas par les gens intéressés par la dimension culturelle de Notre-Dame.
11:03 Mais cette question justement de la modernité et du patrimoine, si on décidait par exemple
11:08 de mettre une pyramide au cœur par exemple de la cour du musée du Louvre, est-ce que
11:15 ça vous choquerait Nathalie Hénique ?
11:16 Ça a été fait.
11:17 Je le sens.
11:18 Là, c'est toute une autre valeur qui entre en jeu puisque la pyramide a été construite
11:26 au nom d'une valeur de fonctionnalité, une valeur qu'on appelle opératoire, pour
11:30 faciliter l'entrée, etc.
11:32 Avec un geste architectural.
11:33 Mais évidemment, avec aussi un geste architectural qui a été évalué au nom de sa beauté,
11:38 au nom de la question de l'authenticité.
11:41 Et évidemment, comme vous le savez, ça a suscité énormément de controverses parce
11:44 que introduire de la modernité dans un site patrimonial est toujours problématique.
11:49 Et ça a toujours été le cas.
11:52 Est-ce que finalement, il y a l'argument juridique, et je l'entends bien entendu,
11:57 mais est-ce que ça ne signifie pas que dans cette reconstruction, notre époque a été
12:03 finalement moins audacieuse peut-être que le siècle précédent, qui effectivement
12:09 était capable d'affronter des broncas sur l'architecture de tel ou tel lieu ?
12:13 Parce que quasiment tous les grands travaux faits dans Paris ont donné lieu à de grandes
12:18 polémiques.
12:19 À de grandes polémiques, sauf qu'aujourd'hui, les polémiques sont tellement relayées par
12:22 les médias et les réseaux sociaux que ça devient très vite des scandales.
12:25 Des affaires voire des scandales.
12:27 Ce qui n'était pas forcément le cas auparavant.
12:30 Encore que la Tour Eiffel a fait l'objet du même type de protestations.
12:34 Le centre Pompidou.
12:35 Le centre Pompidou, absolument.
12:36 Donc on a toujours un petit peu cette querelle des anciens et des modernes, mais qui doit
12:42 être comprise dans le contexte où elle s'est développée.
12:46 Et le contexte de Notre-Dame est un contexte très particulier.
12:49 Nathalie Hénique, vous publiez cet ouvrage collectif "Notre-Dame des valeurs, retour
12:54 sur une émotion patrimoniale" aux presses universitaires de France.
12:57 On se retrouve dans une vingtaine de minutes.
12:58 On va évoquer le présent de Notre-Dame et son passé en compagnie de l'historien Mathieu
13:04 Lours qui a publié "Les cathédrales dans le monde" chez Folio Histoire.
13:08 Et nous évoquons Notre-Dame, Notre-Dame l'incendie, cinq ans après.
13:21 Nous sommes en duplex avec l'historien Mathieu Lours.
13:23 Bonjour.
13:24 Bonjour.
13:25 Vous avez publié "Les cathédrales dans le monde" entre religion, nation et pouvoir
13:29 aux éditions Folio Histoire.
13:30 Et puis nous sommes ici même dans ce studio en compagnie de la sociologue Nathalie Hénique.
13:35 Notre-Dame, des valeurs, c'est l'ouvrage collectif que vous avez dirigé aux presses
13:39 universitaires de France.
13:40 Stéphane Robert, mon camarade, vient d'évoquer dans son billet politique la résistance et
13:47 le discours.
13:49 L'action du président de la République qui s'est rendu dans la Drôme hier à Vassia
13:53 en Vercors.
13:54 Justement, un mot là-dessus parce qu'on a l'impression également qu'on a affaire
13:58 à une forme de sacré républicain alors même que la résistance pourrait être un objet
14:04 finalement beaucoup plus polymorphe avec des débats, des contradictions.
14:08 Bref, on n'est pas forcément tous d'accord sur la résistance et le portrait qu'on
14:12 en fait.
14:13 Oui, mais justement, la fonction d'une commémoration, c'est de rappeler qu'il y a une valeur qui
14:19 doit être partagée par tout le monde.
14:20 C'est l'idée de l'universalité de la valeur et d'une valeur qui porte là non
14:24 plus sur une chose, sur un objet, mais sur des actes.
14:27 Et ce qui est intéressant avec la question de l'attribution de valeur, c'est qu'elle
14:30 peut porter aussi bien sur des objets, des actes, des personnes et des entités abstraites
14:35 comme la démocratie, la paix, etc.
14:37 Donc là, on voit qu'il y a une sorte, en fait, c'est ce que j'avais appelé le
14:42 patrimoine éthique à propos de ce qui s'est passé au Chambon-sur-Lignon qui a été un
14:46 haut lieu de refuge des Juifs.
14:48 Oui, parce que vous avez travaillé sur le Chambon-sur-Lignon.
14:50 Tout à fait, parce que c'est vraiment un endroit tout à fait emblématique de cette
14:54 notion de patrimoine éthique, c'est-à-dire quelque chose qui doit être partagé, qui
14:59 doit être à la fois reçu du passé et transmis aux générations futures, ce qui est la définition
15:04 du patrimoine.
15:05 Le patrimoine, ce n'est pas seulement orienté vers le passé, mais aussi vers l'avenir.
15:09 Et on l'a bien vu avec les débats autour de Notre-Dame.
15:11 Qu'est-ce qu'on en fait ? Qu'est-ce qu'on en fait dans l'avenir ?
15:13 Et là, on a vraiment la fonction de rappel civique par la commémoration d'une valeur
15:22 partagée, publique, universelle, avec en plus, et ça a été dit par Stéphane Robert,
15:27 mais aussi ça a été dit à propos de l'incendie de la flèche de Copenhague, une dimension
15:32 symbolique.
15:33 Et c'est très important, on ne voit pas d'attribution de valeur massive sans qu'il
15:38 y ait le recours à la notion de sens, de signification, ce que j'ai appelé le registre
15:43 herménotique dans la typologie des 16 registres de valeur que j'ai repérés en travaillant
15:48 aussi bien sur la corrida, l'art contemporain, le patrimoine, etc.
15:52 Il y a donc ce registre herménotique qui relève de la capacité d'un objet, d'une
15:57 chose, d'une action, d'une personne à susciter l'interprétation et à posséder
16:03 du sens.
16:04 Mathieu Lours, vous êtes historien, vous observez Notre-Dame différemment.
16:09 J'ai envie de vous demander tout d'abord en quoi Notre-Dame se distingue-t-elle des
16:16 autres cathédrales que vous avez étudiées dans cet ouvrage que vous publiez sur les
16:22 cathédrales dans le monde ?
16:24 Il y a plusieurs échelles dans lesquelles on peut se placer pour répondre à cette
16:29 question.
16:30 D'abord l'échelle nationale.
16:31 En France, c'est la seule cathédrale qui est survécue au changement de régime politique
16:36 dans son rapport avec l'État.
16:37 C'est-à-dire que Saint-Denis n'est plus un panthéon dynastique, Reims n'est plus
16:42 la cathédrale des Sarcres, mais Notre-Dame reste la cathédrale de l'exercice du pouvoir.
16:46 Quelle que soit la forme que ce pouvoir prend depuis le pouvoir de la monarchie sacrée
16:51 d'ancien régime, des monarchies contractuelles du XIXe siècle et puis de la République.
16:56 Elle est propriété de l'État depuis 1790 et comme toutes les autres cathédrales de
17:01 cette époque, mais elle reste, suivant la belle formule d'un chanoine du XVIIIe siècle,
17:07 la paroisse de l'État en quelque sorte.
17:09 Dès que l'État a besoin d'une légitimité sacrée, qu'elle soit d'ailleurs catholique
17:13 ou autre, c'est à Notre-Dame que ça se passe.
17:16 Et ça place la France dans une position étonnante par rapport aux autres États européens du
17:22 même type.
17:23 L'Angleterre a une cathédrale nationale à Canterbury, qui n'est pas dans la capitale.
17:27 L'Allemagne a construit une cathédrale nationale au XIXe siècle, qui est celle de
17:32 Cologne et s'est attribuée une cathédrale nationale avec celle de Strasbourg.
17:36 C'est là que Goethe avait vu l'âme allemande et on sait quelles conséquences géopolitiques
17:41 ça a pu avoir.
17:42 Donc à Paris, la cathédrale de la Nation est dans la capitale.
17:45 Une continuité, quelle que soit la forme de l'État, c'est très particulier.
17:48 Justement, Nathalie Héni, on parlait de sécularisation, donc autrement dit, cette action d'une société,
17:56 en l'occurrence la société française, à se laïciser de plus en plus et même à
18:00 réclamer sa laïcité.
18:02 C'est quand même étonnant que notre pays conserve le point zéro des routes de France
18:07 comme Notre-Dame.
18:08 Alors, qu'est-ce que c'est ? C'est l'inconscient français ?
18:09 C'est le poids de l'histoire, c'est la traîne de l'histoire qui fait que Notre-Dame
18:15 est venue à avoir cette dimension civique, Mathieu Lours vient de le dire.
18:19 Il y a aussi une dimension domestique qui est très intéressante, c'est-à-dire qu'elle
18:24 a été qualifiée aussi comme le lieu d'une famille, la famille des Parisiens ou la famille
18:30 des catholiques.
18:31 Mais en tout cas, il y a cette dimension d'attachement aux proches qui est très importante.
18:35 Donc la dimension civique, je l'ai dit.
18:38 Et donc on a un objet portant lui l'histoire des usages qu'il a permis, portant lui l'histoire
18:47 des valeurs qui lui ont été attribuées.
18:48 Et donc aujourd'hui, on a cette sorte de concaténation entre des valeurs de type culturelle,
18:57 religieuse et puis des valeurs de type civique avec le pouvoir d'État, puis des valeurs
19:01 de type esthétique avec la dimension de la monumentalité et de la beauté, des valeurs
19:06 de type patrimonial.
19:07 Et donc on ne peut pas parler globalement d'un mouvement qui irait vers la sécularisation
19:12 parce que les différentes catégories de personnes et à l'intérieur même des personnes,
19:17 les différentes catégories de valeurs que nous portons en nous sont multiples et sont
19:21 quelquefois contradictoires.
19:22 D'où les controverses que nous avons analysées dans ce livre.
19:25 Mathieu Lours, maintenant si l'on observe Notre-Dame en tant que telle, les spécificités
19:31 de cette cathédrale, quelles sont-elles ?
19:34 Si on la compare aussi bien à la Basilique de Vézelay, vous avez cité Reims, on pourrait
19:41 parler de la cathédrale de Chartres également ?
19:43 Alors si on se place dans le contexte de la fin du XIIe siècle, la première pierre aurait
19:48 été posée en 1163, c'est la première cathédrale dont les dimensions et les formes
19:54 monumentales répondent à un impératif qui s'écart de la stricte hiérarchie ecclésiastique.
19:59 Le diocèse de Paris, c'est un simple diocèse au XIIe siècle.
20:03 Il dépend de l'archevêque de Sens.
20:06 Et donc on n'est pas censé trouver à Paris une cathédrale gigantesque.
20:09 Néanmoins, le statut de Paris, ville la plus peuplée de la chrétienté capitale du royaume
20:16 de France, fait que l'évêque Maurice de Sully va entreprendre une cathédrale qui
20:21 dépasse les règles de la hiérarchie ecclésiastique.
20:25 Il commence en 163, la plus grande cathédrale jamais construite en France, elle a été
20:29 dépassée ensuite au XIIIe siècle par Reims, par Amiens, mais quand il la commence, c'est
20:34 la plus grande, elle est plus grande que celle de son archevêque, celle de Sens, qui était
20:37 la première cathédrale gothique.
20:39 Mais justement, moi j'aimerais bien savoir pourquoi l'archevêque était à Sens.
20:42 Je ne veux pas du tout être inconvenant par rapport aux auditeurs qui habitent Sens, mais
20:48 j'aimerais comprendre pourquoi à l'époque l'archevêque qui était à Sens n'est
20:51 pas à Paris.
20:52 Parce que la géographie ecclésiastique de la France jusqu'en 1790, c'est celle du
20:57 IVe siècle, on ne modifie que très peu la trappe des diocèses, un petit peu au début
21:01 du XIVe siècle et puis un petit peu depuis le XVIIe, mais grosso modo, les centres ecclésiastiques
21:07 du catholicisme français jusqu'en 1790 sont ceux de l'époque de Constantin.
21:11 On a un archevêque à Arles, on a un archevêque à Narbonne, bien que ces villes n'aient
21:15 pas connu une croissance urbaine comparable à d'autres, et Dijon doit attendre 1731
21:19 pour être siège épiscopal par exemple, qui dépend de Langres.
21:22 Donc il y a une forme d'incongruité dans la taille de Notre-Dame par rapport à l'importance
21:28 que cette ville, Paris, pouvait revêtir pour le catholicisme à l'époque.
21:35 Voilà, et c'est vraiment la démographie et le politique qui l'emportent dans le
21:41 choix de construire ici une très vaste cathédrale.
21:44 Est-ce que ça veut dire, Nathalie Hénig, qu'on est finalement rattrapé par les symboles
21:49 puisque cette émotion qui a été suscitée par l'incendie de Notre-Dame, c'est peut-être
21:55 le signe qu'on ne peut rien contre les symboles et que finalement nous sommes souvenus que
22:00 nous étions la filialée de l'église, ou que sais-je ?
22:03 On est rattrapé par les symboles mais aussi rattrapé par le passé.
22:06 On voit bien qu'un objet au temps présent est chargé de tout son passé évidemment.
22:12 Mais ce qui est intéressant, et c'est ça qu'on a essayé de comprendre dans le livre
22:16 en essayant de travailler sur les raisons de l'émotion, c'est que Notre-Dame permet,
22:21 en tout cas l'incendie de Notre-Dame, est un événement qui mobilise à peu près tous
22:26 les registres de valeurs qu'on a pu identifier.
22:28 La question, je l'ai dit, de l'authenticité, de la beauté, de l'éthique aussi avec le
22:34 courage des pompiers, donc la symbolique avec l'herméneutique, la mystique.
22:39 On a aussi les dimensions opératoires, de fonctionnalités pour la reconstruction, le
22:46 type de matériaux qu'on va utiliser, la dimension juridique qui a été fondamentale
22:49 au moment de la loi d'exception.
22:53 Enfin, on a une variété de, je ne les énumère pas toutes parce qu'on n'a pas le temps,
22:59 mais on a une variété de valeurs qui sont condensées dans cet événement monstre et
23:05 qui expliquent parfaitement l'intensité et l'ampleur de l'émotion.
23:10 L'intensité par le fait que les gens sont très intimement touchés au point de pleurer,
23:15 etc.
23:16 Et l'ampleur au sens où c'est au niveau mondial.
23:18 Et là, de ce point de vue-là, c'est totalement exceptionnel.
23:21 Mathieu Lours, la reconstruction, vous l'avez suivie en tant qu'historien.
23:27 Qu'observe-t-on dans les différents choix qui ont été arrêtés pour reproduire, pour
23:34 reconstruire Notre-Dame ?
23:36 Tout d'abord, c'est vraiment le premier grand chantier de restauration de cathédrales
23:41 du XXIe siècle après un événement traumatique.
23:43 Le XXe siècle avait été marqué par les deux guerres mondiales qui avaient profondément
23:47 blessé le patrimoine et en particulier les cathédrales.
23:50 Au XXIe siècle, on n'avait pas eu d'événement de ce type.
23:54 Et la reconstruction, finalement, est la première restauration du XXIe siècle.
24:00 En ce sens que non seulement on a fait le choix de l'identique, reconstruire Notre-Dame
24:06 telle qu'elle était à la veille de l'incendie, mais aussi le choix de l'authentique.
24:09 Et ça, c'est vraiment nouveau.
24:11 Par exemple, les parties de charpente qui dataient du XIIe siècle ont été restituées
24:18 avec des outils, ont été travaillées avec des outils qui sont des outils du XIIe siècle
24:22 qu'on a recréés pour la circonstance.
24:25 Des haches, par exemple, qui permettent aux charpentiers de travailler avec les mêmes
24:30 gestes qu'au XIIe siècle.
24:31 Et les parties de charpente qui dataient du XIXe siècle, celles reconstruites par Viollet
24:35 le Duc, sont emboissées et boulonnées comme au XIXe siècle.
24:39 C'est-à-dire qu'on peut faire une lecture archéologique d'un objet qui, dans sa matérialité,
24:44 date de 2023-2024 en comprenant ce qu'il remplace.
24:49 Et ça, c'est vraiment très nouveau.
24:50 Surtout pour des parties non visibles.
24:52 Est-ce que ça n'est pas un peu du fétichisme, Mathieu Lours ?
24:55 Alors, ça n'est pas du fétichisme parce que ça n'est pas un fixisme.
24:59 Ce n'est pas la charpente médiévale.
25:00 Il y a des fermes métalliques qui ont été ajoutées, un système de brumisation pour
25:03 éviter que l'incendie ne se répète.
25:06 Il y a un vrai travail d'architecte de la part de Philippe Villeneuve pour penser cette
25:12 charpente comme une charpente actuelle.
25:14 Donc, c'est vraiment une création qui inscrit l'héritage dans sa matérialité, dans sa
25:21 conception.
25:22 Et c'est vraiment typique des chantiers qu'on a aujourd'hui.
25:24 Je pense en particulier au grand chantier de reconstruction de la Flèche Nord de la
25:28 cathédrale basilique de Saint-Denis qui est en train de commencer actuellement, qui est
25:31 exactement dans le même esprit.
25:32 Oui, on a là typiquement ce qu'implique la valeur d'authenticité, c'est-à-dire
25:39 la continuité du lien entre l'état actuel et l'état premier, l'état primitif.
25:44 Et c'est ça la définition de l'authenticité.
25:46 Et on voit bien comment ces questions de reconstruction nous obligent à la fois à
25:51 prendre en compte cette question de l'authenticité en maintenant au maximum la continuité de
25:55 ce lien, notamment, Mathieu Lourdes vient de le dire, par le choix des matériaux, des
25:59 outils, etc.
26:00 Mais en même temps, ajoute des dimensions actuelles, notamment la question de la sécurité
26:07 qui oblige à introduire d'autres valeurs, par exemple la valeur d'opératoire, de
26:12 sécurité ou d'efficacité ou de rapidité, puisqu'on a beaucoup discuté sur la question
26:17 de savoir s'il était légitime d'introduire une exigence de rapidité du chantier pour
26:24 qu'il soit terminé avant les Jeux Olympiques.
26:26 Et donc on a toutes sortes de dimensions qui viennent se coller, s'appliquer à ce cas
26:34 et qui sont toujours des dimensions dont on peut comprendre la logique à travers cette
26:39 question des valeurs.
26:40 Ça veut dire qu'on est très loin finalement de la doctrine Violet Leduc-Mathieu Lourdes
26:44 puisque beaucoup de monuments qui datent de cette époque ou d'une époque postérieure
26:51 ont été refaits par Violet Leduc de manière complètement, comment dirais-je, aujourd'hui
26:56 elle paraît très fantaisiste, incongrue.
26:59 Il y a l'hôtel de sens, puisqu'on parlait de sens tout à l'heure, qui est bien sûrement
27:02 en face de Notre-Dame.
27:04 Cet hôtel de sens, il doit beaucoup à l'imagination postérieure à sa construction.
27:09 Oui, c'est-à-dire qu'on est à la fois complètement dans Violet Leduc et complètement
27:13 au-delà de Violet Leduc.
27:15 On est dans du Violet Leduc parce qu'on rétablit l'état de cet architecte, l'état
27:20 visuel au moins à l'extérieur de la cathédrale de ce que cet architecte avait voulu et donc
27:25 on lui rend hommage et à la qualité esthétique de son travail.
27:28 Néanmoins, on le dépasse complètement parce que notre état idéal, notre cathédrale
27:33 idéale, c'est la cathédrale telle qu'on la connaissait.
27:36 Au Moyen-Âge, l'état idéal c'était l'état qui se projetait dans le futur.
27:41 L'état idéal c'était l'état de la cathédrale achevée.
27:43 Vous pouvez prendre 10 ans, 20 ans, 30 ans, 40 ans mais l'état idéal, on n'y arrivait
27:46 jamais en réalité ou presque.
27:47 Et nous, notre état idéal, c'est l'état qu'on avait à la veille de la transformation.
27:53 Donc ce n'est ni l'idéal absolu de Violet Leduc, ni l'idéal du futur de l'évêque
27:57 du Moyen-Âge.
27:58 C'est un idéal qui est patrimonial.
28:01 C'est l'idéal de la permanence, l'image réconfortante du monument tel qu'il a toujours
28:05 été et j'aime beaucoup ce mot de monument.
28:08 On parle beaucoup de patrimoine, d'héritage mais Notre-Dame, c'est un monument historique.
28:15 Et ce sens de monument historique, on est aujourd'hui en train pleinement de le redécouvrir.
28:19 Monérer en latin, ça veut dire avertir.
28:21 On nous avertit effectivement de quelque chose qui renvoie aux identités.
28:27 C'est très étonnant parce qu'autant on apporte énormément de soins, comme vous
28:32 l'avez évoqué, Mathieu Lours, à la reconstruction à l'identique, autant par exemple le parvis
28:38 et ce qu'il y a autour de la cathédrale.
28:40 Alors là, ça peut donner lieu à une multitude d'interprétations dont les choix peuvent
28:46 être contestés d'ailleurs.
28:48 Oui, c'est la question des abords du monument, du lien entre le monument et la ville.
28:53 Et là, effectivement, autour de Notre-Dame, on a une stratification qui va du Moyen-Âge,
28:58 qui passe par la ville haussmanienne, la ville du XXe siècle.
29:01 Et donc, c'est tout à fait logique que la ville du XXIe siècle vienne travailler son
29:07 interface avec la cathédrale et notamment avec notre sacralisation actuelle pour les
29:12 éléments naturels, le miroir d'eau sur le parvis, les arbres, la végétalisation.
29:17 Chaque époque projette autour de Notre-Dame.
29:20 La Notre-Dame haussmanienne, c'était un bibelot posé dans une ville complètement
29:25 ouverte et là, la ville du XXIe siècle, on va voir les arbres qui vont venir quasiment
29:29 lécher la cathédrale dans une sorte de forêt urbaine.
29:31 Oui, ça introduit la question très importante et dont on ne parle peut-être pas assez,
29:37 du tourisme puisque ça, c'est la dimension actuelle qui est venue interférer avec le
29:44 rapport traditionnel à Notre-Dame.
29:46 Cette monumentalité, si on peut dire, du tourisme qui fait que ça rebat pas mal les
29:52 cartes, notamment dans la question de l'aménagement des abords, mais aussi dans la gestion des
29:57 flux à l'intérieur de Notre-Dame.
29:59 Et cette question du tourisme, elle est un petit peu problématique parce qu'elle
30:04 introduit des types de valeurs qui ne sont normalement pas présentes dans le rapport
30:08 à une cathédrale, notamment une valeur ludique, de jeu, une valeur qu'on peut appeler esthésique,
30:15 de plaisir, une valeur économique puisque le tourisme va avec des flux financiers, etc.
30:22 Et donc uniquement des valeurs qui sont censées être plutôt des antivaleurs dans un contexte
30:27 à la fois patrimonial et religieux.
30:29 Et c'est aussi cette dimension touristique qu'on a également analysée dans le livre
30:35 qui introduit de nouvelles problématiques qui font qu'on ne peut pas uniquement se
30:40 baser sur le passé pour gérer cet événement monstre.
30:44 Et oui Mathieu Lours parce que pour Notre-Dame comme pour les autres cathédrales d'ailleurs,
30:48 il faut aujourd'hui rappeler leur rôle religieux.
30:51 C'est d'ailleurs ce que différentes pancartes invitent le visiteur à faire en lui rappelant
30:57 qu'il s'agit d'un édifice religieux qui doit se comporter conformément à la manière
31:04 de se comporter dans un édifice religieux.
31:06 Oui, alors ce qui est intéressant c'est que les fonctions qui étaient évoquées
31:09 par Nathalie Hénique, la fonction économique, la fonction ludique, elles existaient mais
31:13 elles étaient liées au sacré religieux.
31:17 Aujourd'hui c'est plutôt une sacralisation patrimoniale.
31:19 Au XVIIIe siècle, les chanoines de la cathédrale de Reims font démolir le labyrinthe de la
31:24 cathédrale parce qu'ils en ont assez et que les enfants sautent dessus à pieds joints
31:26 pendant les offices.
31:27 Donc il y avait déjà des choses comme ça.
31:30 Mais aujourd'hui effectivement on a une disjonction du sacré religieux et du sacré
31:35 patrimonial et du ludique.
31:36 Et la solution qui est en train d'être retenue à l'intérieur de Notre-Dame, elle
31:40 est très intéressante parce que avant l'incendie à Notre-Dame, on avait des cloisons amovibles
31:47 qui isolaient l'espace des catholiques et l'espace des visiteurs.
31:50 Et on avait l'impression quand on assistait à la messe à Notre-Dame d'être un peu
31:53 des catholiques en cage avec des gens autour qui défilaient pour regarder ce qui se passait.
31:58 Ces cloisons vont disparaître après la restauration et donc c'est un pari qui est fait de la
32:03 fluidité entre le statut de fidèle et le statut de visiteur.
32:07 Ce qui permet de recréer des continuités.
32:11 Alors après il faut voir comment ça va être géré parce qu'il n'est pas question
32:14 que les gens se promènent et traversent la Nef pendant les offices.
32:17 Il y a une question de dignité mais on redécouvre cette question de la dignité nécessaire
32:23 et de la tenue nécessaire à l'intérieur de l'édifice de culte qui était déjà
32:27 au cœur de réflexion après le concile de Trent.
32:29 Charles Boromé, archevêque de Milan, dans ses instructions sur les églises, demande
32:34 justement de réfléchir à ce que c'est que la dignité du corps et de la tenue des
32:38 personnes à l'intérieur de l'édifice de culte.
32:40 On est dans des continuités très profondes sur le rapport sociologique et anthropologique
32:46 entre l'espace sacré et l'espace profane.
32:48 Un mot de conclusion Nathalie Hennig, ce qu'il y a de très paradoxal c'est qu'aujourd'hui
32:55 Notre-Dame n'a jamais été aussi contemplée lorsqu'elle sera achevée, lorsque le chantier
33:01 de reconstruction sera achevé.
33:03 Il est probable qu'il y ait beaucoup plus de visiteurs qu'avant l'incendie.
33:07 Oui, bien sûr, puisque l'événement ajoute une valeur supplémentaire à l'objet.
33:14 C'est aussi ça qui est paradoxal, on n'en parle jamais autant que lorsqu'il est abîmé.
33:19 Ça fait partie des conséquences de tout événement, ça fait parler et ça fait agir
33:27 aussi.
33:28 C'est dans cela que c'est quelque chose qui est passionnant pour la sociologie, parce
33:33 qu'au-delà de l'évidence de l'émotion, il faut arriver à comprendre les raisons
33:38 et les causes de l'émotion.
33:39 C'est ce qui nous a passionnés en écrivant ce livre.
33:42 Un mot de conclusion Mathieu Lours ?
33:44 Je crois que le grand rendez-vous du 8 décembre 2024 avec la réouverture de Notre-Dame va
33:52 être un moment fort, presque aussi fort que l'incendie, avec une émotion inverse et
33:58 qu'on va redécouvrir surtout une cathédrale totalement métamorphosée à l'intérieur.
34:02 On parlait d'état idéal et je crois que ça relève un petit peu de ça avec une très
34:06 belle surprise qui attend les futurs visiteurs.
34:08 Merci beaucoup Mathieu Lours.
34:10 Les cathédrales dans le monde entre religion, nation et pouvoir, c'est un livre publié
34:15 en folio.
34:16 Histoire, c'est un livre inédit.
34:19 Nathalie Hénique, Notre-Dame des valeurs, retour sur une émotion patrimoniale auprès
34:24 des universitaires de France.