• il y a 8 mois

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Que disent deux philosophes lorsqu'ils se rencontrent ?
00:09 Que disent deux philosophes lorsqu'ils se rencontrent ?
00:11 Et qu'il s'agit d'évoquer le débat sur la fin de vie.
00:15 Dimanche dernier, Emmanuel Macron annonçait dans une interview croisée à la Croix et à Libération
00:20 un projet de loi imminent sur la fin de vie.
00:23 Les débats autour du texte ne devraient débuter qu'au mois de mai à l'Assemblée nationale,
00:27 mais le projet suscite déjà la controverse au sein de la société et des institutions françaises.
00:32 En cause notamment l'expression "d'aide à mourir" mise en avant par le président de la République
00:37 et qui fait craindre à certains une dérive de l'État, de la médecine,
00:42 ou bien des deux, de la médecine entre les mains des hommes de l'État.
00:48 Pour en parler, nous sommes en compagnie de Jacques Rico. Bonjour.
00:52 Bonjour.
00:52 Jacques Rico, vous êtes philosophe, chercheur associé au département de philosophie de Nantes.
00:56 On vous doit penser la fin de vie, l'éthique, au cœur d'un choix de société.
01:01 Aux éditions IG, j'ajoute aussi que vous êtes membre du mouvement des bénévoles d'accompagnement jusqu'à la mort,
01:08 accompagné la viste, ainsi que se nomme cette association à laquelle vous appartenez.
01:15 Frédéric Worms, bonjour. Vous êtes philosophe.
01:18 Les auditeurs vous connaissent bien puisque vous êtes directeur de l'ENS Ulm,
01:22 membre du Comité Consultatif National d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.
01:27 Mais on vous entend aussi sur les ondes de France Culture.
01:30 Et j'ai d'ailleurs sous les yeux l'ouvrage Le pourquoi du comment,
01:34 philosophie pour mieux vivre, une coédition France Culture.
01:38 Flammarion, Frédéric Worms, j'ai cru comprendre que la philosophie aidait à mourir.
01:44 C'est vrai, ça ?
01:46 Merci beaucoup d'abord, Guillaume Erner, de cette invitation.
01:48 Juste une précision, j'ai été membre du comité d'éthique et j'ai fini mes mandats avant,
01:53 d'ailleurs, la discussion sur la loi actuelle ou sur les sujets dont on va parler ce matin.
01:59 La philosophie, pour moi, fait partie des inventions des humains contre la mort.
02:05 Pas du tout. En tout cas, pour être fasciné par la mort,
02:08 je pense que la philosophie nous aide à vivre malgré et contre la mort, mais en l'admettant,
02:14 c'est à dire en admettant le négatif qui fait partie de la condition de tous les vivants,
02:18 qui est la mort contre laquelle les vivants luttent.
02:21 Et même, il faut lutter contre toutes les formes de mort, par exemple, la mort violente,
02:25 la mort guerrière, la mort qui s'imposerait d'une façon ou d'une autre.
02:29 Et donc, non, je pense que la philosophie doit aider les humains, justement,
02:36 à lutter contre, à admettre ce négatif dans l'être, dans l'existence qui fait partie de,
02:42 mais à le refuser. Et même, je pense que c'est la mort qui donne un sens positif à la vie.
02:45 C'est le refus de la mort qui donne un sens positif à la vie.
02:48 Ça vous surprendra peut être, puisque d'une certaine manière,
02:51 je pense que même ces sujets tragiques dont on débat,
02:55 qui se situent à l'extrême pointe de la lutte des humains contre la mort,
02:58 en admettant parfois le tragique, se situent encore dans cette lutte.
03:02 Mais alors, est ce que vous êtes plus sage que moi ?
03:03 Je sais que vous êtes plus sage que moi, Frédéric Worms, parce qu'on se connaît un peu.
03:08 Mais à force de lire de la philosophie, à force d'étudier effectivement les philosophes,
03:14 est ce qu'il y a effectivement une attitude par rapport à la mort qui est,
03:18 je ne sais pas, plus rationnelle, plus pondérée chez les philosophes que les autres humains ?
03:24 Je pense que si la philosophie n'aidait pas à construire,
03:27 c'est effectivement une sorte de position sur la question de la mort en général,
03:33 et même qui nous aide à vivre, encore une fois, où il y a un test vital,
03:37 une sorte d'épreuve vitale de ce que l'on dit et ce que l'on soutient philosophiquement.
03:41 Le rapport à la vie et à la mort, c'est le problème fondamental des humains.
03:44 Et ça passe par des questions de principe.
03:46 Et justement, de la refuser tout en admettant son existence et en admettant la part de tragique,
03:51 construire une vie et même une vie heureuse avec les autres humains,
03:54 je pense que ça aide effectivement à admettre le négatif en le refusant.
03:59 Et donc, oui, je pense que la philosophie peut aider, mais non,
04:02 je pense qu'elle ne peut pas tout résoudre.
04:04 Et même, il y a une très grande humilité de la philosophie devant les médecins,
04:07 devant les passions, devant la peur, devant l'angoisse, aussi devant la joie,
04:12 la possibilité aussi de ne pas être hanté par la mort.
04:15 Il y a des très grands philosophes comme Spinoza qui ont dit
04:17 "l'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort".
04:20 Il faut lui faire une sorte de place, la délimiter, la circonscrire, la refuser
04:26 pour que la vie ne se réduise pas à ce combat négatif, évidemment.
04:29 Donc oui, je pense que la philosophie peut nous aider à mieux vivre, comme je le dis,
04:32 mais pas à atteindre une sorte de bien abstrait et absolu
04:35 et à faire comme si la mort n'existait pas.
04:37 - Justement, la différence entre l'abstrait et le concret, Jacques Rico,
04:39 vous êtes philosophe, je l'ai dit,
04:42 mais vous avez aussi l'habitude d'accompagner des êtres humains,
04:47 des êtres humains en fin de vie.
04:49 Si vous deviez comparer justement la réflexion philosophique
04:52 avec la concrétude de ces moments où vous passez avec des mourants.
04:57 - Pas facile de résumer, mais en tout cas, pour ce qui me concerne,
05:00 depuis 32 ans, j'accompagne de façon très, très régulière les soins palliatifs,
05:04 du côté du bénévolat d'accompagnement et surtout du côté des soignants.
05:08 Et c'est cela qui m'a donné cette expérience dont nous allons parler ensemble.
05:13 Et j'ai un grand plaisir à retrouver ici mon ami Frédéric Worms,
05:17 même si nous ne partageons pas l'intégralité de nos convictions.
05:20 - C'est pour ça que vous vous retrouvez d'ailleurs.
05:22 - Peut-être, mais pas seulement.
05:23 - C'est une discussion au long cours aussi.
05:25 - Oui, ça fait quand même plus de 15 ans, 20 ans peut-être,
05:28 que ce dialogue existe entre nous.
05:30 Mais laissons cela, si vous voulez, pour notre vie privée.
05:33 Et j'en viens à votre remarque.
05:35 Oui, je suis un philosophe de terrain, c'est à dire que je ne me suis pas permis
05:41 de calquer, de décalquer des convictions philosophiques issues de notre grande tradition.
05:46 Alors, vous allez dire, par exemple, Aristote, il est contre le suicide.
05:49 Kant, il est contre le suicide.
05:51 Mais Sénèque, il est pour.
05:54 Montaigne, il n'est pas vraiment contre.
05:57 Enfin, on peut évidemment voyager.
06:01 Et pour ce qui me concerne, et pour faire écho à ce que vient de dire Frédéric,
06:04 je dirais qu'il y en a un philosophe qui m'a beaucoup intéressé, c'est Kierkegaard.
06:08 Lorsqu'il s'est affronté à Épicure, qui disait toujours, la mort, c'est rien,
06:12 il ne faut pas la craindre, etc.
06:14 Et Kierkegaard dit, d'accord, il ne faut pas la craindre.
06:16 Mais le fait que la mort soit notre horizon,
06:20 ça colore notre existence d'une manière singulière, d'une manière différente.
06:24 Et donc, la mort a une vertu en quelque sorte rétroactive.
06:28 Quand Spinoza dit que la philosophie, c'est apprendre à vivre plutôt qu'à mourir,
06:32 contre disant un peu Montaigne ici,
06:36 il veut simplement dire qu'une vie réussie,
06:39 et c'est peut-être là que le philosophe a quelque chose à dire,
06:42 c'est une vie qui ne nie pas qu'elle se terminera un jour,
06:46 que la finitude est là.
06:48 Et donc, la mort a une vertu rétroactive
06:51 pour nous aider à mieux vivre cette existence
06:54 dont Frédéric disait tout à l'heure à juste titre,
06:57 que c'était une existence contre la mort.
07:01 Une culture de la mort, ce n'est plus une existence.
07:04 Quelqu'un qui passe son temps, et il y en a qui sont comme ça aujourd'hui,
07:07 à craindre leur mort ou à craindre la façon même dont ils vont mourir,
07:12 évidemment c'est très anxiogène, c'est terrible.
07:14 Moi qui aurai 80 ans l'année prochaine,
07:17 Dieu merci, je ne passe pas mon temps à me dire
07:21 comment ça va se passer,
07:22 parce que j'ai la chance de ne pas avoir encore une pathologie
07:25 qui s'est déclarée de façon très précise.
07:28 Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette société qui est hantée,
07:32 mais vraiment omnimilée...
07:33 - Vous trouvez que notre société est plus hantée par la mort
07:36 que les sociétés précédentes ?
07:37 Parce que les sociétés religieuses sont hantées...
07:41 - Oui, bien entendu, toutes les sociétés sont hantées par la mort,
07:44 c'est pas ça que je veux dire.
07:46 La nôtre est très différente, elle est hantée par les conditions du mourir.
07:50 Et c'est justement peut-être une façon pour moi
07:52 de ne pas regarder en face précisément la mort.
07:55 Contrairement à ce qu'a dit notre président l'autre jour,
07:57 contre-disant la maroche Foucault,
07:59 la mort ne se regarde pas en face.
08:01 - Jacques Rico, vous n'avez pas répondu à ma question.
08:03 Ces gens que vous accompagnez vers la mort,
08:08 ces mourants, que vous ont-ils appris ?
08:11 - Je ne les accompagne pas vers la mort, je les accompagne dans la vie.
08:14 Et ça c'est très important, parce qu'il n'y a pas de différence.
08:16 Alors voilà ce que j'ai appris.
08:18 En revêtant une gousse blanche, en allant dans mes services, entre autres.
08:22 C'est qu'il n'y a pas de différence entre les derniers instants,
08:24 et les premiers instants, et les instants du milieu de la vie.
08:27 C'est toujours de la vie.
08:28 Et c'est ça qui est absolument extraordinaire,
08:31 qu'on apprend justement au contact des personnes qui sont au chevet clinique,
08:37 qui sont au chevet des soins.
08:39 Et ça, c'était ma grande leçon.
08:42 Je vous avoue que j'ai mis 8 ans avant d'oser prendre
08:45 la parole publiquement sur ces questions,
08:47 parce que c'était d'une complexité redoutable.
08:49 Et j'ai fini par comprendre ça.
08:51 La fin de la vie, c'est d'abord la vie.
08:54 - Frédéric Worms.
08:55 - Oui, pardon.
08:57 Je suis très frappé par ce que vient de dire Jacques Rico,
09:01 et notamment sur cet accompagnement de la vie.
09:04 Ricœur disait justement "vivant jusqu'à la mort",
09:06 et je pense que c'est effectivement le cas.
09:08 Il y a juste un point, peut-être, qui nous amènerait déjà,
09:12 finalement, au cœur du débat,
09:14 encore une fois qu'il faut considérer comme tragique,
09:16 de la fin de vie et de l'aide à mourir.
09:18 Ce n'est pas une obsession des gens, il me semble,
09:22 dans nos sociétés sur les conditions de la mort en général.
09:24 C'est, paradoxalement, il me semble, le débat auquel on assiste aujourd'hui.
09:28 Les sujets qui émergent aujourd'hui viennent du société du soin.
09:32 Une société où, justement, l'accompagnement s'est beaucoup construit.
09:35 Et on assiste aujourd'hui plutôt, me semble-t-il,
09:38 à une projection des humains qui ont conscience,
09:41 dans nos sociétés, de l'accompagnement, justement,
09:44 qui est celui des proches, des soignants.
09:46 C'est pour ça qu'il ne faut pas considérer l'individu abstraitement.
09:49 Et ils se projettent dans ces situations tragiques,
09:52 je dirais, non pas par obsession de la mort,
09:54 mais justement, comment une société humaine qui a construit cet accompagnement
09:58 peut aller jusqu'aux limites de la condition,
10:01 justement, des humains et accompagner jusqu'aux tragiques,
10:04 je dirais, dans sa limite un petit peu critique.
10:08 Moi, je défends justement une sorte de vitalisme critique
10:10 avec l'acception du négatif, mais justement, cette limite critique,
10:13 en franchissant d'abord tout le reste, en étant accompagné, effectivement, jusqu'au bout.
10:17 Mais je ne crois pas que ce soit une obsession, en effet,
10:19 plus morbide que dans les autres sociétés.
10:21 Je crois qu'au contraire, les conditions du débat montrent
10:24 que c'est dans une société qui se construit...
10:26 - J'ai même l'impression que la mort est plus escamotée dans notre société qu'auparavant.
10:32 - Je ne dirais pas ça non plus.
10:34 Je ne sais pas ce qu'en pense Jacques Rico sur ce point.
10:35 Il y a beaucoup de gens qui pensent qu'il y a une sorte de...
10:37 - On ne voit pas de mourants...
10:39 - Ou pas, enfin.
10:40 - Il me semble que dans les services de soins palliatifs,
10:45 dans la médicalisation du domicile, parfois,
10:47 parce que c'est parfois à domicile,
10:49 je pense que le combat contre la mort prend une place assez humaine
10:53 et que les médecins ne sont pas des gens qui escamotent la mort.
10:56 - Je ne vous parle pas d'eux, mais je vous parle de la société.
10:59 - On a cette nostalgie parfois d'une société où la mort est ritualisée
11:02 au cœur du domicile, de la vie sociale,
11:04 liée d'une autre façon aujourd'hui.
11:06 - Qu'en pensez-vous ?
11:07 - Je maintiens qu'il faut faire une distinction entre la mort,
11:11 dont on ne se préoccupe guère, et vous avez raison,
11:13 tout le monde dit qu'on l'occulte,
11:15 mais personne ne veut définir ce que ça veut dire cette occultation.
11:19 C'est vrai que pour moi, les enfants devraient être présents
11:21 quand le grand-père décède.
11:22 Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
11:24 Je suis d'une génération où la chose se produisait.
11:28 Aujourd'hui, un corbillard dans la rue, ça gêne la circulation.
11:31 On n'est plus du tout dans la ritualisation dont viennent parler Frédéric.
11:34 Et justement, c'est une de mes thèses,
11:38 je tiens que cette obsession des conditions du mourir aujourd'hui,
11:43 parce que dans la réalité, quand les services sont bien formés,
11:47 quand les soins palliatifs sont bien développés,
11:49 on n'a pas ces problèmes dont nous repèrent à longueur d'antenne,
11:54 de télévision en particulier, et pas France Culture quand même,
11:57 qui est sérieuse sur cette question,
11:59 eh bien, on s'aperçoit que la vraie question, elle n'est pas là.
12:02 La question, c'est vraiment cette angoisse qu'il y a,
12:07 et s'il m'arrivait, ou s'il arrivait à mes proches de souffrir en mourant.
12:11 Et c'est vrai que ça se produit, et c'est vrai que c'est ça qui nous obsède.
12:14 Mais c'est peut-être au détriment de ce fameux exercice de la mort,
12:18 pour faire un peu le savant de se mêler,
12:20 c'est un atout dont parlait Platon dans le Fédon,
12:22 cet exercice de la mort, cette assaise de la mort,
12:24 cette curiosité que nous avons pour ce qu'est la mort,
12:30 qui aujourd'hui est en train de disparaître de notre horizon,
12:32 au profit des seules questions du suicide, de l'euthanasie, etc.
12:36 - Jacques Rico pensait la fin de vie, l'éthique, au cœur d'un choix de société.
12:40 C'est aux éditions IG Frédéric Worms,
12:43 le pourquoi du comment, philosophie pour mieux vivre,
12:46 aux éditions Flammarion France Culture, 7h56.
12:51 - 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
12:58 Nous retrouvons nos deux invités pour débattre,
13:02 débattre sur la fin de vie, sur le projet de loi
13:04 qui a été annoncé dimanche par Emmanuel Macron.
13:06 Nous sommes en compagnie de Jacques Rico, philosophe.
13:10 On vous doit penser la fin de vie aux éditions IG Frédéric Worms,
13:15 directeur de l'ENS.
13:17 Vous publiez le pourquoi du comment, philosophie pour mieux vivre,
13:21 une coédition Flammarion France Culture.
13:23 Frédéric Worms, que retenez-vous des propos du chef de l'État ?
13:28 - En fait, Guillaume Erner, j'en retiens une assez grande précision.
13:33 Je pense qu'il y a eu tout un travail,
13:36 que beaucoup de gens s'étonnent d'ailleurs que ces sujets
13:39 qui ont une certaine urgence vitale pour chacune et pour chacun
13:43 quand ils surviennent, prennent du temps dans la société.
13:45 Mais moi, je fais partie de ceux qui trouvent ça bien,
13:47 en fait, non seulement normal, mais bien,
13:49 parce que c'est, on doit discuter des limites, des seuils, des arguments.
13:53 Et finalement, moi, ce qui m'a frappé dans ces propos,
13:56 c'est une assez grande précision.
13:57 Par exemple, reprendre la notion d'aide à mourir,
14:00 ce n'est pas juste une sorte de formule magique,
14:02 une sorte de truc inventé pour ne pas parler,
14:05 ne pas employer d'autres mots.
14:08 Même si c'est comme ça quand même qu'il le présente, je trouve.
14:09 C'est pour ne pas dire, et je pense que c'est en effet très juste,
14:13 euthanasie, par exemple.
14:15 Mais aide à mourir, c'est une notion assez précise
14:18 qui vient dans l'éthique médicale française de la question du soin
14:22 sur laquelle je pense qu'il faut vraiment travailler.
14:24 Et parce que précisément, l'aide, ce n'est pas un soin,
14:27 ça n'est plus un soin.
14:28 C'est ma formule aujourd'hui.
14:29 Il faut avoir traversé tous les soins.
14:31 C'est extrêmement important.
14:33 Mais la position, par exemple, des soins palliatifs,
14:35 la position des médecins, des soignants, c'est de dire
14:37 ce geste contredit le soin.
14:39 Ce n'est pas un soin qu'en effet d'avoir l'intention
14:42 de, même en répondant à une demande,
14:45 de produire activement la mort.
14:48 Alors que jusqu'ici, on a dans la loi existante
14:51 des gestes qui entraînent indirectement la mort,
14:53 mais qui sont des soins parce que leur but est de soulager la souffrance.
14:56 Parler d'aide, c'est dire qu'on a traversé le soin,
14:58 mais que ça n'est plus un soin.
14:59 Et le rôle des médecins va être critique
15:01 parce qu'ils vont devoir dire à quel moment on a franchi
15:05 les seuils du soin ultime.
15:06 C'est une formule qu'on a partagée à un moment
15:08 avec Jacques Rico ici présent.
15:10 Mais il faut avoir traversé tout le soin
15:12 pour parvenir à la question de l'aide.
15:13 Et puis, il y a deux, trois autres points où il est très précis,
15:15 même si on n'a pas encore le projet de loi.
15:17 C'est par exemple le type de personnes à qui c'est ouvert,
15:20 en possession de leurs moyens,
15:22 pas les enfants en situation d'incurabilité
15:26 et de souffrance intolérable à court ou à moins court terme.
15:31 Jacques Rico, Emmanuel Macron dit qu'avec ce texte, je le cite,
15:36 on regarde la mort en face.
15:38 C'est également ce que vous pensez ?
15:40 Non, pas du tout.
15:40 Je ne pense pas qu'on regarde la mort en face.
15:42 D'abord, elle ne peut pas se regarder en face.
15:44 Vous vous souvenez de la formule célèbre de La Rochefoucauld
15:47 qui dit que ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder.
15:50 Je ne crois pas qu'on puisse regarder la mort en face.
15:52 C'est une illusion.
15:53 Ce qu'on peut regarder peut-être en face,
15:55 c'est les conditions du mourir.
15:57 C'est tout à fait autre chose, bien entendu.
16:00 Et je ne partage pas l'optimisme de mon ami Frédéric Vaughn
16:03 parce que je ne trouve pas que ce vocabulaire utilisé par Emmanuel Macron
16:08 soit très précis.
16:10 Aider à mourir, c'est en effet ce que font depuis longtemps,
16:12 là-dessus, on est d'accord, les soins palliatifs,
16:15 et les soins tout court d'ailleurs.
16:17 Mais dans le texte de l'entretien,
16:21 l'aide à mourir a un tout autre sens.
16:24 Ce n'est non plus aider à bien vivre les derniers moments de la vie,
16:28 c'est bel et bien faire mourir la personne.
16:32 Ne nous cachons pas derrière le petit doigt.
16:34 Et c'est là qu'il y a quand même, dans le vocabulaire,
16:37 ce que je crois être,
16:39 comment dire, pour ne pas être trop violent dans la critique,
16:43 quand même un dévoiement du lexique,
16:47 un dévoiement du lexique.
16:48 La première phrase de Macron dans cet entretien,
16:51 c'est "les mots ont de l'importance et il faut essayer de bien nommer le réel sans créer d'ambiguïté".
16:55 Je suis désolé, mais il crée des ambiguïtés.
16:58 Pourquoi ?
16:58 Il ne nomme pas le réel, il ne parle jamais d'euthanasie,
17:01 il ne parle jamais de suicide d'assisté.
17:03 Par contre, les gestes qu'il décrit sont clairement
17:07 le fait d'administrer la mort à autrui par le biais d'euthanasie,
17:11 ou bien le fait de fournir un poison mortel à quelqu'un qui l'absorbera.
17:17 Donc on ne peut pas parler d'euthanasie.
17:19 - Jacques Rico, parce qu'il répond à cette remarque,
17:24 Emmanuel Macron, dans l'entretien, il dit
17:26 "le terme d'euthanasie désigne le fait de mettre fin au jour de quelqu'un avec,
17:31 ou même sans son consentement, ce qui n'est évidemment pas le cas ici".
17:35 - Bien sûr que si.
17:36 On va le voir dans un instant, parce que je suppose qu'on va aller dans l'ordre.
17:40 La proposition d'Emmanuel Macron,
17:43 s'inspirant d'ailleurs d'un avis très disputable
17:46 du comité consultatif national d'éthique produit en septembre 2022,
17:51 était que ce n'est pas bien de faire mourir quelqu'un.
17:54 Par contre, on ne doit pas l'empêcher de se suicider s'il le désire,
17:58 et même on doit lui en donner les moyens dans certaines circonstances,
18:00 dans certaines conditions délimitées.
18:03 Mais la question de l'euthanasie était déjà installée,
18:06 comme si on avait mis un pied dans la porte.
18:09 Ce qu'aucune législation n'avait fait d'ailleurs,
18:12 ni les Suisses, ni les 11 États des États-Unis qui ont légalisé,
18:15 dépénalisé plus exactement le suicide assisté,
18:18 l'ont autorisé, des euthanasies dans des circonstances exceptionnelles.
18:22 Or, Macron, reprenant ici le CCNE,
18:27 lui, dit qu'il y a des situations où il faut euthanasier.
18:30 Donc, quand il dit que l'euthanasie, c'est faire mourir quelqu'un délibérément,
18:35 il ne se trompe pas de mot, sauf que c'est bien ce qu'il va dire ensuite,
18:39 en n'utilisant pas de mot, justement.
18:41 Et là, pour moi, il y a quand même un problème d'éthique du lexique.
18:45 Frédéric, qu'est-ce que tu en penses ?
18:46 - Je vois justement Frédéric Worms froncer les sourcils.
18:49 - Oui, moi je pense que le mot euthanasie est non seulement surchargé d'une histoire terrible,
18:54 mais tout à fait général.
18:55 Il s'agit de donner une bonne mort,
18:58 puisque le préfixe "e" veut dire "bien", comme "euphorie",
19:01 par opposition à "dys", "dystopie", "utopie", etc.
19:04 Or, c'est extrêmement général et ça peut être extrêmement violent.
19:07 Donc il ne faut pas utiliser ce mot, à mon avis aussi,
19:10 parce qu'il ouvre toutes sortes de fantasmes.
19:12 - Mais il ne faut pas utiliser le mot, mais est-ce qu'on utilise la chose ?
19:16 - Non, parce que "aide à mourir" veut quand même dire des choses assez précises.
19:21 Je ne crois pas du tout que ce soit vague et que ça ouvre toutes les portes.
19:24 Après, il faudra qu'il y ait des verrous dans cette loi, c'est très clair.
19:27 Mais par exemple, "aide", ça veut quand même dire qu'il y a une demande,
19:30 effectivement, c'est très clair.
19:32 Si quelqu'un le demande, et même dans cette demande,
19:35 ce n'est pas une demande abstraite d'une personne, même pas à répétition.
19:38 Je pense que ça suppose un accompagnement et une critique aussi de cette demande,
19:41 et un dialogue. Et puis "aide à mourir",
19:43 ça ne veut pas dire la mort en général.
19:45 Ça veut dire que la mort est inéluctable.
19:47 Ça veut dire que la mort est déjà là.
19:49 On parle de l'incurable, on parle du tragique.
19:51 Et moi, c'est pour ça que je ne crois que le mot d'euthanasie
19:53 ouvre une sorte de fantasme, en effet, de toute puissance.
19:56 Alors qu'aide à mourir, on est dans le tragique.
19:57 Mourir, on n'est pas en train de légitimer.
20:00 Même le mot "suicide" est très dangereux aussi,
20:02 parce que le suicide, en général, reste quelque chose
20:05 contre lequel il faut lutter.
20:06 Ne pas aider quelqu'un à se suicider en dehors de cette situation tragique,
20:10 c'est un crime. C'est de la non-assistance à personne en danger.
20:14 Donc moi, je crois qu'au contraire, ces deux mots sont trop généraux.
20:17 Je crois qu'en effet, la réflexion de Camus,
20:20 selon laquelle mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde,
20:22 s'applique effectivement ici.
20:23 Et que "aide à mourir", ça peut paraître, mais c'est l'aboutissement.
20:26 Les notions bioéthiques sont des constructions très, très, très, très, très fragiles.
20:31 Par exemple, le don d'organes, le don même d'une personne décédée,
20:35 peut donner un donneur décédé.
20:37 C'est quelque chose qui est dans la loi de bioéthique.
20:38 C'est des paradoxes éthiques très précis.
20:41 Et je crois qu'aide à mourir, si on prend bien mourir
20:43 comme l'inéluctable de l'incurable et aide comme la réponse à une demande tragique,
20:47 on est quand même plus précis que Jacques Ricot ne vient de le dire.
20:50 - Bon, alors Jacques Ricot, je vais tourner la question autrement.
20:54 Qu'est-ce que vous auriez aimé entendre de la part du chef de l'État ?
20:58 - Un acte de courage politique
21:00 et une manière de suivre celui qui a été à un moment donné son maître à penser,
21:05 comme il l'est d'ailleurs pour une part celui de Frédéric Vence et de moi-même, Paul Ricoeur.
21:10 Paul Ricoeur connaissait très, très bien la problématique des soins palliatifs,
21:14 contrairement à beaucoup de philosophes.
21:16 Aujourd'hui, dans la constellation philosophique française,
21:20 à part Frédéric qui connaît le sujet,
21:23 je ne vois pas de philosophe capable d'avoir l'expérience qu'avait Paul Ricoeur
21:29 dès les années 90 des soins palliatifs.
21:31 Or, j'avais discuté avec lui de ces questions de façon très, très approfondie,
21:35 et d'ailleurs il s'est exprimé lui-même par écrit,
21:37 il était très, très hostile à franchir cette ligne rouge qui consistait,
21:42 pour une société, à donner la permission de faire mourir autrui,
21:47 fusse à sa demande.
21:49 - Pourquoi ? - Pour Ricoeur, il est très clair.
21:50 Pourquoi ? Parce que justement, nous ne sommes pas dans une société
21:53 où la coexistence des libertés individuelles suffit à faire société, précisément.
21:58 Parce que justement, une fois que vous avez mis le petit doigt dans cet engrenage,
22:02 et je ne dis pas qu'il n'y a pas de situation exceptionnelle,
22:04 et on va en parler, j'espère, avec Frédéric,
22:06 eh bien, une fois que vous avez mis le petit doigt dans cet engrenage,
22:10 vous êtes certain, comme le dit très, très bien
22:13 une tribune de Libération ce matin,
22:15 sous la plume du professeur Jean Lacos Saint-Guilly,
22:20 cancérologue réel, professeur de médecine,
22:22 il y a une logique mortelle qui s'impose.
22:25 Regardons les laboratoires qui sont tout près de chez nous,
22:28 en Belgique, en Hollande, au Canada,
22:31 et on aura la suite de ce qui va commencer en France.
22:34 - Mais alors, Jacques Ricoeur, est-ce que c'est quelque chose de juste
22:39 de disqualifier une mesure au nom de ses excès ?
22:43 Parce qu'on voit bien ce que vous pointez,
22:45 mais il y a des situations, effectivement,
22:48 où il y a une véritable souffrance,
22:52 et cette souffrance n'est pas apaisée.
22:54 Est-ce qu'il n'est pas nécessaire de légiférer là-dessus,
22:58 sans évidemment entrer dans cet engrenage ?
23:01 - Je vais dans votre sens.
23:03 Il y a aujourd'hui, d'après les calculs de la Cour des comptes,
23:06 à peu près 500 personnes qui, chaque jour, décèdent
23:09 et qui auraient mérité des soins palliatifs et qui ne les ont pas.
23:12 Comment voulez-vous qu'en effet,
23:14 moi le premier,
23:16 quand nous sommes les témoins de douleurs insupportables,
23:19 mal soulagées en fin de vie,
23:21 comment voulez-vous que nous ne soyons pas pour achever cette vie ?
23:24 Je serais peut-être le premier, moi,
23:25 à transgresser le principe qu'ici je me donne.
23:30 Parce qu'en effet, c'est insupportable.
23:32 La question n'est pas là.
23:33 Elle est, comme le disait si bien Robert Badinter,
23:35 j'avais été auditionné comme lui à la même session en 2008,
23:39 et il avait préfacé le livre de Leonetti, c'était quand même singulier.
23:42 J'étais d'accord avec Robert Badinter,
23:44 une loi, c'est une représentation expressive
23:47 des valeurs d'une société.
23:48 Ça exprime les valeurs d'une société.
23:51 Et donc, ce n'est pas la même chose de transgresser cette loi
23:53 dans des cas exceptionnels,
23:55 dont je tiens à dire d'ailleurs qu'ils sont bien plus exceptionnels
23:58 qu'on ne le dit, malgré l'effet de loupe médiatique.
24:00 Parce que, encore une fois,
24:03 quand une personne est vraiment prise en charge,
24:05 la seule étude scientifique dont nous disposons,
24:07 nous savons que ce n'est pas 95%
24:10 des personnes qui réclament de l'euthanasie quand elles sont bien portantes,
24:13 quand elles sont mal portantes, savez-vous combien il en reste ?
24:16 0,3%. Et non pas 3%, selon un contresens
24:20 qu'avait d'ailleurs fait le Comité consultatique national d'éthique à l'époque.
24:23 Eh bien, lorsque les choses sont vraiment prises en compte,
24:28 on n'a plus cette demande d'euthanasie.
24:29 Alors, il y a des gens qui ne veulent pas,
24:31 qui veulent mourir, c'est tout à fait ça.
24:33 - Autre chose, c'est ce que vous sous-entendiez,
24:35 il y a quelques instants, Jacques Rico,
24:36 chacun, hélas, a connu cette situation.
24:42 Et lorsqu'on est dans une situation où on est en fin de vie avec des souffrances,
24:50 même entrer dans des soins palliatifs est parfois quelque chose d'impossible
24:54 parce qu'il n'y a pas de place, parce que là aussi, il y a un certain nombre de démarches.
24:59 - J'espère que c'est assez glauque de dire ou de laisser entendre que
25:03 parce qu'il n'y a pas de place et des soins palliatifs,
25:04 en effet, l'euthanasie est la solution ou le suicide assisté.
25:07 - Non, ce n'était pas ce que je voulais dire.
25:08 Ce que je voulais dire, c'est que lorsqu'aujourd'hui,
25:11 on veut entrer dans un service de soins palliatifs,
25:14 il y a un certain nombre de démarches à accomplir qui, parfois, n'aboutissent pas
25:20 parce que malheureusement, il n'y a pas assez de services de soins palliatifs.
25:24 - Nous sommes bien d'accord et vous saurez...
25:26 - Mais parfois, on ne le sait pas parce que...
25:28 - Vous avez bien compris. Autrement dit, il sera bien plus facile d'accéder à l'euthanasie
25:32 ou au suicide assisté que d'accéder aux soins palliatifs.
25:34 C'est ça que vous dites.
25:36 - En tout cas, la configuration actuelle,
25:39 c'est qu'il n'y a pas suffisamment de place dans ces services de soins palliatifs.
25:44 Hélas, on est beaucoup à l'avoir constaté, Frédéric Worms.
25:48 - Oui, il y a deux points sur lesquels je voudrais revenir.
25:49 Celui-ci, sur les soins palliatifs, qui est crucial.
25:52 Et même moi, je pense qu'il faudrait,
25:55 dedans ou à côté, c'est annoncé, des grandes mesures, un plan pour les soins palliatifs.
25:59 Il me faudrait même une loi sur les soins.
26:02 Mais il y a un autre point sur lequel je voudrais revenir,
26:04 qui est le point crucial, au fond, c'est la question de la loi en tant que telle.
26:09 Paul Ricoeur, en effet, comme Georges Canguilhem disait,
26:12 il y a des exceptions tragiques.
26:14 Et le médecin, on a cette figure du médecin de famille,
26:17 là aussi, on l'a tous rencontré, qui, au terme d'un parcours d'accompagnement
26:22 et avec les proches, avec la personne, des gens qui ont lutté contre la mort ensemble.
26:26 Et encore une fois, moi, je m'élèverais toujours contre les gens
26:29 qui font de la mort une valeur positive.
26:31 Personne, je pense, n'a ce droit.
26:33 Mais on sait bien que le médecin peut faire un geste de transgression,
26:37 qui va être d'ailleurs souvent acquitté par la loi.
26:40 C'est un modèle que Paul Ricoeur défendait.
26:42 Et Georges Canguilhem, grand philosophe du soin et de la médecine aussi,
26:45 il disait voilà, un médecin, dans son âme et conscience, peut faire quelque chose.
26:49 Si la loi l'interdit, il peut être même jugé.
26:52 Ça montre qu'il y a des limites, qu'il y a du tragique.
26:54 Mais quand la loi l'autorise, c'est vrai qu'il y a un risque.
26:57 Moi, je partage la conscience totale de ce risque.
26:59 Ce risque, comme vous le disiez, Guillaume Herner,
27:02 ce risque est un risque de dépassement des limites qu'il faut absolument poser,
27:07 puisqu'on est dans cette circonscription d'une zone de tragique.
27:11 Pour moi, la seule légitimité d'instituer, au fond, ce tragique,
27:16 d'instituer cet espace extrême au-delà même du soin ultime,
27:20 c'est parce que les citoyens, les sujets se projettent dans cette situation à l'avance
27:26 et que finalement, ça peut apaiser toutes les demandes,
27:30 y compris celles de soins palliatifs, y compris de ne pas y recourir,
27:34 si on sait qu'il y a un espace de discussion ouvert au terme du bout du chemin.
27:39 Et l'ouverture de cet espace, c'est une position qui est cohérente en un sens, il me semble,
27:44 en espérant que les soins palliatifs et les autres soins,
27:47 d'abord les soins curatifs, bien entendu, il faut donner des moyens aux hôpitaux.
27:52 Il y a évidemment une grande crainte, c'est le contexte.
27:56 Et je crois que là, c'est là qu'on peut dire voilà, il faut une grande cohérence politique.
27:59 Il faut beaucoup d'investir sur l'hôpital en général, sur la médecine,
28:03 sur la recherche aussi, sur la science et sur les soins palliatifs
28:07 en leur donnant toute leur positivité.
28:09 On partage depuis longtemps avec Jacques Rico et avec beaucoup d'autres.
28:12 Cette expression de soins palliatifs fait peur parce qu'on a l'impression que c'est des soins par défaut,
28:16 des soins mortuaires.
28:18 Ce n'est pas du tout ça. C'est des soins médicaux encore.
28:20 Il y a beaucoup de médecine parce qu'il y a de la souffrance à soulager avec beaucoup de techniques.
28:23 Il y a beaucoup de moyens. Il y a beaucoup de présence humaine.
28:26 Il y a la place des proches, comme au début de la vie.
28:28 La médecine a fait un progrès magnifique d'accompagnement.
28:31 C'est pour ça aussi que la pandémie a été si tragique, où tout à coup, on ne pouvait plus accompagner.
28:36 Donc, effectivement, il y a tout ce contexte.
28:39 Je crois simplement, effectivement, la question de savoir s'il faut instituer le tragique avec,
28:44 en le maintenant comme tragique, avec des conditions, des verrous extrêmement clairs
28:50 et en renforçant tout ce qui peut le précéder, qui doit le précéder, qui doit s'y opposer aussi.
28:56 Je pense que c'est un débat, en effet, un grand débat et que le recours à la loi, en effet, n'a rien d'anodin.
29:03 Mais la justification de la transgression par le seul médecin, sans donner à la parole du patient
29:10 une sorte de légitimité, un peu de principe, finalement, dans ces situations extrêmes.
29:14 Je pense qu'ouvrir cet espace intime post-soin, finalement, après le soin ultime,
29:21 est une demande assez profonde des êtres humains dans la relation,
29:24 encore dans la relation avec les autres, avec soi-même et avec la société.
29:28 - Qu'est-ce que vous en pensez, Jacques Rico ?
29:29 - Je pense, de façon très, très voisine, la même chose que Frédéric, avec des petites nuances quand même.
29:39 Et l'une en particulier, ce que tu viens de dire, c'est la position de Georges Canguilhem.
29:42 Oui, il pensait que dans l'intimité, un médecin pouvait, avec son patient, régler des situations délicates
29:47 et qu'il ne fallait surtout pas que la loi s'emmêle.
29:50 Tu te souviens de l'expression qu'il utilisait ?
29:51 - C'est dans les années 70 aussi.
29:53 - Oui, quand même.
29:54 Oui, mais il disait, sur cette question de la fin de vie, si on autorisait une transgression,
29:59 il avait ce mot quand même très fort, il est nocif, il est nocif de légiférer.
30:03 Quant à Ricœur, ce n'était pas exactement sa position.
30:05 Sa position, ce n'était pas du tout d'estimer que la loi pouvait prévoir des exceptions.
30:11 C'était de dire que c'était aux juges, aux judiciaires et non pas aux juridiques de s'en occuper.
30:16 Et donc, évidemment, il recourait à l'équité aristotélicienne,
30:19 qui devait, chaque fois que la loi était trop abstraite, donner évidemment la solution.
30:24 Donc, ce que j'attends de Macron, pour répondre à votre question,
30:27 c'est d'avoir le même niveau que celui de Badinter,
30:29 qui, contre les sondages de l'époque, a eu le courage d'abolir la peine de mort.
30:34 - Mais alors, dans la transposition que l'on pourrait faire de ce courage-là à la fin de vie,
30:40 qu'est-ce que ça donnerait, Jacques Ricœur ?
30:42 - Ça donnerait à Macron qu'il dirait "j'ai tort".
30:45 Je me trompe quand j'ouvre cette voie qui, de toute façon,
30:50 comme un trou dans une digue, ne fera que s'élargir.
30:53 Je prends la précaution des mineurs, je prends la précaution des verrous dont parle Frédéric.
30:57 Je n'y crois pas une demi-seconde.
30:59 Je voyage au Canada, je sais ce qui s'est passé là-bas.
31:02 Je voyage en Hollande, je voyage en Belgique, je vois ce qui s'est passé là-bas.
31:06 Donc, c'est pas vrai.
31:07 C'est pas vrai que les verrous ne seront pas un jour...
31:10 - Mais vous pensez que les sociétés canadiennes ou hollandaises sont moins humaines que la nôtre ?
31:15 - Alors, je dirais qu'elles sont aussi démocratiques que la nôtre,
31:18 mais je ne pense pas qu'elles soient en effet très humaines.
31:20 Si j'ai préfacé un livre de soignants belges refusant l'euthanasie,
31:24 c'est parce que je considère que l'humanité et l'avenir est de leur côté.
31:28 Et donc, moi, je ne parle pas du présent, je parle de l'avenir,
31:32 de l'avenir de nos sociétés qui, en effet, finissent par considérer comme normal.
31:37 Il faut lire l'article de libération de ce matin du professeur Jean Lacau,
31:41 j'y reviens, parce qu'il dit très très bien qu'on s'habitue.
31:45 15% des décès dans certaines régions des Pays-Bas partent d'euthanasie aujourd'hui.
31:49 Et encore, c'est des chiffres officiels, qu'ils ne tiennent pas compte des chiffres officieux.
31:52 - Mais ça signifie peut-être qu'il y a 15% de ces patients en fin de vie qui souffraient
31:58 ou qui étaient dans une situation à la fois d'être malade, d'une maladie, etc. ?
32:03 - Je vous invite à aller en Hollande, je vous invite à écouter les personnels
32:07 qui ont été pendant très longtemps partisans de l'euthanasie et qui en reviennent aujourd'hui.
32:11 Et donc non, c'est pas vrai. On ne peut pas dire qu'il y a 15% de personnes qui ne bénéficient pas.
32:16 Non, c'est plus vrai. Ça veut dire que vient un moment où il est normal,
32:20 il est intégré que lorsque ma vie est un fardeau, il est normal que je m'en aille.
32:23 - Frédéric Vorms ? - Oui, moi, je crois qu'il y a un risque, c'est évident,
32:28 dans une conception très abstraite et aussi très théâtralisée par certains,
32:32 et parfois avec des, je ne dirais pas des perversités, mais en tout cas des ambivalences vis-à-vis de la mort.
32:38 Et en effet, il faut lutter contre ce que les psychiatres et les psychanalystes,
32:42 mais pas seulement eux, appellent la pulsion de mort.
32:43 Il y a en effet des... Voilà, je pense que quand un homme,
32:47 qui n'est pas encore... ou une femme, qui n'est pas encore en train d'être dans l'incurable et dans cette souffrance,
32:52 met en scène un choix délibéré, un peu abstrait de mettre fin à sa vie avec l'aide d'un service et d'une loi,
32:59 c'est très dangereux parce que ça donne cette image d'une sorte de service abstrait qui est fourni.
33:03 C'est, je crois, pourquoi le rôle des médecins est absolument critique, absolument fondamental.
33:08 Et d'ailleurs, la situation que décrivent Éric Coeur et Kang-Yi Hiem, c'est effectivement la fin de vie est accompagnée par la médecine.
33:14 La médecine comme philosophie première chez Georges Kang-Yi Hiem.
33:17 C'est vraiment la médecine qui est la technique humaine de lutte contre la mort.
33:21 Et il y en a d'autres, comme le droit, la justice, bien sûr, mais...
33:24 Et peut-être même un peu la philosophie. Mais sans le médecin, on ne peut pas.
33:28 Et c'est pourquoi la place du soin, la place du soin curatif puis du soin palliatif est absolument centrale.
33:34 Et on peut en tout cas reconnaître que cette place a été ménagée dans le débat.
33:39 C'est une loi unique qui devrait parler d'un renforcement des soins palliatifs.
33:43 Donc l'encadrement par la médecine que certains refusent, effectivement.
33:46 Mais pourquoi encore les médecins? Pourquoi passer par cette situation critique?
33:50 Pourquoi passer par la discussion avec les médecins par l'avis médical?
33:53 Je pense que c'est absolument fondamental. Personnellement, je pense que...
33:57 Et tout le monde le sait, personne n'a envie de décider de ce traitement, ni pour soi-même, ni pour ses proches,
34:03 sans cet accompagnement, cet avis, ce qu'il comprit sur une forme d'objectivation de la souffrance
34:10 et de prise en charge de la souffrance psychique et de prise en charge de la souffrance des proches.
34:14 Et ça suppose des grands moyens sociétaux. Et donc le soin, ce n'est pas un mot de béni-oui-oui, de bon sentiment.
34:20 C'est le coeur du sujet jusqu'au bout et un tout petit peu au-delà, mais pas sans le soin, pas sans les médecins.
34:26 Ça, c'est certain.
34:28 Ce que j'aime bien dans le propos de Frédéric Worms, c'est que lui, au moins, il a le courage de dire
34:35 que ça n'est pas un soin le fait d'arrêter le soin. Et ça, si au moins...
34:40 Ça n'est plus un soin.
34:41 Ça n'est plus un soin.
34:42 Mais ça suppose un parcours du soin.
34:43 Bien entendu. Mais ça n'est pas un soin. Et là, on voit très bien les grippes. Au Canada, c'est un soin.
34:49 Vous avez un fléchage. Vous allez au soin pénitentif ou au soin anesthésique? Qu'est-ce que vous préférez?
34:54 En gros, on en est là. Il ne faut pas s'étonner si 30% chaque année en plus arrivent à l'euthanasie.
35:00 Au Québec, on en est à 6,5%.
35:03 Ça prend des proportions absolument incroyables.
35:06 L'élève canadien a dépassé le maître belge depuis très, très longtemps, d'ailleurs.
35:11 Donc, les verrous, je n'y crois pas une demi-seconde. Pas une demi-seconde.
35:16 Frédéric Worms, le mot de la fin?
35:18 Je pense que si. J'ai une thèse sur la fin qui est de dire qu'il ne faut pas être ni dans le fini ni dans l'infini.
35:27 Mais il y a des choses qui ne sont pas finies. Il y a des choses qui continuent, effectivement.
35:30 Mais la fin de vie, malheureusement...
35:31 Je ne sais pas si ça va s'appliquer au débat du jour.
35:34 Au débat du jour, il y a une horloge. Et puis, la fin de vie, c'est quand même quelque chose de très sérieux.
35:37 Et une discontinuité, ce n'est pas juste la fin de la vie. Il y a un saut dans une étape qui est malheureusement marquée par le tragique.
35:43 Les verrous, moi, j'y crois. Sinon, on ne peut pas croire à la loi, au droit, à la société.
35:48 Évidemment, dans ce cas-là, il faudra qu'ils soient très institués.
35:51 Il y a des verrous sur d'autres lois, au fond, qui marquent des seuils critiques, parfois tragiques,
35:56 comme sur l'égalisation de l'avortement, aussi bien médical que volontaire.
36:01 Donc, il y a des verrous ici, par exemple, dans les critères de durée.
36:04 On n'a pas parlé du temps, mais c'est absolument fondamental, bien entendu.
36:07 Et donc, moi, je pense que la société repose en effet sur la croyance et la confiance dans des verrous.
36:13 Mais le cœur, ça va être exactement là pour l'avenir.
36:16 Frédéric Worms, le pourquoi du comment, philosophie pour mieux vivre, une coédition France Culture.
36:22 Flammarion, Jacques Ricot, pensez la fin de vie, l'éthique au cœur d'un choix de société aux éditions IG.

Recommandations