Luttes sociales, écologie, féminisme : vers une jeunesse radicale ?

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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer, l’invité était Ariane ANEMOYANIS_Romain JEANTICOUR_Vincent TIBERJ (07h40 - 08h00 - 11 Mai 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcript
00:00 *Musique*
00:03 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Le militantisme de la jeunesse française s'est-il radicalisé ?
00:09 Comment les jeunes générations se mobilisent-elles aujourd'hui, en rupture ou pas d'ailleurs, avec leurs aînés ?
00:15 Pour en parler, nous sommes en compagnie d'un journaliste à Télérama, Romain Genticoux, bonjour.
00:20 Bonjour.
00:21 Vous publiez une somme Terre de lutte aux éditions du Seuil,
00:25 un livre où vous analysez un certain nombre de mouvements, de mobilisations.
00:31 Alors, il y a un mouvement de lutte pour le logement aux Pays Basques,
00:35 des luttes de la terre en Loire-Atlantique, des luttes féministes à Grenoble,
00:38 des luttes de l'énergie sur le littoral breton, avec beaucoup de jeunes activistes qui donc se mobilisent,
00:45 avec de nouvelles manières aussi de se mobiliser.
00:48 Et j'ai choisi pour illustrer là aussi ces nouvelles formes d'activistes,
00:54 de donner la parole à l'une des actrices de ces luttes, Ariane Anemoyanis.
00:59 Bonjour.
00:59 Bonjour.
01:00 Vous êtes du mouvement Révolution Permanente,
01:03 un mouvement dont semble-t-il Adèle Haenel a décidé de rejoindre le corps,
01:10 avec une lettre qui a été publiée hier par Télérama et qui a fait beaucoup de bruit.
01:16 Une lettre où Adèle Haenel dit notamment
01:18 « J'ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels
01:25 et plus généralement la manière dont ce milieu collabore avec l'ordre mortifère et qu'aussi raciste du monde tel qu'il est. »
01:34 Votre point de vue, Ariane Anemoyanis, sur cette lettre, sur son esprit ?
01:40 Ce que je trouve intéressant dans cette lettre, c'est qu'à la fois elle exprime un rejet important
01:46 qui fait écho à celui qu'on peut observer dans toute une partie de la jeunesse
01:50 de ne pas vouloir participer à la reproduction d'un système écocide, capitaliste, patriarcal.
01:58 Mais elle va plus loin que ça, c'est-à-dire que ce n'est pas juste une rupture idéologique,
02:02 c'est aussi une invitation au militantisme, parce qu'elle dit à la fin de sa lettre
02:06 « Je m'en vais en grève, je vais rejoindre les piquets, la mobilisation. »
02:11 Et je pense que ça c'est intéressant, y compris que ça fait écho encore une fois,
02:14 non seulement à une volonté pour un certain nombre d'étudiants qu'on a vu dans les écoles d'ingénieurs,
02:21 les grandes écoles, Sciences Po, mais aussi les facs d'élite,
02:24 de ne pas vouloir être les futurs cadres sup-DRH de demain,
02:28 mais aussi une volonté de s'engager sur le terrain et de militer pour répondre
02:33 à un certain nombre d'aspirations sur le terrain écologique, de l'antiracisme,
02:37 et remettre en question le système dans sa globalité.
02:41 Et ça je trouve que c'est intéressant et ça fait écho y compris à mon engagement qui est propre.
02:44 Alors vous, vous êtes étudiante en droit, vous êtes donc une militante d'un mouvement
02:49 qui s'appelle Révolution Permanente. Décrivez-nous ce mouvement.
02:53 Oui, Révolution Permanente, c'est une organisation qui est née il y a quelques mois
02:58 d'un congrès de fondation en décembre, et qui est née de la scission avec le NPA
03:04 sur l'idée justement que face à la situation qu'on est en train de vivre
03:10 et qui s'est incarnée particulièrement avec la séquence contre la réforme des retraites,
03:14 il y a une nécessité d'avoir une organisation de combat révolutionnaire
03:18 qui aille au bout des aspirations qui peuvent s'exprimer non seulement dans le monde du travail,
03:22 mais aussi dans la jeunesse, non seulement sur les questions d'exploitation,
03:27 de travail, de précarité, mais aussi sur les questions d'oppression, de féminisme,
03:32 d'antiracisme et d'écologie. Et donc effectivement, moi je milite dans cette organisation
03:36 qui est un collectif de jeunesse qui s'appelle Le Point Levé, qui existe dans les facs, mais aussi dans les lycées.
03:41 Vous êtes donc de gauche, d'extrême gauche. Qu'est-ce que ces mots veulent dire pour vous ?
03:46 Dans certains pays, ça ne s'appelle pas l'extrême gauche, donc c'est très relatif au champ politique français,
03:53 à l'histoire de la politique française. Mais effectivement, nous en France,
03:57 on se situe à l'extrême gauche résolument. Et encore une fois, voilà,
04:01 on est une organisation anticapitaliste révolutionnaire.
04:03 Mais alors qu'est-ce que ça veut dire justement l'extrême gauche ?
04:06 Est-ce que ça veut dire par exemple plus à gauche que les parties de gauche traditionnelles, que la NUPES par exemple ?
04:11 Comment diriez-vous les choses ?
04:13 Oui, c'est plus à gauche que la NUPES. Et pour le dire autrement que d'une manière plus à gauche ou moins à gauche,
04:20 c'est une question de stratégie, c'est-à-dire que contrairement à la NUPES qui place ses espoirs
04:24 sur le terrain des institutions, des élections et d'un changement par les urnes,
04:28 nous on place nos espoirs et nos aspirations sur le terrain de la lutte des classes
04:33 en disant que c'est le mouvement de masse, le monde du travail allié avec le mouvement étudiant,
04:38 la jeunesse, les classes populaires qui a le pouvoir de changer les choses par la rue, par la grève, par la mobilisation.
04:43 Et c'est ça qui fondamentalement nous différencie de la NUPES.
04:46 Et alors j'ai employé le mot radicalisation. Est-ce que c'est un mot que vous reprenez à votre compte ?
04:51 Est-ce que vous vivez par exemple comme radicale ?
04:54 Moi, je me vis comme radicale et je revendique cette radicalité et en tout cas cette position de rupture
05:01 avec le système actuel et la volonté, la détermination de le changer et de s'engager pour le faire.
05:07 Et effectivement, on pourra analyser les dynamiques de radicalisation à l'oeuvre dans la jeunesse
05:14 mais ce qui est clair, c'est que le mouvement contre la réforme des retraites,
05:18 il a exprimé une colère extrêmement profonde de la population
05:21 mais aussi une colère extrêmement profonde de la jeunesse et de différentes parties de la jeunesse.
05:27 Non seulement la jeunesse des grandes écoles mais aussi la jeunesse de certains quartiers populaires
05:32 qui s'est également mobilisée contre la réforme des retraites et qui a non seulement pris part à la revendication du retrait de la réforme
05:40 mais qui a aussi mis sur la table tout un tas d'autres revendications sur le terrain de la précarité étudiante
05:45 mais aussi de l'écologie, de la sélection à l'université.
05:48 Et je pense qu'aujourd'hui, dans la séquence de lutte des classes inédite de crise du régime,
05:53 effectivement, la jeunesse montre sa place et le rôle qu'elle peut jouer aux côtés des travailleurs
05:59 et en tout cas c'est quelque chose que je revendique.
06:01 Romain Gentilcoup, vous êtes journaliste, vous publiez Terre de lutte aux éditions du Seuil
06:06 et vous êtes allé auprès de cette jeunesse militante dans ce que vous appelez des Terres de lutte,
06:11 c'est-à-dire une série de lieux.
06:14 Par exemple, on avait évoqué, nous étions allés avec les Matins à Notre-Dame-des-Landes
06:21 et il fallait donner la parole à ces gens pour que tous les auditeurs puissent se faire une opinion
06:27 sur la nature de ces mouvements.
06:29 Vous, c'est ce que vous avez fait, vous avez constaté dans un certain nombre de lieux,
06:33 sur un certain nombre de luttes, qu'il y avait des mobilisations nouvelles,
06:37 si vous pouviez nous les décrire.
06:39 En fait, j'ai identifié des territoires, donc ça peut être des régions ou des villes,
06:46 où il existe une tradition de mobilisation particulière sur une thématique précise.
06:52 Donc, vous les avez évoquées tout à l'heure, par exemple, les luttes de la terre en Loire-Atlantique,
06:57 les luttes anticolonialistes en Guadeloupe, les luttes féministes à Grenoble, par exemple.
07:02 Et j'ai essayé de tirer un fil dans l'histoire politique locale,
07:07 qui permettait de comprendre pourquoi, dans telle région, s'est mobilisé sur telle question.
07:13 Alors, c'est souvent lié à l'histoire de ces territoires, à leur géographie, à leur sociologie.
07:18 Parfois, c'est aussi un peu le fruit du hasard et des initiatives individuelles.
07:23 Mais ce qui m'a vraiment intéressé, c'est qu'il y a une forme de continuité qui se poursuit.
07:28 C'est-à-dire que c'est souvent des luttes qui commencent dans les années 60 ou 70,
07:32 et qui se poursuivent jusqu'à aujourd'hui, avec un renouvellement, évidemment, des militants et des militantes.
07:37 Donc, j'ai rencontré des gens qui se sont mobilisés sur ces luttes depuis les années 60 jusqu'à aujourd'hui.
07:43 Donc, les plus jeunes ont 19 ans et les plus âgés 92 ans.
07:48 Et de regarder comment ces luttes ont évolué au fur et à mesure que de nouveaux militants et militantes les rejoignaient,
07:55 avec parfois des continuités, parfois des discontinuités, des oppositions,
08:01 à la fois sur les idées, mais aussi sur les modes d'action utilisés.
08:04 Comment la mémoire de ces luttes se transmettait ?
08:07 Alors, justement, est-ce qu'il faut parler d'évolution, de rupture par rapport aux luttes passées ?
08:12 Je ne sais pas, on peut remonter au Larzac, on peut remonter avant, d'ailleurs, Romain Genticoux.
08:17 Mais vous, est-ce que vous voyez une continuité ? Est-ce que vous voyez au contraire quelque chose de profondément nouveau dans les phénomènes,
08:24 notamment dans le mouvement Révolution Permanente auquel appartient Ariane Anemoyanis ?
08:29 Non, il y a beaucoup de continuités. Moi, ce que je montre, c'est que l'horizon politique défendu par beaucoup de ces collectifs ou de ces organisations de jeunes,
08:42 qui sont par exemple la préservation des ressources, la répartition des richesses,
08:50 c'est un horizon politique qui était déjà largement défendu dans les années 60 et 70,
08:56 y compris par exemple par les groupes écologistes politiques en Bretagne.
09:01 Et finalement, c'est plutôt le système économique, si vous voulez, quand la répartition des richesses devient de plus en plus inégale,
09:15 quand la destruction de la biodiversité devient de plus en plus forte,
09:20 le basculement vers l'horizon politique dont je parlais devient de plus en plus radical.
09:25 Donc finalement, on pourrait très bien harguer que c'est les forces économiques capitalistes
09:31 et les forces répressives de l'État qui les défendent qui se sont radicalisées au fil de ces années, de ces décennies,
09:39 et pas forcément l'horizon politique défendu par ces militants et militantes.
09:43 Alors, c'est le discours, peut-être votre discours, d'ailleurs, Ariane Anemoyanis.
09:47 Comment vous voyez les luttes passer ? Comment vous vous inscrivez dans cette histoire de la gauche radicale qui,
09:55 effectivement, en France, est là depuis quelques dizaines d'années ?
10:00 Oui, par exemple, pour prendre la question du mouvement étudiant, puisque moi, je suis étudiante,
10:05 je me suis mobilisée dans mon université ces trois derniers mois.
10:08 Nous, avec mon collectif Le Point Levé, et même ce qu'on défend plus en général avec Révolution Permanente,
10:15 c'est la tradition de ce mouvement étudiant des années 60, mais aussi 68, évidemment, mais aussi 1986 ou 2006,
10:23 c'est-à-dire un mouvement étudiant qui, non seulement s'organise à la base en rupture avec les anciens appareils étudiants type UNEF
10:32 qui contrôlaient par en haut, en fait, les suites de la mobilisation.
10:36 Pourquoi, justement, en rupture avec l'UNEF ou avec les autres organisations syndicales,
10:40 qu'est-ce qui vous distingue, justement, de ces organisations syndicales dites traditionnelles ?
10:45 Précisément, c'est donc la question de l'auto-organisation, comme je disais,
10:49 de considérer que c'est aux étudiants, par eux-mêmes et pour eux-mêmes,
10:52 de décider des suites de la mobilisation, de leur rythme, du niveau de radicalité des revendications.
10:57 Et c'est une perspective politique qui est différente de ne pas considérer que les jeunes ne doivent se préoccuper
11:04 que de ce qui advient sur le terrain universitaire, mais d'articuler la question des revendications étudiantes
11:11 avec des questions plus systémiques, puisque l'université s'inscrit dans une société donnée
11:15 et que pour changer l'université, on pense qu'il faut changer la société dans laquelle elle s'inscrit.
11:19 Et donc ça, c'est une perspective importante qui nous différencie,
11:23 mais on se revendique de cette tradition du mouvement étudiant de mai 68 et d'après,
11:28 notamment, en fait, sur la question de l'alliance avec les travailleurs,
11:32 qui a été un cocktail explosif, qui a fait ses preuves dans un certain type de moment de l'histoire,
11:38 où le fait que le mouvement étudiant très politique, on l'a vu après le 49-3,
11:43 qui a su déborder le cadre imposé par l'intersyndicale qui se circonscrivait au retrait de la réforme,
11:49 très politique, a réussi à s'allier avec la force de frappe des travailleurs,
11:55 qui, de fait, par leur place dans la société, ont un pouvoir de blocage de l'économie
11:59 qui nous permet, y compris en tant qu'étudiant, de pouvoir aller à un niveau de rapport de force
12:04 que seul on ne pourrait pas atteindre.
12:07 Alors, qui sont justement ces travailleurs dont vous vous sentez solidaire, Ariane et Mollianis,
12:13 puisque vous êtes activiste auprès d'un mouvement, dans un mouvement, révolution permanente ?
12:18 C'est tous les travailleurs, on va dire.
12:21 Pour le dire très concrètement, moi, je milite au quotidien,
12:23 aux côtés de travailleurs de différents secteurs du monde du travail
12:27 et dans le cadre de la mobilisation de la réforme des retraites.
12:30 On a fait partie, et on fait toujours partie, d'un réseau pour la grève générale
12:34 qui, justement, dans le cadre de l'impasse qu'on définissait de la stratégie de grève
12:40 et de journée isolée de l'intersyndicale,
12:42 on a commencé à se coordonner entre différents secteurs du monde du travail et la jeunesse
12:47 pour justement chercher à construire un autre plan de bataille
12:50 qui nous permette d'accompagner les grèves reconductibles
12:52 qui ont eu lieu à partir du 7 mars et plus encore du 16.
12:57 Et ça, pour le coup, c'est des expériences qui sont importantes
13:00 et qui résonnent même avec la solidarité qui s'exprimait dans la jeunesse
13:03 à l'égard des travailleurs, qui s'était vue pendant la pandémie.
13:06 Je pense que ça, ça a été un moment clé de la politisation de notre génération,
13:10 mais qui s'est encore plus vu pendant la grève,
13:13 où il y a eu énormément de jeunes qui sont allés sur les piquets.
13:15 Mais alors, que réclame ce mouvement pour les retraites, par exemple ?
13:18 Vous considérez qu'il ne faudrait plus d'âge pivot ?
13:21 Vous considérez qu'il faudrait une autre réforme ?
13:25 Ou alors, je ne sais pas, on a reçu par exemple Bernard Friot
13:28 qui considère qu'il faut une retraite à 50 ans.
13:31 Bref, quelle est votre revendication en la matière ?
13:34 Alors, nous, en fait, on revendique le fait qu'il y ait une retraite à 60 ans
13:40 et 55 pour les métiers pénibles, sans aucune condition de cotisation,
13:44 sans aucune condition d'annuité, parce que c'est ça qui attaque
13:48 les couches les plus précaires du monde du travail,
13:51 les femmes, les travailleurs issus de l'immigration.
13:54 Donc ça, c'est pour la question des retraites, mais comme on l'a dit,
13:57 le mouvement ne s'est pas du tout fait uniquement sur la question de la réforme des retraites.
14:00 Il touche à plein d'autres choses. Il touche à la question du travail,
14:03 et c'est lié à ce que je disais sur l'expérience de la pandémie,
14:07 les travailleurs essentiels qui ont été applaudis
14:09 et qui ont été attaqués directement après par le gouvernement.
14:12 Il touche à la question de la précarité de la jeunesse.
14:16 Il touche à la question du salaire, évidemment.
14:18 Dans toutes les grèves où j'ai soutenu les travailleurs,
14:20 il n'y a pas uniquement la question de la réforme des retraites,
14:22 il y a la question du salaire, de l'inflation, de l'augmentation générale des salaires,
14:26 de leur indexation sur l'inflation.
14:28 Ça, c'est une des revendications que je porte.
14:30 Et ensuite, ils s'articulent, y compris sur les questions démocratiques.
14:33 Par exemple, après le 49-3, Macron démission,
14:37 la colère qui s'est exprimée contre le Conseil constitutionnel.
14:39 Je pense que ce sont des revendications qui sont importantes
14:41 et qui doivent s'articuler avec le reste sur un terrain plus social.
14:44 En quoi ça vous distingue du programme de la NUPES ?
14:48 La NUPES demande, sans entrer dans les différents distinguos,
14:53 mais disons que dans les partis de gauche,
14:55 beaucoup veulent une retraite à 60 ans.
14:57 Ce sont des revendications sur lesquelles vous pourriez être en ligne
15:01 avec le parti socialiste, disons.
15:04 Non, je pense que c'est totalement caricatural.
15:06 C'est erroné.
15:07 En réalité, on peut se mettre d'accord dans le cadre d'une mobilisation
15:10 sur des revendications qui émanent de la base des assemblées générales.
15:14 La question fondamentale, c'est celle de la stratégie
15:17 que je développais il y a quelques minutes.
15:21 La réalité, c'est que ce mouvement a été important pour une chose,
15:25 notamment, c'est qu'il a montré toute l'impasse des institutions.
15:28 L'obstruction parlementaire, la guérilla parlementaire,
15:31 on a vu que c'était une impasse et une illusion totale.
15:34 À quoi servent les milliers d'amendements qui ont été faits à l'Assemblée nationale ?
15:39 La réalité, c'est que ce qui a fait peur au gouvernement,
15:42 c'est non seulement la spontanéité et la radicalité de la jeunesse,
15:45 mais combiné à une grève reconductible dans des secteurs stratégiques
15:48 qui avaient un pouvoir de blocage de l'économie,
15:50 qui, oui, pouvait faire plier le patronat.
15:52 Et ça, je me revendique de cette stratégie.
15:54 Encore une fois, je pense que c'est fondamentalement différent.
15:56 Mais il y a aussi des divergences de programmes,
15:58 notamment sur les questions institutionnelles, démocratiques,
16:01 qui sont importantes, mais on pourra revenir dessus après.
16:04 Romain Gentil, vous qui avez enquêté auprès de ces mouvements,
16:08 vous avez senti une inflexion avec cette contestation de la réforme des retraites ?
16:14 Une inflexion ?
16:15 Une amplification, par exemple, de la mobilisation,
16:19 le fait que, je ne sais pas si Ariane Anemoyanis,
16:23 est-ce que vous militiez avant la réforme des retraites ?
16:26 Oui.
16:27 En fait, ce qui est intéressant dans ce mouvement social-là,
16:33 c'est qu'on a beaucoup dit, et a raison,
16:36 que les structures politiques traditionnelles,
16:38 les partis, les syndicats, avaient perdu en influence.
16:41 Et c'est vrai que ça, c'est une dynamique assez importante
16:44 dans les mouvements de la jeunesse.
16:45 C'est-à-dire qu'ils cherchent plus de flexibilité dans leur engagement
16:50 que dans les structures traditionnelles
16:52 qui structuraient beaucoup la vie politique dans les années 70-70,
16:55 c'est-à-dire les associations, les syndicats, les partis.
16:57 Aujourd'hui, c'est beaucoup plus des collectifs, etc.
16:59 Et là, ce mouvement social, il était quand même largement cadré
17:04 par les organisations syndicales.
17:06 Ça, c'est quand même assez intéressant,
17:08 c'est que malgré leur perte, disons, d'adhérents et d'adhérentes,
17:13 les syndicats ont gardé une capacité de mobilisation en France
17:17 qui est assez considérable.
17:19 On a vu que c'était un des plus grands mouvements sociaux
17:21 depuis plusieurs décennies.
17:23 Se sont agrégés dans ce mouvement social
17:27 beaucoup de forces contestataires
17:29 qui s'étaient mobilisées ces dernières années.
17:31 Comme Ariane vient de l'évoquer,
17:34 au départ, c'était beaucoup sur, évidemment,
17:36 le projet de loi de réforme des retraites.
17:40 Mais à partir du moment où le 49.3
17:42 a été engagé par le gouvernement,
17:44 ça a dépassé le cadre, disons, des travailleurs traditionnels
17:50 qui sont dans les syndicats
17:52 pour faire venir dans la contestation
17:54 des gens qui luttaient contre le gouvernement,
18:00 contre sa manière de faire passer ses lois au Parlement
18:06 en passant en force, etc.
18:08 Donc il y a eu une agrégation de mouvements contestataires différents
18:12 qui se sont ajoutés aux organisations syndicales.
18:14 On continue d'évoquer cette jeunesse,
18:16 cette jeunesse radicale,
18:18 avec la tentation du retrait
18:21 ou d'une lutte différente,
18:24 comme vous l'incarnez, Ariane Anemoyanis,
18:27 pour le mouvement Révolution Permanente,
18:30 avec vous, Romain Gentilcoup,
18:32 votre livre Terre de lutte aux éditions du Seuil.
18:35 Et nous aurons également les analyses du sociologue Vincent Tibéri.
18:39 Dans quelques instants, il est 8h sur France Culture.
18:41 7h-9h
18:43 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
18:48 Non-violence, action coup de poing, blocage,
18:50 quels sont les nouveaux modes d'action de la jeunesse militante ?
18:53 Quels récits mettent-elles en place pour convaincre et mobiliser ?
18:56 Et quelles sont leurs légitimités pour tenter de répondre à cette question ?
19:00 Nous sommes en compagnie de Romain Gentilcoup.
19:03 Vous êtes journaliste, vous avez justement enquêté auprès de ces jeunes
19:07 dans un ouvrage publié aux éditions du Seuil, Terre de lutte.
19:10 Nous sommes en duplex avec le sociologue Vincent Tibéri.
19:14 Bonjour.
19:15 Bonjour.
19:16 Et nous sommes en compagnie de l'activiste Ariane Anemoyanis.
19:20 Vous appartenez au mouvement Révolution Permanente.
19:23 Ariane Anemoyanis, une réaction à ce que vient de dire mon camarade Jean Lemary
19:29 sur une réforme, là en l'occurrence une volonté de faire plus de mixité sociale.
19:34 C'est de la social-démocratie, ça par exemple, pour vous ?
19:37 Non, mais je pense que le problème fondamental,
19:40 il est dans les explications que donne Papendiaïe pour amener sa réforme.
19:45 Moi je pense que le problème fondamental c'est qu'il y ait des pauvres et des riches.
19:49 C'est pas évidemment, moi je suis pour une éducation publique gratuite pour toutes et tous.
19:55 Et malheureusement ce ministre, il fait partie d'un gouvernement
19:59 qui a appliqué la réforme du bac blanquer,
20:03 qui développe davantage et aggrave les inégalités sociales.
20:07 Il fait partie d'un gouvernement qui a par ailleurs réprimé durement
20:11 les lycéens qui se mobilisaient contre la réforme des retraites.
20:14 Une réforme qui aggrave l'aliénation au travail, l'exploitation au travail,
20:19 qui va faire qu'une partie du monde du travail
20:23 va vivre la fin de ses jours de manière encore plus pénible.
20:29 Et donc moi je pense que c'est une figure qui a vocation à incarner
20:33 une aile plus à gauche du gouvernement.
20:35 Mais je pense que la détestation qui s'exprimait notamment
20:38 quand il a dû être exfiltré d'une gare,
20:41 tellement il y avait de manifestants pour l'accueillir,
20:44 exprime bien que c'est un peu peine perdue pour le gouvernement
20:48 d'avoir ce ministre-là qui incarnerait une aile plus sociale-démocrate
20:52 dans le gouvernement.
20:54 Les manifestants ont le droit de manifester,
20:56 mais il y a peut-être aussi d'autres personnes qui le soutiendraient.
20:59 Mais au-delà de ça, Ariane Anemoyanis,
21:02 est-ce que la volonté de ce ministre, bonne ou mauvaise,
21:05 je veux dire, mesure bonne ou mesure mauvaise,
21:08 est-ce qu'il n'y a pas aussi un intérêt à vouloir avoir une politique de petit pas,
21:14 donc là en l'occurrence telle ou telle mesure,
21:16 qui pourrait améliorer la mixité sociale,
21:18 plutôt que de vouloir faire une révolution,
21:21 comme le dit le nom de votre mouvement,
21:24 Révolution Permanente, au risque donc d'aboutir à une situation
21:29 moins bonne encore, plus chaotique, je ne sais pas.
21:34 Non mais bon déjà, je ne pense pas qu'on puisse parler
21:37 de social-démocratie de la part du gouvernement et de ce ministre-là.
21:41 Je l'ai redit, mais la réforme des retraites,
21:44 je pense que c'est un bon exemple de cette situation.
21:48 Et je pense que par rapport à la stratégie des petits pas,
21:52 on discutait de la France insoumise, de la NUPES,
21:54 je pense que c'est une question qui se pose à leur égard.
21:57 En réalité, on a vu un pouvoir inflexible, radicalisé,
22:02 qui sait très bien que s'il cède sur la question de la réforme des retraites,
22:07 c'est un boulevard qui va être ouvert pour toute une population
22:11 qui ne veut plus vivre comme ça.
22:13 Et je pense que c'est légitime, qui a envie d'autre chose,
22:16 qui a envie d'un autre rapport au travail,
22:18 qui n'a pas envie de vivre sur une planète qui brûle
22:21 et qui est détruite par une petite minorité de multinationales
22:24 pour leur propre profit.
22:26 Et je pense que face à un pouvoir inflexible,
22:29 pendant trois mois on a vu 3,5 millions de personnes dans la rue,
22:32 des grèves inédites, historiques, dans des secteurs stratégiques du monde du travail,
22:36 on voit que ça ne fait pas reculer le gouvernement.
22:39 Donc ça va plutôt dans le sens de penser que,
22:43 oui, en fait, on obtiendra des acquis,
22:46 comme ça s'est fait historiquement, c'est-à-dire par la rue, par la grève.
22:50 Et je pense que de ce point de vue-là, il nous faut une stratégie gagnante
22:53 et que même des journées isolées, aussi massives soient-elles,
22:56 ont montré leur impasse et que ça va dans le sens de radicaliser nos stratégies
23:01 face à un pouvoir qui est radicalisé.
23:03 Romain Gentilcoup.
23:04 Oui, dans le biais politique qu'on vient d'entendre,
23:06 il me semble qu'il y a quelque chose qui est mis en exergue, qui est important,
23:09 c'est qu'on parle depuis le début de la jeunesse,
23:12 évidemment il n'y a pas une seule jeunesse,
23:14 et je pense que Vincent Tibéri me contredira pas.
23:17 Il n'y a pas une seule vieillesse, nous le savons.
23:19 Exactement, et qu'il y a une diversité sociologique, socio-économique
23:23 au sein de la jeunesse qui est plurielle.
23:26 Donc moi, la jeunesse à laquelle je m'intéresse,
23:29 c'est celle qui est engagée dans les mobilisations politiques et sociales.
23:32 Et un aspect qu'on peut souligner, c'est qu'il y a un rejet
23:39 qui monte au sein de la jeunesse de la politique électorale.
23:44 C'est-à-dire que beaucoup de jeunes ont essayé le vote,
23:48 ont essayé les manifestations, ont essayé les formes d'actions traditionnelles
23:52 et légales, et que ça ne participe plus à faire bouger le gouvernement,
23:58 le pouvoir, et donc le rapport de force se joue sur d'autres formes d'actions politiques aujourd'hui.
24:03 Vincent Tibéri, une réaction justement à ce sujet.
24:07 Vous êtes sociologue, professeur des universités à Sciences Po Bordeaux.
24:11 Ces jeunes, alors je ne vais pas vous demander de quantifier les uns et les autres,
24:15 mais on voit bien qu'il y a une partie de la jeunesse qui se détourne du vote,
24:19 une partie de la jeunesse qui vote, et puis une partie de la jeunesse
24:23 qui s'engage de manière radicale dans des mouvements comme Révolution Permanente.
24:27 Quelques mots au sujet de ces différentes jeunesses.
24:31 Oui, alors déjà, il faut bien avoir en tête que le vote n'est plus nécessairement
24:36 la manière de participer, même si elle reste la manière centrale et celle qui mobilise le plus.
24:40 Mais effectivement, le vote est doublement contesté.
24:44 D'abord, il est contesté pour son efficacité et surtout pour son rôle de délégation.
24:48 C'est-à-dire qu'en France, quand on vote, on ne choisit pas quelque part, on élit.
24:53 Et donc on assume en votant, ou on accepte en votant, le fait de déléguer à d'autres
24:58 le soin de choisir pour soi. Et ça, ça marche de moins en moins, justement,
25:02 avec cette jeunesse mobilisée, avec cette jeunesse qui, désormais, fréquente le supérieur
25:06 pour 50% d'entre elles, cette jeunesse qui est désormais relativement très bien informée,
25:10 enfin en tout cas qui a des moyens de s'informer. Mais il faut bien avoir en tête qu'il y a aussi
25:14 la jeunesse, effectivement, d'origine populaire, la jeunesse qui n'a pas forcément eu le bac,
25:20 la jeunesse qui se retrouve aujourd'hui sur le marché du travail. Et là, celle-ci est
25:24 beaucoup plus déconnectée, et ça, c'est probablement en termes d'inégalité, beaucoup plus grave
25:28 qu'auparavant. Il faut bien avoir en tête qu'un ouvrier du baby-boom, c'est un ouvrier
25:33 qui rentre dans des collectifs de travail, c'est un ouvrier qui rentre dans des usines
25:37 où il y a des syndicats qui vont lui permettre de se former et donc de prendre le pli de la participation
25:41 et de la participation protestataire et de la participation électorale. Mais les jeunes
25:46 dont on parle sont ceux qui se retrouvent dans des situations de forte précarité,
25:50 se retrouvent dans des situations d'isolement sur le marché du travail, mais d'isolement
25:54 sur le lieu de travail, face parfois à ce qu'on appelle des zones blanches syndicales.
25:58 Et donc, de ce point de vue-là, ceux-là, on ne les entend pas, alors même qu'ils sont
26:02 les premiers à souffrir, justement, des dégradations du monde du travail.
26:06 - Jean Leibary ? - Et ceux-là, justement, Vincent Tibéri, est-ce que vous les voyez
26:11 aujourd'hui se mobiliser ? Est-ce que vous avez vu, par exemple, à l'occasion du conflit
26:15 sur les retraites, les choses changer ou est-ce que la fracture entre ces différentes jeunesses persiste ?
26:21 - C'est extrêmement compliqué, on n'a pas assez d'éléments, notamment on n'a pas
26:26 de sondage en manifestation pour vérifier qui sont ces jeunes qui se mobilisent. Il
26:30 faut bien voir que la jeunesse, elle a mis du temps à rentrer dans le mouvement. Alors
26:34 elle a mis du temps à rentrer dans le mouvement, notamment parce que c'est aussi la jeunesse
26:37 du Covid, c'est la jeunesse du confinement. Autrement dit, il y a eu, notamment dans
26:41 les organisations de jeunesse, une espèce de difficulté à faire passer le témoin
26:45 aux nouveaux militants, donc il aura fallu du temps. Mais ça, c'est la jeunesse qui
26:48 pouvait se mobiliser. Effectivement, et c'est quelque chose qu'on a pu voir, c'est pas
26:53 un mouvement de lycéens massifs comme c'était le cas pour le CPE. Alors après, il faut
26:57 aussi bien avoir en tête qu'au moment du CPE, on n'avait pas forcément tous les
27:01 outils pour bien mesurer le degré d'engagement de la jeunesse. On a peut-être une fâcheuse
27:05 tendance à glorifier le CPE en comparaison avec la réforme des retraites. En gros, pendant
27:11 le CPE, on n'avait pas ces indicateurs de nombre de lycées bloqués par jour, ce qui
27:17 par contre était le cas cette année. Et puis il faut bien avoir en tête qu'il s'est
27:22 aussi passé quelque chose. On parlait de la réforme blancaire Mathieu. Très clairement,
27:26 le fait de mettre des épreuves quasi-terminales du bac au milieu du mois de mars, vraisemblablement
27:32 que ça n'aide pas les lycéens de première et terminale à se mobiliser particulièrement.
27:36 - Ariane, un émojanisme justement, qu'est-ce que vous en pensez lorsqu'il est question
27:42 par exemple d'avoir des jeunes qui sont des jeunes de plus en plus éloignés du vote ?
27:47 Ou alors, je disais un article récemment dans Le Monde qui expliquait que dans les
27:52 lycées professionnels, Marine Le Pen lorsqu'elle venait ou lorsqu'il y avait des rencontres
27:58 entre les jeunes en apprentissage et Marine Le Pen, celle-ci était extrêmement populaire
28:02 parce qu'il y a aussi beaucoup de jeunes de votre âge qui sont engagés, qui sont
28:06 engagés pour l'URN ou qui sont sympathisants du URN. Qu'est-ce que vous pensez de cette
28:11 jeunesse-là ? Pourquoi votent-ils Rassemblement National ?
28:15 - Non mais déjà, il y a plusieurs choses. Mais moi, je voulais réagir à ce que disait
28:21 l'intervenant avant moi sur la jeunesse travailleuse. Je pense que c'est intéressant de voir
28:27 que mine de rien, après le Covid, il y a eu une vague de grèves pour les salaires
28:32 et pour les conditions de travail dans des secteurs du monde du travail qui sont majoritairement
28:37 le fait de jeunes travailleurs. Donc par exemple dans la grande distribution, dans les commerces,
28:43 on a vu en fait des grèves à Auchan, à Chrono Drive, on a vu des grèves dans la
28:47 restauration rapide, des grèves féministes à McDo contre le harcèlement moral et sexuel.
28:52 Donc ça, je pense que c'est très intéressant. Pendant la réforme des retraites, il y a eu
28:58 des grèves historiques dans le secteur du privé et dans des couches très précaires
29:02 en réalité du monde du travail, le secteur du nettoyage. Moi, j'ai soutenu des grèves
29:07 récemment de femmes de ménage dans les universités et c'est des secteurs aussi qui sont composés
29:15 de jeunes travailleurs. Donc je ne pense pas que la jeunesse travailleuse, certes précaire,
29:21 soit en dehors des phénomènes politiques. Après, c'est plus difficile pour elle de
29:25 se mobiliser. Il faut évidemment avoir une stratégie qui vaille la peine de perdre du
29:29 salaire et c'est tout l'enjeu d'avoir un plan de bataille qui vaille le coût des
29:34 pertes de salaire qui vont avec et tout l'enjeu aussi d'avoir des étudiants qui apportent
29:39 des caisses de grève pour aider parce qu'on sait très bien que c'est le nerf de la
29:43 guerre. Donc il y a cette question là. Il y a aussi la question qu'aujourd'hui, un
29:47 étudiant sur deux travaille. Donc en fait, il y a une porosité de faits objectifs entre
29:51 le mouvement étudiant, sa tradition d'auto-organisation, de lutte, de mobilisation et le monde du travail
29:58 précaire de la grande distribution des secteurs dont je parlais. Donc ça, c'est important.
30:02 Je ne pense pas que ça soit aussi imperméable que ça. Et ensuite, sur la question de l'extrême
30:08 droite, c'est comme le reste de la population. La réalité, c'est qu'évidemment, cinq
30:12 ans de macronisme avec les attaques qu'on connaît sur la question de la précarité,
30:19 sur la question de la sélection, sur la question d'une offensive idéologique, autoritaire,
30:25 sécuritaire très importante qui s'est incarnée beaucoup par un discours islamophobe très
30:31 puissant. Évidemment que ça a des conséquences sur le terrain de la montée de l'extrême
30:36 droite. Le RN existait avant aussi. Oui, mais en tout cas, on voit bien que la multiplication
30:41 par 10 du nombre de députés à l'Assemblée nationale du RN, on peut l'imputer à cinq
30:48 ans de macronisme qui l'ont précédé.
30:51 Ça, c'est votre analyse. C'est évidemment votre droit. Mais quand vous avez un jeune
30:55 du RN en face de vous, lorsque vous y pensez, justement, qu'est-ce que vous lui dites ? C'est
31:01 uniquement quelqu'un qui aurait eu, je ne sais pas, le cerveau tourneboulé par une
31:08 politique que vous qualifiez de sécuritaire ou d'islamophobe ?
31:11 En tout cas, je vois bien que le terreau de la montée de l'extrême droite, elle se situe
31:15 dans la politique du gouvernement. Ça, c'est clair et net.
31:18 Avant, il y avait d'autres gouvernements et l'extrême droite était forte également.
31:22 On voit bien que les montées et les dynamiques de montée de l'extrême droite depuis les
31:26 années 80, c'est en miroir des illusions et des trahisons, non seulement de la gauche
31:31 réformiste. On parlait du Parti socialiste. Vous me disiez, est-ce qu'on n'a pas le
31:34 même programme ? Je ne pense pas que ce soit le cas. Eux, ils ont fait la loi travail.
31:40 Ça a incarné une grosse attaque, une grosse trahison du monde du travail, de la jeunesse.
31:45 Et suite à ça, il y a eu une montée de l'extrême droite. Cinq ans après l'élection, la première
31:49 élection de Macron au pouvoir, il y a une nouvelle montée de l'extrême droite. Moi,
31:53 si vous voulez, je ne juge pas les électeurs de l'extrême droite qui, en fait, ont eu
31:58 une telle haine de Macron légitime. C'est notamment les Gilets jaunes qui se sont fait
32:02 éborgnés par la police de Macron en 2018. Mais moi, je pense que, justement, pour contrer
32:09 l'extrême droite, non seulement il faut s'attaquer à la politique du gouvernement, mais il faut
32:12 avoir aussi construit une alternative sur la gauche. Et c'est ce que je m'évertue
32:16 à faire en me mobilisant. Et pardon de finir sur ça, peut-être que je suis un peu longue,
32:21 mais la mobilisation contre la réforme des retraites, elle a été une avancée importante
32:26 contre l'extrême droite dans le fait qu'il y ait des cortèges de sans-papiers, une
32:31 alliance, en fait, entre les manifestants contre la loi sur l'immigration et les manifestants
32:36 contre la réforme des retraites. Je pense que ça, c'est tout autant d'outils et d'ingrédients
32:40 qui vont vers le recul de l'extrême droite. Évidemment, après, le Rassemblement national
32:44 est en embuscade, mais on voit un peu les limites de cette politique quand on voit au
32:48 Havre comment est-ce que les contre-manifestations sont beaucoup plus importantes que le meeting
32:51 qu'elle a pu faire le 1er mai.
32:52 Je vais vous poser une question de vieux à cet égard, Ariane Némoyanis. Il y a, dans
32:57 l'histoire, je pense aux années 30, évidemment, un moment où l'extrême gauche a pris fait
33:02 et cause plutôt pour les forces antidémocratiques, pour le nazisme, plutôt que, si vous n'êtes
33:08 pas d'accord avec mon analyse, vous le dites évidemment, plutôt qu'avec la sociale-démocratie,
33:14 c'est-à-dire une sorte de front commun. Pas d'accord ?
33:16 Non, mais je ne suis pas du tout d'accord avec ça. C'est un détournement, une déformation
33:21 de l'histoire qui est, je pense, gravissime. Mais vous n'êtes pas le seul à dire ce
33:24 genre de choses. Dans les années 30, excusez-moi, mais en 36, il y a eu une grève générale
33:31 importante des occupations d'usines qui a dû faire face notamment à la police.
33:36 Là, je pensais plutôt à la République de Weimar, mais vous pouvez être en désaccord
33:40 avec mon analyse.
33:41 Non, mais en tout cas, c'est la sociale-démocratie qui a réprimé les manifestants et les travailleurs
33:49 qui luttaient pour des revendications, des meilleures conditions de vie, de travail.
33:54 Donc non, il n'y a pas du tout de connivence entre l'extrême-gauche et le nazisme. Je
33:58 pense que c'est très grave de dire ça. Par contre, il y a une connivence entre les
34:03 dirigeants de la France à l'époque et le nazisme. Ça, c'est une certitude. Et je
34:09 pense qu'il faut le dénoncer fortement. Mais on ne fait pas ça en modifiant l'histoire
34:15 de cette sorte.
34:17 Romain Gentilcoup.
34:18 Je ne suis pas historien, mais...
34:21 Non, pas sur cette question. Vous vouliez réagir avant.
34:24 Oui, on part avant sur la question de la montée de l'extrême-droite, y compris chez les jeunes.
34:30 Il me semble que ça participe du désaveu dont on parle depuis le début de cette émission.
34:35 C'est-à-dire que le directeur de recherche Bruno Pallier, par exemple, pour prendre
34:40 l'exemple de la séquence politique qu'on vient de vivre, a sorti une note qui montre
34:44 comment le mouvement autour de la réforme des retraites, à la fois dans ce qu'elle
34:52 porte en elle, la réforme des retraites, c'est-à-dire une détérioration du lien
34:56 au travail, le fait qu'elle s'applique en particulier, qu'elle va toucher en premier
35:00 les classes moyennes inférieures, et la manière dont elle a été portée politiquement par
35:04 le gouvernement, avec un passage en force au Parlement, etc. Tout ce processus active
35:12 tous les leviers identifiés par les sciences sociales comme participants à la montée
35:18 du vote à l'extrême-droite. Donc là, on a à peu près tous les ingrédients pour
35:23 faire monter Marine Le Pen aux prochaines élections.
35:26 Qu'est-ce que vous en pensez, Vincent Tibéri ?
35:28 Je pense qu'il faut quand même déjà bien avoir en tête que quand on parle de la jeunesse
35:32 du RN, on parle à peine de quelques pourcents de jeunes. Il faut bien distinguer ceux qui
35:37 votent RN et ceux qui adhèrent au Rassemblement national. De ce point de vue-là, la jeunesse
35:41 dans les partis est très minoritaire sociologiquement et politiquement, comparée notamment à
35:47 toute la jeunesse qui se mobilise dans les autres types d'organisations, voire même
35:50 qui a un militantisme beaucoup plus diffus au niveau du local, au niveau des actions
35:55 qu'on peut au quotidien mesurer. Après, pour le RN, ce qui manque surtout, c'est
36:00 un récit alternatif. C'est-à-dire que si Marine Le Pen monte en ce moment, c'est
36:05 d'abord et avant tout parce qu'on n'entend pas la gauche, on n'entend pas un discours
36:10 qui permet effectivement de transformer l'essai autour du monde du travail, autour de ses
36:15 révolutions, etc. Donc quelque part, c'est une victoire par défaut. Et avec en plus
36:22 effectivement des logiques de renvoi de qui est l'ennemi, qui est le républicain, où
36:27 se situe la République. Et ça, effectivement, au bout d'un moment, ça commence à faire
36:30 mal.
36:31 - Ariane Anemoyanis, un mot de conclusion. Donc, votre mouvement Révolution permanente,
36:36 on vous a entendu dire votre analyse de la mobilisation pour la réforme des retraites.
36:42 Comment voyez-vous les choses maintenant ?
36:44 - La première chose à dire, à mon avis, c'est que la séquence, elle est loin d'être
36:48 terminée. C'est une crise de régime sans précédent depuis des décennies et qui ouvre
36:53 un certain nombre de possibilités pour ceux d'en bas qui ne veulent plus vivre comme
36:58 avant. Et je pense que la colère, elle reste très profonde. Et on a vu en fait la force
37:03 de frappe d'une mobilisation qui se fait par la rue, mais surtout par la grève. Et
37:08 moi, je fais partie de ces jeunes qui sont allés sur les piquets de grève, qui ont
37:12 vu le pouvoir de blocage de l'économie des travailleurs. Je suis allée jusqu'au Havre
37:16 en fait pour soutenir les raffineurs face aux menaces de réquisition. C'est tout ça
37:22 en fait qu'il faut poursuivre. Moi, je m'organise dans le réseau pour la grève générale
37:26 qui est un réseau de coordination des secteurs du monde du travail, de la culture, des intellectuels,
37:32 mais aussi de la jeunesse qui veulent se doter d'une stratégie gagnante face à Macron
37:36 et sa réforme des retraites. Et je pense que c'est à tout ça qu'il faut réfléchir.
37:40 Mais même plus profondément, la réforme des retraites et la mobilisation qui a suivi
37:45 ont posé en fait une question de système, de démocratie, d'institution. Et je pense
37:50 que militer, ça permet de donner des pistes de résolution par rapport à ça.
37:55 Merci beaucoup Ariane Nemoianis de Révolution Permanente. Merci Vincent Thibéry d'avoir
38:00 été en duplex avec nous. Et merci à vous Romain Gentilcoup. Votre livre Terre de lutte
38:05 est publié aux éditions du Seuil.

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