Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Retrouvez "Voyage en absurdie" sur : http://www.europe1.fr/emissions/chronique-en-absurdie
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00:00 Emmanuel Ducroc, c'est à vous du journal L'Opinion, à distance exceptionnellement ce matin, dimanche au palais de Tokyo, musée parisien.
00:07 Une toile a été vandalisée, un jet de peinture violette. Bon, ça devient une habitude finalement d'en prendre comme ça à la peinture.
00:14 - Oui, le jet de peinture ou de soupe à la tomate était devenu ces derniers mois un des coups d'éclat favoris des militants énervés du climat.
00:21 Tournesol de Van Gogh, jeune fille à la perle de Vermeer, meule de monnaie, toutes ces toiles y sont passées dans plusieurs musées d'Europe.
00:28 On ne sait pas trop à quoi ça sert, si ce n'est à faire parler, ça marche.
00:31 Et à produire l'effet inversé de celui qui était recherché, ça a fini par marcher aussi et l'épidémie s'est calmée.
00:37 Mais ce qui s'est passé au palais de Tokyo dimanche est un peu différent, tout au moins dans les motivations.
00:41 Ce n'est pas un jeune écolo révolté qui achetait de la peinture, mais un ancien élu du Front National, avant que celui-ci devienne RN,
00:48 chauffé à blanc par une cohorte d'émagos qui a fait de la pédocriminalité l'élément d'un grand complot mondial.
00:55 - Je ne sais pas, auditeur, si vous avez vu cette fameuse toile, vous pouvez la voir sur Internet, elle s'appelle "Fuck Abstraction",
01:01 signée de la peintre suisse Myriam Kahn. C'est celle qui a été saccagée. Quel est le problème avec cette toile, pensez-vous, Emmanuelle ?
01:09 - Cette oeuvre est depuis des mois l'objet d'une polémique assez violente. La toile est sombre, elle représente un homme massif,
01:15 sans visage, imposant un rapport sexuel à deux petits personnages, dont l'un a les mains ligotées.
01:20 Le tableau fait partie d'une série dédiée à la dénonciation des crimes de guerre et notamment du viol comme arme d'oppression.
01:26 Mais depuis des mois, plusieurs associations, des élus d'extrême droite, dénoncent la toile comme une apologie de la pédocriminalité.
01:32 Ils n'en démordent pas, en dépit des explications de l'auteur. Et oui, pensez donc, les pédocriminels ne disent jamais qu'ils le sont.
01:39 Alors forcément, c'est une toile pédocriminel.
01:42 - Et la justice a déjà dû se prononcer.
01:44 - Oui, quatre associations de défense de l'enfance qui entendaient faire décrocher ou à tout le moins interdire aux mineurs la toile de Myriam Khan l'avaient saisie.
01:52 Elles ont été déboutées par le tribunal administratif de Paris. Elles avaient ensuite déposé à référer liberté devant le Conseil d'État,
01:58 lequel a estimé mi-avril qu'il n'y avait pas lieu de faire quoi que ce soit.
02:01 La liberté de l'artiste prime en France sur les considérations morales, les interprétations personnelles,
02:07 ou le refus de se confronter à un tabou, parce que c'est de ça dont il s'agit. Le tabou du viol comme arme de guerre.
02:12 La justice n'a rien trouvé à redire et il a donc semblé pertinent à cette ancienne élue de saccager la toile.
02:19 - Alors l'ironie de cette affaire, c'est qu'elle met un peu les indignations politiques à front renversé, Emmanuelle.
02:24 - Oui, alors on a eu la condamnation du ministre de la Culture, du président de la République,
02:27 qui voit dans l'attaque une atteinte à nos valeurs, mais l'intéressant est ailleurs.
02:30 L'extrême droite qui vouait aux gémonies les salisseurs de toile classique a repris la méthode,
02:35 trouvant une manière de se faire justice là où la justice est déjà passée.
02:38 - Tiens, tiens, ça ressemble quand même un peu aux méthodes des désobéisseurs civils, anti-bassines, anti-autoroutes et anti-tout, tout ça.
02:44 Et évidemment, comme le lanceur de peinture est cette fois d'extrême droite,
02:48 la gauche, notamment écologiste, s'indigne de l'utilisation des méthodes qu'elle regarde avec tant de tendresse d'habitude.
02:54 Là, elle explique que c'est pas pareil. Les militants écolos ne sont surpris qu'à des toiles protégées.
02:59 Ça, c'est l'argument de Sandrine Rousseau.
03:00 Alors, il y a donc le bon saccage à la peinture et le mauvais.
03:03 Tout est dans la couleur politique de la main qui tient le pot d'acrylique. Une belle palette d'hypocrisie en technicolor.
03:09 Il y a surtout le même réflexe fascisant de s'en prendre à l'art.
03:12 Aucune excuse pour le faire, quelle que soit la motivation, dans une société qui a les capacités et la liberté du débat.
03:18 - Signature européen, Emmanuel Ducroix. Merci beaucoup, Emmanuel.