Changer le regard sur le handicap et transmettre un message fort en faveur de l’inclusion, c’est l’ambition de "Différent.e.s". Pour l’incarner, qui mieux que Salim Ejnaïni : cavalier de Jumping, sportif, conférencier, entrepreneur… et non-voyant ? Comment vit-on avec une "différence", comment apprend-on à s'accepter soi et à accepter le regard de l'autre ? Parcours cabossés, destins contrariés et incroyables leçons de vie : Salim Ejnaïni recueille les témoignages de nos invités extra-ordinaires. Des histoires fortes et inspirantes autour de la résilience et du vivre-ensemble…Atteinte du syndrome de Little, Ondine Gaspart a toujours vu sa différence comme une force et non comme un handicap. Pour Yahoo, elle a accepté de se confier sans tabou sur son histoire, racontant notamment la manière dont elle parvenue à se détacher du regard des autres et ce qui l’a aidée à aller de l’avant.Pour rappel, la diplégie spastique, aussi connue sous le nom de syndrome de Little, est une paralysie cérébrale causée par un développement anormal d'une partie du cerveau. Elle se définie par une raideur des deux membres inférieurs (hanches, jambe et bassins principalement) qui peut également toucher les bras et le visage, d'une manière moins importante. En France, environ 100 000 personnes en seraient atteintes.
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00:00 Chacun a ses douleurs, ses combats, ses violences.
00:07 Et parfois je me dis que tout ramener au handicap,
00:09 parce que c'est le handicap qu'on voit d'abord,
00:11 c'est presque un manque de respect.
00:14 C'est presque un manque de respect pour tout le reste,
00:17 pour toutes les colères légitimes qui n'ont,
00:21 ma foi, rien à voir avec le handicap.
00:28 Bonjour Andine. Bonjour.
00:30 On aurait coutume de dire qu'une personne qui a un handicap,
00:33 c'est une personne qu'on aide.
00:35 Et pour te décrire, on dirait plutôt que tu es la personne qui aide.
00:38 Est-ce que tu es d'accord avec ça ?
00:39 On va commencer par citer mon père.
00:41 Je devais avoir 3-4 ans, il me dit "mais toi tu fais partie des soignants, pas des soignés".
00:45 C'est finalement assez juste, et en tout cas c'est ce que j'essaie de faire.
00:50 Qu'est-ce qui fait que tu vis ce que tu vis aujourd'hui ?
00:55 Je suis née à 6 mois de grossesse.
00:57 Avec un tête de lave-garde à 10, je me suis arrêtée de respirer en couveux.
01:00 Et on a résulté une infirmité motrice cérébrale,
01:04 donc un syndrome de Littel.
01:06 C'est comme si ma tête et mes membres jouaient au téléphone arabe.
01:11 C'est-à-dire que le message n'est pas forcément bien transmis entre les deux.
01:18 Mais c'est vraiment un détail.
01:21 C'est un détail.
01:22 C'est hyper intéressant comme décalage,
01:24 et je pense que tu vas nous expliquer en quoi.
01:27 Pour toi aujourd'hui, ce n'est qu'un détail.
01:29 Comment est-ce que tu as vécu déjà ton enfance ?
01:31 Comment est-ce que tu as appris ?
01:33 J'ai appris très très normalement.
01:35 C'est-à-dire que je suis rentrée en CP à l'âge de 6 ans
01:39 grâce à un directeur d'école assez exceptionnel
01:44 qui a fait mettre un plan incliné pour que ma poussette puisse rentrer dans sa classe de CP.
01:49 T'étais en fauteuil ?
01:50 Je n'ai accepté le fauteuil qu'à 14 ans.
01:55 Honnêtement, pour moi, ça a été une révélation.
01:58 Avant d'être en fauteuil, tu te débrouillais avec quoi comme technique ?
02:01 Je marchais en tenant toujours le bras de quelqu'un.
02:06 Chez moi, rien n'est inné.
02:08 Tout doit s'acquérir.
02:10 Et si on arrête de travailler sur les réseaux nerveux,
02:16 on oublie comment on le fait.
02:19 Donc, tout ça marche.
02:21 C'était 6 ou 8 heures de kiné par jour.
02:24 On poussait le vide jusqu'à ce que j'aille à l'école à pied,
02:27 ce qui n'a fondamentalement aucun sens.
02:29 Et donc, à 14 ans, enfin, une vraie vie commence.
02:34 Qu'est-ce qui fait que tu as accepté à ce moment-là d'avoir le fauteuil ?
02:37 Probablement le fait que j'ai un père fabuleux.
02:40 Il m'a dit "Bon, elle est ma fille. C'est bon maintenant.
02:43 Tu leur montres qui tu es.
02:46 Tu sais que tu ne vas pas gagner le marathon,
02:48 mais par contre, tu peux gagner beaucoup de choses
02:50 et tu peux donner beaucoup de choses aux gens.
02:52 C'est vraiment en te laissant les mains libres
02:55 que tu vas pouvoir le faire.
02:57 Alors que si je devais toujours donner la main à quelqu'un
03:00 pour être capable de faire 3 pas,
03:02 ça n'allait mener à rien.
03:05 Alors justement, à quoi elle ressemblait cette nouvelle vie
03:07 qui commence avec le fauteuil ?
03:09 Ça m'a permis de vivre seule depuis mes 18 ans
03:13 et d'être aujourd'hui quelqu'un qu'on vient voir
03:19 pour être épaulée et secondée et non l'inverse.
03:24 Si on doit parler de ce qui fait ta force aussi aujourd'hui,
03:30 il faut revenir un peu en arrière à tes 3 ans
03:33 où tu as un cadeau qui t'est fait.
03:36 Tu veux nous en dire plus là-dessus ?
03:38 C'est en tout cas le premier cadeau de ma vie
03:43 et pour ma vie, c'est le Petit Prince.
03:47 Et mon père m'apprend à lire sur ce miracle.
03:52 Et c'est vraiment un miracle,
03:55 parce que là j'apprends qu'on devient responsable pour toujours
03:59 de ce qu'on a appris au Valais.
04:01 Et je comprends que si je prends ces responsabilités-là,
04:06 si je m'y accroche,
04:09 non pas si je tiens mes promesses,
04:12 mais si je me tiens à mes promesses,
04:15 alors dans ce cas-là, j'aurai toujours une raison de ne pas mourir,
04:19 ce qui est beaucoup plus compliqué à obtenir qu'une raison de vivre.
04:22 Tu as dû y repenser ça, plus tard en grandissant ?
04:26 Oui et non.
04:28 C'est-à-dire qu'honnêtement, la question se pose tous les matins.
04:32 C'est pas faux.
04:34 Mais je pense que la question se pose tous les matins pour tout le monde.
04:39 C'est-à-dire, est-ce que j'ai envie ?
04:42 À quoi bon ? À qui bon ?
04:44 Je pense que c'est ça qui règle ma vie.
04:46 À qui bon ?
04:47 Parce que si ça doit être seulement pour moi, ça n'a pas d'intérêt.
04:50 Tu as cette découverte de la lecture,
04:53 cette magie des mots qui résonne chez toi.
04:57 Qu'est-ce que ça a donné par la suite ?
04:59 Ça a donné d'abord la lecture courante à 3h30,
05:04 parce que j'ai compris que c'était un moyen de s'évader immense.
05:10 Et comme je suis plutôt du genre active et pas forcément contemplative,
05:15 j'ai décidé qu'il fallait que je m'y mette à moi aussi.
05:19 Et puis j'avais des choses à dire,
05:20 donc ça a donné mon premier texte écrit en poème à l'âge de 8 ans.
05:27 Tu as écrit sur quoi à l'âge de 8 ans, justement ?
05:30 C'était un texte étrange, ça s'appelait « La peur du vide ».
05:32 Je suis d'accord que ce n'est pas un titre que normalement on donne à 8 ans.
05:37 Pendant longtemps, j'ai vraiment écrit quasiment en écriture automatique.
05:43 Je sais que ça a étonné, « La peur du vide » comme texte, comme titre.
05:48 Mais en réalité, je ne sais même pas pourquoi c'est étonnant.
05:52 C'est juste que ça parlait de la façon dont j'étais connectée au monde.
05:58 Sûrement les adultes y ont vu une forme de maturité qu'on ne s'attend pas à avoir à 8 ans.
06:04 C'est ça, alors que ça ne m'appartenait pas finalement.
06:08 Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
06:10 Ça a été un message transmis.
06:12 Et d'ailleurs, c'est drôle, parce qu'aujourd'hui, en tant qu'auteur, en tant que parolière,
06:16 finalement, les messages que je transmets ne m'appartiennent pas non plus.
06:21 Ils appartiennent aux artistes qui me font confiance.
06:25 Et quelque part, mon premier texte ne parlait pas de moi non plus.
06:30 Il était juste là pour me montrer le chemin.
06:32 Et donc par la suite, tu continues à filer ce talent, cette occupation pour toi, ce passage des mots ?
06:40 Comme une urgence, oui.
06:41 Une urgence ?
06:42 Oui, c'est simplement quand on n'a pas le choix.
06:44 J'ai pris la plume à 8 ans parce que je ne pouvais pas prendre la fuite.
06:47 Et c'est en cela que je dis ce que je dis depuis tout ce temps.
06:52 C'est qu'en réalité, dans ma vie, ce que certains peuvent penser comme étant un handicap,
07:01 ce que moi j'envisage comme une particularité, ça n'a jamais été qu'une chance.
07:08 Peut-être que si j'avais pu prendre la fuite, je ne serais pas moi aujourd'hui.
07:13 Aujourd'hui, j'accompagne des gens en magnétisme pour enlever les douleurs physiques
07:20 et aussi pour faire des accompagnements et des déblocages émotionnels.
07:25 Si je ne ressentais pas les choses mille fois plus fort que les autres,
07:28 alors je ne pourrais pas emmener les gens au cœur de leur pire tempête parce que je les mettrais en danger.
07:33 Aujourd'hui, je peux le faire parce que même quand je les emmène au cœur de leur pire tempête,
07:38 ça correspond à peu près à ce que je ressens quand je me coince le doigt dans une porte.
07:41 Les gens pensent que le courage se situe dans le handicap, dans ce qu'ils voient ou dans ce qu'ils croient qui m'a été enlevé.
07:49 Mais en fait, c'est très agaçant parce que c'est très diminuant pour les autres combats qu'on mène humainement.
07:59 Moi, j'ai vécu une histoire d'amour pendant dix ans avec un homme très compliqué dans sa vie,
08:07 que je n'ai pas réussi à aider et à porter.
08:12 Et je pense que ce que j'ai enduré pendant dix ans est beaucoup plus digne de courage et de reconnaissance
08:21 que le fait juste de se déplacer autrement.
08:25 Mais mon histoire d'amour compliqué n'est qu'un exemple.
08:29 C'est-à-dire qu'on a une vie en dehors du handicap.
08:32 Chacun a ses épreuves, chacun a ses douleurs, ses combats, ses violences.
08:44 Et parfois, je me dis que tout ramener au handicap, parce que c'est le handicap qu'on voit d'abord,
08:50 c'est presque un manque de respect.
08:53 C'est presque un manque de respect pour tout le reste,
08:56 pour toutes les colères légitimes qui n'ont, ma foi, rien à voir avec le handicap
09:03 et qui nous prennent tellement plus aux tripes,
09:06 et qui sont tellement des urgences plus fortes et plus significatives
09:14 que le fait d'être simplement assis ou le fait de voir ou d'entendre différemment.
09:23 Mais ayant survécu à ça, tu comprends que ça m'énerve au plus haut point
09:31 quand on me dit que la plus belle forme et la plus belle expression de mon courage,
09:37 c'est juste quatre roues.
09:39 Les quatre roues, j'y peux rien. Tout le reste, j'y peux quelque chose.
09:43 Donc si je dois être admirée pour quelque chose,
09:46 je préfère être admirée pour quelque chose que j'ai choisi et que j'ai dessiné.
09:50 Dans cette image-là, j'ai été kinésithérapeute.
09:54 Le premier patient que j'ai eu, moi, non-voyant, dans mon box de soins,
10:00 lui très lourdement handicapé, un jeune de 14 ans.
10:03 Je l'installe sur ma table avec une aide-soignante pour m'aider.
10:06 Et on se retrouve tous les deux, le box fermé, à la fin, tout seul.
10:09 Donc je commence à faire le soignant, mon blabla, mon truc, voilà,
10:12 on va s'occuper de toi, on va faire ça, ceci, cela.
10:15 Et au moment où le silence s'installe, où il n'y a plus aucun mot, où il n'y a plus rien à dire,
10:18 il me regarde et il me dit, avec la difficulté qu'il a pour parler,
10:23 il me dit "à ta place, je me tirerai une balle".
10:25 Et en fait, tu vois, j'ai compris à ce moment-là,
10:27 ce que tu décris là, c'est la différence de perception
10:31 que chacun peut avoir de sa situation et de la situation de l'autre.
10:34 C'est-à-dire que lui, dans son cas, il estimait que sa situation
10:39 était mille fois plus enviable que la mienne.
10:41 Il ne se projetait pas du tout dans ma vie, qui alors pourtant,
10:45 qui marche, qui bouge, etc., qui me tient debout,
10:49 et qui était dans la position du soignant.
10:51 Oui.
10:52 J'allais lui apporter quelque chose.
10:53 C'est ça.
10:54 Mais quand les gens regardent nos vies,
10:59 ils partent du principe qu'il nous manque quelque chose.
11:02 Mais moi, le frère de ma grand-mère m'a appris à l'âge de 4 ans à jouer au poker,
11:06 et j'ai très vite compris que c'était vachement plus drôle de gagner
11:08 avec rien dans le jeu qu'avec une canne de flèche.
11:11 Et je ne dis pas que je n'ai rien dans mon jeu,
11:16 parce que Dieu sait que j'en ai vachement dans mon jeu.
11:19 Mais c'est d'autant plus facile de bluffer quand les gens croient qu'il n'y a rien dans le jeu.
11:24 C'est vrai.
11:26 C'est vachement drôle.
11:27 C'est vrai.
11:28 C'est l'heure de miser sur les autres plutôt que sur les cartes.
11:30 Moi, j'ai toujours dit... Moi, j'ai un handicap de naissance.
11:33 Au bout d'un moment, quand on n'a jamais mangé de gâteau au chocolat,
11:37 on ne peut pas avoir envie d'en manger.
11:39 Par contre, les gens apprenaient que plus vous allez passer votre vie
11:45 à me dire que le gâteau au chocolat, c'est bon,
11:47 plus vous risquez, si on n'a pas une force mentale ou une envie de vivre,
11:53 de nous créer ce manque.
11:56 Donc, à vouloir être bienveillant, il faudrait arrêter de calquer
12:03 nos propres perceptions sur ce que vivent les autres.
12:07 Parce que ça ne sert à rien, que ça n'apporte rien
12:11 et qu'au pire, ça peut faire du mal.
12:13 Qu'est-ce que ça a donné avec les autres, la compréhension de ta situation,
12:16 avec les enfants de ton âge ?
12:18 Je crois qu'à 6 ans, je réglais déjà les problèmes de mes petits camarades.
12:21 Donc, au fait, ça a très bien donné.
12:24 C'est-à-dire toujours essayer d'apaiser les choses, de consoler, d'être...
12:30 Moi, ce que je dis, c'est que je suis un... J'aime être un refuge.
12:35 Il faut savoir aussi que je donnais les cours de lecture à mes copains en CP.
12:40 Donc, en termes d'intégration, quand vous devenez un peu la maîtresse,
12:45 c'est plus facile parce qu'on devient plus facilement la mascotte.
12:50 Bon, alors après, bizarrement, ça s'est compliqué.
12:54 Les mêmes gamins, après. Troisième et seconde,
12:58 alors que je n'ai pas changé d'établissement.
13:00 J'avoue avoir subi une sorte de harcèlement scolaire.
13:06 C'était prendre mes béquilles et les utiliser comme des épées pour faire des matchs.
13:16 Quand ils croyaient que je n'avais pas vu, ils allaient me chercher un café.
13:19 Sauf que quand je buvais le café, au fond du café, il y avait la craie qu'ils avaient mis.
13:25 C'était s'amuser à mettre un coup dans le fauteuil pour me voir sursauter.
13:33 Et c'était les phrases comme "Bientôt on va payer pour voir ondine",
13:39 ça c'est un animal de cirque.
13:41 Mais bon, est-ce que c'est grave ?
13:46 J'ai tendance à dire que c'est l'adolescence et que quelque part j'ai dû les déstabiliser
13:51 parce qu'ils étaient en train de se poser plein de questions sur l'heure de l'adolescence.
13:59 Et que de toute évidence, ils pensaient que j'avais beaucoup plus de raison d'être malheureuse qu'eux
14:05 et que je m'en sortais plutôt mieux.
14:08 Qu'est-ce que ça te disait d'après toi ?
14:12 Parce que si tu as grandi avec eux, ils te connaissaient, tu disais que c'était les mêmes gamins.
14:19 Et peut-être pas du jour au lendemain, mais d'un moment à l'autre.
14:23 En tout cas, c'est comme ça que je l'ai vécu.
14:26 Pourquoi ? Il se passe quoi ?
14:30 Tu as eu la réponse depuis à ça ? A ce fameux pourquoi qui est arrivé ?
14:33 Je pense que même si je me suis pris en pleine tripe à ce moment-là
14:39 et que je ne l'ai pas forcément bien vécu, je pense que je l'avais déjà cette réponse.
14:46 C'est-à-dire que comme je savais que c'était les mêmes gamins et que moi je n'avais pas changé,
14:52 je pense que déjà à 14 ans, je me suis dit "merde, c'est parce qu'il y a un truc qui a changé chez eux".
14:58 Et qu'est-ce qui a changé chez eux ? C'est l'adolescence.
15:03 C'est les questionnements.
15:05 Donc quelque part, ce rejet, c'était presque déjà et encore un appel au secours.
15:13 Qu'est-ce que tu as ressenti à ce moment-là ? Tu dis "je l'ai mal vécu". Qu'est-ce que ça veut dire ?
15:17 Moi je l'ai mal vécu, ça va, ça ne m'a pas trop maîtrisé non plus.
15:21 Je l'ai mal vécu parce que je me sentais moins utile.
15:24 Je ne l'ai pas mal vécu parce que ça a blessé un égo chez moi,
15:28 je l'ai mal vécu parce que j'étais moins efficace pour eux.
15:33 C'est la première fois que j'ai ressenti que peut-être certaines personnes pourraient voir,
15:40 parce que moi je vois comme une chance, comme un désavantage,
15:43 et ça va être à moi d'expliquer l'inverse.
15:47 Qu'est-ce que tu peux nous dire des premiers liens que tu as créés ?
15:51 Alors pas forcément avec d'autres personnes, mais avec d'autres êtres.
15:54 J'adore l'image.
15:55 Tu vois ce que je veux dire ?
15:56 Très bien.
15:57 On en revient à un autre de nos points communs, avec les chevaux.
16:00 Tu as eu une vraie vie, un vrai lien très très fort avec les chevaux.
16:05 Est-ce que tu peux déjà nous dire où est-ce que, et comment est-ce que ça a commencé ?
16:10 Ça a commencé à la maison.
16:12 Et sans mauvais jeu de mots, j'ai appris à monter avant de savoir marcher.
16:15 Ça a été assez viscéral, sur un double poney à l'époque,
16:21 qui était à la maison, qui s'appelait Willy.
16:23 Et encore une fois, une chance et non pas un manque.
16:27 Il se trouve que techniquement, c'était plus compliqué.
16:31 Donc il est arrivé sur mon chemin, un être exceptionnel,
16:34 qui s'appelle Bernard Saxé, qui est un écuyer émérite,
16:38 qui a juste changé ma vie.
16:41 Tu as eu le sentiment d'apprendre, encore une fois, sur toi-même,
16:44 au contact des chevaux et au contact de Bernard,
16:47 qui est une personnalité très connue, à la fois de l'ombre du milieu du cheval.
16:51 Il était avant dans l'ombre.
16:53 Et ce qu'il a transformé, ce qu'il a fait de cet accident,
17:00 un cascade qu'il a eu, a fait que la lumière a été mise.
17:06 Mais je me souviens, on a fait ensemble un reportage.
17:09 Et le journaliste Thierry Domézière lui posait une question,
17:14 parce qu'il voulait lui faire parler du jour de la cascade ratée.
17:19 - Qu'il a rendue parapédique. - Oui.
17:21 Et Thierry commence la phrase, "Bon alors, ce jour-là..."
17:26 Et là, Bernard lui coupe la parole.
17:28 Et Bernard répond, "Ce jour-là, il faisait beau."
17:32 Et voilà. Quand on a dit ça, on a tout résumé.
17:37 Parce que, oui, je sais, vous voudriez qu'on dise autre chose,
17:41 mais on ne peut pas. On ne va pas l'inventer.
17:44 On ne va pas faire une tristesse de ce qui est une richesse.
17:48 Et toi, c'est devenu un peu ta spécialité, alors ?
17:50 Transformer les tristesses en richesses ou les difficultés...
17:53 Pour les autres, oui. J'aime bien faire ça.
17:57 C'est Étienne Rodagil qui écrivait ça.
18:00 Moi, je veux juste être utile à vivre et à rêver.
18:03 Quand tu montes à cheval pour la première fois, tu as deux ans.
18:06 - Comment ça se passe ? - Oui, à peu près.
18:08 Ça se passe en vacances à la maison.
18:10 Peut-être que quand ma mère m'a mise à cheval,
18:12 elle s'est intéressée à comment ma hanche était placée,
18:17 comment ça pouvait faire une rééducation, comment...
18:22 Mais moi, je suis juste une gamine de deux ans à cheval, quoi.
18:26 Je suis juste en train de kiffer avec mon pote.
18:29 Et c'est juste magnifique.
18:31 Ce qui est une vraie magie qu'on observe à chaque fois,
18:33 pour l'avoir vécu moi aussi du côté professionnel,
18:36 en tant que kiné, où on ne comprend même pas
18:39 comment on obtient certains résultats.
18:41 C'est une magie qui opère. Tu l'as ressenti, ça ?
18:44 Moi, je l'ai ressenti sur moi. Et puis, au-delà de ça,
18:47 en plus de rencontrer Bernard, j'ai eu la chance
18:49 de rencontrer Rupert Isakson, qui est un être exceptionnel,
18:52 un homme qui était un dresseur équestre
18:55 et qui avait un enfant autiste sévère.
19:00 Et au fait, en tant que dresseur, il éloignait toujours son fils des chevaux
19:04 parce qu'il avait peur qu'il y ait un accident.
19:07 Un jour, son petit est arrivé dans le champ
19:12 et puis il s'est mis à parler.
19:15 Il s'est mis à parler à la vieille jument qui était là,
19:18 qui s'appelle Bessie.
19:20 Et Rupert, qui est quelqu'un de très, très énergétique,
19:25 a compris ça et il a amené son gamin de 4 ans,
19:32 autiste sévère, qui ne parlait pas,
19:35 qui n'était pas propre, juste magnifique.
19:38 Il l'a amené à cheval sur les plaines de Mongolie
19:42 pour rencontrer les chamanes.
19:44 Quand ils sont descendus, le petit,
19:48 il a été propre pour la première fois.
19:50 Et Rupert a créé une méthode pour aider les enfants autistes
19:58 par l'équitation, ce qu'on appelle le backfighting.
20:02 On prend un enfant devant nous, au fait,
20:04 pour le tenir et pour qu'il ait les sensations.
20:08 D'ailleurs, un jour où j'ai voulu aider,
20:10 Rupert m'avait dit quelque chose d'assez magnifique.
20:13 Il m'a dit "Tu sais, toi, tu n'es pas obligé de le faire à cheval
20:16 parce que si tu tiens un enfant déjà devant toi en fauteuil,
20:19 il va avoir les mêmes sensations,
20:21 le même déclenchement de sérotonine et d'apaisement."
20:24 Et j'ai trouvé l'image tellement belle.
20:28 Et oui, on obtient des miracles à cheval
20:33 parce que les chevaux font des miracles.
20:35 Le jour où j'ai rencontré ma jument, des années après,
20:37 j'avais 20 ans, j'arrive au boxe
20:40 et la jument, qui ne m'a jamais vue,
20:42 ni d'Eve, ni d'Adam, ni de rien du tout,
20:44 elle pose l'encolure sur mes genoux.
20:48 Et pendant plus de 15 ans,
20:51 elle m'a accueillie comme ça.
20:54 Elle est venue chercher un câlin,
20:56 mais sans se poser la question.
20:58 "Ok, tu ne peux pas être là ?
21:00 Bon, ben, c'est moi qui descends."
21:02 Je peux te dire que ça ne lui a pas semblé anormal.
21:04 Les gens ne le savent peut-être pas et qu'ils nous regardent,
21:06 mais sans t'avoir vue ni entendue directement,
21:08 tes mots, ils les ont déjà entendus.
21:10 Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
21:11 Ils ont peut-être entendu une chanson pour Jennifer
21:15 qui s'appelle "De vous à moi",
21:17 que j'ai eu la chance d'écrire en 2004.
21:23 Et ils ont peut-être entendu deux titres pour Victor Laszlo,
21:28 un qui s'appelle "Être là",
21:31 que j'avais écrit juste après les attentats de 2016 à Bruxelles.
21:39 J'ai écrit quelque chose dans ce refrain-là qui dit
21:43 "Prendre le monde dans les bras du silence
21:46 quand plus un mot ne veut tenter sa chance."
21:50 Et je pense que c'est ça.
21:53 Je pense que le rôle d'un artiste dans les moments durs
21:56 et dans les moments compliqués, c'est d'être là.
21:59 Comme on peut, c'est d'être essentiel.
22:04 On aurait compris que moi, j'ai choisi ce métier
22:08 parce que les mots des autres ont changé ma vie,
22:12 ont porté ma vie, ont permis ma vie.
22:15 Donc je veux juste continuer la chaîne.
22:18 Je dois énormément de choses aux mots de Patrick Bruel
22:22 pour l'urgence de rester en vie.
22:25 Je ne te mentirai pas en te disant que je ne serais plus là
22:29 s'il n'avait pas écrit certaines choses.
22:32 Je me dis que ce serait quand même vachement beau
22:35 de boucler la boucle.
22:38 Si un jour, en travaillant sur une musique
22:41 ou en lui donnant un texte ex nihilo,
22:44 j'arrivais à ce que mes mots dans la voix de Patrick
22:47 finissent par donner cet étincelle de vie à quelqu'un d'autre,
22:52 ce serait bien aussi.
22:54 Moi, je fais ce métier parce que je veux accompagner les gens
23:01 comme j'ai été accompagnée par des mots de chanson.
23:06 J'aimerais le faire plus pour rendre fière mon ami Eddy Marnay.
23:13 Eddy disait une chose magnifique,
23:15 et c'est pour ça qu'on a été proches à ce point-là.
23:18 Son plus bel enseignement en quatre ans d'amitié,
23:21 c'était de me dire « Ma chère Andine, souvenez-vous toujours
23:24 que quand vous écrivez une chanson, vous posez un acte d'amour ».
23:28 Je crois que ça me ressemble assez.
23:30 Un grand merci pour ce partage.
23:33 On te souhaite de continuer longtemps à dessiner des arcs-en-ciel.
23:36 À chaque fois qu'on le voudra,
23:39 et à la disposition de tous les artistes qui le souhaiteront.
23:43 Merci.
23:44 [BIP]
23:46 Merci.