Changer le regard sur le handicap et transmettre un message fort en faveur de l’inclusion, c’est l’ambition de "Différent.e.s". Pour l’incarner, qui mieux que Salim Ejnaïni : cavalier de Jumping, sportif, conférencier, entrepreneur… et non-voyant ? Comment vit-on avec une "différence", comment apprend-on à s'accepter soi et à accepter le regard de l'autre ? Parcours cabossés, destins contrariés et incroyables leçons de vie : Salim Ejnaïni recueille les témoignages de nos invités extra-ordinaires. Des histoires fortes et inspirantes autour de la résilience et du vivre-ensemble… Atteinte du syndrome des ptérygium multiples, Stellina Kizoglu a su, avec le temps, accepter sa différence. Pour Yahoo, la jeune femme au caractère bien trempé s’est livrée sur son histoire, revenant en détail sur sa maladie et sur les différentes épreuves qu’elle a traversée depuis son enfance. Le syndrome des ptérygium multiples est un groupe de maladies génétiques rares caractérisé par la présence de contractures articulaires et de multiples réseaux de tissus mous au niveau du cou et de diverses articulations, ainsi que par un faciès typique et une variété d'autres malformations congénitales.
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00:00 la méchanceté, c'est un manque de confiance en eux.
00:01 C'est qu'ils voient que malgré que j'ai une maladie, un handicap
00:05 et une trachéotomie, je m'assume, je me maquille.
00:08 Tout le temps que je dis ça sur les réseaux,
00:10 même handicapé, j'arrive à vous rendre jaloux.
00:12 Donc, continuez.
00:13 -Bonjour, Stélina. -Bonjour.
00:18 -Tu es née avec une différence dont tu vas nous parler.
00:21 Qu'est-ce qui s'est passé à ta naissance ?
00:23 -Dans le ventre de ma mère, on a vu que j'avais une maladie génétique.
00:27 Il y en a très peu dans le monde.
00:29 Ça s'appelle terrible germ multiple.
00:31 En fait, mes membres ont des petites différences
00:34 par rapport à d'autres personnes.
00:37 Je suis petite de taille et j'ai une scoliosos dos.
00:41 Et en grandissant, ma maladie s'est un peu aggravée.
00:45 J'ai eu une trachéotomie pour respirer.
00:48 -On sait à quoi c'est dû ? On sait d'où ça vient ?
00:52 -C'est comme si ma mère et mon père étaient de la même famille,
00:56 alors que pas du tout.
00:58 On n'en sait pas plus, parce qu'elle n'est pas très connue.
01:02 -C'est des choses qui ont eu des conséquences dès ta naissance ?
01:05 -Dès ma naissance, j'étais un peu plus petite que les personnes.
01:11 J'avais le dos un peu, on va dire, comme quasi-modo.
01:15 Et à partir de 4 ans, j'ai dû aller en centre de rééducation.
01:19 On m'a mis une barre en fer dans le dos avec un halo,
01:22 c'est des vis au niveau de la tête
01:26 pour redresser la colonne vertébrale.
01:28 -C'est des choses très gosseuses, quand même,
01:31 pour une jeune fille de 4 ans. -Oui.
01:33 -En parallèle, tu es allée à l'école ?
01:36 -A 4 ans, non.
01:37 Après, j'ai fait ma rééducation.
01:40 Et après, j'ai intégré une école tout à fait normale,
01:44 où il n'y avait aucune personne qui avait des maladies.
01:47 -Tu te souviens du regard des autres enfants ?
01:50 -On m'a jamais rigolé de moi, on m'a toujours aidé.
01:53 Après, je suis quelqu'un qui ne se laisse pas faire.
01:56 Si quelqu'un allait rigoler ou m'embêter, je me défendais.
02:00 -Comment ? -Avec les mots, les actes.
02:03 Au collège, tu me parles mal, je te jette une trousse.
02:06 -Tu n'étais pas en fauteuil ?
02:08 -Non, j'ai jamais été en fauteuil.
02:09 Je marchais normal, c'était juste pour les poids.
02:12 C'était un peu compliqué pour mes parents ou mes proches
02:16 de porter les poids en même temps, me faire marcher.
02:19 On me mettait en fauteuil.
02:20 -Tu devais avoir ça tout le temps ? -Oui.
02:23 Je devais avoir ça pendant quelques années,
02:25 le temps que mon dos se remette un peu dans la normale.
02:29 -C'est facile de se faire des amis dans cette situation-là ?
02:32 -Quand on voit pas sa maladie, je pense que oui,
02:36 parce que moi, j'ai jamais aimé avoir la pitié des gens ou autres.
02:40 J'ai toujours essayé de faire comme les personnes
02:44 qui n'avaient pas de maladie.
02:45 C'est-à-dire, je sais pas, on va faire du toboggan.
02:47 Même si j'arrivais pas à le faire, j'allais le faire quand même.
02:50 -Donc tu faisais tout pour vivre, en fait.
02:52 -Je faisais tout et je fais encore tout
02:54 pour être à la même hauteur que les personnes qui n'ont pas de maladie.
02:57 -Quand tu étais petite, tu avais l'impression
02:59 que les autres comprenaient tout ce chemin par lequel t'étais passée ?
03:02 -Qu'ils comprenaient, c'est un peu compliqué quand on le vit pas,
03:06 mais en tout cas, ils voyaient ce que je subissais,
03:08 parce qu'à l'école, on en parlait beaucoup.
03:11 -Quand tu grandis, est-ce qu'il y a eu d'autres étapes
03:15 de ta maladie, de ta pathologie ?
03:18 -A partir de 15 ans, j'avais une scolarité normale
03:21 et j'ai commencé à avoir des problèmes de respiration.
03:25 Et il y a une fois, je suis allée à l'hôpital,
03:27 on m'a donné de la Tharax et je suis tombée allergique.
03:32 Ça m'a mise dans le coma.
03:34 Et ensuite, je me suis réveillée
03:38 et on a décidé de me faire une trachéotomie.
03:40 C'était le seul recours, d'après les docteurs,
03:46 pour que, actuellement, je sois encore en vie.
03:48 -Comment tu le vis, à ce moment-là ?
03:50 -A 15 ans, t'as une scolarité normale,
03:53 on te dit que tu vas avoir une trachéo,
03:55 que tu vas plus voyager, que tu vas plus aller à l'école,
03:59 que tu pourras pas sortir normalement,
04:01 que t'auras des machines...
04:02 Sincèrement, moi, je voulais mourir.
04:04 J'avais pas assez les épaules larges pour tout ça,
04:09 mais quand on a 15 ans, les décisions appartiennent pas à nous,
04:12 elles appartiennent à nos parents.
04:14 Donc, ils m'ont fait une trachéo.
04:16 Au final, je l'ai un peu mal pris.
04:20 Mais à l'heure d'aujourd'hui,
04:21 je me dis que c'était la meilleure des décisions.
04:24 -Et qu'est-ce qui t'a donné la force de tenir, après ça ?
04:26 -Au bout de quelques mois, c'était un peu dur,
04:28 parce qu'avoir quand même un trou dans la gorge,
04:31 on doit changer tout le temps.
04:32 En fait, ce qui m'a fait peur,
04:34 c'est juste les paroles des docteurs et des infirmiers.
04:37 -C'était quoi, leurs paroles ?
04:38 -"Ça va être dur, il faut la changer tout le temps,
04:42 il faudra toujours que vous ayez quelqu'un avec vous."
04:44 -On t'a expliqué, à l'époque,
04:46 qui étaient les personnes qui recevaient des trachéotomies ?
04:49 Ça a donné des exemples ?
04:50 Ou qu'est-ce que tu savais ?
04:52 -On m'a rien dit du tout, mais quand je me suis renseignée sur Internet,
04:54 ça m'a fait plus peur qu'autre chose.
04:57 J'ai vu des gens qui avaient des tumeurs,
04:59 j'ai vu des gens qui avaient des cancers.
05:02 Je me suis dit "Ah, OK, c'est ça."
05:04 -Ouais, donc tu t'es dit "C'est un gros truc",
05:07 et à aucun moment, t'as eu quelque chose pour te rassurer ?
05:10 -Non, les seules phrases que j'ai eues rassurantes,
05:13 c'est ma mère qui m'a dit "Mais t'inquiète, ça ira,
05:17 ta vie, elle va pas changer."
05:18 "T'inquiète, t'es courageuse."
05:20 Ça m'a un peu rassurée, son maman.
05:23 -Tu l'as crue, à ce moment-là ?
05:24 Quand elle te disait tout ça, "Ça va le faire, t'es courageuse."
05:26 -On croit toujours les mamans.
05:28 -Tu retournes à l'école, c'est ça ?
05:29 -Oui, je retourne à l'école avec une AVS.
05:33 -Oxygène de vie scolaire, AVS.
05:35 -Qui me faisait un peu mal à la tête.
05:37 -Pourquoi ?
05:38 -Elle me suivait partout, dans la récréation, en cours.
05:43 Je pouvais pas avoir des discussions avec mes amis.
05:45 Elle me paniquait plus que moi, j'étais paniquée.
05:48 C'est que...
05:49 "Fais attention, fais pas ci, fais pas ça."
05:52 Elle me donnait du stress, vraiment.
05:55 Juste d'être à côté de moi au cas où il y avait un problème.
05:58 -Elle a pas eu besoin, du coup, d'intervenir ?
06:00 -Franchement, y a jamais eu de problème.
06:02 Les seuls problèmes qu'il y a eu, c'est qu'au bout d'un moment,
06:05 j'ai craqué, je lui ai dit "Ça y est, j'en ai marre."
06:08 "J'en ai marre."
06:10 Mais malheureusement, elle avait pas le choix de tout le temps rester avec moi,
06:13 mais après, elle a compris que j'avais quand même besoin
06:16 de mon intimité avec mes amis.
06:19 Elle était pas obligée de me coller tout le temps, tout le temps.
06:22 -Comment ça se passe quand on a 15 ans, du coup,
06:24 qu'on a cette différence qui est autant visible
06:26 et qu'on veut avoir une vie sociale ?
06:28 -Bah franchement, moi, j'ai jamais eu de problème,
06:30 parce que déjà, ma trachéo, je l'ai toujours cachée avec un foulard.
06:34 Après, quand je suis arrivée à revenir à l'école,
06:37 tout le collège était prévenu, déjà, que j'avais été dans le coma.
06:41 Ils m'avaient tous écrit des lettres, des mots.
06:44 Y en a qui pensaient que j'étais morte.
06:45 -T'as pas eu le regard des autres qui a changé ?
06:49 -Non, pas du tout.
06:50 C'est plus les profs qui avaient peur.
06:52 Ils étaient trop attentionnés.
06:56 Mais après, ils étaient un peu aussi sévères,
06:58 parce qu'ils savaient que je bavardais beaucoup
07:02 et que s'ils disaient rien, bah...
07:04 Avec mes mots, je foutais un peu le bordel en classe.
07:07 -Ils te pardonnaient pas plus ? -Non, y a pas de pitié.
07:10 Si j'étais punie, j'étais punie pareil que les autres.
07:13 -C'est important, ça, non ?
07:15 -Ouais, j'aimais bien, parce qu'ils me traitaient
07:16 comme une personne sans maladie, sans handicap.
07:20 -Ça t'a aidé, tu crois ?
07:21 Est-ce que toi, tu ne la vois plus, ta différence ?
07:23 -Qu'on me traite sans maladie depuis que je suis née,
07:26 que ce soit mes amis ou des inconnus ou autres,
07:30 ça m'aide à pas voir ma différence.
07:32 Et c'est ce que j'aime bien.
07:34 Je veux pas que les gens me voient comme quelqu'un de malade.
07:36 Je veux qu'on me voit comme Stélina,
07:38 pas comme "Oh, regarde, handicapée" ou "Oh, regarde, cette personne".
07:41 -Tu as continué l'école, t'as continué les cours
07:44 jusqu'à quel moment ?
07:45 -Jusqu'à 15 ans.
07:47 Quand c'était le brevet...
07:50 -Tu l'as passé, ton brevet ? -Je l'ai pas passé.
07:52 On m'a un peu découragée, on m'a dit
07:54 "Oui, tu sais, le lycée, ça sera compliqué,
07:58 avec toutes tes machines, ta maladie,
08:00 tu pourras pas travailler plus tard."
08:02 Donc moi, dans ma tête, je me suis dit
08:04 "Ce sera quoi que je continue l'école, les études,
08:07 si plus tard, je pourrais pas travailler ?"
08:09 Bah, autant abandonner.
08:11 C'est vrai qu'à l'heure d'aujourd'hui, je regrette un peu,
08:13 mais maintenant, c'est fait, c'est fait.
08:15 -Quand tu repenses aux adultes qui t'ont dit à l'époque
08:17 que ça allait être compliqué, que ça allait être tendu
08:19 avec tes machines, avec tout ça,
08:21 qu'est-ce que tu ressens en repensant à ça ?
08:25 -Je les déteste.
08:26 Je les déteste.
08:28 J'aurais dû pas les écouter.
08:30 J'aurais dû pas du tout les écouter, j'aurais dû peut-être
08:32 continuer l'école, aller au lycée.
08:34 Après, je sais que plus tard, pour travailler, ça aurait été compliqué.
08:37 Déjà, pour trouver un stage en 3e,
08:40 bah, j'en ai pas trouvé,
08:42 parce qu'on acceptait pas mes machines,
08:43 on acceptait pas mes problèmes de respiratoire.
08:46 Donc, je suis la seule qui a pas fait de stage en 3e.
08:48 -Tu dirais que c'est plus facile de faire accepter la différence
08:52 aux enfants ou aux adultes ?
08:53 -Franchement, les plus idiots, c'est les adultes.
08:56 Les enfants, je pense qu'ils regardent,
09:01 ils montrent du doigt,
09:02 mais les adultes, en mêlant, ils sont stupides.
09:06 Vraiment... -Pourquoi ?
09:08 -Ils montrent du doigt, ils ricanent.
09:10 Et c'est souvent les femmes.
09:11 Des fois, je sais pas si c'est de la jalousie ou autre,
09:14 mais même sur les réseaux, les moqueries, etc.,
09:17 c'est tout le temps les femmes.
09:19 C'est jamais les hommes.
09:20 Ils se moquent limite plus que les enfants.
09:23 -Tu nous parlais des réseaux.
09:24 À quel moment est-ce que tu franchis le pas et te dis
09:26 "Allez, je vais être sur les réseaux,
09:27 je vais montrer à tout le monde qui je suis" ?
09:30 -Depuis l'âge de 15 ans, j'ai toujours été sur les réseaux.
09:34 Bon, avant, il y avait moins de popularité qu'aujourd'hui.
09:39 C'est en 2013, avec une amie, on a décidé de faire des vidéos.
09:44 Elle a dit "Viens, Stel, moi, je veux te montrer
09:47 que t'es pas différente des autres malgré ta maladie."
09:52 Donc on a commencé à se filmer, faire des vidéos, du coup.
09:55 -Qu'est-ce qui fait qu'on s'accepte, justement ?
09:58 -Parce que j'ai confiance en moi.
10:00 Je sais que peu importe ce que les gens disent,
10:03 ça m'a jamais touchée.
10:07 En fait, je les vois comme des gens débiles.
10:09 C'est que des gens, ils sont pas mieux que moi, en fait.
10:13 C'est peut-être bizarre pour certaines personnes,
10:15 parce que je vois des commentaires "Ah, je sais pas comment tu fais."
10:18 Mais à partir du moment où on s'accepte tel qu'on est
10:21 et qu'on a confiance en nous,
10:23 moi, j'ai toujours dit "Y a rien qui va m'abattre."
10:25 Tu peux jeter des cailloux sur ma tête, je veux pas m'évanouir.
10:30 -Tu peux nous dire combien tu mesures aujourd'hui ?
10:32 -Je fais 1,30 m.
10:33 -D'accord. Et ça, par rapport à l'image,
10:38 tu dirais que tu as empathie
10:41 ou tu arrives à l'expliquer, à le faire accepter ?
10:46 -Bah tout ce qui est petit est mignon.
10:48 Rires
10:49 Tout ce qui est petit est mignon.
10:51 Franchement, j'ai jamais eu de commentaires négatifs ou autres
10:57 à cause de ma taille,
10:59 mais la façon dont je suis sur mes réseaux,
11:03 c'est pas ce qui tape à l'œil directement.
11:05 On va plus regarder, par exemple, ma façon que je parle,
11:09 des choses comme ça,
11:10 mais ma taille m'a jamais posé un problème dans ma vie.
11:15 -Et alors, tu dirais que les retours des gens sont plutôt positifs ?
11:19 -Je veux pas dire que c'est tout le temps positif,
11:21 ça serait mentir.
11:23 C'est vrai qu'il y a parfois des commentaires assez méchants,
11:28 c'est du fait que j'ai énormément confiance en moi,
11:30 donc des fois, je reçois des commentaires assez, on va dire, fous.
11:35 Assez blessants pour certains.
11:37 -C'est quoi les commentaires les plus fous, dans le sens incroyable,
11:40 où tu t'y attends pas du tout ?
11:41 -T'aurais dû mourir.
11:43 -Les gens écrivent ça ?
11:44 -Oui. "Pourquoi tu te la racontes ?"
11:47 "T'es handicapée, personne voudra de toi."
11:49 "T'es moche."
11:50 Des commentaires...
11:52 Franchement, la vérité, je regarde le message, je l'efface direct.
11:55 Je cherche même pas...
11:57 Soit j'insulte, parce que je suis quelqu'un d'énormément nerveuse,
12:00 donc soit j'insulte ou soit j'efface.
12:02 -Et dans le fond, tu arrives à l'effacer de ton esprit aussi ?
12:05 -J'arrive à l'effacer, parce que je me dis...
12:07 Les réseaux, c'est une plateforme.
12:09 On discute avec d'autres personnes, mais je coupe ma 4G,
12:12 y a plus de réseau.
12:14 C'est la vie normale.
12:16 Ces personnes dans la rue, jamais vont venir me voir
12:19 et me dire ça.
12:20 Les réseaux sociaux, ça donne des ailes.
12:22 En vrai, y a personne du tout.
12:24 C'est la méchanceté d'Internet.
12:25 -Si tu dois nous parler des autres, tu dois nous parler de la vraie vie,
12:29 qu'est-ce qui t'embête le plus dans la vraie vie,
12:32 largement, dans la société d'aujourd'hui ?
12:35 -Je trouve que la France est pas trop adaptée
12:37 pour les personnes handicapées,
12:39 et ils sensibilisent pas assez les personnes.
12:43 -Plus l'humain que le matériel ?
12:46 -Les deux. -Ouais.
12:48 -J'ai l'impression qu'en France, l'handicap est un sujet tabou.
12:51 Même quand on regarde la télé, y a pas souvent d'handicapés.
12:56 -Pourquoi, à ton avis ?
12:57 -Parce que la France, elle est pas prête à ça.
12:59 La France, on n'est pas assez ouverts d'esprit.
13:03 -Et ça, c'est quelque chose que t'essayes de changer ?
13:05 -C'est quelque chose que j'essaye de changer,
13:07 que j'espère que ça changera dans les années à venir.
13:10 Mais actuellement, on a du boulot, quand même.
13:12 -Alors, tu parles des choses qui sont adaptées ou pas à l'extérieur.
13:17 Est-ce que chez toi, c'est adapté ?
13:19 -Chez moi, j'ai rien adapté. -Pourquoi ?
13:22 -Parce que j'ai pas envie que chaque jour, je me réveille
13:26 et je vois que j'ai une différence.
13:28 C'est-à-dire, chez moi, j'ai rien adapté du tout.
13:30 Si j'ai besoin de quelque chose, je prends...
13:33 Parce que je vis tout seul, je prends un tabour et une chaise.
13:36 Ou même si demain, je viens vivre avec un homme,
13:40 je veux pas que chaque jour, il se réveille
13:41 et voit que j'ai une différence.
13:43 -Tu nous parles de rencontrer quelqu'un.
13:44 Allez, soyons fous, est-ce que c'est quelque chose qui est déjà arrivé ?
13:47 -J'ai déjà fait ma vie, mais actuellement, non, j'ai personne.
13:52 -D'accord. Est-ce que c'est facile de faire sa vie
13:54 quand on a une différence importante comme la tienne ?
13:57 -Pour moi, j'ai jamais eu de problème à rencontrer un homme,
14:01 parce que je pense que la différence attire.
14:04 Quand t'es différente, là, je parle pour les hommes,
14:09 ils veulent en savoir plus, apprendre à te connaître.
14:12 -Est-ce que tu serais arrêté par ta différence
14:15 dans l'esprit de, je sais pas, d'avoir une famille, d'avoir des enfants ?
14:19 -Avoir un enfant, je m'inquiète parfois
14:21 de savoir s'il aura la même mème maladie que moi
14:24 ou ma grossesse, comment ça va se passer.
14:26 Mais sinon, je suis quelqu'un qui se pose pas trop de questions.
14:30 -Tu prends la vie comme elle vient ? -Je prends la vie comme elle vient.
14:33 -Tu t'es renseigné sur ce que ça impliquerait d'avoir un enfant ?
14:37 -Oui, je me suis renseigné. On m'a dit qu'il aurait pas ma maladie,
14:42 mais que ça serait assez compliqué si je tombais enceinte.
14:46 Je devrais être assez souvent allongé, pas faire trop de mouvements.
14:51 Mais bon, après, ça... Il y a pire.
14:54 -Qu'est-ce que les médecins t'ont dit sur l'évolution possible
14:57 de ta maladie avec l'âge ?
15:00 -Bah que je dois surveiller mon dos, si ça se déplace pas,
15:05 mais y a pas de risque, sinon y a pas de...
15:08 J'ai pas un temps de vie, je vais pas mourir demain ou dans 10 ans.
15:12 -C'est un sujet, on a l'impression, au quotidien, finalement,
15:14 auquel tu penses pas tant que ça, sauf quand ça devient galère, en fait.
15:18 -Ouais, c'est comme partout.
15:20 Quand ça devient galère, on y pense direct.
15:22 -Tu dirais que les autres, ils pensent plus que toi ?
15:24 -Les autres, ils sont tout le temps inquiets.
15:26 Ça me donne la migraine.
15:28 Ils sont tout le temps inquiets.
15:30 "Fais attention. Est-ce que tu peux faire ça ?
15:32 "Ca marche pas trop. Tu vas te fatiguer.
15:35 "Oublie pas ta machine. Tu vas faire comment ?"
15:38 Parce que moi, je suis zen, moi.
15:40 Je dis "ouais, t'inquiète, t'inquiète, t'inquiète" tout le temps.
15:43 -Y a un moment où t'en peux plus de dire "t'inquiète, t'inquiète" ?
15:46 -Non, parce que j'écoute même pas des faux.
15:49 -Est-ce que tu as des projets pour la suite ?
15:51 -Je rêve de voyager encore plus.
15:53 Après, pourquoi pas évoluer sur les réseaux sociaux
15:55 et surtout aussi sensibiliser les gens au harcèlement.
15:59 C'est quelque chose que je parle énormément sur mes réseaux sociaux.
16:03 Et je parle aussi de l'handicap.
16:05 -Le harcèlement, y a une raison personnelle, toi,
16:07 qui fait que t'as envie d'en parler ?
16:09 -Bah déjà, j'ai des petites sœurs et des petits frères.
16:13 Et ça me fait peur, le monde dans lequel on vit.
16:19 Et j'ai déjà subi de l'harcèlement où j'ai déposé plainte,
16:23 mais malheureusement, à l'heure d'aujourd'hui,
16:25 j'attends toujours une réponse.
16:26 -C'était quoi, comme type de harcèlement ?
16:28 -Des messages fous.
16:29 "T'aurais dû mourir", "t'as un collier de chienne",
16:35 "t'es quasi-modo", "tu vas jamais percer",
16:39 mais des méchancetés que je sais même pas où...
16:43 Où ils trouvaient la force, ces gens-là.
16:45 -J'ai vécu des choses comme ça aussi, où t'as l'impression que tu déranges.
16:48 J'ai passé des années, plusieurs années à essayer de comprendre.
16:53 Est-ce que c'était mon image, mes origines ?
16:56 J'ai jamais compris.
16:57 Tu as des gens, tu sais pas pourquoi,
17:00 ils vont t'attaquer sur ce que tu es, sur l'image qu'ils ont de toi.
17:03 Il peut y avoir des vannes un peu sympas,
17:05 mais bon, moi, tu vois, j'ai un front assez proéminent.
17:09 On m'a dit "T'as le front, on dirait la muraille de Game of Thrones".
17:12 Par exemple, à la limite, c'est rigolo,
17:14 mais quand t'as des gens qui vont chercher encore plus loin,
17:17 dans le manque de respect, qui vont te dire
17:20 "Ta femme, c'est un tombe et tu la verras jamais".
17:22 Il y a plein de trucs, des trucs, mais...
17:25 Tu te demandes où ils ont l'énergie d'envoyer autant de haine
17:28 et à quoi ça leur sert.
17:30 Alors si toi, t'as compris ça, dis-le moi.
17:32 -Moi, j'ai compris qu'ils sont beaucoup idiots
17:35 et que je pense que c'est le problème qu'on s'assume
17:39 malgré notre handicap.
17:41 Donc je pense qu'eux n'assumeraient jamais...
17:45 N'assumeraient jamais alors qu'ils n'ont aucun problème de santé.
17:48 Donc je pense que ça vient de là, la méchanceté,
17:50 c'est un manque de confiance en eux.
17:52 C'est qu'ils voient que malgré que j'ai une maladie, un handicap
17:55 et une trachéotomie, je m'assume, je me maquille,
17:59 je vais en vacances dans des endroits
18:01 où ça se trouve, eux ne pourront jamais aller.
18:03 Donc je pense que c'est de la jalousie, un petit peu.
18:05 De la jalousie que eux, malgré qu'ils soient en bonne santé,
18:08 ne s'assumeront jamais tels qu'ils sont, en fait.
18:12 -Donc tu penses que c'est de la jalousie de ne pas avoir ce que tu as ?
18:15 -Je pense que c'est de la jalousie, mais c'est débile.
18:17 Parce qu'ils ont la santé.
18:18 Moi, je suis petite de taille, j'ai quelques soucis de santé,
18:23 je peux pas travailler.
18:25 Entre parenthèses, y a rien d'envie.
18:27 Y a rien d'envie, mis à part que je m'assume.
18:29 Après, c'est peut-être un gros truc pour certaines personnes,
18:33 mais je les vois comme des idiots.
18:35 Après, moi, ça me donne la force,
18:37 parce que je me dis...
18:39 C'est tout le temps que je dis ça sur les réseaux.
18:41 Même handicapée, j'arrive à vous rendre jaloux.
18:43 Donc continuez.
18:44 -Tu as un handicap, tu as une différence,
18:47 tu es une femme, tu as de la visibilité.
18:49 On sait que parfois, il en faut pas beaucoup plus
18:52 pour recevoir ce genre de choses.
18:54 Qu'est-ce que tu dirais aux autres personnes, aux autres femmes
18:57 qui sont dans cette situation ?
18:59 Qu'est-ce que tu leur dirais ? D'agir ou de laisser tomber ?
19:02 -Bah d'agir, de toute façon.
19:05 Je suis beaucoup pitie, je sais pas si tu connais.
19:08 Et Amadia fait mon temps en live,
19:11 puisqu'elle reçoit énormément de harcèlement.
19:13 Et je l'ai dit aux personnes,
19:15 peu importe comment vous êtes,
19:17 ne perdez jamais confiance en vous.
19:19 On est tous des bijoux, on est tous des créatures de Dieu.
19:22 C'est qu'on a peut-être des différences,
19:24 mais on est tous belles à notre propre niveau.
19:27 Y a pas de moches dans cette Terre.
19:29 -Et enfin, qu'est-ce que tu réponds aux personnes qui ont une différence
19:33 et qui arrivent pas nécessairement à lui donner la place
19:35 que toi, tu lui donnes aujourd'hui ?
19:38 -Ne perdez pas confiance en vous malgré la méchanceté des gens.
19:42 Après, parfois, je les comprends.
19:43 Moi, j'ai été élevé avec une mère qui m'a toujours dit "jamais abandonner".
19:48 On n'a pas tous la même éducation.
19:50 Donc je peux comprendre que certaines personnes handicapées
19:53 ou avec des maladies n'osent pas se mettre sur les réseaux
19:57 ou sortir dans la rue,
19:59 parce que je reçois beaucoup de commentaires,
20:01 ou des gens en détresse.
20:02 Je comprends, parce qu'il y a beaucoup de méchanceté.
20:05 Mais après, je leur dis "vous savez, que vous soyez malade ou pas,
20:09 la méchanceté, y en aura tout le temps."
20:11 Tu vois, t'as un pantalon vert, tu vas aller dans la rue,
20:13 les gens, ils vont te regarder, ils vont rigoler.
20:15 Donc c'est pas forcément la maladie ou l'handicap,
20:18 c'est que les gens, ils sont comme ça.
20:19 Donc soyez vous-mêmes.
20:21 Ne calculez pas les gens.
20:23 -En tout cas, merci beaucoup, Stélina.
20:25 On te souhaite plein de bonnes choses pour la suite,
20:28 plein d'opportunités, comme tu dis.
20:30 -Merci à toi.
20:32 J'ai été ravie de faire cette interview.
20:34 -C'est partagé, on continuera de suivre.
20:35 En tout cas, merci beaucoup.
20:37 Sous-titrage Société Radio-Canada
20:39 Merci.
20:40 [SILENCE]