Changer le regard sur le handicap et transmettre un message fort en faveur de l’inclusion, c’est l’ambition de "Différent.e.s". Pour l’incarner, qui mieux que Salim Ejnaïni : cavalier de Jumping, sportif, conférencier, entrepreneur… et non-voyant ? Comment vit-on avec une "différence", comment apprend-on à s'accepter soi et à accepter le regard de l'autre ? Parcours cabossés, destins contrariés et incroyables leçons de vie : Salim Ejnaïni recueille les témoignages de nos invités extra-ordinaires. Des histoires fortes et inspirantes autour de la résilience et du vivre-ensemble…Sportif de haut niveau, Anthony Martin's Misse a toujours aimé relever des défis, à commencer par la vie elle-même comme il aime le dire. Non-voyant depuis ses sept ans, il n’a pas fait de son handicap une barrière, bien au contraire. Ce père de famille, également entrepreneur, fourmille d’idées et s’est toujours battu pour faire entendre sa voix et faire valoir ses droits. Pour Yahoo, il a accepté de se livrer sur son histoire, se confiant sur son invalidité et sur la façon dont il parvient quotidiennement à vivre avec.Comme le rappelle la Fédération des aveugles de France, on compte dans le pays 1.7 millions de personnes déficientes visuelles dont 207 000 aveugles (pas de perception de la lumière) et malvoyants profonds (vision résiduelle limitée à la distinction de silhouettes) et 932 000 malvoyants moyens (incapacité visuelle sévère : en vision de loin, ils ne peuvent distinguer un visage à 4 mètres ; en vision de près, la lecture est impossible). Avec l’augmentation de l’espérance de vie et le vieillissement de la population, l’Organisation Mondiale de la Santé prévoit un doublement du nombre de déficients visuels dans les 25 prochaines années.
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00:00 le mot "handicap" fait peur, ce que ça implique fait peur,
00:03 ce que cela connote derrière fait aussi peur.
00:06 Bienvenue dans "Différents".
00:12 Aujourd'hui, un invité que je suis très heureux de recevoir.
00:15 Vous allez voir qu'on se connaît un petit peu depuis quelques temps.
00:16 Est-ce qu'on peut le dire ? Anthony, Martin Smith.
00:19 Salut Anthony.
00:20 Bonjour, salut.
00:21 Bienvenue. Ça fait super plaisir de te recevoir.
00:23 Tu as une histoire qui forcément me parle.
00:25 Tu es complètement non-voyant d'ailleurs.
00:26 C'est une question que je ne te pose même pas au quotidien.
00:28 Complètement non-voyant.
00:29 Si je ne me trompe pas, tu as une perception lumineuse qui est légère.
00:32 Oui, très légère sur l'œil droit.
00:34 OK, donc en gros, tu n'es même pas sûr parfois de savoir si c'est allumé ou pas.
00:38 Je ne sais pas si c'est allumé ou pas.
00:39 Mais ça n'a pas toujours été le cas.
00:40 Le premier épisode de tout ça, c'était quand ? C'était quoi ? Dis-nous tout.
00:45 J'ai 11 jours quand on détecte que j'ai un glaucome congénital.
00:49 C'est une hypertension oculaire avec des lésions du nerf optique.
00:54 Je me fais hospitaliser et je me fais opérer pour la première fois.
00:58 Et derrière, je suis passé 130 fois sur le billard pour faire baisser et réguler
01:04 cette tension intra-oculaire.
01:07 Et à l'âge de 4 ans, je perds mon œil gauche.
01:11 Et à l'âge de 7, je perds l'œil droit.
01:16 Ça t'a coûté un œil.
01:16 J'ai essayé de payer, oui, ça m'a coûté un œil.
01:19 Tu te retrouves dans le noir total ?
01:22 Pas dans le noir total.
01:23 Dans un flou lumineux avec des ondes, des contrastes de couleurs
01:29 et que j'ai gardé pendant très longtemps.
01:32 Et puis, je pense que là, ces dernières années, j'ai beaucoup perdu en vision
01:36 de ce qui me restait.
01:37 Tu as des souvenirs de cette période avant ?
01:39 J'ai le souvenir des couleurs, j'ai le souvenir que je courais partout,
01:43 que j'étais turbulent, très bagarreur à l'école.
01:48 Oui, j'ai plein de souvenirs.
01:49 Tu as vécu ce changement. Comment on vit à 7 ans ?
01:53 De perdre ou d'avoir un gros gap dans sa perception visuelle ?
01:59 On le vit très mal.
02:00 On vit une descente aux enfers,
02:03 on vit une incompréhension de ce qui nous arrive.
02:07 On n'était pas préparé.
02:09 Quand bien même, il y avait tout un corps paramédical autour
02:12 qui m'aidait à prendre le brail, à travailler des gestes du quotidien, etc.
02:18 Je n'étais pas prêt.
02:19 Donc, quand je me mets à courir dans la cour de récréation
02:22 après ma dernière opération,
02:24 et que là, je fais une rencontre totalement inattendue avec un platane,
02:30 je comprends que là, les choses vont être différentes et à tout jamais.
02:33 Ensuite, il y a cette phase de je conteste ce qui m'est arrivé,
02:37 je le combats, non, ce n'est pas possible, je ne perdrai pas la vue.
02:41 Et enfin, malheureusement, il y a la phase d'acceptation
02:44 mais qui arrive très, très longtemps après.
02:47 Donc, ça fait de soi quelqu'un qui a l'impression de vivre une injustice
02:52 mais je pense que ça construit ma combativité.
02:56 - Ça arrivait quand chez toi cette phase d'acceptation ?
02:59 - Il y a trois ans. Je vais avoir 34 ans.
03:01 - À ce moment-là, pour ne replanter le décor, tu vis avec ta maman, c'est ça ?
03:05 - Oui, parce que mon papa était beaucoup obsédé par son travail
03:09 et très peu présent pour sa famille.
03:12 Donc, j'ai grandi pendant 14 ans sans voir mon père.
03:16 J'ai le souvenir en tout cas d'une famille pleine d'amour,
03:19 partagée entre un soupçon d'espoir et une résilience folle
03:26 qui s'est adaptée à ça juste à un moment, je pense qu'ils ne m'ont pas vu grandir.
03:31 Donc, il y a eu un décalage nécessairement
03:34 parce que j'allais beaucoup plus vite que les enfants de mon âge
03:39 parce qu'on réfléchit à beaucoup d'autres choses
03:43 auxquelles on n'est pas confronté quand on n'a pas de problématiques
03:45 aussi profondes que celles que l'on connaît,
03:48 mais avec toujours beaucoup de bienveillance, beaucoup d'amour.
03:53 Et je pense que ça, c'est la clé qui fait que derrière, on s'en sort ou on ne s'en sort pas.
03:58 - Une autre clé importante dont tu viens de parler, le terme d'adaptation.
04:02 On avait la chance d'avoir des enseignants, des enseignantes,
04:04 on a souvent eu les mêmes, qui connaissaient le braille,
04:09 qui savaient de quoi on avait besoin exactement.
04:12 Et en même temps, une fois dans la cour de récré,
04:14 on jouait au même jeu avec les mêmes copains et les mêmes platanes,
04:17 dont tu parlais très bien, que les autres.
04:19 Qu'est-ce que ça t'a apporté, ça ?
04:20 - Les platanes ?
04:22 - Tout le reste.
04:22 - Ah, tout le reste.
04:23 - Les platanes aussi, du coup, j'imagine, mais...
04:25 - Je crois que c'est le modèle de ce qu'aujourd'hui,
04:27 on cherche encore à faire dans la scolarité, en matière d'inclusion.
04:31 On s'est beaucoup perdu derrière.
04:32 On a voulu faire de l'inclusion absolument,
04:35 mais on en a oublié que dans l'inclusion, ça entendait derrière une exclusion.
04:39 - C'est ça.
04:39 - Or, nous, on a vécu l'intégration.
04:42 J'aime pas non plus ce mot, mais il est quand même un peu plus élégant
04:45 parce qu'il dit effectivement,
04:48 on a des personnes qui sont porteuses d'une situation de handicap.
04:52 Elles font les choses différemment,
04:55 mais elles ne sont pas différentes des autres enfants.
04:56 Elles ont les mêmes besoins, elles ont les mêmes envies de s'épanouir,
04:59 de se développer, d'évoluer, etc.
05:02 - Et d'être des futurs actifs.
05:03 - Et d'être des futurs actifs, exactement.
05:05 Donc, je crois là, que ce modèle qu'on a vécu,
05:10 où on était 9 gamins sur 450,
05:14 déficients visuels et tout le reste étaient valides,
05:17 eh bien, c'était un beau modèle.
05:18 Parce qu'on avait des enseignants spécialisés,
05:21 on était mélangés avec des élèves valides.
05:23 Les enseignants avaient une formation spécifique pour nous accompagner.
05:28 Et je crois que c'est très douloureux pour un enseignant aujourd'hui,
05:32 d'accepter une personne en situation de handicap
05:35 et de ne pas être en mesure de l'accompagner
05:39 comme elle aurait besoin qu'on le fasse.
05:41 - C'est des cas où chacun est un peu jeté dans l'arène.
05:43 - Exactement, au motif de l'inclusion à tout prix.
05:46 C'est un principe d'équité et non d'égalité.
05:49 Égalité des chances, équité des droits.
05:52 Égalité des chances, c'est que face à une situation,
05:57 on doit être tous égaux dans la manière dont on peut être,
06:01 dans cette situation scolarisée, avoir les mêmes possibilités.
06:07 Équité des droits, c'est qu'une personne en situation de handicap,
06:12 je te donne un exemple que tu as bien connu par ailleurs,
06:15 c'est lors des examens.
06:17 Équité des droits, c'est que j'ai le droit de passer un examen,
06:21 comme tout le monde, mais quand je suis en situation de handicap,
06:24 je peux avoir un tiers de temps en plus
06:28 pour pouvoir aller au bout de mon examen.
06:31 Je peux être accompagné d'un auxiliaire de vie scolaire,
06:34 je peux être brailliste, je lis le braille,
06:37 et ça peut prendre beaucoup de temps.
06:39 C'est en ça que je dis, équité des droits, égalité des chances.
06:43 - Qu'est-ce que tu fais après le collège ?
06:44 Tes premières orientations, c'est quoi ?
06:45 - Je fais une seconde générale avec une forte appétence pour les sciences.
06:53 Je fais une option physique-chimie de laboratoire.
06:57 Et ça me passionne tellement que ma plus mauvaise note,
07:01 c'était 19.
07:01 Même le proviseur à l'époque disait,
07:04 écoutez, il faudrait peut-être que vous songiez
07:06 à aller au lycée national de la physique-chimie
07:08 si vous aimez tellement ça.
07:12 Certains s'y sont opposés.
07:15 Et puis, je fais un bac scientifique.
07:20 Derrière, je poursuis des études d'ingénieur du son et d'acousticien
07:25 parce que ça me plaît.
07:26 Je suis allé très vite en candidat libre à l'examen final.
07:31 Et j'ai surtout, après, travaillé sur l'acoustique.
07:34 Ça me fascinait.
07:35 Et effectivement, je lance ma première web radio au collège
07:38 quand il y a l'avènement d'Internet.
07:40 Au lycée, je monte la web radio du lycée
07:43 que j'associe avec le club du journal du lycée.
07:47 Et puis, très vite, je suis attiré à travailler dans les médias et la radio.
07:52 - Tu te dis, avant donné, que tu as des messages aussi à faire passer.
07:55 - Ça, je le comprends très tard, que j'ai des messages à faire passer.
07:58 D'abord, je me dis, c'est quoi le sens de ta vie ?
08:00 Moi, je voulais être chirurgien en départ.
08:02 J'ai eu une grosse dépression quand j'avais 11 ans.
08:07 Il a fallu accepter ça déjà, que je ne serais pas chirurgien.
08:10 Et après, j'ai pu trouver ma place dans les médias.
08:13 J'ai voulu avoir une vie totalement dite normale.
08:17 Et c'est il y a vraiment 3-4 ans que je me suis ramené sur le champ du handicap
08:22 où j'avais compris que ma vie, elle allait me permettre de faire autre chose.
08:25 Et d'être plus en guidage pour ceux qui, aujourd'hui, seraient peut-être un peu perdus.
08:31 - On n'a pas abordé la question du judo, du sport.
08:33 Je crois que c'est en 2004 ? - 2005.
08:35 - 2005 que ça prend une ampleur assez folle.
08:38 Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ?
08:39 - En 2005, je suis sélectionné en équipe de France.
08:41 - Tu es à quel âge déjà, pardon ? - 16 ans.
08:43 - OK.
08:44 - Je fais des championnats internationaux.
08:45 Et on m'emmène sur les championnats du monde junior que je remporte en moins de 66 kg.
08:51 Le judo m'a aidé à prendre conscience de l'espace, à prendre conscience de mon corps dans l'espace.
08:57 Et je dirais quelque chose de très bête, mais à faire les choses les yeux fermés.
09:02 J'ai aussi compris que pour me faire accepter, ça passait aussi dans la gestuelle.
09:07 Et donc le fait de pouvoir me tourner vers un interlocuteur quand je lui parle,
09:11 le fait de lui donner l'impression que je cherche son regard,
09:15 tout ça fait que l'acceptation se passe mieux.
09:18 Et le judo m'a beaucoup aidé à ça, parce que je le faisais qu'avec des personnes valides.
09:22 Donc avec des copains et je cherchais à être normal parmi les normaux.
09:27 Je ne sais pas quand on en dit sport, après on a des règles d'arbitrage
09:30 qui à partir d'un certain âge sont quand même assez emmerdantes,
09:33 parce qu'il faut lâcher la garde au début du combat.
09:37 En tout cas, il ne faut pas la voir poser.
09:39 Alors moi, si tu m'enlèves la garde installée,
09:43 je peux me faire avoir parce que je ne vois pas tout de suite d'où part l'attaque
09:46 et d'où va me prendre mon adversaire.
09:49 Mais en compétition nationale, on peut tout à fait combattre avec des valides.
09:54 Et d'ailleurs, on est obligé de le faire pour être sélectionnable à l'international.
09:59 Après à l'international, oui, là on combat avec des non-voyants.
10:04 Au début, j'ai appris ça avec beaucoup d'arrogance,
10:07 parce que je me suis dit "ça va, j'ai un très bon niveau en valide,
10:11 je vais tous les défoncer ces bandes d'aveugles".
10:15 Et puis en fait, rien du tout.
10:18 Les gars font la même chose dans leur pays,
10:20 ils ont un niveau pour certains de dingue,
10:22 ils font ça quasiment tout le temps.
10:24 Ça m'a remis un petit coup d'humilité dans la tronche.
10:28 Le haut niveau paralympique est aussi exigeant que le niveau valide.
10:33 Après, il n'empêche que tu as une disparité de niveau malgré tout,
10:36 parce que l'apprentissage est plus long quand tu ne vois pas.
10:39 Une personne en situation de handicap va déjà subvenir à ses propres besoins.
10:42 C'est la même chose pour les athlètes de haut niveau valide.
10:45 Mais elle est dans une situation par définition peut-être un peu précaire
10:49 sur le plan financier.
10:50 Et donc s'entraîner régulièrement,
10:52 ça veut dire pouvoir se déplacer sur le site d'entraînement,
10:55 ça veut dire avoir peut-être des partenaires,
11:00 à côté, elle peut avoir aussi une vie professionnelle.
11:03 J'ai l'anecdote d'un ami qui est aujourd'hui avec moi en équipe de France,
11:08 qui est à l'organisation des Jeux de Paris 2024.
11:12 Et il doit poser des congés sans solde
11:15 pour pouvoir se rendre sur des stages ou des compétitions de haut niveau.
11:19 Ça serait le cas pour un athlète valide ?
11:20 Bien sûr.
11:22 Sauf que la complexité, elle est double pour une personne en situation de handicap.
11:26 Ce n'est pas à toi que je vais l'apprendre que notre niveau de fatigabilité
11:29 est supérieur à une personne valide,
11:32 parce qu'on dépense deux fois plus d'énergie
11:34 pour essayer de faire à peu près la même chose.
11:35 Ce que tu dis, bizarrement, je te transposerais à tes autres activités aussi.
11:39 C'est-à-dire que je serais même, moi qui suis ton ami,
11:42 je ne sais pas dire combien de boîtes est-ce que tu as montées, rachetées, etc.
11:45 C'est encore plus compliqué que tu bosses plus pour un résultat qui est identique,
11:51 comme dans tout au quotidien.
11:53 Et ça ne t'a pas empêché de le faire.
11:58 Qu'est-ce qui fait que tout ça, ça ne t'a pas empêché ?
12:01 J'ai toujours envie d'aller de l'avant.
12:03 J'ai une espèce de hargne en moi très positive.
12:07 J'ai toujours envie de construire, d'aller plus loin.
12:12 J'aime que les rêves prennent vie.
12:14 Et puis j'aime bien vivre mes rêves derrière.
12:17 Donc je ne m'interdis rien.
12:20 Parce qu'il y a eu des moments dans ma vie où justement,
12:22 je m'interdisais les choses et je me mettais des blocages tout seul.
12:25 Alors je ne dis pas aujourd'hui, oui, c'est très fatigant.
12:28 Mais on a la vie qu'on veut bien avoir.
12:32 Aujourd'hui, tu mènes de front plusieurs activités.
12:35 Donc on parlait de ton activité d'entrepreneur.
12:38 Il y a ta vie de sportif,
12:40 puisque après avoir arrêté le judo, en quelle année est-ce que tu as arrêté ?
12:44 J'ai arrêté en 2007.
12:45 Et là, tu reprends ?
12:46 J'ai repris l'année dernière.
12:47 Voilà, et tu as obtenu un résultat déjà cette année.
12:50 Je suis troisième au championnat de France.
12:51 En reprenant à peine l'année dernière.
12:53 Et tu ambitionnes d'autres résultats ?
12:55 J'ambitionne de me préparer et d'aller affronter les Jeux de Paris,
13:00 si on m'en laisse la possibilité.
13:02 Mais de toute façon, je suis parti au moins pour Los Angeles.
13:05 À côté de ça, tu as une autre activité récente,
13:08 qui a quatre ans, qui est l'activité de papa.
13:11 Oui, c'est la plus belle activité de ma vie.
13:14 Qu'est-ce que ça t'a appris de devenir papa ?
13:16 C'était un rêve déjà.
13:18 Toute ma vie, j'ai voulu être papa.
13:21 Peut-être que ça s'inscrivait dans un schéma dans lequel j'ai grandi.
13:26 Un schéma de réussite.
13:29 Mais en réalité, c'était plutôt de la conviction
13:34 que j'aimerais être papa pour pouvoir aimer, transmettre.
13:39 J'ai beaucoup d'amour à donner.
13:41 Et je crois que ma fille...
13:44 Non mais ça va...
13:45 - J'ai rien dit. - Détends-toi.
13:47 - Je te sens partir. - J'ai rien dit du tout.
13:50 J'ai beaucoup d'amour à donner.
13:54 Je pense qu'un enfant, c'est génial pour plein de choses.
14:01 Ça t'apprend plein de choses aussi sur toi.
14:03 Ça te force à être rigoureux.
14:07 Ça t'apprend à ne pas penser qu'à toi.
14:09 Je pense que ma carrière, malheureusement,
14:12 m'a un peu auto-centré aussi par moment.
14:15 Donc là, je penche toujours à un plus un.
14:18 Dans tout ce que tu fais au quotidien, tu rencontres des difficultés.
14:22 Qu'est-ce que ça a fait de toi, tout ça ?
14:24 Il y a une éducatrice à l'époque qui m'a dit
14:27 "Écoute Anthony, c'est bien, la société peut t'intégrer,
14:31 mais si toi tu fais pas l'effort d'aller vers la société, ça ne marchera pas."
14:34 J'ai compris ce truc en me disant
14:37 "toi, fais ton max pour que la société t'accepte tel que tu es."
14:40 Maintenant que je sais que je fais mon max systématiquement,
14:43 ça a fait de moi quelqu'un de combatif
14:44 pour que la société respecte sa part du contrat.
14:48 Il y a des lois, et je regrette aujourd'hui
14:51 de constater encore que ces lois ne sont pas appliquées.
14:53 Tu peux prendre l'article 88 de la loi du 30 juillet 1987
14:57 relative à l'acceptation des chiens-guides et d'assistance.
15:02 Aujourd'hui, cette loi n'est pas respectée, notamment dans les transports.
15:05 Elle a été reprise par la loi du 11 février 2005
15:09 relative à l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées.
15:12 On est en 2023, donc 18 ans après cette loi.
15:17 Force est de constater qu'il y a encore plein de choses qui déconnent.
15:20 On prend déjà toutes les gares.
15:21 Ça se saurait si tu pouvais y aller librement en fauteuil roulant.
15:25 Ça se saurait dans les trains si on ne t'emmerdait pas
15:28 parce que tu as un chien-guide et qu'on te demande si tu as bien un billet le concernant.
15:32 Ou même qu'on te dise "Monsieur, merci de me présenter votre carte d'invalidité
15:37 pour justifier du fait que la personne qui est avec vous bénéficie bien du tarif accompagnateur."
15:42 Et le tout à voix forte devant toute la rue.
15:44 Et le tout à voix forte devant tout le monde.
15:46 Il y a vraiment un manque d'humanité criant dans tout ça.
15:53 Et aujourd'hui, ça me rend d'autant plus combatif.
15:56 Par quoi s'est causé tout ça d'après toi ?
15:58 Je crois que c'est la considération de ce qu'est une personne en situation de handicap.
16:02 Aujourd'hui, c'est d'ailleurs tout le combat que je mène en tant qu'entrepreneur
16:07 et en ayant développé mon cabinet d'accompagnement
16:10 pour les entreprises qui veulent développer des politiques RSE très engageantes.
16:16 C'est justement d'arrêter de considérer que le handicap est une catégorie de personnes.
16:22 Le handicap, c'est juste une particularité qui fait qu'on a une situation
16:26 qui nous contraint à faire différemment.
16:28 Mais en aucune manière, je suis différent de nos amis qui sont aujourd'hui,
16:34 par exemple, derrière les caméras.
16:36 Ils pensent comme moi, alors on pense pas forcément la même chose,
16:39 mais ils ont la faculté de penser, moi aussi.
16:41 Ils ont la faculté de ressentir, moi aussi.
16:42 Ils ont la faculté de faire, moi aussi.
16:45 Mais on fait pas de la même façon.
16:47 Eux, ils filment, moi, probablement que je filmerais de travers.
16:51 Encore qu'on m'a reconnu des talents de cinéaste il n'y a pas si longtemps, mais bon.
16:55 Tu as eu récemment un incident qui a beaucoup fait parler.
16:59 Monsieur, je suis avec ma petite fille de 4 ans, je dois l'emmener à l'école.
17:02 Je suis non voyant, c'est un chien guide.
17:04 Vous êtes obligé de le prendre, monsieur.
17:05 Non, je ne dis pas la vérité.
17:06 Non, non, non, mais...
17:07 Hé !
17:08 Ah tu... Non !
17:09 Hé, Arcade !
17:10 C'est mon vieux !
17:11 Tu te calmes !
17:12 Quand tu as filmé, qu'est-ce que tu as, toi, à dire sur ce réflexe de créer à
17:17 l'avance ou d'anticiper le fait de devoir créer une preuve de quelque chose ?
17:20 Quand ça t'arrive X fois dans une semaine, tu es obligé de te préparer à la fois d'après.
17:27 Et donc la fois d'après, tu dis, bah plus jamais ça.
17:30 Et donc, parce qu'on ne me croit pas que cette situation est arrivée, je vais filmer.
17:34 Néanmoins, on ne pourra plus me dire que cette situation n'existe pas.
17:36 Il y a quand même certains de nos concitoyens non voyants qui acceptent ces situations sans
17:43 jamais rien dire.
17:44 Pourquoi d'après toi ?
17:45 La résignation.
17:46 Je pense qu'ils sont fatigués.
17:49 Je ne leur jette pas la pierre.
17:51 Moi, en revanche, je suis combatif et donc je continuerai à me battre jusqu'à ce que
17:57 la vie me permette de respirer.
17:58 La société sait me rappeler que j'ai des devoirs.
18:00 Donc, bah moi, je vais essayer de lui rappeler que j'ai des droits.
18:03 Je continuerai à parler fort, quand bien même cela dérange.
18:07 Un cas très clair sur le chien d'assistance.
18:09 Le chauffeur Uber a la possibilité d'annuler une course.
18:12 Donc, il peut même le faire sans que toi tu le saches.
18:14 Et il peut te voir avec ton chien et dire, ah non, c'est un chien, même si c'est un
18:19 chien guide, je m'en fous, je me barre.
18:20 Bon, moi, je pense que de façon très simple, il faudrait qu'il y ait une petite annotation
18:27 du côté de la plateforme disant, cette personne est en situation de handicap accompagnée
18:31 par un chien d'assistance, et bien le chauffeur n'a pas le droit d'annuler tant qu'il n'y
18:36 a pas eu une levée de doute par une plateforme, donc une personne tierce, pour lui expliquer
18:40 qu'il n'a pas le droit de le faire.
18:41 C'est simple à mettre en place, c'est quelques lignes de code, et je crois que c'est pas
18:45 cher payé pour arrêter déjà ces situations discriminantes.
18:48 Tout le monde considère que le handicap est une clientèle ou une population de niche,
18:53 sauf qu'il faut le rappeler, 20% de la population déclarée, autant de personnes qui sont aidantes,
19:00 que des gens qui sont concernés directement par le handicap, et en 2030, un Français
19:04 sur deux se déclarera dans une situation invalidante ou incapacitante, notamment dû
19:09 aux maladies chroniques.
19:10 Donc quand on aura 50% de la population qui se déclarera dans une situation handicapante,
19:18 je pense qu'on prêtera un autre regard.
19:21 On est aujourd'hui à 10 à 12 millions de personnes en situation de handicap déclarées,
19:24 et à peu près autant d'aidants, donc d'entourage de ces personnes.
19:28 Qu'on oublie énormément.
19:30 Donc le handicap concerne 20 à 25 millions de personnes en France.
19:34 Oui, soit un tiers de la population.
19:35 On compte évidemment toutes les personnes qui ne se déclarent pas forcément, qu'on
19:39 suppose, et qui ont parfois des handicaps invisibles.
19:44 On le rappelle pour qui la situation n'est pas moins compliquée, elle est parfois même
19:49 plus parce qu'elle est moins comprise.
19:50 Les gens ne savent pas que lorsqu'ils ont un cancer et qu'ils ont besoin d'un aménagement
19:54 de temps de travail spécifique, ou même à la maison pour suivre leur thérapie, c'est
20:00 une situation qui peut être connue comme étant une situation handicapante.
20:03 Mais le mot "handicap" fait peur.
20:05 Ce que ça implique fait peur.
20:07 Ce que cela connote derrière fait aussi peur.
20:10 Quant au profil du handicapé, oui, ni toi ni moi ne l'avons.
20:15 Les gens doutent même du fait que je sois aveugle.
20:19 Bon, écoute, je suis ravi.
20:22 Peut-être que c'est là le meilleur compliment qu'on puisse me faire.
20:26 Par ailleurs, n'importe quel oftalmo pourra sans difficulté témoigner par un certificat
20:32 médical que je suis bien aveugle et que le mec est foutu, il n'y a rien à faire.
20:36 On est sur un projet, toi et moi, tu peux peut-être en parler aussi, d'une structure
20:41 un peu nouvelle dans le milieu du handicap.
20:43 Oui, le Syndicat National des Personnes Handicapées, qu'on a baptisé France Vision, qui a vocation
20:50 à accompagner les gens qui sont en activité professionnelle ou en tout cas qui veulent
20:55 y aller et des gens qui, au cours de leur vie, connaissent le handicap et qui doivent
21:00 faire face à cela.
21:01 Et également les entreprises, comment faire en sorte, ça fait partie malheureusement
21:07 de l'avis d'un employeur, de se séparer d'un collaborateur en situation de handicap
21:10 parce que dans ces cas-là, on marche un peu sur des œufs.
21:12 Or, ce que je disais aussi tout à l'heure, c'est qu'égalité des chances, tu as le
21:17 droit de venir travailler, mais si tu merdes, tu as aussi le droit de partir.
21:21 Et donc là, équité des droits, c'est que je vais te licencier, mais avec justesse,
21:29 et faire en sorte que derrière, tu puisses te rebondir très facilement, etc.
21:35 Le syndicat, je pense que c'est une solution qui jusque-lors n'existait pas et qui vient
21:43 compléter un dispositif associatif qui s'occupe de beaucoup de choses, d'ailleurs peut-être
21:50 un peu trop de choses parce que le gouvernement devrait davantage prendre de sujets en charge,
21:59 mais le sujet de l'emploi n'est malheureusement encore pas assez travaillé, surtout dans
22:05 la déficience visuelle.
22:06 De ce que disent les études, on passe sept ans de sa vie en situation de handicap.
22:10 Donc ça peut être après une séance au ski où on s'est fait les croiser, ça peut
22:15 être après une blessure au poignet, et puis ça peut être pendant l'âge avancé.
22:21 Je perds la vue, je perds l'audition, je perds la mobilité, et du coup j'ai beaucoup
22:27 de mal à faire les gestes du quotidien.
22:29 Et donc moi j'essaye de rappeler ça aux gens qui ont beaucoup de mépris ou beaucoup
22:33 de préjugés sur la question du handicap, ça n'arrive pas qu'aux autres.
22:37 Écoute, je crois que c'est une conclusion en tout cas qui est très parlante, on te
22:42 souhaite le meilleur.
22:43 Merci à toutes et tous d'avoir regardé.
22:44 Merci à toi.
22:45 [Générique]
22:47 Merci d'avoir regardé cette vidéo !