• l’année dernière
Transcription
00:00 *Ti ti ti ti ti ti*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Gesper, bienvenue au Club.
00:12 *Musique*
00:17 Bonjour à tous, un ciné-club du documentaire aujourd'hui avec Patrick Rotman, Jean Moulin bien sûr
00:22 et Pierre Brossolette, Daniel Cordier, les Hauts-Bracs, Germaine Tillon, mais aussi une foule restée anonyme.
00:28 Le réalisateur signe "Résistance", une série en quatre volets pour Arte diffusée sur la chaîne le 25 avril et à voir sur arte.tv
00:36 et un beau livre coédité par Arte et Le Seuil où il a dirigé par le passé la collection "L'épreuve des faits"
00:42 portrait d'hommes et de femmes qui sont entrés en résistance après le discours du maréchal Pétain du 17 juin 1940.
00:49 Le réalisateur surprend en montrant la diversité rarement soulignée de cette armée des ombres
00:54 et en restituant comme toujours l'histoire dans son infinie complexité.
00:59 Patrick Rotman est aujourd'hui notre invité.
01:02 *Musique*
01:05 Une émission programmée par Anouk Delphineau et préparée par Laura Dutèche-Pérez
01:09 avec Félicie Fogère à la réalisation et à la technique Jacquez Hubert.
01:13 Tiens, Jacquez Hubert, un regard qui pétille, une attention de tous les instants et une oreille en or
01:19 qui nous ont accompagné ici à France Culture depuis des années et qui nous quitte, paraît-il,
01:24 aujourd'hui pour renouer avec un écosystème un peu plus vert mais tout aussi sonore, la nature, bonne route, l'ami.
01:31 Quand un évadé frappe à votre porte, il frappe à la première porte qui se présente, qu'est-ce que vous faites ?
01:40 Ou vous le recevez ou vous le recevez pas. Si vous le recevez pas, vous êtes un fameux salaud.
01:47 Et si vous le recevez, vous êtes un martyr, sans l'avoir cherché, ni désiré. Et c'est comme ça.
01:57 *Musique*
01:59 Bonjour Patrick Rotman.
02:00 Bonjour.
02:01 Comment allez-vous ?
02:02 Très bien, je suis là.
02:03 Vous êtes là ?
02:04 Oui.
02:05 Qu'est-ce que vous faites ? Voilà la question que Germaine Sion, comme beaucoup de résistants,
02:10 qui n'étaient pas préparés, pas prédisposés à devenir résistantes, raconte.
02:15 Elle n'a pas réfléchi. Il y a ce moment qui s'impose à elle. Elle ne réfléchit pas, elle agit. Sur l'instant.
02:22 Elle agit ou elle réagit. C'est-à-dire que cette première, là on est dans l'année 40, tout de suite après la défaite et la débâcle,
02:31 et ce qui a motivé les premiers résistants, que ce soit elles, très peu nombreux, il faut bien le souligner,
02:38 sont dans une marée de pétennisme ambiant. Ce qui les a motivés, c'est le refus. Une sorte de sursaut moral.
02:46 C'est pas possible, on n'accepte pas. On ne sait pas quoi faire, mais il faut faire quelque chose.
02:50 Ils sont à peu près tous dans cet état d'esprit.
02:55 La résistance est née spontanément un peu partout en France, par des gens qui n'y étaient pas prédisposés
03:00 et ne savaient pas ce qu'ils allaient faire, qui ont simplement dit non à un moment donné.
03:05 Vous ouvrez votre série documentaire avec ces mots qui sont de qui ?
03:08 Henri Freinet, qui est l'un des fondateurs du mouvement Combat et qui est l'un des grands résistants de zone sud.
03:15 Et qui dit quelque chose d'essentiel. On ne naît pas résistant, on le devient. Mais comment ?
03:21 Quel est le point commun entre toutes ces femmes et tous ces hommes que vous portraitisez, Patrick Rotman ?
03:26 C'est justement là que c'est difficile de faire un portrait commun, parce que j'ai essayé dans cette série de 4 heures
03:31 de montrer l'extrême diversité d'origine, d'idéologie, ça va de l'extrême droite à l'extrême gauche,
03:39 de régions, de parcours, etc. Donc un portrait robot du résistant moyen, ça n'existe pas.
03:46 Non mais il y a ce sursaut moral peut-être que vous avez évoqué. Il n'y était pas prédisposé et tout à coup ?
03:53 Le point commun c'est le refus. Ils disent tous ça. Dans toutes les recherches que j'ai faites,
03:57 à la fois dans les livres et dans les archives de l'INA pour retrouver les témoignages, ils disent tout ça.
04:04 C'est le refus. C'est d'ailleurs totalement universel. On est dans une situation qu'on n'accepte pas.
04:11 Et on ne sait pas dans quoi on s'engage. Sans doute dans quelque chose qui va être terrible.
04:17 Parce que la survie d'un résistant en moyenne c'est 6 mois quand même, avant d'être sur la durée de la guerre.
04:26 Mais on y va parce qu'on ne peut pas rester les bras croisés à ne rien faire et à accepter.
04:32 Donc c'est le refus absolu, moral, pas une espèce de sursaut. On est agiles.
04:37 Germain Tillon le résume très bien dans sa phrase.
04:40 Oui mais quand vous dites "c'est 6 mois la moyenne, la durée de vie d'un résistant",
04:45 ça on le sait avec le recul de l'histoire. Eux, ils sont pris dans le grand vent des événements.
04:51 Ils sont aussi emportés à un moment par cette histoire. Ou alors ils prennent le bon sens de l'histoire, vous pensez, quelque part, consciemment ?
04:58 Ce que vous venez de dire est important. Ce que j'essaie de restituer dans cette série, c'est justement ce vent, ce tourbillon de l'histoire qui les emporte, qui les balaye.
05:08 Et dans ce tourbillon terrible que j'essaie de restituer, ce contexte, il y a une poignée de femmes et d'hommes qui décident de se lancer dans une aventure incertaine,
05:22 comme l'a dit beaucoup plus tard Claude Bourdet, un des grands résistants.
05:25 Une aventure qui souvent les amenait au poteau d'exécution, à la déportation,
05:31 mais qui était motivée chez eux par une pulsion qu'ils n'arrivaient pas à réprimer. Il fallait le faire.
05:39 Et le point de bascule, vous le montrez bien dans le premier volet de cette série documentaire,
05:43 le point de bascule dans la vie de ces hommes et ces femmes, c'est quand même le discours du maréchal Pétain. Il y a des mots qui ne passent pas.
05:49 Alors ça, disons qu'il y a un certain nombre de points de bascule.
05:52 Ce qui est intéressant que j'essaie de montrer aussi, c'est l'évolution à la fois de ceux qui deviennent résistants et l'évolution de l'opinion publique.
06:02 Ce n'est pas la même chose en 40, en 42, en 44, bien évidemment.
06:06 Et dans cette série d'évolutions, de moments clés, il y a effectivement, pour une poignée d'entre eux encore une fois, il faut bien se représenter,
06:14 quand ils entendent Pétain, il y a une espèce de... le fameux discours où j'ai demandé la cessation des combats.
06:21 Alors Germaine Tillon, c'est fondre en larmes, littéralement. Elle a honte. Geneviève de Gaulle, la nièce du général, qui va rentrer en résistance plus tard.
06:33 Pareil, il y a une espèce de dégoût qui la prend.
06:38 Donc oui, c'est des réactions, je dirais, mais c'est presque physiques.
06:43 Elle raconte d'ailleurs comment elle va arracher un drapeau à croix gammée très tôt sur un pont à Rennes,
06:49 alors que, évidemment, ça ne sert à rien, où elle prend des risques, mais elle ne peut pas s'empêcher de le faire.
06:55 En France, on a souvent tendance à recouvrir l'histoire du manteau de mythe, avez-vous dit, à propos de la guerre d'Algérie.
07:01 Pareil ici avec la résistance. Défaire le mythe de la France tout entière résistante derrière le général de Gaulle.
07:08 Tel est aussi le sens de votre démarche, Patrick Rotman. On écoute le général.
07:12 Le général, fin d'oublier qu'il n'est pour rien dans la naissance et le développement de la résistance intérieure qu'il ne contrôle pas.
07:20 Les attentats continuent.
07:23 A Londres, de Gaulle a créé en septembre le Comité national français, CNF, qui préfigure un futur gouvernement.
07:34 Quelques jours plus tard, le 2 octobre, le chef de la France libre s'exprime pour la première fois sur la résistance intérieure.
07:42 L'Union nationale se refait en France dans la résistance à l'oppresseur.
07:54 Organiser et diriger cette résistance, non pas seulement dans les territoires actuellement affranchis, mais partout en France et dans l'empire.
08:05 Quelle est la tâche primordiale du Comité national français ?
08:13 En réalité, à cette date, de Gaulle n'est pas bien informé de ce qu'il se passe dans la France résistante.
08:20 Il ne manifeste pas beaucoup d'intérêt pour l'action des mouvements.
08:25 Alors évidemment, Patrick Rotman, que de Gaulle a été une figure de la résistance. Vous ne réécrivez pas l'histoire.
08:31 Mais simplement, vous soulignez quand même le fait, assez clairement, qu'il n'en est pas le seul architecte.
08:37 Quelle a été, à vos yeux, la juste place du général de Gaulle dans cette histoire ?
08:42 La juste place, c'est celle que lui a donné l'histoire. Elle est immense.
08:46 Et l'homme qui, le 18 juin à Londres, a dit "la résistance française", il a écrit ces mots, il a dit ces mots.
08:52 C'est la première fois d'ailleurs que le mot "résistance" est prononcé.
08:55 Absolument. C'est un symbole extraordinaire. Imaginez ce qui se serait passé s'il n'y avait pas eu le général de Gaulle
09:01 pour dire non et faire cet appel du 18 juin. Mais il ne faut pas faire tout découler de cet appel du 18 juin.
09:09 Ce serait une reconstitution de l'histoire de croire que toute la résistance est rangée le 19 derrière de Gaulle.
09:15 En fait, il y a deux histoires que je raconte au tolan de ces quatre heures.
09:20 Il y a l'histoire de la résistance intérieure, ce qu'on appelait résistance, il y a l'histoire des mouvements, des groupes, des réseaux.
09:27 Alors les mouvements, il y en a eu 248. Donc c'est très compliqué de raconter tout ça.
09:31 Mais qui, petit à petit, après avoir bricolé, commencent à recruter, à sortir des journaux, à se...
09:38 Voilà. Ça, ça prend deux ans. Et parallèlement, il y a, dès le début, à Londres, les services du général de Gaulle, de la France libre.
09:47 Et quel est l'homme qui va faire, en fait, la liaison entre les deux ? C'est Jean Moulin.
09:51 Donc, on ne se rend pas compte à quel point il a joué un rôle absolument déterminant.
09:58 Parce que, quand il arrive à Londres, c'est au moment, le passage que vous avez fait écouter, il a fin 41, de Gaulle ne sait à peu près rien de la résistance.
10:07 Et donc Moulin lui fait un rapport, il explique, et de Gaulle le renvoie en France, avec l'ordre, la mission, de réunifier toute la résistance.
10:17 Et ça va prendre 18 mois, et ça va déboucher sur la création du CNR, du Conseil National de la Résistance.
10:25 Ça a été très long, ça a été difficile, la résistance intérieure ne voulait pas se ranger derrière de Gaulle,
10:30 elle ne voulait pas s'unifier, elle ne voulait pas... C'était très très compliqué.
10:34 Je raconte toutes ces méandres, toutes ces histoires, parce que, un, je pense que c'est passionnant,
10:38 et je pense que sur le fond, il faut justement sortir des mythologies, de croire que tout ça, c'était facile, c'était un chemin de rose,
10:46 qu'il suffisait de dire et de faire. C'était tout le contraire. C'était un chemin bourré d'embûches, et Jean Moulin a eu beaucoup de mal, beaucoup de mal.
10:54 Mais Jean Moulin, cette figure, elle est intéressante, d'autant que vous en racontez la pré-histoire, de cette grande histoire, ce premier geste qu'il a eu.
11:01 C'est-à-dire qu'il était préfet, c'était un homme de gauche, et il va refuser aux Allemands la signature d'un décret qu'ils lui ont demandé, décret ?
11:11 C'était un décret.
11:13 Il voulait lui faire reconnaître que des tirailleurs sénégalais de l'armée française avaient gorgé des personnes civiles.
11:21 Il refuse. Il se fait tabasser, envoyé dans les geôles, et il se coupe la gorge.
11:26 Et il tente de se suicider. Il se taillade. On peut dire que c'est le premier acte de résistance.
11:31 C'est tout à fait symbolique que ce soit Jean Moulin qui va devenir le chef de la résistance, qui a eu ce premier geste le 17 juin quand même.
11:39 Et le matin du 18 juin, il se réveille baignant dans son sang, il est sauvé in extremis, et c'est le jour où de Gaulle lance son appel.
11:47 C'est quand même des symboles absolument incroyables.
11:50 La vie de Jean Moulin a tenu à ce moment-là à un fil et aussi ce parcours, c'est-à-dire la place qu'il a pris à un moment dans cette grande histoire.
12:00 Vous le montrez bien, la résistance ce n'est pas un mouvement homogène, uniforme, qui a marché derrière un seul homme.
12:07 Les historiens, vous le racontez aussi, ont recensé plus de 250 mouvements, plus d'une quarantaine de réseaux.
12:14 C'est tellement dingue comme chiffre qu'on se demande au fond comment ça a marché, comment ils ont fait.
12:18 C'est un peu un miracle comment ça a marché.
12:20 Mais c'est justement... C'est-à-dire qu'au début c'est assez normal, les gens veulent faire quelque chose, comme je disais tout à l'heure.
12:28 Ils se réunissent, ils demandent à leurs voisins, à leurs amis, à leur famille, etc.
12:32 Et petit à petit tout ça commence à se développer.
12:35 Et puis on se rend compte qu'il y a un autre groupe à côté, etc.
12:40 Et pendant des mois, ils ignorent qu'il y a d'autres mouvements.
12:44 Je raconte quand Jean Moulin rencontre Henri Freinet, juste avant de partir à Londres.
12:50 Freinet lui fait un tableau de la résistance, mais il oublie la moitié des mouvements parce qu'il ne les connaît pas.
12:54 Donc il y a les journaux.
12:56 Donc ça va mettre un temps fou à s'organiser, à se réunifier.
13:01 Et surtout il y a des débats de fond, des débats absolument très très importants.
13:08 Je ne sais pas si on a le temps de raconter tout ça, mais j'insiste beaucoup dans la série.
13:13 Parce que ça engage en fait à la fois le sort de la France dans la guerre.
13:20 Mais notamment sur les tentatives d'unification.
13:22 Et vous le racontez à travers ces affrontements aussi durs qu'il y a eu entre Jean Moulin et les mouvements de la zone sud.
13:31 Oui, il y avait un débat tout à fait légitime d'ailleurs.
13:34 Pour le dire en deux mots, les Américains et Roosevelt détestent De Gaulle.
13:39 Ils soutiennent le général Giraud à Alger.
13:42 Et ils veulent en faire le représentant de la résistance.
13:45 Moulin qui est un politique, il comprend le danger de ça.
13:49 Et il dit à De Gaulle, il faut réunifier toute la résistance, y compris les parties, les anciens partis, tout le monde,
13:55 dans un conseil de la résistance qui vous soutiendra et qui vous donnera la légitimité du soutien de toute la résistance.
14:01 Ce qu'il fait, et qui va être décisif parce que les alliés et Giraud,
14:06 se rendant compte que toute la résistance est derrière De Gaulle, va le soutenir.
14:10 Et ça va être le début de l'épopée algéroise de De Gaulle.
14:16 Donc ça a été des moments politiques.
14:18 Mais il y avait un certain nombre de gens tout à fait honorables, tout à fait sincères,
14:22 comme Brossolette qui ne voulait pas du retour des vieux partis.
14:25 Ils espéraient régénérer la vie politique après la libération,
14:30 à partir des mouvements de résistance qui portaient des nouvelles valeurs.
14:33 Ils ne voulaient pas parler des vieux partis, etc.
14:36 Tout ça a conduit à des engueulades, que je raconte dans le film,
14:40 des engueulades extrêmement fortes, extrêmement violentes,
14:43 entre Brossolette et Moulin, entre Moulin et Henri Freinet.
14:48 Freinet lui a dit à un moment quand même "Vous êtes le fausse foyer de la résistance".
14:52 Freinet, un des fondateurs de la résistance en France,
14:55 qui dit à Jean Moulin, le chef de la résistance, délégué du général De Gaulle,
14:59 "Vous êtes le fausse foyer de la résistance".
15:01 Ça a été très loin quand même.
15:03 - Ça a été très loin et quand on a milité comme vous,
15:06 on sait aussi qu'il n'y a rien de pire, en dehors de l'adversaire lui-même,
15:11 que les divisions internes, que les trahisons aussi possibles,
15:15 à l'intérieur d'un mouvement.
15:17 Et là encore, on se demande comment ce miracle a pu advenir.
15:20 Pierre Brossolette, puisque vous en parlez,
15:22 Pierre Brossolette journaliste, est le premier visage de la résistance
15:25 évoqué dans cette série documentaire.
15:27 Pourquoi lui, chronologiquement ?
15:29 Certes, mais en quoi est-il le premier résistant ?
15:33 - On ne peut pas dire que ce soit le premier résistant.
15:36 Il apparaît le premier dans le film parce que,
15:38 pendant la débat, qu'il est capitaine,
15:40 il a une compagnie, il est pris dans une espèce de terrible bombardement
15:46 et il réussit à sauver sa compagnie,
15:48 à le faire traverser la Loire dans des conditions absolument...
15:51 Et il sauve sa compagnie de l'emprisonnement et de la captivité.
15:56 Et tout de suite, il ne va pas être résistant tout de suite.
15:59 Il va traverser une période de dépression très très forte
16:03 jusqu'à ce qu'il soit contacté par ce qui sera
16:06 le premier mouvement de résistance en zone nord,
16:08 qu'on a appelé le réseau du musée de l'homme,
16:11 avec Germaine Tillon et beaucoup d'autres,
16:13 qui va venir le recruter pour faire un journal.
16:15 Mais le principe de la série que je fais,
16:19 c'est que je raconte l'histoire de personnages
16:22 et c'est la manière dont eux vivent les événements
16:24 qui permet de comprendre ces événements.
16:27 Donc on a multiple regard différent à travers les événements qu'ils vivent.
16:32 Et donc là c'était intéressant d'avoir, au moment de la débat,
16:35 le point de vue de Brossolette.
16:38 - Et c'est une fresque en quatre volets que vous signez Patrick Rotman.
16:42 "Le bricolage héroïque tournant unification-libération"
16:46 avec un S.
16:47 Une année à chaque fois, de l'été 40 à l'automne 44.
16:50 A propos de libération,
16:52 on va écouter les témoignages de Raymond et Lucie Aubrac.
16:56 On est en 43.
16:57 Récit d'une évasion, celle de Raymond Aubrac.
17:00 - Le 21 octobre 1943, lors d'un transfert,
17:04 un commando des groupes francs,
17:06 répartis dans trois tractions citroënnes,
17:08 attaque la camionnette transportant Aubrac, boulevard des Hirondelles.
17:12 - Moi je suis assis avec mon compagnon par terre,
17:20 dans le camion, contre la chaîne,
17:22 et je vois ce qui se passe dans la rue.
17:25 Si bien qu'arrivés boulevard des Hirondelles,
17:28 je vois arriver trois voitures, trois tractions avant,
17:32 suivies d'une camionnette.
17:34 - Ce qu'il fallait d'abord, c'était arrêter ce camion.
17:38 Nous avions donc dans la voiture où j'étais,
17:40 un très bon tireur qui était mudi d'une mitraillette,
17:43 avec un silencieux.
17:45 Ça ne fait pas de bruit du tout quand ça tire.
17:47 Il a ajusté d'une manière très précise
17:50 le chauffeur et les gardiens qui étaient à côté.
17:53 Ils ont été tués.
17:57 Le coup de main réussi.
18:11 - Voilà, là c'est l'histoire d'une libération,
18:14 et là encore vous vous attachez réellement au vécu,
18:17 à l'expérience de ces hommes et de ces femmes,
18:21 de la résistance, plus qu'à l'événement lui-même.
18:24 On l'entend bien.
18:26 - Oui, c'est le point de vue de la série.
18:29 C'est de raconter toute cette histoire complexe et difficile
18:32 à travers le récit des personnages.
18:35 Mais là on n'a fait qu'entendre.
18:37 En fait, à ce moment-là, vous avez choisi
18:40 l'évasion de Raymond Aubrac.
18:42 En fait, c'est ce que j'appelle les animations.
18:45 C'est-à-dire que j'ai fait avec un décimeter...
18:47 - Entré le film d'animation dans ce document.
18:49 - Des moments comme ça, où il n'y a pas d'image, évidemment.
18:54 Il y a très peu d'image sur la résistance.
18:57 Mais il y a des moments clés.
18:58 Il y en a une vingtaine comme ça d'animations dans les quatre heures.
19:02 Par exemple, quand Moulin rencontre pour la première fois De Gaulle.
19:05 Ces animations permettent de restituer au plus près ce qui s'est passé.
19:11 Ce qui est particulièrement intéressant, c'est quand dans ces animations,
19:14 on a comme là, comme on vient d'entendre,
19:16 les témoins qui racontent ce qui se passe,
19:18 en même temps qu'on voit, comme dans un film, le...
19:21 Voilà.
19:22 Il y a ça, il y a l'attentat de Barbès,
19:24 où il y en a un témoin, Gilbert Bruchlin,
19:26 qui a été derrière celui qu'on a appelé le colonel Fabien,
19:30 qui a fait le premier attentat en France au métro Barbès.
19:32 Et il raconte toute la scène.
19:34 Et on la voit, pareil, dans une animation très, très bien faite.
19:38 - C'est la première fois que vous avez recours à l'animation ?
19:40 - Pardon ?
19:41 - C'est la première fois que vous avez recours à l'animation ?
19:43 - Oui. - Vous, l'archiviste ?
19:44 - Il y a quelques années, je me pose la question...
19:46 - Qu'est-ce qui vous a convaincu ?
19:47 - Comment représenter dans un film,
19:50 sans recourir à une reconstitution que je trouve bidon,
19:53 avec des acteurs et tout ça,
19:55 comment restituer des scènes où il n'y a aucune image, où il n'y a rien ?
19:58 - Mais comment vous aviez fait les fois précédentes ?
20:00 Vous n'avez pas votre premier documentaire historique.
20:03 Comment vous avez fait sans l'animation ?
20:05 - Je rigolais. - Quel bénéfice vous y avez trouvé ?
20:07 - J'ai essayé plusieurs choses.
20:08 J'ai travaillé à partir de photos.
20:10 Mais là, c'est beaucoup plus réaliste, c'est beaucoup plus beau d'ailleurs.
20:13 Et voilà, on voit la scène avec une précision totale, telle qu'elle s'est passée.
20:19 - Dans la grande histoire, il y a une multitude de trajectoires personnelles,
20:23 de destins individuels que vous racontez, Patrick Rotman.
20:26 Quelle est, vous, votre propre histoire avec la Résistance, celle de votre père ?
20:30 Parce que vous parlez des subjectivités de ces hommes et de ces femmes
20:33 dont vous racontez le destin.
20:35 Mais au fond, il y a toujours votre subjectivité à vous qui entre en jeu aussi.
20:39 Votre regard peut-être ?
20:40 - J'ai toujours revendiqué, je ne sais pas, j'en suis peut-être à 30 films documentaires historiques,
20:45 j'ai toujours revendiqué la subjectivité et l'honnêteté.
20:48 C'est-à-dire, je ne pense pas, je ne crois pas à l'objectivité.
20:51 Il faut respecter tout à fait les faits, l'histoire, etc.
20:54 Mais évidemment, on a un regard, on a une sensibilité, la manière de raconter les choses.
20:59 J'ai un rapport particulier, vous le rappelez, mon père a été résistant,
21:04 médaille de la Résistance, il était médecin.
21:07 Très tôt, début 41, il s'est engagé dans un réseau de sabotage de chemin de fer
21:13 qui a été démantelé.
21:15 Ensuite, il est passé en zone sud, il est devenu médecin dans le maquis du Limousin,
21:20 qu'on voit pas mal dans le film, le maquis de Guingouin.
21:24 Et il a créé un hôpital clandestin où il soignait les blessés du maquis.
21:28 Ma mère était d'ailleurs avec lui, elle était infirmière dans ce...
21:31 Voilà, donc ça c'est mon histoire personnelle, mais bon...
21:35 Ce qui fait que...
21:37 Je pense qu'au-delà de tout le récit, de ce qu'a été la Résistance,
21:42 de tous ces personnages, il y a eu ce que Serge Ravanel,
21:45 qui est un des personnages du film, qui a libéré Toulouse,
21:48 a été l'esprit de la Résistance, ses valeurs.
21:53 Tout à l'heure, on parlait du sursaut moral, de ces gens qui en carrentent le refus.
21:58 Tout ça a créé un système de référence, de valeur, d'un quoi ils croyaient.
22:03 Évidemment, pour beaucoup, ces valeurs ont été déçues.
22:08 Dans la pré-guerre, je le laisse entrevoir à la fin du film,
22:12 les lendemains n'ont pas chanté, ils ont plutôt déchanté.
22:15 Mais il est resté cette conception de la vie qui est faite, qu'il faut se battre.
22:22 Oui, mais c'est quand même à travers cela un hommage que vous rendez,
22:26 probablement aussi à votre père, que vous rendez à ses pères, à lui,
22:30 sur le moment, à cette armée des ombres, qui a beaucoup fait à ce moment-là,
22:34 même si leurs noms ne sont pas restés autant gravés dans l'histoire
22:38 que ceux de Jean Moulin ou celui du général de Gaulle,
22:40 à ses soutiers de la gloire, comme les appelait aussi Pierre Bresolette.
22:44 Bien sûr, c'est pour ça que j'essaie dans la série d'avoir des personnages
22:48 peu connus ou pas connus du tout, qui sont des agents de liaison,
22:55 des gens qui faisaient souvent des femmes d'ailleurs.
22:59 Il y avait beaucoup de femmes dans la résistance,
23:01 qui prenaient beaucoup de risques d'agents de liaison,
23:03 comme la sœur aînée de Simone Veil, Denis Jacob, qu'on voit dans le film.
23:08 Voilà, donc ça, c'est milliers, c'est dizaines de milliers d'anonymes
23:12 qui ont fait le tissu sur lequel la résistance a pu se constituer, agir.
23:18 Évidemment, si on regarde sur un plan militaire,
23:21 la résistance, ce n'est pas ça qui a fait gagner la guerre.
23:26 Bon, encore qu'au moment du débarquement,
23:28 les renseignements envoyés par la résistance ont été extrêmement utiles,
23:31 ont permis le débarquement.
23:33 Mais sur un plan moral, sur un plan de ce que ça représente dans l'histoire de notre pays,
23:39 ces résistances ont un apport absolument décisif et considérable.
23:44 Et ça a permis que la France soit à la table des vainqueurs
23:48 et pas à la table des vaincus, comme elle l'avait été.
23:50 - Et au-delà de ça, combien de vies sauvées,
23:52 on l'entendait dans ce témoignage en ouverture de Germain-Tillon aussi,
23:56 de ceux qui ont ouvert leurs portes, qui ont caché,
23:59 qui ont par des petits gestes, tout simplement, aidé à sauver des vies.
24:02 - Il y a eu des petits gestes, il y a eu des grands gestes, il y a eu des sacrifices.
24:05 Il y a un autre aspect dont on n'a pas parlé, que je raconte beaucoup, c'est les trahisons.
24:10 Parce que les services allemands, l'Abwehr et la Gestapo, ont été extraordinairement efficaces.
24:17 Ils ont recruté dès l'été 40 des agents infiltrés, qu'on appelait des Wehmann, hommes de confiance,
24:23 et qui ont détruit à peu près tous les mouvements et les réseaux de résistance.
24:28 Vous prenez toutes les arrestations d'Etienne d'Orv à Jeanboulin,
24:32 derrière, il y a la trahison, pas de trahison, parce que souvent, c'était par conviction qu'ils allaient chez,
24:39 d'agents joubles qui infiltraient les réseaux.
24:42 C'est un côté polar que je raconte aussi dans la série.
24:45 C'est donc une histoire qui vous traverse aussi, vous Patrick Rotman.
24:48 Comme 68, vous étiez un ancien militant de la LCR, comme la foi du siècle sur le communisme,
24:53 vos parents étaient adhérents du PC jusqu'en 56.
24:56 Vous témoignez d'un engagement personnel, on le disait à travers chacun de vos films,
25:00 l'histoire que vous nous racontez ne vous est jamais extérieure.
25:04 En 2005, votre film "Les survivants" donnait la parole à ceux qui, si tôt la guerre terminée,
25:08 n'ont pas réussi à se faire entendre.
25:10 Leurs voix se sont fondues dans la longue complainte des malheurs d'après-guerre, disiez-vous, à l'époque.
25:15 Ginette Colenca, survivante du camp de Birkenau, répète inlassablement,
25:20 et aujourd'hui encore à 98 ans, dans un petit livre qui paraît chez Grasset,
25:23 une vie heureuse, qu'elle a eu de la chance.
25:26 Et devant des élèves de 3e, E. Anne Fulda, la chroniqueuse littéraire du Figaro,
25:29 elle a redit "J'ai survécu, nous les Juifs, on a survécu, les héros, c'était les résistants".
25:38 Oui, c'est vrai, c'était des héros.
25:40 Enfin, il y avait des résistants juifs, notamment, je parle assez longuement des combattants de la Meuille,
25:46 notamment de Marcel Reymann, qui est un personnage absolument lumineux, extraordinaire,
25:51 un jeune juif polonais de 19 ans qui attaquait les convois allemands
25:55 avec un pistolet et une grenade dans les rues de Paris.
25:57 Mais les résistants, en général, étaient des héros.
26:03 Vous imaginez la somme de courage qu'il fallait, encore une fois, dans une France occupée,
26:10 dans une France pétenniste pour la zone sud, de se dire "non, on résiste, on se bat",
26:15 en sachant que l'avenir était plus qu'incertain.
26:19 Ils avaient des familles aussi.
26:20 Et survivants et résistants, peut-être que la distinction au fond ne vaut pas,
26:24 et qu'ils étaient tous à leur manière aussi des héros, ce que vous montrez à travers vos films.
26:28 Juste le ton d'une dernière question.
26:30 C'est l'année du documentaire et vous êtes un des chefs du fil du documentaire à la française, Patrick Rotman.
26:35 Dans cette branche de cinéma, vous avez creusé un sillon, une vision, celle du doc historique, indémodable.
26:40 Pourquoi est-ce qu'on a encore et toujours tant besoin d'histoire aujourd'hui ?
26:44 L'histoire, on le voit bien, façonne notre présent.
26:50 Comment comprendre ce qui se passe aujourd'hui sans savoir d'où l'on sort, d'où l'on vient,
26:55 ce qui s'est passé il y a 30 ans, 40 ans, 50 ans ?
26:59 Et ce moment particulier de l'occupation et de la résistance continue de nous fasciner, de nous obséder,
27:05 parce que c'est une matrice de la France des décennies à suivre.
27:10 Alors maintenant, je sais que tout ça commence à s'estomper, à oublier.
27:13 J'espère que mon film permettra de réunir quelques souvenirs.
27:17 Mais c'est l'histoire, enfin pour moi, parce que depuis tout petit, je baigne là-dedans.
27:24 C'est une manière de comprendre aujourd'hui.
27:27 Deux dates à rappeler le film, la série documentaire "Résistance" est à voir sur Arte à partir du 25 avril à 20h55
27:35 et sur arte.tv depuis, on est déjà le 18, je ne sais pas combien, 20 avril, oui, depuis deux jours, exactement.
27:42 Elle est à voir sur arte.tv, un très beau livre qui paraît en parallèle, "Résistance", Patrick Rotman,
27:48 chez Arte Éditions et au Seuil Coédité.
27:50 Je crois que le film reste six mois sur Arte TV.
27:53 Mais vous n'avez pas le temps pour autant, dépêchez-vous.
27:56 Pour ceux qui oublient.
27:58 France Culture
28:00 L'Esprit d'ouverture

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