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00:00 * Extrait de « La vie de la vie » de Yannick Lambert *
00:19 Je suis jeune, riche et cultivé et je suis malheureux, névrosé et seul.
00:24 Je suis issu d'une des toutes meilleures familles de la rive droite du lac de Zurich,
00:29 qu'on nomme aussi la « rive dorée ». J'ai reçu une éducation bourgeoise et me suis
00:33 montré sage toute ma vie avec ces mots.
00:36 Que commence Mars, l'autobiographie et l'unique livre de l'écrivain suisse-allemand Fritz
00:41 Zorn.
00:42 À l'âge de 30 ans, il est atteint d'un cancer qui le pousse à cette introspection.
00:46 Fritz prend alors un pseudo, il a lâché son patronyme « Angst » qui veut dire « peur
00:51 » en allemand pour préférer « Zorn » qui signifie « colère ». Celles sûrement d'avoir
00:55 été rongées par le conformisme de son milieu social et familial avant de l'être par
01:00 la maladie.
01:01 Plus de 40 ans après cette publication, Gallimard propose une nouvelle traduction
01:06 signée Olivier Lelay.
01:07 Que change-t-elle ? Que nous dit ce livre aujourd'hui ? On en parle avec nos invités,
01:11 avec Pierre Croz aussi.
01:12 Bonjour Pierre.
01:13 Bonjour Nicolas, bonjour à tous.
01:14 De notre partenaire babelio.com et accompagné comme tous les jours par la communauté du
01:19 book club.
01:20 Pour moi, Mars c'est une forme de tragédie où l'auteur nous montre la mise en place
01:26 d'un processus d'autodestruction du corps.
01:29 J'ai beaucoup aimé, je trouve que c'est plein d'humour sur un sujet qui ne se prête
01:32 pas forcément à l'humour.
01:33 Et donc c'est un livre qui je pense mérite d'être lu, voire relu.
01:37 France Culture, le book club, Nicolas Herbeau.
01:43 Valérie et Julien qu'on va retrouver tout au nom de cette émission.
01:47 Bonjour Georgine Attacou.
01:48 Bonjour.
01:49 Vous êtes traductrice scénariste romancière, l'autrice d'un roman que vous avez publié
01:52 en 2020 aux éditions Gallimard dans la collection L'Art Penteur intitulé "Evangile des égarés".
01:57 On y croise justement l'écrivain suisse Fritz Zorn qui, dites-vous, écrit "De chez les
02:04 morts", qui se met en scène en tant que Zorn mourant.
02:07 C'est plutôt votre narratrice Flora qui le dit ainsi.
02:09 Elle va mal, Flora, très mal.
02:12 Mais sa vie va changer à la lecture de Mars.
02:14 Tout à fait.
02:16 Flora, ma narratrice, est quelqu'un qui est en train de vivre une grave dépression et
02:23 qui a lu Mars plusieurs années auparavant.
02:26 Cette lecture lui a sauvé la vie, en tout cas a changé sa vie.
02:32 Et ça a été, comme pour tous les lecteurs de Mars, en tout cas ceux avec lesquels j'ai
02:39 parlé, un vrai choc.
02:41 C'est-à-dire que cette lecture est, comme le dit Philippe Lanson dans sa préface, un
02:46 véritable coup de canon.
02:47 On pourrait croire qu'un livre sur la dépression va vous mettre à bas et que vous allez aller
02:54 encore plus mal.
02:55 Or c'est le contraire avec Mars.
02:57 C'est un livre qui vous soulève et qui peut vous sauver la vie.
03:01 - Alors on va parler évidemment de ce livre, de ce qu'il raconte, mais de cette expérience
03:04 de lecture aussi que vous venez de souligner.
03:06 Et évidemment nous avons convié Philippe Lanson pour en parler.
03:09 Bonjour.
03:10 - Bonjour.
03:11 - Journaliste, romancier, c'est vous qui préfacez cette nouvelle édition, cette réédition
03:15 de Zorn qui paraît dans une nouvelle traduction de l'allemand signé Olivier Lelay aux éditions
03:21 Gallimard dans la collection du Monde Entier.
03:23 Olivier Lelay qui a traduit une vingtaine d'ouvrages majeurs de la littérature germanophone
03:28 du XXe siècle.
03:29 Vous dites que vous l'avez lu, Mars, il y a 40 ans, un peu plus maintenant, au moment
03:34 de sa parution en France.
03:36 La traduction était alors de Gilbert Lambriche.
03:40 Comment s'est passée cette rencontre avec ce livre ?
03:43 - Ne me vieillissez pas plus qu'il ne faut.
03:46 Je l'ai lu dans les années 80, mais oui, effectivement, j'avais une vingtaine d'années.
03:49 Et je pense que le fait que son esprit, à la fois violent, désespéré et sarcastique,
04:01 et la manière qu'il avait de régler son compte à ses parents et à travers ses parents
04:05 à son milieu, s'éloignait très vite du lac de Zurich où le coup de canon avait dû
04:12 s'entendre, et je crois résonne toujours en réalité, jusque en ayant passé les frontières
04:21 des milieux comme le mien qui n'était pas le mien.
04:23 Je ne suis pas un fils de la bourgeoisie fortunée de Zurich, ni la plupart de ceux qui l'ont
04:29 eu.
04:30 Et je pense qu'il réglait, comme je disais, son compte.
04:33 Donc on est dans les années 70, la deuxième partie des années 70, à toute une bourgeoisie,
04:41 tout un état d'esprit où on devait faire comme tout le monde, où on devait être raisonnable,
04:47 où on était plutôt de droite, et où on avait une éducation dans laquelle tout ce
04:58 qu'aurait pu être une forme d'expressionnisme, à la fois de la pensée, de la sensation,
05:02 de la sexualité bien entendu, tout cela était au minimum tapis, voire totalement interdit
05:09 de parole.
05:11 Et donc en fait il faisait ce travail pour beaucoup d'entre nous.
05:16 C'est un des petits miracles de la littérature quand elle est réussie, c'est qu'on s'approprie
05:27 l'expérience d'un homme, même si cet homme ne vous ressemble absolument pas.
05:32 Parce qu'il rejoint quelque chose, des sensations qu'on a à cette époque-là, donc encore
05:39 une fois à la fin des années 70, au début des années 80, dans un monde très spécifique
05:44 qui est celui de la fin des Trente Glorieuses.
05:46 Je crois que Georgina d'ailleurs en parle dans son livre si je me souviens bien.
05:49 Oui, oui, oui, enfin en tout cas ce que j'ai remarqué, ce que j'ai écrit dans mon livre,
05:58 c'est que Zorn a été un petit peu comme un visionnaire avec son propos de révolte.
06:05 Il annonce en quelque sorte ce qui va se passer à la fin des années 70 et lors du début
06:12 des années 80, c'est-à-dire pour moi déjà le mouvement punk, les émeutes qui vont secouer
06:18 Zurich assez peu de temps après sa mort, ce que Zurich n'avait jamais connu.
06:24 Il y a eu une espèce de déferlante d'étudiants, d'ouvriers, de marginaux qui se sont révoltés
06:33 contre l'establishment.
06:34 Donc je pense que Zorn a été un petit peu visionnaire des troubles et des changements
06:39 qui allaient survenir.
06:41 Vous racontez, Philippe Lenson, que c'est Jean-Dor Messon qui en avait parlé de ce
06:46 livre Mars de Fritz Zorn dans l'édition Apostrophe, évidemment du grand Bernard Pivot, consacré
06:52 ce jour-là aux souvenirs d'enfance parce que Zorn raconte en partie son enfance et
06:57 sa vie ratée, on peut le dire, c'est comme si en tout cas il l'a décrit.
07:01 Quelle est à l'époque la réception de ce livre ? Est-ce que c'est un grand succès
07:05 comme on l'imagine à l'époque ?
07:06 Oui, c'est un réel succès.
07:09 Le fait aussi que c'est un contre-casting, en quelque sorte, que Dor Messon vienne en
07:15 parler, donc non pas un grand bourgeois mais un noble.
07:17 Enfin bon, relais et château, vous voyez, la vie facile, la vie joyeuse, Jean-Dor Messon
07:26 vienne donc une espèce d'expert du bonheur, vienne parler de ce livre qui est une sorte
07:30 d'expertise du malheur avec quelque chose finalement d'assez plaisant par certains
07:37 côtés.
07:38 Et donc voilà, le livre a eu effectivement beaucoup de succès.
07:42 Je pense qu'il y a des gens, on sait que des écrivains comme Hervé Guibert et d'autres
07:46 l'ont lu à cette époque-là, l'ont lu, bien lu et en quelque sorte assimilé.
07:52 Hervé Guibert qui, je ne fais pas le lien direct bien entendu, mais allait écrire
07:58 quelques années plus tard « Mes parents », qui est un livre qui m'a aussi beaucoup
08:02 marqué quand je l'ai lu.
08:04 Et donc voilà, c'était une époque de règlement de compte, clairement.
08:10 Et la maladie de Sorn, le cancer, son itinéraire, vous dites qu'il raconte son enfance, mais
08:19 en fait ce qui est intéressant c'est qu'il ne le raconte que du point de vue qu'il
08:24 s'est fixé, qui est celui de sa maladie et de sa révolte.
08:28 C'est-à-dire qu'en réalité très peu de choses sont dites, sont décrites de cette
08:35 enfance, mais là où on voit que c'est un formidable écrivain, c'est que le peu
08:39 qui est décrit, non seulement est souvent extrêmement précis et drôle, mais ouvre
08:46 à l'imagination du lecteur sur tout ce qui n'est pas écrit et qu'on aimerait
08:50 savoir.
08:51 C'est ça qui m'a aussi frappé à la relecture, là pour le coup, que je n'avais
08:54 pas vu à 20 ans, c'est-à-dire tout ce hors-champ formidable qui est la marque aussi
09:01 de sa qualité d'écrivain.
09:02 - Sur le succès, Jean-Liné Natacourt, vous réécrivez qu'il s'en vendait 3000 exemplaires
09:06 par semaine dans votre roman.
09:09 Vous avez fait aussi des recherches sur comment est-ce que cette oeuvre a trouvé son public.
09:15 - Oui, c'est ce que j'ai entendu dire et c'est ce que j'ai compris d'après
09:21 mes recherches, que ça a été un hit.
09:23 Les gens ont été absolument bouleversés par cette lecture qui est arrivée comme
09:29 un pavé dans la mare.
09:30 Par contre, en Suisse, ça a été en tout cas duré, un petit peu moins bien reçu,
09:35 à tel point qu'il y a eu un silence assourdissant autour de ce livre et qui perdure encore.
09:40 J'ai fait beaucoup de recherches pour retrouver la famille Anx, en tout cas le frère de
09:45 Fritz Zorn qui est peut-être encore en vie.
09:48 J'ai absolument rien trouvé, si ce n'est que Fritz Zorn a refusé de se faire enterrer
09:54 dans le caveau familial et que j'ai fait un petit pèlerinage pour retrouver son lieu
09:59 de sépulture, ce qu'on appelait une fosse commune, qui est appelée maintenant un jardin
10:03 du souvenir.
10:04 Donc il a refusé jusqu'au bout sa famille et même jusqu'au point de refuser d'être
10:11 enterré avec eux.
10:12 Donc voilà, ça a été très mal reçu en Suisse et notamment par la grande bourgeoisie.
10:16 On entendra Julien qui est Suisse et qui a lu Zorn et Mars il y a quelques années.
10:22 Mais d'abord, écoutons Valérie qui a découvert quasiment au même âge que Philippe Sanson
10:28 ce livre Mars de Fritz Zorn.
10:31 J'ai découvert Mars quand j'avais 20 ans et ça a été un texte très important pour
10:36 moi d'abord parce que c'est la première autobiographie de ce type que j'ai et puis
10:40 aussi parce que je découvrais des points communs avec ma propre enfance et jeunesse.
10:47 Et ce qui me fascinait justement dans la lecture de cette œuvre, c'était la manière dont
10:52 il décrivait précisément l'éducation qu'on lui avait donnée.
10:56 Il oscillait sans cesse entre colère, humour, cynisme, mais aussi parfois une forme de compréhension
11:05 vis-à-vis de ses parents qu'il décrivait comme peu heureux eux aussi finalement.
11:10 Donc pour moi, Mars est une forme de tragédie où l'auteur nous montre la mise en place
11:17 d'un processus d'autodestruction qui finit par arriver à son terme puisque le cancer
11:24 fonctionne comme une espèce d'autodestruction du corps.
11:28 Et l'ironie tragique dans tout cela, c'est que Zorn n'en prend conscience, ne prend
11:32 conscience de la vie, de la révolte, que lorsqu'il est trop tard.
11:37 Un peu comme Valéry, Philippe Lanson, vous avez parlé tout à l'heure de ce récit,
11:42 de cette autobiographie un peu règlement de compte, familial, un procès presque fait
11:47 par Zorn à ses propres parents qui étaient, et là je vous cite, d'épouvantables conformistes.
11:53 Avec cette nouvelle traduction d'Olivier Lelay, vous avez adouci, modifié votre regard sur
11:59 ces rapports familiaux, sur ce qu'il voulait écrire véritablement ?
12:02 Oui, ce que j'ai cru, enfin ce que je vois aujourd'hui et que je ne voyais pas à l'époque,
12:10 ce qui ne veut pas dire que j'ai plus raison aujourd'hui qu'à l'époque, c'est une
12:13 sensation de lecteur, c'est que ses parents, j'allais dire, ont des circonstances atténuantes,
12:21 surtout son père.
12:22 On s'aperçoit, si on fait une lecture assez précise, que son père est beaucoup plus
12:29 intéressant et réactif et sensible que l'éducation qu'il a probablement reçue et donnée à
12:39 son fils le laisse entendre.
12:40 Donc il y a une éducation qui est effectivement absolument étouffante et Zorn dit bien que
12:49 ça remonte, ses parents eux-mêmes sont des victimes de cette éducation.
12:53 Mais ce qu'on voit c'est que son père, par exemple, il est architecte et il restaure
13:04 des églises.
13:05 Et en même temps, Zorn est tout à fait stupéfait parce que son père a une connaissance technique
13:10 et sensible, visiblement très profonde, de la qualité des œuvres d'art, de la structure
13:16 architecturale, etc.
13:17 Et en même temps, il ne supporte absolument pas l'idée de Dieu.
13:21 De la même façon, un classique de la langue allemande qui est Ephibrist, que Zorn, lui,
13:28 aime beaucoup, il dit que son père ne supporte pas Ephibrist parce qu'Ephibrist est une
13:33 héroïne qui finalement décide, meurt jeune, avec cette idée que c'est ce qui peut lui
13:39 arriver de mieux.
13:40 Chose qui est insupportable à son père.
13:43 Son père passe ses journées, quand il est à la maison, à faire des réussites en écoutant
13:48 du Schumann ou du Schubert.
13:50 Et donc progressivement, on a une série d'indices qui sont distribués mais qui ne seront jamais
13:54 développés sur le fait que son père finalement est une âme sensible, pour le dire comme
14:02 ça.
14:03 Et donc évidemment, ça rend les choses encore beaucoup plus intéressantes.
14:05 - Vous dites qu'il est plus sensible, plus étrange, plus fragile et aussi plus romanesque.
14:10 Vous avez ressenti aussi, Georges Nataku, peut-être plus de fidélité dans cette nouvelle
14:17 traduction aussi, de nouveaux sentiments, une nouvelle expérience.
14:21 En tout cas, il fallait dépoussiérer cette traduction.
14:24 - Tout à fait.
14:25 J'ai ressenti une nouvelle sensibilité, tant dans la préface de Philippe Lançon que dans
14:32 la nouvelle traduction.
14:33 Philippe Lançon qui montre une certaine indulgence justement pour ce père et cette mère, que
14:41 moi je n'avais pas du tout ressenti.
14:43 J'étais vraiment moi dans le parti pris de Zorn, c'est-à-dire dans la colère contre
14:47 les parents, dans le réquisitoire.
14:48 Donc ça a affiné un petit peu ma perception.
14:52 Et j'ai trouvé que la traduction, je voudrais rendre hommage aussi à la traduction de M.
14:58 Le Lay qui est très belle et qui justement met un petit peu plus en valeur l'ironie
15:03 et l'autodérision de Zorn.
15:06 C'est un livre très dur.
15:07 On peut avoir du mal à percevoir justement son humour qui est quand même très présent
15:12 et qui le rend très attachant malgré sa grande colère et sa grande violence.
15:17 - Alors il faut parler de colère.
15:18 On va se tourner vers Pierre Croce.
15:19 Pierre Croce, quel est l'avis des lecteurs de babelio.com sur ce livre ?
15:23 Évidemment avis tranché.
15:25 C'est une vraie expérience de lecture.
15:27 - Oui tout à fait.
15:28 Le mot colère revient beaucoup.
15:29 Déjà il est toujours lu, Zorn.
15:31 1000 lecteurs sur Babelio, 63 critiques.
15:33 Et alors certains reviennent sur la colère.
15:36 C'est un livre phénomène, inclassable, classique de la littérature suisse contemporaine.
15:39 Mars dérange par sa noirceur, sa rage et son désespoir.
15:43 Mais c'est pour certains une colère saine.
15:44 Son livre est une exhortation à dépasser les règles, les coutumes et les mauvaises
15:48 habitudes héritées de son éducation lorsqu'elles empêchent l'individu de vivre.
15:52 Tout lecteur convaincu par Mars ne pourra pas s'empêcher, après avoir refermé le
15:56 livre, de procéder à une vivisection de sa propre existence.
15:59 C'est une question que j'aimerais peut-être vous poser.
16:02 La colère, c'est un bon moteur d'écriture aussi ?
16:04 - Personnellement oui, je le crois.
16:08 Je pense que la colère est un moteur pour l'écriture et pour toutes sortes de choses
16:16 dans la vie, qu'il faut utiliser avec parcimonie avant qu'elle ne se retourne contre vous.
16:22 Mais grâce à cette colère, ce mot "sorn", colère, je crois que Fritz Sorn justement
16:28 part vivant.
16:29 Et que voilà, pour lui en tout cas, la colère a été quelque chose de salvateur et en fait
16:34 un grand vivant.
16:35 - Philippe Lançon, ce pseudonyme aussi, passer de l'angoisse à la colère, c'est
16:40 quelque chose aussi de symbolique.
16:42 Il en avait conscience de cette colère qu'il pose sur ses pages ?
16:45 - Oui, quelqu'un qui s'appelle Fritz Angst, Fritz Spurr ou Fritz Angoisse et qui décide
16:50 de se baptiser Fritz Sorn, Fritz Colère, je crois qu'il a effectivement conscience
16:58 de ce qu'il fait.
16:59 Et donc effectivement, cette colère, oui, quand on écrit, en tout cas ça peut être,
17:06 il y a bien des moteurs de l'écriture, mais c'en est un qui est quand même très fréquent
17:11 et qui lui permet presque d'aller vers une chose qui est fondamentale chez lui, il le
17:18 dit, la clarté.
17:19 En fait, la colère, c'est comme un orage très violent qui passe et qui finit par éclairer
17:29 le paysage, vous voyez, c'est par le laver, comme en montagne par exemple, et qui finalement
17:41 permet comme en montagne de voir ensuite absolument tous les détails du paysage, en tout cas
17:46 ceux qu'il décide de montrer, les vallées qu'il décide de montrer et certains sommets
17:50 qu'il décide de montrer.
17:51 Et ça se résume après aussi par des phrases, parce qu'il faut quand même citer, j'en
17:55 cite une sur son père, mais il y en a mille comme ça, qui est à la fois ce mélange
18:00 de sarcastique et finalement au fond noué d'un tel chagrin.
18:06 "Mon père était un millionnaire de la rive dorée de Zurich, comme il en existe tant
18:10 d'autres, avec ses soixante années de frustration conclues par un infarctus du myocarde."
18:16 Vous voyez, ça tombe vraiment juste, parce que son père en plus est mort avant, on comprend
18:23 très tard dans le livre, ça aussi il y a une expérience de lecteur très particulière
18:28 puisqu'en fait les choses, certaines choses très importantes comme la mort du père ne
18:33 sont dites que très tard dans le livre.
18:36 Donc on commence à lire le livre en étant très en colère contre ce père et contre
18:41 sa mère, sans savoir que le père est mort.
18:45 Et on le découvre, vous voyez, et il y a plein d'effets comme ça qui correspondent
18:51 aussi à la manière dont Zorn a écrit son livre, c'est-à-dire que le livre évolue
18:57 avec la conscience qu'il a et de sa maladie et de ce qu'il peut en faire ou pas, et
19:03 de son enfance, de son adolescence, etc.
19:06 Et il y a trois parties dans le livre et véritablement on peut dire que c'est des états de conscience
19:11 successifs qui modifient non seulement le fond de ce qui est dit mais même la forme.
19:19 Le livre évolue à mesure qu'il s'écrit.
19:22 Il est un symptôme de la maladie et il en est la conclusion aussi.
19:28 - Dans votre roman, Georges Nettakou, votre narratrice dit que la vie de Fritz Zorn va
19:33 couvrir les 30 gorgeuses où, je cite, "le ventre des habitants et celui des coffres
19:37 suisses seront plein à rassasier".
19:39 Vous donnez aussi une brève biographie de la courte vie de Fritz Zorn.
19:45 Est-ce qu'on sait si il sait que son livre va être publié puisqu'il est publié à
19:51 titre posthume ? Est-ce qu'on sait au moment où il meurt, si il sait que son livre a été
19:55 accepté par l'éditeur ?
19:56 - Il l'apprend la veille de sa mort.
19:59 C'est Adolf Schmugg qui est le premier préfacier de la première édition qui le raconte.
20:06 C'est le psychothérapeute de Zorn puisque Zorn a entrepris une psychothérapie à la
20:12 fin de toute fin de sa vie qui vient lui apprendre la nouvelle à l'hôpital que son livre va
20:18 être publié.
20:19 Et Zorn tenait absolument à ce que ce livre soit publié parce qu'il savait que c'était
20:22 un livre important.
20:23 Et donc il l'a appris vraiment in extremis.
20:26 Et par son psychothérapeute qui étrangement s'appelait le Dr Frey, qui veut dire liberté
20:32 en allemand.
20:33 Donc voilà, il y a une valse des noms aussi qui est très intéressante.
20:37 - Alors on a parlé de ses parents, de cette famille bourgeoise fortunée.
20:41 Certains y voient, Pierre Croce, dans ce livre aussi évidemment un conflit contre la bourgeoisie.
20:46 - Oui, c'est ce qu'ont retenu beaucoup de lecteurs.
20:48 L'auteur attribue son cancer à son éducation.
20:51 L'analyse de la société bourgeoise de l'époque et de ses conséquences sur l'éducation
20:55 est magnifique.
20:56 Mais certains ont été un peu dérangés par cette association, ces liens directs que
20:59 fait l'auteur entre son éducation et l'apparition de la maladie.
21:02 Ce récit m'a parfois dérangé justement par cette recherche de sens et cette interprétation
21:06 de la maladie qui peut nourrir la culpabilité autant que la rancune.
21:10 Vous y voyez vous-même, vous, un lien direct entre le cancer et son éducation ?
21:16 - Il y a une forme de provocation dans cette façon de présenter les choses.
21:20 Il y a une forme de provocation, je pense, de la part de Zorn à accuser ses parents,
21:26 son milieu, la bourgeoisie, la Suisse, etc. de lui avoir refilé le cancer.
21:30 Après, voilà, c'est une vue de l'esprit.
21:33 Je pense qu'à l'époque aussi, il y avait des considérations sur la maladie, les formes
21:40 psychosomatiques d'une maladie qui ne sont peut-être plus les mêmes aujourd'hui.
21:43 Et voilà, il le dit lui-même, "je suis le carcinome de Dieu", qui est une phrase quand
21:50 même assez provocante.
21:51 - Philippe Lanson ?
21:52 - Oui, il écrit "le cancer est une maladie de l'âme", avec cette expression fameuse
21:58 sur le fait que ce sont les larmes rentrées.
22:02 On est en 1976, ne jamais oublier le contexte.
22:07 Je ne suis pas oncologue, mais il me semble qu'on a appris beaucoup de choses sur le
22:14 cancer depuis, et aussi on a développé beaucoup d'incertitudes en apprenant beaucoup de choses
22:20 sur les causes du cancer.
22:21 Donc, il ne s'agit pas d'un traité scientifique sur le cancer, il s'agit d'un homme qui
22:28 sent qu'il est en train de mourir de cette maladie et qui établit des liens sensibles
22:37 et affectifs avec le milieu qu'il accuse de lui avoir donné ça.
22:44 Est-ce que lui-même, jusqu'à quel point il croyait à une équation parfaite entre
22:51 sa maladie et son milieu, ça on n'en sait rien.
22:56 Il ne faut pas oublier qu'il sait qu'il est un écrivain.
23:00 Par ailleurs, il écrivait des pièces de théâtre, il écrivait des formes courtes,
23:06 on le sait.
23:07 J'ai appris dans le livre de Jean Gillin d'ailleurs que, contrairement à ce qu'il
23:11 dit, il n'a pas tout détruit, ce qui est très typique aussi d'un écrivain.
23:16 D'ailleurs, il y a des phrases extrêmement drôles où il dit qu'à un moment donné,
23:20 là encore, c'est des états de conscience, il est très en colère contre le fait qu'il
23:25 écrive des choses qu'il prétend brûler ou détruire juste après.
23:30 Il dit que de toute façon, tout écrivain, comme tout artiste, n'est jamais qu'un
23:34 raté.
23:35 C'est-à-dire quelqu'un qui est au bout de ses frustrations et qui ne trouve qu'une
23:38 passion, c'est d'écrire ou de créer des choses dont finalement tout le monde se fout.
23:42 Donc, il a un côté comme ça.
23:44 Mais alors, il le dit de manière extrêmement drôle parce qu'il est très drôle, à
23:48 la fois avec les autres et avec lui-même.
23:51 Mais comme les gens qui ont quand même beaucoup d'humour, et je pense qu'il en avait,
23:55 il est d'abord drôle contre lui-même.
23:58 Il se moque de lui de manière très efficace.
24:02 Et donc, c'est ce qui l'autorise aussi, à mon avis, à être aussi efficace quand
24:06 il se moque des autres.
24:08 Et bien, allons en Suisse, justement.
24:09 Écoutez Julien qui a découvert Mars de Fritz Orn sur le tard, comme il le dit, et
24:14 qui nous parle aussi de cette notion d'humour.
24:16 J'ai découvert ce livre au détour d'une boîte à livres, ce qui est assez commun
24:21 en Suisse, ces cabines téléphoniques qui ont été transformées en boîtes à livres.
24:25 Effectivement, j'ai pris ce livre un peu au hasard.
24:27 Je ne le connaissais pas.
24:28 Je l'ai pris parce qu'en lisant le résumé, j'ai vu que c'était un livre sur la Suisse.
24:31 Et puis le résumé m'avait un peu intéressé.
24:33 Et je l'ai vécu de manière assez intéressante, en étant un peu interloqué au départ.
24:37 Si on pense au sujet qui est traité.
24:40 Mais j'ai aussi beaucoup ri de la distance qui est prise, sachant que c'est vrai qu'en
24:45 Suisse, les Suisses alémaniques ne sont pas considérées pour avoir beaucoup d'humour.
24:49 Et donc là, en l'occurrence, c'est vrai que la distance qui est prise avec ce livre
24:53 sur la mort, sur ses parents, c'est assez intéressant.
24:56 J'ai beaucoup aimé.
24:57 Je trouve que c'est plein d'humour sur un sujet qui ne se prête pas forcément à
25:00 l'humour.
25:01 Et donc, c'est un livre qui, moi, m'a beaucoup, beaucoup plu, beaucoup marqué et qui, je
25:03 pense, mérite d'être lu, voire relu.
25:06 - "J'ai été durant toute ma vie le traditionnel bout en train", rapporte votre narratrice
25:11 Flora dans votre livre "Georges Nataku, évangile des égarés".
25:16 Il y a en permanence, et vous le disiez, ce contexte très dur dans lequel il écrit cette
25:22 autobiographie, sa maladie qui arrive, le mal qui l'envahit et cet humour, cette distance,
25:29 comme dit Julien.
25:30 - Tout à fait.
25:31 Je pense que c'est une erreur de considérer Zorn comme simplement un grand dépressif,
25:40 moribond.
25:41 Il était aussi connu pour être quelqu'un d'assez excentrique.
25:45 On a retrouvé une photo de lui où il se balade dans Zurich en cape rouge.
25:49 Il organisait des petites fêtes pour ses étudiants où, comme Philippe Blançon disait,
25:53 il faisait des petits spectacles de marionnettes, etc.
25:56 Ça, c'est l'autre côté de Fritz Zorn.
25:58 C'est le côté un petit peu hurluberlu, bout en train, qu'on découvre, si on dit
26:03 bien Mars, et qu'il ramène à la vie aussi.
26:07 Donc c'est un côté très important, je pense.
26:10 - Vous dites, Philippe Blançon, que Mars est une tragédie presque burlesque, et je
26:14 vous cite parfois écrite avec le masque de Buster Keaton.
26:17 - Oui, oui, parce que ce qui m'a fait penser à Buster Keaton, c'est le fait que Zorn
26:21 lui-même dit qu'il n'arrive jamais à rire.
26:23 Alors, il s'en plaint, puisqu'effectivement il dit qu'il ne peut jamais rire, puisque
26:31 ça ne rit pas à l'intérieur.
26:33 Mais en même temps, moi j'en avais conclu en réfléchissant à ça, que c'est probablement
26:41 en partie ce qui techniquement explique ce qu'on sent qu'il devait avoir, il était
26:45 très apprécié, qu'il devait avoir beaucoup d'humour, parce qu'il n'y a rien de pire
26:48 que les gens qui rient à leur propre farce.
26:50 Et là on sent que, on voit vraiment le pince-sans-rire qu'il devait être, peut-être à son corps
26:56 défendant, bien sûr, mais en tout cas qu'il devait être très efficace pour les autres.
27:00 Et on le sent, si je peux me permettre, quand il parle, il y a vraiment des passages extrêmement
27:05 drôles où on voit qu'il devait être comme ça aussi, quand il parle des réactions des
27:10 Suisses conservateurs à cette jeunesse en colère qui commence à monter, et il dit,
27:15 leur réflexion c'est toujours "mais qu'il aille donc à Moscou, s'il n'est pas heureux
27:19 en Suisse, qu'il aille donc vivre sous Brezhnev à Moscou à l'époque".
27:23 Et en fait, Zorn démonte ça de manière extrêmement drôle pour montrer que ce Moscou
27:28 est une ville imaginaire créée par les conservateurs, et que ce type de comparaison n'a jamais
27:33 aucun sens.
27:34 On ne peut pas envoyer… Les gens réagissent et sont en colère et se plaignent par rapport
27:41 au milieu dans lequel ils vivent, et non pas par rapport à ce chemin de Moscou dont
27:45 Zorn dit qu'il n'existe pas.
27:47 Et en fait c'est intéressant parce que politiquement, bien sûr c'est vrai, mais
27:50 c'est vrai dans la vie aussi, vous voyez, c'est-à-dire par exemple les comparaisons
27:54 de souffrance qu'on peut avoir les uns avec les autres n'ont aucun sens.
27:57 Quelqu'un est dans sa souffrance, et pas dans celle du voisin, même si celle du voisin
28:02 est bien pire, mais ça ne veut rien dire pour la personne qui souffre.
28:06 Et ça il le montre de manière beaucoup plus drôle que je suis en train de le faire, en
28:10 parlant de ce qu'il aille donc à Moscou.
28:12 - Ce n'est pas facile de raconter un trait d'humour et une blague…
28:16 - Oui, au deuxième degré c'est très difficile, et sans rire en plus.
28:20 - Philippe Lanson, et évidemment sans rire.
28:23 Georgine Attaku, il y a cette écriture et ce mal que l'on ressent évidemment quand
28:29 on lit ce livre, et d'ailleurs c'est vous Philippe Lanson qui dites que c'est la
28:34 description d'un combat, ce récit, cette autobiographie, un peu comme j'imagine peut-être
28:42 en référence à Kafka d'ailleurs.
28:44 - Oui, pour moi c'était une référence claire à Kafka, bon les comparaisons sont
28:49 limitées, mais on sent que cette terrible atmosphère d'angoisse dans laquelle il a
28:59 grandi et de répression et d'injonction, non pas à être ceci ou cela, mais à ne
29:07 surtout pas être ceci ou cela.
29:09 Que cette injonction a développé en lui à la fois une sensibilité et un scrupule
29:16 extrême par rapport aux choses, et le moment où il décide de renverser la table en fait
29:25 finalement à ce moment-là une sorte de Kafka en colère, qui décide de renverser le banquet
29:36 et le banquet suisse.
29:38 - Exactement, il fait tout péter.
29:41 Il décide de prendre les armes, notamment dans la troisième partie du livre, et vraiment
29:48 de tout exploser, et c'est je pense tout à fait le récit d'un combattant.
29:54 - Il veut faire sauter le crédit suisse.
29:56 - Il veut faire sauter le crédit suisse qui en ce moment est mis à mal, et il y a des
30:00 manifestations, des manifestants qui arrivent en bateau devant le crédit suisse, telles
30:04 des pirates, je pense que Zorn aurait beaucoup aimé voir ça.
30:06 - L'histoire se répète en tout cas, il y a toujours une partie d'actualité qui revient.
30:12 Vous disiez Philippe Lanson que le récit, sa façon d'écrire évolue aussi au fur
30:16 et à mesure, et donc dans cette troisième partie elle est beaucoup moins en retenue,
30:20 Pierre Croce, et ça les lecteurs évidemment le soulignent.
30:23 - Elle a beaucoup fait réagir les lecteurs cette dernière partie.
30:25 Certains ont trouvé sa rage très touchante, puisque il faut peut-être dire que sa dernière
30:29 partie est moins en retenue que les précédentes.
30:30 Donc certains ont trouvé cette rage très touchante, sa souffrance physique dans la
30:33 dernière partie du livre, et sa rage son déchirante.
30:36 Et d'autres ont été moins touchés justement par cette partie-là.
30:38 Le livre commence dans la narration, passe ensuite dans le registre philosophique, puis
30:42 dans la religion, et enfin dans l'aigritude.
30:44 Mais dans le fond, qu'a-t-il fait pour s'en sortir, se remettre en cause, se secouer,
30:48 un livre anti-résilience ? C'est l'avis d'une lectrice.
30:50 Alors peut-être une question, une double question pour vous, est-ce que vous qualifieriez
30:54 aussi ce livre d'anti-résilience ? Et comment est-ce que vous analysez cette dernière partie ?
30:58 Et les réactions peut-être plus compliquées sur cette partie ?
31:01 - Pour ce qui me concerne, une des raisons parmi d'autres pour lesquelles j'aime ce
31:07 livre, c'est qu'il n'est absolument pas résilient.
31:09 Je n'aime pas la résilience.
31:11 Donc c'est une idée qui me gêne, je n'y crois pas, je ne l'éprouve pas.
31:16 Et c'est une intrusion de la psychologie dans la littérature qui me gêne aussi.
31:23 C'est-à-dire, on n'écrit pas pour être résilient.
31:26 Enfin en tout cas quand on est un écrivain, on écrit parce qu'on écrit et parce qu'on
31:31 est bon qu'à ça, comme disait Beckett.
31:33 Donc en fait, c'est très clair chez Orn.
31:36 En fait, il a trouvé de toute façon sa voie, même si dans son cas, cette voie est rapidement
31:42 de garage puisqu'il va mourir.
31:43 Mais en tant qu'écrivain, il sait très bien ce qu'il doit faire.
31:48 Et pour la troisième partie, rappelons-le, ça s'appelle "Le Chevalier, la Mort et
31:54 le Diable".
31:55 Donc il y a une volonté effectivement à la fois de combattre et de noblesse.
32:00 Et le diable, c'est aussi lui, puisqu'à un moment donné, il rehausse la figure du
32:05 diable.
32:06 Il dit "moi du coup, dans ce contexte, je suis plutôt le diable que Dieu.
32:11 Dieu, il m'emmerde.
32:12 Jésus, j'en veux pas.
32:14 Par contre, le diable, oui, ça c'est une figure intéressante et c'est plutôt celle-là
32:17 que j'ai envie d'incarner".
32:19 Où on retrouve d'ailleurs, à mon avis, je ne sais pas ce qu'en pense Georgina, le
32:22 goût du théâtre.
32:23 C'est-à-dire être le diable, c'est prendre le masque du diable face à une société
32:30 qui de toute façon vit masqué et de manière non ludique.
32:38 En l'occurrence, si on parle de la société suisse-allemande de cette époque-là.
32:42 Aujourd'hui, je n'en sais rien.
32:43 Et juste que finalement, non pas faire du tout une apologie du terrorisme, mais arriver
32:51 à faire...
32:52 On est encore dans les années 70, les fractions armées rouges, etc.
32:56 Et il en parle.
32:57 Et en fait, c'est très intéressant.
32:59 Le mot qu'il emploie, et Georgina le dit dans son livre, c'est la cohérence.
33:03 Il ne dit pas ce que ces gens font est bien, mais ils ont au moins un mérite.
33:07 Ils sont cohérents.
33:08 Il emploie le terme "esprit de suite".
33:13 Oui, l'esprit de suite.
33:14 Voilà, en parlant d'Ulrich Umeinhoff.
33:16 Donc, ce n'est pas une justification du terrorisme.
33:19 Il parle d'esprit de suite.
33:20 Ça peut être considéré comme un peu choquant, etc.
33:23 Mais dans le contexte de l'époque, c'est assez intéressant.
33:25 Vous aurez le dernier mot, Georgina Takou.
33:27 Pourquoi est-ce qu'il faut relire, lire, découvrir aujourd'hui ce Mars de Fritz Zahn
33:34 et cette nouvelle traduction ?
33:35 Je pense qu'il faut le lire, pas seulement aujourd'hui, mais pour toujours.
33:39 C'est un livre universel.
33:41 On n'est pas obligé d'être un gosse riche de la rive dorée de Zurich pour le comprendre.
33:49 Il suffit d'être un être humain.
33:52 Il suffit de connaître la souffrance.
33:53 Il suffit de savoir qu'on a envie de se révolter, de prendre les armes, de se déclarer
33:58 en état de guerre totale, qui est la fameuse dernière phrase du livre.
34:03 Je ne veux pas la spoiler, mais elle est tellement fameuse.
34:05 Et d'ailleurs, on lit Zahn comme on lit un ami ou on lit un frère, sans forcément
34:19 être d'un milieu bourgeois.
34:20 Je pense que vous avez convaincu de nombreuses personnes et de nombreux auditeurs de lire
34:25 Mars de Fritz Zahn dans cette nouvelle traduction d'Olivier Lelay, préfacée par Philippe
34:33 Lanson.
34:34 Merci beaucoup Philippe Lanson d'être venu nous parler de ce livre.
34:36 Et ensuite, on peut aussi comprendre pourquoi est-ce que Mars de Fritz Zahn relève et redonne
34:42 le goût de vie à Flora, votre narratrice dans votre roman Georgie Nataku, Évangile
34:48 des égarés, aux éditions Gallimard, aussi dans la collection L'Arpenteur.
34:51 Merci à tous les deux d'être venus dans cette émission et merci à Pierre Croce de
34:55 nous avoir accompagnés.
34:56 * Extrait de « L'Arpenteur » de Pierre Croce *
35:00 Dans un instant l'épilogue du boucle, mais d'abord les inquipites de Mathias Sénard.
35:04 Vous vous en souvenez, bien évidemment.
35:07 Vous l'avez même encore dans l'oreille, chères auditrices et auditeurs.
35:10 Je consacrais la semaine passée ma chronique aux plus grands romanciers de tous les temps.
35:15 J'ai nommé, vous reconnaissez immédiatement cette force de la nature, fils du général
35:21 du même nom, père de l'auteur du même nom, l'extraordinaire Alexandre Dumas.
35:28 Excellentissime compagnon à travers les siècles, à tel point que je m'enorgueille encore
35:32 aujourd'hui d'appartenir à la même congrégation que lui.
35:36 Vous vous souvenez donc que je m'étais intéressé, il y a tout juste une semaine, à l'inquipite
35:42 des trois mousquetaires.
35:43 Une auditrice inspirée me faisait remarquer que Dumas abuse, pour débuter ses romans,
35:49 des lieux et des dates.
35:51 Pas un texte qui ne commence par l'évocation d'un lieu et d'une date.
35:56 Vérifions.
35:57 Le conte de Monte-Cristo.
35:59 Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le 3 mai le pharaon venant
36:06 de Smyrne, Trieste et Naples.
36:09 Effectivement, date et lieu.
36:11 La reine Margot.
36:13 Le lundi, 18e jour du mois d'août 1572, il y avait grande fête au Louvre.
36:18 La dame de Montsoro.
36:20 Le dimanche gras de l'année 1578, après la fête du populaire, et tandis que s'éteignaient
36:26 dans les rues les rumeurs de la joyeuse journée, commençait une fête splendide dans le magnifique
36:31 hôtel que venait de se faire bâtir, etc.
36:34 Le bâtard de Molléon.
36:36 Dans les premiers jours du mois de mars 1388, vers le commencement du règne du roi Charles
36:41 VI, c'est-à-dire quand tous ces châteaux, aujourd'hui au niveau de l'herbe, élevaient
36:46 le fait de leur tour au-dessus de la cime des plus hauts chaînes et des pins les plus
36:50 fiers, etc.
36:51 La majorité des romans d'Alexandre Dumas commencent donc par un lieu et une date, soit.
36:58 Mais aussi, et c'est plus curieux, par le temps qu'il fait.
37:02 Le vicomte de Bragelonne.
37:05 Vers le milieu du mois de mai de l'année 1660, à 9h du matin, lorsque le soleil déjà
37:10 chaud séchait la rosée sur les ravenelles du château de Blois, etc.
37:15 Les compagnons de Géut.
37:17 Le 9 octobre de l'année 1799, par une belle journée de cet automne méridional qui fait
37:23 aux deux extrémités de la Provence murir les oranges d'hier et les raisins de Saint-Péret,
37:29 une calèche attelée de trois chevaux de poste, etc.
37:33 Ange-Pitou.
37:35 Un jeudi du mois de juillet 1789, jour assez maussade, assombrit qu'il était par un orage
37:40 qui courait de l'ouest à l'est et sous le vent duquel les deux magnifiques acacias,
37:45 perdant déjà la virginité de leur robe printanière, laissaient échapper quelques
37:50 petites feuilles jaunies par les premières chaleurs de l'été, etc.
37:54 Le Chevalier de Maison-Rouge.
37:56 C'était pendant la soirée du 10 mars 1793, 10h venait de teinter à Notre-Dame, la nuit
38:02 était descendue sur Paris, non pas bruyante, orageuse et entrecoupée d'éclairs, mais
38:07 froide et brumeuse.
38:09 Certes, le genre roman historique demande peut-être ce pacte initial de dates et d'heures,
38:17 la météorologie participant sans doute à cet effet de réel.
38:20 La lectrice, le lecteur se demande-t-il, mais comment fait Dumas pour connaître le temps
38:26 qu'il faisait le 10 mars 1793 ? C'est bien là que nous entrons dans le pacte fictionnel.
38:32 En bon jardinier, nous abdiquons notre raison face aux caprices du ciel et d'Alexandre.
38:39 Mathias Enard, à retrouver sur franceculture.fr et sur l'appli Radio France.
38:43 Toute la semaine, le book club est préparé par Henrianne Delacroix, Zora Vignier, Jeanna
38:46 Grappard, Didier Pinault et Alexandre Abégovitch que je remercie.
38:49 Thomas Beaux à la réalisation, merci aussi à lui et la prise de son ce midi, Dimitri
38:53 Paz.
38:54 Voici l'épilogue du jour.
38:56 Très peu de choses sont dites, mais là où on voit que c'est un formidable écrivain,
39:01 c'est que le peu qui est décrit ouvre à l'imagination du lecteur sur tout ce qui
39:05 n'est pas écrit.
39:06 Et ça a été, comme pour tous les lecteurs de mars, je pense, un vrai choc.
39:10 C'est un livre qui vous soulève et qui peut vous sauver la vie.
39:13 C'est un des petits miracles de la littérature quand elle est réussie.
39:17 On s'approprie l'expérience d'un homme, même si cet homme ne vous ressemble absolument
39:22 pas.
39:23 Exactement, il fait tout péter.