Le réalisateur Nicolas Philibert vient d'être récompensé pour son film sur la psychiatrie, "Sur l'Adamant". Il en parle avec le psychiatre Frédéric Khidichian.
Regardez L'invité de RTL du 12 avril 2023 avec Amandine Bégot.
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00:06 Il est 7h44, excellente journée à vous tous qui nous écoutez.
00:09 Amandine Bégaud, vous recevez donc ce matin Nicolas Philibert et le docteur Frédéric Kidichian.
00:13 On est ravis de vous accueillir tous les deux ce matin avec Stéphane Boutsok.
00:16 Nicolas Philibert, dans ce documentaire vous nous emmenez donc à bord de l'Adaman où vous exercez docteur Kidichian.
00:22 C'est un lieu, je le disais, unique au monde puisque c'est un bateau, pas tout à fait un bateau Nicolas vous me disiez,
00:27 puisqu'il ne navigue pas mais il est amarré sur les quais de Seine en plein Paris et il abrite ce centre de jour
00:34 qui accueille donc des patients qui souffrent de troubles psychiatriques.
00:37 C'est un film qui est plein d'humanité, de tendresse, de poésie aussi,
00:40 qui sort mercredi prochain au cinéma et qui a donc déjà reçu l'Ours d'Or à Berlin, récompense prestigieuse.
00:46 On est très loin de l'image qu'on peut avoir de la folie, de la prise en charge de ces malades.
00:51 Nicolas Philibert, l'Adaman c'est d'abord un lieu de vie, d'échange, d'écoute ?
00:56 C'est un lieu de parole, c'est un lieu d'hospitalité, d'accueil, d'hospitalité,
01:03 où en effet, quand on y est, on a l'impression qu'on peut prendre son temps,
01:08 les patients sont considérés et non pas enfermés dans leurs symptômes.
01:17 On les considère comme des gens capables de s'intéresser à plein de choses,
01:22 d'avoir des talents, comme des personnes et non pas comme des seuls malades, c'est drôlement important.
01:28 La journée est ponctuée d'ateliers, ces échanges ont lieu autour d'ateliers,
01:31 ça peut être du dessin, de la musique, de la couture, il y a aussi un bar,
01:35 où d'ailleurs les patients parfois servent les autres.
01:38 C'est pour engager justement la conversation, c'est très compliqué la conversation,
01:43 c'est ce que dit un des patients dans le documentaire, Pascal, je crois.
01:46 C'est compliqué mais c'est essentiel docteur ?
01:48 Oui absolument, effectivement, pour ce lieu, vous avez dit qu'il y a des ateliers.
01:54 C'est un prétexte ?
01:55 C'est un prétexte, c'est totalement un prétexte,
01:57 ce n'est pas un objectif en soi de faire un atelier, que ce soit confiture, couture, écriture,
02:02 on ne va pas écrire des poèmes.
02:04 L'idée c'est effectivement de renouer du lien, de renouer de la sociabilité entre les personnes
02:11 et puis surtout d'empêcher les personnes d'être repliées chez elles, d'avoir un repli sur soi.
02:19 Donc elles viennent, elles viennent parce qu'elles en ont envie,
02:22 parce qu'il y a du désir de venir d'un côté comme de l'autre.
02:25 Et c'est ça qui est très important, c'est-à-dire qu'on n'est pas assigné à une fonction de notre diplôme
02:31 en tant que psychiatre, psychologue, infirmier,
02:33 mais on est là parce qu'on le désire et parce qu'on va engager tous les jours
02:38 un lien singulier avec les personnes qui viennent.
02:42 Et donc on ne peut pas faire semblant avec les patients,
02:45 ce n'est pas du fake comme on dit aujourd'hui,
02:47 on est totalement tous les jours remis en question nous-mêmes
02:51 sur notre propre relation aux patients, aux uns et aux autres,
02:55 en se soignant également, c'est-à-dire qu'on se dévoile tout d'un coup,
02:58 tel patient va avoir le souhait de réaliser telle ou telle chose,
03:03 de penser d'aller voir un spectacle.
03:07 Et on le suit, on va se dire "bah tiens, oui ce spectacle,
03:11 aussi ça nous intéresse ou ça ne nous intéresse pas"
03:14 et on s'engage tous les jours, au quotidien et à chaque minute,
03:19 en quelque sorte, dans notre lien avec les personnes.
03:23 C'est ça qui fait l'originalité de ce lieu, ou du moins son côté remarquable.
03:31 - Il y a autre chose aussi Nicolas Philibert,
03:33 et c'est aussi sans doute ce qui vous a valu l'ours d'or à Berlin,
03:35 c'est que vous parvenez à faire d'un lieu,
03:38 ma foi assez statique, avec aussi de longs entretiens face caméra,
03:42 du vrai cinéma. Alors c'était le cas avec "Etre et avoir",
03:45 avec "Nenet" aussi, vous avez filmé cette femelle orang-outan du jardin de l'acclimatation.
03:50 C'est un lieu de cinoche incroyable ce bateau.
03:53 - C'est un lieu très cinégénique de par ses espaces, la proximité de l'eau.
03:58 L'eau c'est quelque chose de drôlement hypnotisant,
04:02 regardez l'eau, la couleur de l'eau change en fonction des nuages du ciel, de la lumière.
04:09 Et puis c'est un film aussi beaucoup sur les visages, sur les regards, sur les corps.
04:16 - Ils ont des vraies gueules.
04:17 - Pas seulement sur les échanges, la parole, la langue,
04:22 mais aussi vraiment sur les visages qui sont très importants,
04:25 qui nous interpellent, qui nous saisissent.
04:28 Et voilà, le cinéma c'est souvent, c'est beaucoup des visages quand même.
04:34 - Les visages et les regards aussi, c'est-à-dire qu'on les sent par moments,
04:39 partir ailleurs, on le voit d'une seconde à l'autre, ça change dans leur esprit.
04:45 Il y en a un d'ailleurs qui parle du regard des autres,
04:48 on nous regarde toujours avec des yeux curieux, dit l'un d'entre eux, l'un de vos patients.
04:52 On a justement trop tendance à les mettre à l'écart, au banc de la société,
04:55 aujourd'hui c'est malade.
04:56 - Oui, effectivement, ce patient a totalement raison.
05:00 Et effectivement, ce qu'il trouve comme apaisement sur "La Dame en C'est"
05:03 c'est qu'on n'a pas ce regard.
05:05 Et là aussi, on ne le joue pas, c'est-à-dire qu'on a travaillé collectivement
05:10 depuis des années à ce que la personne qui entre, elle entre,
05:14 on va l'accueillir telle qu'elle est, avec ce qu'elle est,
05:17 avec sa pensée, son discours, ses paroles, son attitude, son silence.
05:22 Tout ça est accueilli sans préjugé de ce qui va se passer
05:27 et surtout, permettre à cette personne de s'exprimer de cette manière.
05:32 Et ça va sur la vie quotidienne.
05:35 Je vais vous donner un exemple.
05:36 Dans les hôpitaux de jour, on pense toujours que c'est un service hospitalier,
05:40 donc il y a une sorte de hiérarchisation, une sorte d'organisation.
05:44 Or là, par exemple, pour prendre son café, c'est tout simple,
05:47 il y a un bar, on le voit dans le film,
05:49 quand je vais prendre un café, je ne vais pas dans la salle des infirmières
05:52 pour prendre un café avec la cafetière.
05:54 Non, c'est un patient qui est à la cafetière, je lui dis "servez-moi un café"
05:57 dans la même tasse que les patientes, avec la même cafetière.
06:00 Si j'emmène à manger, je le mets dans le frigo,
06:02 dans le frigo, c'est avec les sacs que les patients ont emmenés.
06:05 Il n'y a pas la salle des infirmières ou la salle...
06:07 Et je ne vais aller plus loin, ne serait-ce que les toilettes,
06:10 il n'y a pas les toilettes des personnels et des toilettes des patients.
06:12 On est là sur un lieu qui est à tous.
06:14 Ce sont des hommes et des femmes comme les autres ?
06:16 Absolument.
06:17 Il n'y a pas d'endroits fermés par exemple.
06:19 Les patients peuvent circuler, aller dans le bureau administratif,
06:22 aller faire des photocopies, enfin chacun est libre d'y circuler.
06:27 Il y a différents espaces, différents coins, c'est très important aussi
06:31 qu'il y ait des endroits où certains peuvent s'isoler aussi.
06:35 Mais il n'y a pas...
06:37 Et quand on regarde le film, on ne distingue pas,
06:40 le film ne fait pas le distinguo entre les patients et les soignants.
06:44 Il y a parfois du mal à reconnaître d'ailleurs Kiki.
06:46 Oui, mais si j'avais étiqueté les gens,
06:50 ça aurait été complètement contraire à la philosophie de cet endroit.
06:54 En effet, au fond le film vient peut-être estomper un peu des clichés
07:03 et vient dire aussi qu'on a beaucoup en commun,
07:07 on appartient tous à la même humanité.
07:11 C'est vrai que d'un côté, il y a des gens dans les fêlures,
07:14 les fractures sont très massives,
07:18 mais elles renvoient à nos propres vulnérabilités aussi, les leurs.
07:23 De quelle manière les avez-vous associés ces patients au film ?
07:26 Comment leur avez-vous parlé du projet en amont ?
07:28 Très simplement, je suis arrivé en expliquant un peu mon projet,
07:34 mais surtout, vous savez, je ne suis pas arrivé avec l'idée
07:37 qu'il allait falloir illustrer des idées, un programme,
07:41 respecter un plan de travail,
07:44 premier jour je vais filmer ici, deuxième jour...
07:46 Non, le film s'est construit jour après jour dans la relation.
07:50 Et mon travail consiste à essayer de créer de la relation,
07:55 créer de la confiance avec les personnes que je souhaite filmer.
08:01 Ça prend un peu de temps, mais pas plus que ça non plus.
08:04 Quelquefois ça va vite avec certains,
08:07 d'autres pour lesquels ça prendra un peu plus de temps,
08:10 mais c'est une question de...
08:13 à partir du moment où on n'arrive pas comme quelqu'un qui surplombe,
08:18 et qui sait d'avance ce qu'il faut dire,
08:20 et qui se coule dans l'ambiance de cet endroit,
08:26 c'est déjà beaucoup, c'est déjà en partie gagné.
08:30 Créer de la relation, c'est peut-être ça d'ailleurs,
08:32 le meilleur des traitements d'un mot, docteur ?
08:34 Oui, en tous les cas, dans ce lieu, c'est ce que l'on souhaite créer.
08:38 Les personnes sont prises en charge, on va dire ça comme ça,
08:41 dans d'autres lieux également,
08:43 mais l'hôpital de jour, le centre de jour là d'Aman,
08:46 c'est vraiment un lieu au-delà de la re-sociabilisation,
08:51 de ce que c'est vraiment la déstigmatisation,
08:55 c'est les personnes, comme on les entend dans le film,
08:58 elles parlent, elles disent des choses,
09:00 au même titre que les autres,
09:02 et ça nous renvoie à nous-mêmes,
09:05 en quoi la parole de l'un est supérieure à l'autre,
09:08 en quoi la pensée de l'un est supérieure à l'autre,
09:11 on est là vraiment dans une possibilité pour chacun
09:15 de s'exprimer tel qu'il est, sans stigmatisation.
09:18 Et la psychiatrie, je le disais, c'est le parent pauvre,
09:21 aujourd'hui, de notre système de santé,
09:23 de moins en moins de lits,
09:25 en 40 ans, la moitié des lits ont été supprimés.
09:28 Merci beaucoup à tous les deux,
09:30 merci aussi à vous, Sir Ben, de m'avoir accompagné.
09:33 Les.
09:33 Merci à tous !