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L'historien du Droit, essayiste et haut fonctionnaire publie "L'Abbé Pierre intime".
Regardez L'invité de RTL du 10 avril 2023 avec Amandine Bégot.

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00:02 RTL Matin
00:06 Il est 7h43, excellente journée à vous tous qui écoutez RTL.
00:10 Amandine Bégauve recevez donc ce matin Pierre Lunel qui a beaucoup de choses à nous raconter.
00:13 Pierre Lunel, vous publiez "L'abbé Pierre intime".
00:17 Ça sort cette semaine, jeudi précisément, chez Plon.
00:20 Un livre écrit, je le disais, à partir des carnets intimes de l'abbé Pierre.
00:23 C'est lui qui vous les avait confiés en vous demandant de les publier, mais seulement après sa mort.
00:28 Pourquoi après sa mort et pas de son vivant ?
00:30 Alors, il y a des carnets intimes, c'est deux morceaux.
00:34 Ce qu'il m'avait confié à l'époque, il y a 35 ans quand je l'avais rencontré, c'était un morceau.
00:40 Il était d'actilographie. Et quand je l'ai suivi durant ces 25 ans, petit à petit, c'est toujours pareil.
00:47 Du grenier sortent des nouveautés.
00:50 Donc il y avait par exemple les carnets intimes qui concernaient sa vie chez les Capucins.
00:56 Où pendant 8 ans, il a beaucoup souffert, il en a beaucoup bavé.
01:00 Et en même temps, ça le reconstituait.
01:03 Parce que c'est là où il apprenait ce ressourcement.
01:06 Dans la solitude, dans la prière.
01:09 L'abbé Pierre, il est double.
01:11 - C'est ce qu'on découvre merveilleusement dans votre livre.
01:15 - Oui, mais moi, c'est ce qui me fascine chez lui.
01:17 C'est que ce n'est pas du tout un moine qui n'est que moine.
01:20 Ce n'est pas du tout un homme d'action qui n'est que homme d'action.
01:23 Il est un homme d'action fantastique, ça tout le monde le sait, les Français le connaissent.
01:27 Mais il est ressourcé en permanence par des grandes et par des petites choses.
01:32 Les grandes, c'est sa foi, son adoration, comme il disait.
01:39 Et puis les petites, c'est que c'est un être humain.
01:42 Et d'une humanité fascinante.
01:44 - Un être humain, et alors vous racontez plein d'anecdotes
01:48 qui vont peut-être paraître légères à certains, mais qui disent aussi beaucoup de choses.
01:51 Il détestait par exemple les pâtes, racontez-vous.
01:53 Sans doute parce qu'il en avait beaucoup consommé durant les dures années des Malouches.
01:56 - Ça c'est une idée à moi. - Oui, ça c'est une idée à vous.
01:59 Mais il détestait les pâtes.
02:00 Son frigo, lui, et alors là le livre m'est quasiment tombé des mains, débordait de Schweppes.
02:05 Il en mettait même dans sa soupe, pour raconter.
02:07 - À la fin, vous savez, quand on vieillit, on a de plus en plus soif.
02:12 On a la bouche asséchée.
02:15 Et il trouvait sans doute que le Schweppes, c'était ce qu'il désaltérait le plus.
02:20 Il adorait ça.
02:21 Moi ça m'a toujours fasciné, je déteste le Schweppes.
02:24 Et quand j'étais avec lui, très souvent il me disait
02:27 "Tu veux bien aller m'acheter un Schweppes ?"
02:30 Bon, j'ai trouvé ça merveilleux.
02:32 Moi j'ai toujours été attendri par les petits signes d'humanité.
02:37 - Il se fichait éperdument de l'argent.
02:39 Vous racontez cette anecdote en Suisse, où il va donner des montres.
02:42 - Oui, parce qu'il n'avait aucun sens.
02:45 L'argent, il n'a jamais été intéressé par ça.
02:49 Donc, quand on lui donnait par exemple des sommes d'argent,
02:53 parfois un peu loin, et qu'il prenait le train pour regagner Paris,
02:57 sa secrétaire à l'époque, Lucie Coutos, était au sans-coup.
03:01 Parce qu'elle savait qu'il n'allait rien arriver à Paris.
03:05 Parce qu'il distribuait au fur et à mesure toutes les urgences qu'il croisait.
03:11 Il y avait de tout dans les trains, imaginez.
03:13 Dès qu'on le voyait, on allait vers lui.
03:16 Et puis là-dedans, bien sûr, il y avait des gens plus méritants que d'autres,
03:20 qui appitoyaient davantage, mais bon, il avait ce cœur géant.
03:25 Vous savez, moi, l'abbé Pierre, si vous me demandiez une définition,
03:28 je dirais une âme géante sur un corps fragile.
03:33 - Il avait une santé extrêmement fragile ?
03:35 - À la fois très fragile, et puis pas tant que ça,
03:39 puisqu'il est mort à presque 97 ans.
03:43 Donc, moi, je pense qu'il avait cette espèce de capacité de résilience
03:49 qui lui venait précisément de cette foi géante
03:53 et de cette mission qu'il avait en lui.
03:56 On parle souvent de vocation.
03:58 J'ai la vocation de devenir prof, de devenir journaliste, etc.
04:02 Lui, sa vocation, dès l'âge de 15 ans, c'est d'aller dans les pas de ce monsieur qu'on appelle Jésus.
04:09 - D'aider les autres, c'était ça son seul bonheur ?
04:11 - Voilà, l'urgence. Il est un homme de l'urgence vis-à-vis de la souffrance.
04:16 Moi, j'ai assisté à des scènes qui m'ont complètement bouleversé.
04:21 J'étais tétanisé.
04:23 Je le voyais, un jour, j'arrive là-bas, là où il était, à Estesville,
04:29 et je débarque, et il me dit "tu n'as rien vu dans le train ?"
04:32 Je dis "non, c'était le bon matin".
04:34 Il me décrit un personnage qui aurait été à côté de moi, normalement, qui devait venir.
04:41 Je lui dis "ah mais ça, oui, je l'ai croisé, puis après, boum, en arrivant à la gare, il a disparu."
04:47 Il ne m'a même pas répondu, il est parti.
04:50 Je ne l'ai revu que 4 heures après.
04:53 Il avait fouillé tout le village, maison par maison, tapant, toc-toc, etc., jusqu'à ce qu'il le retrouve.
05:01 C'était un bonhomme qui lui avait téléphoné en disant qu'il était à bout, et qu'il voulait le voir.
05:07 Et pour lui, à ce moment-là, même le président Macron,
05:13 tiens, parce qu'il n'était pas vivant en ce moment, Macron, lui aurait téléphoné.
05:17 - Il ne l'aurait pas pris, et il fallait chercher ce monsieur qui l'avait assisté.
05:20 - Moi je l'ai vu, pas raccroché, mais écourté, avec François Mitterrand.
05:24 - Pour aller aider les autres.
05:26 - Oui, parce que quelqu'un faisait toc-toc à la vitre,
05:29 c'était un misérable qui souffrait beaucoup.
05:32 - Aider les autres, c'était son seul bonheur, et vous le disiez, c'était sans limite,
05:35 et pourtant, vous écrivez "c'est l'homme le plus seul que je n'ai jamais connu".
05:39 Pourquoi ? C'est la cause de quoi ?
05:42 - Tous les gens qui deviennent des...
05:45 Regardez, les stars, elles sont souvent seules, parfois ça fait ironiser,
05:51 mais elles sont souvent seules.
05:53 Mais là, il ne s'agit pas d'une star, c'est une icône.
05:56 - C'est quelqu'un qui se donne aux autres.
05:58 - C'est-à-dire que c'est quelqu'un qui est habillé par son mythe, en même temps.
06:03 Donc, que voulez-vous, dans les années 54, on n'a pas idée du nombre de gens
06:08 qui étaient autour de lui, qui voulaient lui prendre un bouton,
06:12 lui toucher un poil de la barbe, enfin, il était l'incarnation de la bonté.
06:18 Et par conséquent, c'était pour lui des occasions de solitude.
06:25 - Je disais, et vous le disiez d'ailleurs, il y a une face plus sombre,
06:29 vous m'avez corrigé en disant plutôt un personnage complexe.
06:32 Vous parlez de ses colères.
06:34 - Oui.
06:35 - Ce n'était pas forcément quelqu'un de très sympathique, on va dire, comme ça.
06:40 - Non, ce n'est pas ça. Il était très colérique.
06:43 Je ne sais plus quel... celui de vos confrères,
06:46 mais c'est le cas d'enchaîné, qui à un moment donné l'avait surnommé l'abbé Furax.
06:50 Bon, parce que c'est vrai que quand il était en colère contre l'État,
06:55 contre parfois certaines éminences haut placées dans la hiérarchie chrétienne, etc.,
07:01 il poussait des colères pas possibles, et surtout quand on oubliait de servir le plus souffrant.
07:07 En revanche, il était l'homme le plus attendrissant du monde.
07:11 Mais quand il était avec des petites gens, il était mais d'une gentillesse, d'une tendresse.
07:17 Il était vraiment les deux Paules, complètement.
07:22 - Vous évoquez aussi un personnage par moments dépressifs,
07:27 très blessé par un amour fou d'adolescent et un amour impossible ?
07:33 - Un amour impossible, mais parce que vous savez, tous les adolescents, plus ou moins,
07:38 croisent ce genre de problème. Lui, il a croisé dans son milieu,
07:42 qui était un milieu de grands bourgeois d'Ionné, d'éducation chrétienne,
07:47 et il a rencontré, voilà, un jour, il a rencontré une voix.
07:52 Tu vois, il a entendu, il a rencontré une voix.
07:55 Et avec le romantisme d'adolescent, il a conçu pour cette voix un amour insensé.
08:02 L'autre comprenait rien du tout. Il raconte dans ses carnets,
08:06 et moins il comprenait, et plus il écrivait,
08:10 en disant "je le veux comme ami", l'autre ne comprenait pas "ami" quoi.
08:14 Et voilà, donc ça n'a jamais devenu quelque chose de charnel.
08:21 - Mais il en a souffert. - Oui, bien sûr, il en a souffert,
08:25 et puis il est sorti de là.
08:27 - Vous dites, l'Église n'en fera sans doute jamais un saint,
08:30 pas prête à le canoniser, mais j'ai envie de vous dire,
08:33 qu'importe finalement, parce que les Français, eux, l'ont canonisé, non ?
08:36 Ça ne lui aurait plus, lui, d'être canonisé, non ?
08:39 - Ça ne l'intéressait pas du tout, et d'ailleurs, je vais vous dire la chose suivante,
08:44 la canonisation, on la donne à deux types de personnes,
08:48 soit des gens qui font des miracles autour d'eux,
08:50 lui, il en a fait des wagons de miracles, je veux dire, il en a sauvé des quantités,
08:55 et l'héroïcité des vertus, donc top, il l'a eu.
08:59 Et quant au Panthéon, je vais vous dire très franchement,
09:02 il est bien là où il est, dans son petit cimetière campagnard à Estville, en Normandie.
09:08 - Bon, laissez-le tranquille, c'est ce que vous dites à ceux qui voudraient le faire entrer au Panthéon.
09:12 Merci beaucoup, en tout cas, Pierre Lunel.
09:14 Ce livre, "L'Abbé Pierre intime", sort donc, je le disais, jeudi.
09:17 C'est aux éditions Plon, et effectivement, il y a plein d'anecdotes dedans.
09:21 Merci beaucoup.
09:22 [SILENCE]

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